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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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19 août 2024

Lecture de Rm 8, 1-11 par Joseph Pierron, commentaire des v. 3-11

Ce message est la suite du précédent. Il poursuit l'étude de la première partie du chapitre des Romains que Joseph Pierron (Cf. Qui est Joseph Pierron ?), un ami de Jean-Marie Martin a fait à Saint-Merri lors des deux séances du 14 avril et du 5 mai 1991 d'où deux messages sur le blog :

  • Dans le message précédent, après une lecture rapide des versets 1 à 11, J. Pierron a précisé certains mots (loi, esprit…) en écartant de mauvaises interprétations, puis a commenté les versets 1 et 2.
  • Ce deuxième message contient le commentaire des versets 3-11.

 

 

Lecture de Rm 8, 1-11 par Joseph Pierron

 

COMMENTAIRE DES VERSETS 3-11

 

La dernière fois, après une lecture rapide des versets 1 à 11, nous avons précisé le sens de certains mots, en particulier les différents sens que le mot "loi" avait à l'époque, puis nous avons commenté les versets 1 et 2. Nous avons vu que l'opposition principale de cette première partie du chapitre était entre la chair et l'esprit. Seulement chair et esprit ne sont pas deux éléments constitutifs de l'être humain, ce sont deux modes d'être, deux façons de se situer en face de soi-même, en face du monde, en face des autres et en face de Dieu. Nous terminons aujourd'hui la lecture de ce que j'ai appelé la première partie du chapitre 8, à savoir les versets 1 à 11, même si je ne suis pas certain que ma séparation soit bonne. Plus je relis le texte, plus je trouve qu'il y a des références à l'intérieur des versets qui font que la construction est plus subtile que je ne le pensais au départ. On ne peut diviser de façon logique le chapitre en quatre parties, mais c'est au contraire par des séries de ponts d'un verset à l'autre qu'on peut avancer. On va reprendre au verset 3, sa traduction a été très hésitante, on ne savait pas trop vers quoi tourner.

 

 

I – Commentaire des versets 3-4

 

Commentaire du verset 4.

Je pense que je ne peux comprendre le verset 3 qu'à partir du verset 4. « il a condamné le péché dans la chair 4afin que la justice de la Loi soit accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair mais selon l'Esprit. »

Nous avons vu que pour Paul la Loi ne fait que révéler le péché. Or au verset 4 Paul utilise une formule assez surprenante : « la justice de la Loi est accomplie en nous ». La mort et la résurrection du Christ est un accomplissement qui se produit en nous, c'est en nous que ce qui était décisif va se produire. Comment comprendre cela ?

On peut le comprendre dans le sens juridique, c'était par exemple la thèse du Père Benoît de l'École Biblique de Jérusalem. Il pensait que ce que voulait dire Paul, c'est que le verdict de mort que portait la Loi s'était accompli dans le Christ – en effet la Loi l'avait condamné à mort – et qu'ainsi on n'était plus soumis à ce verdict puisqu'il était comblé. Voici aussi ce que dit un protestant : « le Christ donne son plein aboutissement à l'intuition fondamentale de la Loi, à cette réprobation du péché enfin clairement dénoncé et reconnu comme tel. » Mais je ne pense pas que Paul ait eu cette mentalité juridique, je pense qu'il faut aller plus loin, et la plupart des exégètes sentent bien qu'il y a là un point de dépassement.

Pour Paul la Loi telle qu'elle était donnée était susceptible d'interprétations différentes. Et il pense qu'on ne peut pas la comprendre telle qu'elle a été comprise dans le judaïsme. En effet, à l'époque de Paul, le mot "loi" est interprété de différentes manières. Voici les principaux courants.

– Pour les pharisiens, la Loi c'est des commandements, mais des commandements avec les interprétations que les docteurs de la Loi apportent ; il y a la Loi écrite et il y a la Loi orale qui donne généralement une interprétation des commandements. Ce qui est vu dans ce système, c'est que la Loi produit de bonnes œuvres, que les bonnes œuvres ont des mérites, que les mérites sauvent. On est donc dans le cycle législation – infraction – sanction. C'est le système de la condamnation, celui qu'on nous a souvent appris au catéchisme : il y a une législation, une transgression et donc une sanction.

– Les esséniens de Qumran sont dans ce système, mais pour eux, la Loi n'est plus la Loi telle qu'elle était simplement écrite ou telle qu'elle était oralement transmise par les Pères. La Loi, c'est la Loi telle qu'elle est interprétée par ce prophète qui est leur chef, à savoir le Maître de justice. Ils attaquent les pharisiens en disant que ce sont des gens qui disent des choses flatteuses, qui diminuent la dureté de la Loi. Les gens de Qumran sont donc des conservateurs, avec un régime de loi extrêmement poussé : partage des biens, règles de pureté, circoncision, observation du sabbat… tout est développé. Mais en même temps, il y a cette conviction qui naît, qu'au fond, on ne s'en tirera pas seul, et qu'on ne peut être sauvé que par la miséricorde de Dieu. Les deux aspects se trouvent dans les textes de Qumran.

– Les saducéens pensent qu'il n'y a pas d'au-delà de la vie, il n'y a que cette vie ici-bas, si bien que la Loi est un mode de vie agréable pour régler une société, mais n'a pas de visée au-delà.

– Enfin il y a ceux qui attendent la fin des temps et qui pensent que la Loi va finir par triompher, mais cela après la guerre sainte de Dieu.

