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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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21 septembre 2024

Le thème du toucher dans l'évangile de Marc

Ce qui est en question, c'est de détecter le thème du toucher dans l'évangile de Marc, et aussi, par là, de toucher le Christ. 

Tout l'Ancien Testament parle de la main de Dieu, et comme le disent saint Justin, Théophile d'Antioche, saint Irénée, les mains de Dieu sont le Christ et l'Esprit. Dans plusieurs textes de Marc, le toucher du Christ guérit ou purifie, il s'agit de l'activité miséricordieuse de Dieu. C'est là où Dieu nous touche.

Ce qui est mis ici est extrait d'un enseignement de Jean-Marie Martin à qui est dédié le présent blog. J-M Martin est spécialiste de saint Jean et saint Paul, et il lui arrive parfois d'évoquer en passant l'un des Synoptiques, en particulier saint Marc.  Il a dit une fois qu'il lui faudrait une vie de plus pour aborder vraiment saint Marc !

[NB. Le premier texte cité est plus longuement commenté dans Marc 1, 40-45 : La purification du lépreux]

 

 

 

Le thème du toucher dans l'évangile de Marc

 

 

Nous allons essayer de découvrir le "sauf" dans l'évangile de Marc. Deux petites remarques préalables.

– Tout d'abord chaque péricope, chaque récit de résurrection est pour nous à chaque fois tout l'Évangile. L'entendre déchiffre ma guérison.

– Ensuite ce qui est en question, finalement, c'est de savoir comment j'atteins le Christ et comment le Christ m'atteint.

Atteindre est du vocabulaire du toucher, et ce qui est en question c'est de toucher le Christ et d'être touché de lui, c'est de le tenir et d'être dans sa main, "maintenu".

"Toucher" ici ne désigne ni un organe, ni une faculté partielle, mais ce qu'il y a de commun qui me permet de désigner le prendre et le comprendre. Toucher en ce sens est l'essence de l'être, et toucher en ce sens est assez fondamental pour se déployer dans la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût dans une certaine continuité.

Ce qui est en question, c'est donc, à la fois, de détecter le thème du toucher dans l'évangile de Marc, et aussi bien, par là, de toucher le Christ.

Qu'est-ce que c'est que l'incarnation sinon là où Dieu nous touche ? Au lieu de parler le langage ontologique des natures, entendez l'incarnation à partir du toucher. Rien n'est un comme le rapport du "touché" au "touchant". C'est une unité plus grande que ce que nous appelons l'unité de deux natures.[1]

Je n'ai retenu que trois traces.

 

 

1) Le toucher du lépreux (Mc 1, 40-42).

« Et un lépreux vient auprès de lui ; il le supplie et, tombant à ses genoux, lui dit :Si tu veux, tu peux me purifier”. Et saisi de compassion, ayant étendu sa main, il (Jésus) le toucha et lui dit : “Je veux, sois purifié”. Et aussitôt la lèpre partit de lui et il était purifié. Et l'ayant menacé Jésus le renvoya aussitôt et lui dit : “Ne le dis à personne, mais va, montre-toi au prêtre, et présente pour ta purification ce que Moïse a prescrit, que ce soit un témoignage pour eux.” »

Ce qui est en question ici, c'est la lèpre, et c'est un bon lieu, la lèpre, parce qu'elle conjugue de façon étroite ce que nous dispersons entre le médical et le social. La lèpre concerne précisément l'impur, c'est-à-dire l'intouchable. Et être touché rend touchable. Inutile de vitupérer ces anciennes civilisations qui étaient construites sur le schème archaïque du pur et de l'impur. Ces vitupérations n'ont pour effet que de nous empêcher de voir notre propre système de répulsion. Je signale cela simplement pour méditation.

 

 

2) « Ta foi t’a sauvée ». Mc 5, 21-43.

« 21Jésus regagna en barque l’autre rive, et une grande foule s’assembla autour de lui. Il était au bord de la mer. 22Arrive un des chefs de synagogue, nommé Jaïre. Voyant Jésus, il tombe à ses pieds 23et le supplie instamment : “Ma fille, encore si jeune, est à la dernière extrémité. Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive.” 24Jésus partit avec lui, et la foule qui le suivait était si nombreuse qu’elle l’écrasait.

25Or, une femme, qui avait des pertes de sang depuis douze ans… – 26elle avait beaucoup souffert du traitement de nombreux médecins, et elle avait dépensé tous ses biens sans avoir la moindre amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré –… 27cette femme donc, ayant appris ce qu’on disait de Jésus, vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement. 28Elle se disait en effet : “Si je parviens à toucher seulement son vêtement, je serai sauvée.29À l’instant, l’hémorragie s’arrêta, et elle ressentit dans son corps qu’elle était guérie de son mal. 30Aussitôt Jésus se rendit compte qu’une force était sortie de lui. Il se retourna dans la foule, et il demandait : “Qui a touché mes vêtements ?” 31Ses disciples lui répondirent : “Tu vois bien la foule qui t’écrase, et tu demandes : 'Qui m’a touché ?'” 32Mais lui regardait tout autour pour voir celle qui avait fait cela. 33Alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité. 34Jésus lui dit alors : “Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal.”