C'est dans ce contexte que Paul prend le mot de Loi. Et quand il dit « ce qui est l'impossible de la loi » (v. 3) il pense bien à la loi de Moïse qui ne peut pas être accomplie par elle-même. La Loi est bien ce qui, pour lui, n'aboutit pas. Et pourtant, pour Paul, la Loi est orientée vers une espérance car dès le point de départ la parole de Dieu comporte une promesse, elle est ouverte vers un avenir. La parole de Dieu doit forcément se réaliser, et donc la visée de la Loi, c'est-à-dire la plénitude de sens que Dieu veut pour l'homme, sera accomplie dans l'écoute de la Parole qui sauve. La première parole c'est « Que la lumière soit », et ensuite « Je serai avec toi », « Vous vivrez ». Paul sait bien que cette parole est celle qui vivifie.

Quand Paul parle de la "justice de la loi", le mot justice (dikaiôma) ne désigne plus le verdict, mais la justesse, la droiture. La question est donc de savoir quelle est la droiture de la Loi, quelle est sa pertinence. Autrement dit : qu'est-ce qui est au-delà de la Loi, quel est le mouvement ? Et Paul dit : c'est évidemment le Christ, et cela ne va s'accomplir qu'en nous, que dans ceux qui accueillent la promesse de Dieu, et surtout qui ne se justifient pas à partir de leurs bonnes actions.

« 4Afin que l'événement de justice de la Loi soit accompli en nous – Paul semble traduire la phrase de Matthieu 5 : “Je ne suis pas venu détruire la loi mais l'accomplir”, le thème est celui de l'accomplissement – nous qui ne marchons pas selon la chair mais selon l'Esprit. »

Ce que Paul veut dire, c'est que la plénitude du Christ, là où s'est révélée la gloire de Dieu, c'est cette parole qui doit s'accomplir en nous. Il faut que la parole semée soit reçue, vienne à maturité et il y aura accomplissement. Cependant ce ne sera pas "selon la chair", c'est-à-dire pas à la force du poignet, pas en ayant une idée de ma perfection, mais ce sera "selon le pneuma", c'est-à-dire en recevant la gratuité du don de Dieu.

 

Verset 3, première approche.

Si c'est bien cela le sens du verset 4, il m'est peut-être possible d'interpréter le verset 3. « Car ce qui est impossible pour la Loi dans laquelle on était faible à cause de la chair, Dieu ayant envoyé son propre fils, dans la similitude de la chair de péché, et au sujet du péché a condamné le péché dans la chair. »

Ce que Paul signale, c'est que dans la Loi il y a une impuissance, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de dynamisme. Il faut se rappeler la thèse de Paul qu'il a énoncée au début « Car je ne rougis pas de l'Évangile, il est puissance de Dieu » (Rm 1, 16). L'Évangile est donc à l'opposé de la Loi qui n'a pas de puissance. C'est pour cela que l'Évangile ne peut que mettre debout. En effet, si l'Évangile condamnait, il serait du côté de la Loi et du côté de la mort. C'est peut-être ce qui est le plus extraordinaire dans la pensée de Paul : il a compris que l'œuvre de Dieu c'est ce qui advient dans la lumière, que le Dieu qui est le sien est celui qui advient parmi nous au travers de l'événement du Christ.

Paul dit que dans la Loi on est faible (êsthéneï). Il ne faut pas oublier que cette lettre aux Romains est écrite moins d'un an après la troisième lettre aux Corinthiens (notre deuxième lettre). Et dans cette lettre, ceux qu'il a baptisés, ceux qu'il a évangélisés, l'ont traité de "chien courant" – il avait probablement des crises d'épilepsie –, ils se sont moqués de lui : un type pauvre et faible. Si bien que Paul a dû réfléchir sur ce qu'il en est de la faiblesse (asthénéia), et sur ce qu'il en est de la puissance. Et plus il a approfondi son expérience de porteur de la Parole, plus la puissance lui est apparue au travers de la mort et de la résurrection. Plus il se savait faible, malade, plus il croyait qu'il y avait une autre vie qui lui était donnée, qui était en lui. C'est probablement cela qui justifie la présence de êstheneï. Il dit : bien que je sois du point de vue humain un pauvre type, que nous le soyons tous et que nous soyons voués à l'éphémère et à la mort, malgré cela, Dieu a fait la séparation, il a condamné le péché dans la chair.

● Le verset 3 parle-t-il d'incarnation ?

Comment a-t-on compris cette séparation ? Une première explication a été très développée. Certains ont vu que l'expression Dieu a envoyé son propre Fils désignait l'incarnation du Christ. Ce qui serait dit là c'est que Dieu condamnait le péché dans la chair parce qu'il y avait l'incarnation et que cette chair-là était sans péché : l'incarnation serait la preuve que Dieu avait condamné le péché. Personnellement je pense que ni Jean ni Paul ne parlent d'incarnation, et que l'incarnation n'a pas, en soi, d'importance. Leurs regards ne se portent pas sur l'incarnation qui ne prendra sa dimension réelle qu'au IIIe siècle quand on se demandera : est-ce qu'il est vraiment Dieu et est-ce qu'il est vraiment homme ? Pour Paul comme pour Jean, le lieu de la révélation, le lieu où se manifeste la divinité, le lieu où est le visible de Dieu, c'est dans cet homme en croix. Donc je ne pense pas que Paul ait mis ici pempso (envoyé) en pensant à l'incarnation mais il a pensé à la mort et à la résurrection.

Par exemple, quand Jean dit : « Et le Verbe s'est fait chair » (Jn 1, 14) il ne parle pas de l'incarnation. Il dit que la Parole (le Verbe) est devenue chair, est devenue le plus homme possible, et c'est au moment où il est livré à lui-même, quand il est abandonné par le Père, c'est donc à la croix. C'est pour cela que Jean ajoute aussitôt « et nous avons vu sa gloire » car c'est dans le même lieu qu'il y a la Résurrection.