35 Comme il parlait encore, des gens arrivent de la maison de Jaïre, le chef de synagogue, pour dire à celui-ci : “Ta fille vient de mourir…” 38 Ils arrivent à la maison du chef de synagogue. Jésus voit l’agitation, et des gens qui pleurent et poussent de grands cris. 39 Il entre et leur dit : “Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L’enfant n’est pas morte : elle dort.” … 41 Il saisit la main de l’enfant, et lui dit : “Talitha koum”, ce qui signifie : “Jeune fille, je te le dis, lève-toi !42 Aussitôt la jeune fille se leva et se mit à marcher – elle avait en effet douze ans. Ils furent frappés d’une grande stupeur. 43Et Jésus leur ordonna fermement de ne le faire savoir à personne ; puis il leur dit de la faire manger. » (Bible de la liturgie).

C'est encore la même question que celle du lépreux. Vous savez sans doute que dans beaucoup de civilisations anciennes, et notamment dans la loi mosaïque, la femme menstruée est impure, et est impur également quiconque la touche.

Cette femme souffre d'un flux de sang qui est chronique. Elle est quasi-chroniquement impure. Le texte insiste sur la façon dont, subrepticement, elle touche le vêtement du Christ, et la honte qu'elle éprouve d'avoir été décelée comme ayant touché ; et en effet cela comporte une certaine gravité dans cette situation.

Par ailleurs Jésus demande : mais « qui m'a touché ? » Et ses disciples lui disent : mais quelle question ! Tout le monde se presse contre toi, tout le monde te touche ! Mais non, toucher n'est pas presser de façon hasardeuse. Il y a la façon de toucher. Et cette femme a touché de la bonne façon, la façon qui arrête ce qui la rend impure, séparée, et qui la réintroduit, qui la guérit.

Cet épisode est curieusement enchâssé dans l'épisode de la guérison de la fille de Jaïre et il y a un rapport qui est voulu entre ces deux choses. Le fait notamment que, d'une part cette femme est atteinte cette maladie chronique depuis 12 ans, et que, d'autre part la petite fille morte endormie a 12 ans, est le signe d'une symbolique que je ne sais pas déployer mais que je sais repérer.

 

 

3) Une troisième trace : Marc 7, 31-37.

« 31Jésus quitta le territoire de Tyr ; passant par Sidon, il prit la direction de la mer de Galilée et alla en plein territoire de la Décapole. 32Ils lui apportent un sourd-muet… et lui demandent de lui imposer la main – signification profonde de l'imposition de la main, profondément symbolique33et le retirant de la foule, à part, il plaça ses doigts sur ses oreilles, et crachant il toucha sa langue 34 et levant les yeux vers le ciel il soupira et lui dit : “Ephata”, ce qui signifie "Ouvre-toi", 35et ses oreilles s'ouvrirent et le lien de sa langue fut déliée et il parlait correctement. 36Alors Jésus leur ordonna de n’en rien dire à personne ; mais plus il leur donnait cet ordre, plus ceux-ci le proclamaient. 37Extrêmement frappés, ils disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. » »

Ce qui est grand ici, c'est que la venue, le toucher du Christ à l'humanité, c'est ce qui ouvre l'oreille, donne d'entendre la parole qui fait vivre, et donne la capacité de dire.

Ne croyez pas que j'allégorise. On a trop vite fait de dire que, lorsque les Pères de l'Église lisent ainsi, ils ajoutent des commentaires allégoriques à la réalité de l'événement, à la factualité du fait. Non., La vérité du fait, la vérité est dans ce que je dis maintenant. C'est le vrai du texte évangélique, de l'Évangile qui ne parle jamais que de la résurrection, à partir de la résurrection.

 

[1] Pour J-M Martin le sens de l'incarnation d'après l'Écriture n'est ni le sens banal qui tend à se concentrer sur le moment de la Nativité, ni le sens théologique où l'Incarnation ne désigne pas d'abord un moment factuel mais en quelque sorte, l'état d'union entre nature divine et nature humaine. Dans l'Écriture, c'est le concept de Résurrection qui englobe, c'est-à-dire qui donne sens au concept d'Incarnation. Mais le verbe naître – qui désigne le surgir christique – ne s'emploie dans la toute première pensée chrétienne que de deux naissances : le "Fiat lux" de Gn 1 est la première naissance de Jésus ; le "Fiat lux" ne donne pas ce que nous appelons la création, c'est le fait que le Verbe de Dieu soit proféré au-dehors ; et il y a la seconde naissance de Jésus qui a lieu à la résurrection. (cf  Résurrection et Incarnation).

 

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