Quand je lis un texte, il faut toujours chercher d'où parle le texte, c'est un principe de lecture. On a une lecture spontanée et c'est très bien. Plus on a d'imagination à propos d'un texte qu'on lit, mieux c'est, mais après, il faut vérifier si ce qu'on pense est bien dans le texte, ne pas oublier que le sens est dans le texte et pas dans notre imagination ! On est toujours obligé de tout re-vérifier pour ne pas projeter nos idées dans le texte qui est devant nous.

C'est le Père Lagrange qui voyait l'incarnation dans ce verset 3 de Paul et je comprends pourquoi. Il écrivait vers 1910, à l'époque moderniste où on était en train de découvrir les méthodes historiques, de les faire entrer dans l'Église. C'était donc important que dans sa lecture il insiste sur l'aspect de l'histoire. Or ce qui est marqué par l'histoire, c'est la vie de Jésus. Donc automatiquement, dans le mot "envoyé" il voyait l'incarnation. Tandis que dans la période où nous nous trouvons maintenant, pratiquement personne ne nie l'existence historique de Jésus ; ce qui pose problème aujourd'hui, ce n'est pas le Jésus historique, c'est le rapport de Jésus et du Christ, c'est de savoir ce que cela peut signifier.

Le Père Prat, jésuite, a écrit la Théologie de Paul en deux gros volumes qui ont été importants entre 1942 et 1960[1]. […][2] Il considère que du fait que le Christ a vécu sa vie sans péché, et moyennant sa mort et sa résurrection, Dieu nous a communiqué la force de vaincre le péché. Autrement dit, pour lui, on va avoir le moyen de dominer le mal. On sent tout de suite que la spiritualité jésuite n'est pas loin : tout vient de Dieu mais il faut faire comme si tout venait de l'homme, autrement dit on va être capable de vaincre le péché. Personnellement je ne pense pas qu'il s'agisse ici d'examiner la capacité qui nous serait donnée ou non de vaincre le mal. C'est un aspect qui n'est pas dans la pensée paulinienne.

Comprendre le verset 3 à partir de Gn 1, 4.

Quand Paul écrit cette phrase – Dieu ayant envoyé son propre Fils… a condamné le péché dans la chair – il pense à ce qui s'est passé dans l'événement du Christ, et il y a eu en effet une krisis, un jugement. Une séparation s'est faite entre les ténèbres et la lumière, et la lumière de Dieu, cette lumière que les ténèbres n'ont pu retenir, que la mort n'a pu détenir, cette lumière nous est donnée.

Pour Paul, dans la personne du Christ, au moment de sa mort et de sa résurrection, il y a le phénomène le plus originaire, le plus fondamental, celui qui reprend toute notre vie, toute notre histoire et l'histoire du monde. Dans la mort de et la résurrection du Christ, il y a « Dieu sépara la lumière et les ténèbres » (Gn 1, 4), c'est cela qui donne sens à la création, c'est là qu'est condamné tout ce qui est hamartia (péché), tout ce qui est de la zone du refus, de la zone de la mort, du meurtrier : tout cela est exclu. Bien évidemment ces deux zones des ténèbres et de la lumière restent en nous, mais en adhérant au Christ, en recevant la Parole, on a la possibilité d'être du côté de cette lumière.

On voit que Paul ne se pose pas la question du mérite, il ne se soucie même pas de mettre une stratégie pour lutter contre le mal. Il se réfugie simplement dans le fait qu'une attitude de foi va nous transformer de l'intérieur. On est maintenant dans l'intérieur, il n'y a plus rien d'exclu. C'est pourquoi il dit "dans le Christ", "dans l'Esprit" : La loi de l'Esprit de la vie dans le Christ Jésus t'a libéré….

On a tellement l'habitude – même moi – de penser selon un catéchisme appris dans notre enfance, que continuellement il nous faut revenir à ce qu'il en est de l'Évangile, de la Bonne Nouvelle. Cela ne peut pas être une mauvaise nouvelle ! Et on sait que la parole de Dieu est toujours efficace, qu'elle réalise ce qu'elle dit… C'est de là qu'il faut repartir continuellement.

Comment entendre que l'homme est impuissant à cause de la chair ?

Dans notre verset 3, Paul parle de « la Loi dans laquelle on était impuissant à cause de la chair. » Cela ne veut pas dire "parce que l'homme n'est pas capable". Mais "à cause de la chair" veut dire : parce que l'homme est fermé sur lui, parce qu'il n'a plus de rapport à Dieu, parce qu'il ne laisse pas Dieu le sauver. Celui qui veut se sauver par lui-même ne peut pas être sauvé, c'est là la grosse difficulté.

Très souvent, ceux qui prêchent sur ce texte-là, disent : « la chair vouait l'homme à l'impuissance » au sens de : « l'homme n'était pas capable de ». Mais non ! "À cause de la chair" veut dire que l'homme tel qu'il est situé quand il se clôt sur lui-même, ne peut laisser le passage à l'immense gloire de Dieu, il n'est pas celui qui est ouvert, qui accepte de vivre par l'autre, et par le fait même il ne peut vivre avec les autres. C'est à la mesure où j'approche ce qu'il en est pour Dieu de se donner que je peux apprendre ce qu'il en est de se donner aux autres, car il ne s'agit pas d'en rester au droit, il s'agit de continuellement se dépasser.

Reprise de tout le verset 3.

Je glose le texte : En effet, ce qui est impossible à la Loi dans laquelle on est vraiment des grabataires parce qu'on est fermés sur nous, parce qu'on ne peut pas laisser passer le salut, – il faut bien qu'il y ait une trouée pour que le salut puisse passer, aussi Dieu a envoyé son Fils, son propre.

C'est le même thème qu'on trouve dans saint Jean : le Fils, c'est le fils Monogène c'est-à-dire celui qui se manifestera comme Fils dans le moment même où il est abandonné par son Père, mais lui s'abandonne à la Parole, et c'est pour cela qu'il est ressuscité. Qui était-il avant ? Je ne sais pas, je ne peux pas penser l'éternité. En tout cas, ce que me dévoile ce texte, c'est que l'être de Dieu, je ne peux le comprendre qu'au travers de ce qu'il en est du Christ.

Où est-ce qu'on peut connaître Dieu ? Où est-ce qu'on peut approcher le mystère de Dieu ? Ce n'est pas en accumulant des concepts, ce n'est pas en mettant "unité", "trinité", "nature et personne", car ce sont des mots que j'ajoute en repoussant le mystère. Le seul endroit où je puisse approcher véritablement la révélation de Dieu, c'est là où il s'est manifesté, dans Jésus le Christ. Autrement dit, c'est dans cet homme qui meurt en croix que se trouve le mieux désigné, le mieux montré ce qu'il en est pour Dieu de se donner. C'est là que je peux entre-apercevoir ce qu'il en est d'un Dieu qui n'est pas un Dieu figé, mais qui n'est que vie et où il advient. Notre Dieu n'est qu'un Dieu de passage, un Dieu qui ne fait qu'advenir, si bien que la filiation, elle est maintenant.

De même, si nous croyons véritablement que Jésus est bien le Fils, si nous le recevons comme Ressuscité, immédiatement nous sommes dans l'être de Dieu. C'est cela qui permet que le Fils de Dieu soit éternellement dans le maintenant. Et cela ne fausse pas la divinité de Dieu. L'être de Dieu n'est pas l'image que je peux m'en faire.

En tout cas, Paul dit : « ce qui était impossible à la Loi… Dieu ayant envoyé son propre Fils». C'est parce qu'il a envoyé son propre ; le propre, c'est-à-dire ce que je ne peux pas mettre dans un nom commun, ce que je ne peux pas enfermer…

Le mystère de Jésus est aussi grand que le mystère de Dieu. Je peux avoir l'illusion de mieux connaître Jésus parce que j'ai des récits de miracles ou des paraboles. En fait, le mystère du Christ est aussi profond que celui de Dieu. Parce qu'il a un nom propre, il a un être propre et je ne peux que le croire, donc que le recevoir. Mais si lui a un nom propre, c'est que nous aussi, nous avons un nom propre. Je n'ai pas à me laisser cerner par le fait d'être un animal raisonnable à la façon dont on définit un homme à la suite d'Aristote ; je n'ai pas à me laisser cerner par mon identité portée sur mon registre d'État civil, même pas par les états religieux de mon baptême. Je ne peux que me laisser appeler vers un avenir que je ne connais pas. Mon nom propre, c'est ce que j'adviens dans la présence même de Dieu.

Si Dieu a envoyé son Fils, le propre, c'est que chacun d'entre nous est valorisé dans son propre à lui. Et c'est pour cela que Paul va ajouter "en similitude avec la chair de péché". Autrement dit, il semble qu'il était un homme comme nous : il était dans ce qui est éphémère, dans le limité, il était dans ce monde où il y a l'envie, la mort, le meurtre, le mensonge, la ténèbre, lui qui était l'image de Dieu, il se trouvait dans la similitude avec nous.

Dieu ayant envoyé son propre Fils. J'aurais tendance à penser qu'il y a là "celui qui envoie" et "celui qui est envoyé", et je verrai la différence dans un espace de situation temporelle, je les mettrai à des degrés différents. Mais ce que veut dire Paul n'est probablement pas cela, ce qu'il veut dire, c'est que, en cet homme Jésus le Christ, il y avait véritablement l'homme dans toutes ses dimensions parce qu'il était l'envoyé. Étant l'envoyé, il était aussi et authentiquement – mais non manifesté – le propre Fils de Dieu, c'est-à-dire que celui qui envoie et l'envoyé sont deux aspects d'une même réalité, il n'y a pas deux moments successifs : c'est maintenant que le Père envoie, c'est maintenant que le Fils ressuscite. Ce qui a été manifesté dans le temps, vous ne pouvez pas le mettre dans l'anecdotique, vous ne pouvez le mettre que dans le mystère qui advient immédiatement.

Le péché (hamartia) ici ce n'est pas la faute, le mot "péché" est au singulier : c'est toute cette zone qu'on connaît bien, dans laquelle on est, où on ne voit pas clair, où il y a la ténèbre, où on peut être envieux, où il y a de la rivalité, où il n'y a pas de fraternité, tout cela qui coexiste malgré tout avec le fait que je suis de bonne volonté, que je suis prêt à accueillir.

Il a envoyé son propre fils au sujet du péché (péri hamartias). Je serais presque tenté de traduire péri par "à propos de". C'est une préposition rarement employée dans le Nouveau Testament. Péri c'est ce qui fait le tour (péristyle, périscope…). Donc il est venu, non pas pour expier le péché – car ce n'est pas "huper" – mais pour éclairer où est la zone du péché.

Et alors, si c'est pour éclairer où est la zone du péché, si c'est pour faire ressortir où se trouve la non-lumière, si c'est pour bien indiquer ce qu'il en est d'être illuminé par le Christ, alors c'est évident qu'à ce moment-là le péché est condamné dans la chair. Si véritablement la lumière est faite, on peut conclure qu'il n'y a plus de péché, cela n'existe plus. Si vous êtes pris dans le mouvement même de don et de gratuité, si peu à peu vous apprenez à regarder et à écouter, en effet les ténèbres s'en vont, en effet la lumière est, et le Christ ressuscite, et le Christ advient. En effet la résurrection est bien accomplie radicalement dans le Christ, mais elle n'est accomplie dans le temps et manifestée que par notre foi. C'est pourquoi je peux dire, sous un certain aspect, que la résurrection n'existe que parce que nous y croyons. Il me semble que c'est le sens de ce verset même si je sais qu'il n'y en a pas beaucoup qui pensent ainsi.

J'essaie de retraduire : « En effet, ce qui était impossible à la loi dans laquelle on était faible à cause de la chair, Dieu ayant envoyé son fils, le propre, dans la similitude de la chair – chair qui est en même temps le péché –, et pour cerner le péché, à ce moment-là, il a condamné le péché dans la chair. » Autrement dit, Paul, dans cette phrase, s'opposant aux juifs, est en train de condamner la Loi au sens où elle n'est pas ouverture, au sens où la Loi ne peut pas être ouverte.

● Texte d'un Targum de Gn 3 à propos du rôle de la Loi.

J'avais relevé certains textes juifs – qui touchent surtout au verset 4 – qui indiquent bien comment ils pensaient ce rôle de la Loi. Par exemple, dans le Targum de Genèse, ch. 3, v. 14-15[3], à propos de la malédiction adressée au serpent après le soi-disant péché originel :

« Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre les descendants de tes fils et les descendants de ses fils. Et il arrivera que lorsque les fils de la femme s'occuperont de la Loi et qu'ils feront les commandements, ils s'efforceront de t'écraser la tête pour te tuer. Mais quand les fils de la femme délaisseront les préceptes et ne feront pas les commandements, tu feras en sorte de les mordre au talon et tu leur nuiras. Cependant, pour eux (les fils de la femme) il y aura un remède, mais pour toi, serpent, il n'y aura pas de remède. Ils trouveront un remède pour leur talon le jour du roi messie.[4] »

Le Targum dit : vous allez avoir la Loi et donc la possibilité de vous sauver ; si vous faites les commandements, c'est eux qui vont écraser la tête du serpent, la tête du prince de ce monde, la tête de l'origine du mal ; par contre, ceux qui ne font pas les commandements, le serpent va les mordre au talon, mais ils auront toujours la possibilité de se convertir. Cela traduit bien la croyance ambiante à l'époque de Paul.

Mais pour Paul, quand les fils de la femme s'occuperont de la Loi, ils seront écrasés par la Loi. Si on s'occupe de la Loi pour se fermer sur elle, on n'a rien compris. Pour Paul, la Loi c'est une espèce d'emplâtre, elle ne fait que révéler la blessure mais elle ne la guérit pas. Dieu ne peut guérir que par le sens de la Loi, c'est-à-dire par le fait de se compromettre avec les hommes.

 

II – Commentaire des versets 5-11

VERSET 5.

Ce verset concerne une première opposition. « En effet, ceux qui sont selon la chair (kata sarka) – la TOB a traduit "sous l'empire de la chair", mais jamais kata n'a signifié "sous l'empire de". Kata veut dire "selon", 'd'après".

« … ceux qui sont selon la chair phronousin (désirent) les choses de la chair, ceux qui sont selon l'Esprit [désirent] les choses de l'Esprit – on a ici phroneïn, un mot très large qui signifie penser, goûter, sentir, désirer. Je pense que Paul l'a pris pour l'opposer au mot "connaître" qui, lui, a un sens très précis, et qui signifie "être avec", "être à", en particulier être au Christ. Si Paul a pris le mot phroneïn c'est qu'il veut avoir un mot valable pour les zones à la fois de la chair et de l'Esprit. Or on ne peut "être à" la chair parce que la chair est la vanité, le rien, le refus, tout ce qui est de l'ordre de l'exclusion. Par exemple on ne peut "être-à" la mort, on est simplement mourant.

Vous vous rappelez ce que dit saint Jean tout au début de son évangile (v. 3) et qui est ainsi traduit dans certaines Bibles : « Par lui (le Verbe) tout a été fait, et hors de lui rien n'a été fait ». En fait c'est mal traduit, car ce qui est dit c'est : « tout ce qui est advint par lui, et il n'advint rien qui soit hors de lui ». Quand on lit la première traduction, on a tendance à comprendre : Tiens, il a tout fait, il est la cause de tout, et quand il n'est pas là, il n'y a rien qui se fait… Je pense qu'il dit plutôt : dans la communion à la parole de Dieu, tout devient lumière, tout prend un sens, tout advient, tandis que, sans cela, advient rien, c'est-à-dire advient la mort, la ténèbre, le meurtre, l'exclusion. Hors de lui : on est dans cette autre zone.

Il ne s'agit donc pas de penser des phrases comme celle-là au travers de notre mentalité occidentale. Notre logique grammaticale vient d'Aristote si bien que « hors de lui… » j'en ferai une circonstancielle de lieu, et donc un complément de cause. Or dans la mentalité sémitique le lieu n'est pas quelque chose d'accidentel, au contraire, c'est essentiel. C'est pour ça que le "où ?" est bien plus important que le "qu'est-ce que ?". En effet, le "où", le "quand", ce sont les lieux de la rencontre, les lieux où cela advient… et il n'advint rien qui soit hors de lui.

Donc ici ceux qui sont selon la chair (kata sarka) ce sont ceux qui sont dans ce niveau de l'homme, à savoir l'homme tout entier mais limité, enclos sur lui-même. Cela veut dire que l'homme n'a pas en lui-même sa propre raison d'être, l'homme n'a pas, à partir de lui-même, son sens. L'être de l'homme est un "être de" et un "être à", et l'être de l'homme, c'est un "aller vers". Tandis que ceux qui sont dans la chair ne peuvent se terminer que dans l'éphémère, dans le mortel. Et c'est là qu'il ne faut surtout pas diviser l'humanité en deux groupes : "ceux qui" et "ceux qui" comme si c'était deux catégories d'hommes. Ce qui en moi est selon la chair reste selon la chair, et est donc à jamais définitivement exclu.

Dans notre verset 5, « Ceux qui sont selon la chair désirent les choses de la chair, ceux qui sont selon l'Esprit [désirent] les choses de l'Esprit », Paul n'a pas l'idée qui sera celle de saint Thomas d'Aquin, de la distinction entre désir naturel et désir surnaturel où l'homme désirerait naturellement ce qui est au-delà de lui. Pour Paul celui qui vit selon la chair ne peut au plus qu'avoir des désirs d'homme : il peut avoir le désir d'être parfait, il peut avoir le désir de faire la loi, il peut avoir un idéal…

Or, quand celui qui est selon la chair désire devenir Dieu, c'est qu'il désire devenir une idole, car il ne peut désirer devenir Dieu qu'à la mesure de ce qu'il pense de Dieu. Tandis que celui qui est "selon l'Esprit" a véritablement les choses de l'Esprit, c'est-à-dire qu'il est tourné, orienté vers l'inouï, vers ce qu'on ne peut pas posséder, vers ce sur quoi on ne peut pas mettre la main.

C'est cela l'idée de Paul, son idée fondamentale à savoir que si je cherche même les choses divines les plus hautes en tant qu'homme selon la chair, je risque bien de ne poursuivre que des idoles, et ce seront mes idées, mes pensées, mes perfections qui seront mes idoles. Tandis que celui qui accepte que le salut vienne de la communion avec Dieu, c'est qu'il ne sait ni d'où il vient ni où il va, il n'est que sur le chemin, il n'est qu'en marche. « Cherchez et vous trouverez » : c'est dans la recherche que se fait la trouvaille, c'est dans l'acte même de chercher qu'est le Dieu du passage. Ceux qui sont selon l'Esprit vont en effet goûter l'aventure de l'Esprit, vont goûter ce passage continuel vers la résurrection.

C'est donc peut-être un des plus beaux versets, celui qui dit le destin de l'homme, destin qui n'est pas manifesté mais qui est son propre, et qui ne dépendra que de l'écoute et de l'entente.

VERSET 6.

« 6En effet le désir de la chair [est] la mort, le désir de l'Esprit [est] la vie et la paix. » C'est là que Paul met la chair d'un côté – elle va à la mort –, et de l'autre côté il met la vie et la paix. La question de la mort est assez facile à saisir. On voit bien qu'ici la mort n'est pas simplement l'événement biologique, le fait de mourir corporellement : la mort c'est le fait d'être dans la ténèbre, et c'est le fait aussi d'être soumis au prince des ténèbres, soumis au principe de ce qui conduit au néant.

Par contre, quel est le contenu de ces mots de "vie" et "paix" que Paul emploie ? Ce n'est pas évident. Il ne peut pas s'agir simplement de la vie temporelle, de la paix qu'on peut établir en soi et entre nous. Mais qu'en est-il de la vie et de la paix comme étant le but dernier, décisif ?

Je pense qu'on rejoint ici le concept que Jean utilisera, à savoir "la vie éternelle". Mais voilà encore une formule terriblement compromise, qui a été employée avec le présupposé que l'on savait ce qu'il en était de l'éternité. Quand on nous parlait de la vie éternelle, on pensait à une vie dans l'au-delà, dans un après-temps comme il y avait eu un avant-temps. Or, quand Paul utilise les mots de "vie" et de "paix", il pense au "maintenant". Pour lui, la vie et la paix, c'est la certitude d'être dans la miséricorde et la tendresse de Dieu, c'est de tenir debout, c'est d'exister hors de la contrainte. La vie et la paix, c'est un autre nom du mot "liberté" qu'il emploiera après. C'est là que nous allons voir apparaître ce concept de liberté qui n'a à peu près rien à voir avec le concept de la liberté de 1789 et qui n'a rien à voir non plus avec le libre-arbitre.

Nous verrons que la liberté n'est pas simplement la possibilité de choisir le bien ou le mal. Cette notion apparaît comme aporétique. Par exemple, pour répondre à la question "est-ce que Dieu est libre ?" je suis bien obligé de dire "oui". Mais, est-ce que Dieu est libre de péché ? Non, certainement pas ! Donc la liberté n'est pas dans le fait de dire oui ou non. Mais alors où va se situer la liberté ? Pourtant, c'est par ce concept de liberté que Paul va tenter de donner un contenu à ce qui est la vie maintenant, à ce qui elle est la paix maintenant, je ne fais que le signaler.

Vous voyez le mode de raisonnement de Paul : il introduit par avance ce qu'il va reprendre après dans les versets 12 à 17, c'est le principe d'une pensée circulaire. J'ai lu un commentaire d'exégète qui disait : « ce chapitre n'a aucun ordre » alors que tout est construit merveilleusement !

VERSETS 7-8.

«7C'est pourquoi le désir de la chair [est] ennemi contre Dieu ; en effet elle n'est pas soumise à la loi de Dieu et elle ne le peut pas. » C'est encore un des très grands thèmes pauliniens : celui qui s'enferme dans la chair est ennemi de Dieu, et c'est une tautologie de dire cela puisque celui-là s'est mis à l'extérieur, il n'est plus en communion avec Dieu. C'est la même chose de dire qu'on est dans la chair ou de dire qu'on est dans l'inimitié de Dieu, non pas que, en soi, la chair complote contre Dieu, pas forcément, mais la chair étant fermée, elle n'est pas dans une zone de communion. Et justement, le dernier grand concept que Paul reprendra, ce sera la koïnônia (communion), il le développera en particulier dans les épîtres aux Colossiens et aux Éphésiens.

« Car la chair n'est pas soumise à la loi de Dieu » Paul vient de dire que la Loi conduisait au péché, qu'elle était impuissante, et il nous dit ici que l'homme (sous l'aspect de la chair) n'est pas soumis à "la loi de Dieu". C'est ici qu'est véritablement le jeu de la pensée paulinien.

En effet, le mot loi (nomos) qui se trouve ici, n'est pas à prendre dans le sens de la Torah, pas non plus dans le sens des commandements, pas même sous celui de la révélation. Il est à prendre dans le sens de "régime" : « l'homme en tant que chair n'est pas soumis au régime de Dieu ». Paul prend ici le mot nomos dans le sens le plus général, il a pour racine nemo (à la mesure de), cela concerne ce qui est mesurable : c'est ce qui permet d'être en harmonie.

 L'homme en tant que chair ne peut être soumis (hupotassétaï) à l'harmonie de Dieu. Le verbe "soumettre" qui se trouve ici est le même qu'on trouve en Ep 5 : « Femmes soyez soumises à vos maris », il est ambigu là aussi. Il est formé de taxis qui désigne l'armée en bataille, c'est donc ce qui est en bon ordre, ce qui convient bien, là où il n'y a pas de faille ; et de hupo qui signifie que c'est à partir de quelque chose ou de quelqu'un. Donc le traduire par "soumettre" n'est pas la meilleure façon de rendre son sens. Bien sûr que tout vient de Dieu c'est pourquoi il y a "hupo", mais hupotaxis ce n'est pas de l'ordre de la contrainte, c'est de l'ordre de l'harmonie, de l'ordre de ce qui est bien rangé, de ce qui fait advenir à la fois la Vie et la Paix. Ainsi Paul dit que la chair ne peut pas être en harmonie, qu'elle ne peut pas être dans l'ordre ; ce n'est que si on est dans l'Esprit que l'on peut participer à la Vie de Dieu. Et donc la conclusion est simple : si on n'est pas dans l'harmonie, évidemment, on ne peut pas plaire à Dieu, c'est ce qui est dit dans le verset suivant.

« 8Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire (arésaï) à Dieu. » Je pense qu'ici le verbe "plaire" peut être pris soit dans le sens sémitique, soit dans le sens grec :

  • Dans le sens sémitique l'idée est orientée vers l'idée du bon plaisir, de la vie agréable, de ce qui favorise les rapports, la rencontre, le dialogue…
  • Dans le sens grec, le verbe areskó signifie "entrer dans ce qui est harmonieux", en effet il a pour racine árô qui est à la racine du mot arma qui désigne le char de guerre car celui-ci doit être bien équilibré, il n'y a pas un moyeu qui porte plutôt que l'autre, il faut que cela tourne et roule, que cela aille vite, donc arma c'est ce qui est bien articulé. De même arétê (la vertu) c'est quelque chose d'harmonieux, c'est le fait de se trouver bien ensemble.
VERSETS 9-11.

Tout d'un coup Paul intervient brutalement, il a eu l'air de s'adresser à tout le monde, à n'importe qui, et brutalement il se retourne vers les croyants. « Mais vous (huméis) – le mot est mis en exergue, en tête, redondant – vous n'êtes pas dans la chair mais dans l'Esprit. – L'important ici c'est de souligner le "dans". Il ne dit pas « vous avez l'Esprit » car l'Esprit n'est pas un bien que l'on possède, mais c'est un espace où l'on peut communiquer. Avant de penser à une personne, quand Paul parle de l'Esprit, il parle du lieu où Dieu se meut, où Dieu s'est dévoilé, où Dieu est rencontré.

« Vous n'êtes pas dans la chair, et par la foi, par l'accueil, vous êtes dans l'Esprit – vous n'avez pas gagné l'Esprit, mais vous êtes dans le lieu où vous pouvez faire la lumière, la vie et la paix.

« Si du moins l'Esprit de Dieu habite en vous. – on a ici une belle formule que Paul a déjà utilisée en 1 Cor 3, 16, c'est une vieille formule catéchétique. Dans la Bible, il s'est agi de savoir où habitait Dieu, et on l'a fait habiter d'abord dans la tente de réunion, puis dans le Temple, et quand on n'a plus eu de Temple, on l'a fait habiter dans la Parole ; ainsi on l'avait enfermé, encerclé, mis quelque part. Tandis que ce que dit Paul, c'est que vous êtes dans l'Esprit et l'Esprit de Dieu habite (oïkeï) en vous, et le fait d'habiter, donc de demeurer est la même chose que le fait de passer. En effet, il s'agit du Dieu pascal, de celui qui passe. Il demeure en vous, il vous accompagne, n'ayez pas peur ; c'est celui qui passe au-delà de la mort ; ne vous en faites pas, votre Dieu n'est pas le Dieu immobile, c'est celui qui est là. Le verbe oikeó (habiter, demeurer) ici en arrive à dire exactement ce que veut dire "être de passage".

Chez saint Jean aussi, quand vous avez « demeurez en moi et moi je demeure en vous », c'est la même chose que de dire « Je suis avec vous, je marche avec vous ». Ceci correspond à l'incapacité de trouver des formules qui rendent le lieu exact de la présence de Dieu. Ce que veut dire Paul, c'est que l'Esprit n'est pas dans la Loi, n'est pas dans l'élite, n'est pas dans le Temple ; l'Esprit est dans la foi, dans la communauté de croyants.

Et on remarque qu'au début Paul avait dit "toi" et que maintenant il dit "vous". C'est que, pour lui, la foi ne peut pas ne pas avoir une dimension collective. Paul souligne le fait que cela ne dépend pas de nous, qu'on ne peut pas s'en emparer, il faut simplement l'accueillir

« … car si quelqu'un n'a pas l'Esprit du Christ, celui-là n'est pas de lui – Autrement dit, ce qui fonde mon identité, ce qui fonde mon être et mon sens, c'est d'être de par le Christ, c'est d'avoir mon origine hors de moi. On comprend donc facilement la formule suivante. – 10Si donc le Christ est en vous, le corps est mort à cause du péché (ou à travers le péché), l'Esprit, lui, est vie à cause de la justice (ou à travers la justice). »

Ici Paul n'utilise pas le mot chair (sarx) mais le mot corps (sôma). S'agit-il d'une négligence de style ? Peut-il désigner simplement l'homme dans sa pauvreté, dans sa limite ? Je ne le pense pas. Dans la mentalité sémitique que Paul connaît bien, "le corps" c'est l'homme en tant qu'il est en contact et en société avec, alors que "la chair" c'est l'homme quand il est enfermé seul en lui-même. Donc, « si le Christ et en vous, le corps [est] mort à travers le péché – c'est-à-dire que la collectivité humaine est morte au travers du péché – l'Esprit, lui, est vie à cause de la justice – c'est-à-dire que vous ne pouvez plus être autre chose que le corps du Christ, donc votre possibilité d'être avec les hommes ne peut exister aussi qu'à travers l'Esprit, et c'est là évidemment que, tous ensemble, vous pouvez être des vivants, des vivifiants, ceux qui font surgir la justice de Dieu en passant au travers de ce qui sauve.

Au verset 11 Paul revient aux formules même de la première prédication chrétienne. « 11Si donc l'Esprit… » Le pneuma (l'Esprit) c'est tout ce qui est répandu à partir du Christ en croix, c'est la parole consolante, la parole vivifiante, celle qui défend, celle qui est en faveur de nous. L'Esprit n'existe que répandu comme le sang est répandu, comme l'eau est répandue, comme le vent… – vous avez ici les trois grands symboles de l'Esprit : le vent, l'eau, le sang – Cela a été répandu, dispersé, et c'est l'Esprit qui va rassembler, qui va rétablir l'unité.

« 11Si donc l'Esprit de celui qui a éveillé Jésus-Christ des morts – l'Esprit de celui qui l'a mis debout – habite en vous – il chemine avec vous, il fait le passage avec vous… « L'Esprit de celui qui a éveillé Jésus-Christ des morts » : voyez dans cette formule la redondance voulue par Paul. En effet, l'Esprit ne peut venir que de la résurrection, mais la résurrection ne vient que du Père. Vous avez ici une première approche de ce qu'est la Trinité pour Paul. Il ne pense pas à des personnes, il pense à des aspects et à des relations. Il pense à celui qui a suscité, à celui qui a été ressuscité et à ce qui en est répandu. Son Dieu n'est qu'en mode de révélation.

…celui qui a éveillé Jésus-Christ des morts fera vivre même vos corps mortels par son esprit qui habite en vous. » "Son esprit" : on ne sait pas si c'est l'esprit de Dieu ou l'esprit du Christ, mais en fait c'est la même chose.

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[1] « Le Christ Sauveur associe tout croyant à sa mort et à sa vie. Le Christ Sauveur définit la personne du rédempteur ; c'est le Messie, l'envoyé, l'agent et le mandataire de Dieu, le pontife de l'humanité coupable, le nouvel Adam chargé par Dieu de réparer l'œuvre du premier. Tout croyant spécifie le sujet de la rédemption — universel en puissance, sans distinctions, exclusions ni privilèges — et indique en même temps la condition essentielle du salut : la foi. L'union à la mort et à la vie du Christ résume le plan rédempteur conçu par le Père dès l'éternité, exécuté au tournant des siècles par le Fils qui, se solidarisant avec nous et nous unissant avec lui par un lien d'identité mystique, fait passer sur lui ce qui est à nous et sur nous ce qui est à lui. » (Père Prat, La Théologie de Paul, p. 55.)

[2] Il manque une partie de ce que Joseph Pierron a dit car c'est le moment de changement de cassette.

[3] «14Le Seigneur Dieu dit au serpent : “Parce que tu as fait cela, tu seras maudit entre tous les bestiaux et toutes les bêtes des champs ; tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la poussière tous jours de ta vie. 15Je mettrai l'hostilité entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance. Celle-ci te meurtrira à la tête et toi, tu la meurtriras au talon.” »

[4] « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre les descendants de tes fils et les descendants de ses fils.) : Et il arrivera que lorsque les fils de la femme observeront les préceptes de la loi [de Moise], ils te prendront pour cible et ils t’écraseront la tête. Quand par contre ils oublieront les préceptes de la loi, toi tu leur tendras un piège et les mordras au talon. Cependant, pour eux il y aura un remède, alors que pour toi il y n’aura pas remède. Ils trouveront un remède pour leur talon le jour du roi messie. » (Trad. R le Déaut)

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