Homélie sur Mt 12, 46-50 : les liens familiaux.
Voici l'homélie faite par Jean-Marie Martin lors du quatrième jour de la retraite qui avait pour thème "Le signe de croix signe de la foi" et qui a eu lieu à l'Espace Bernadette, Nevers 2010.
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- Mt 12, 46-50
Comme Jésus parlait encore à la foule, voici que sa mère et ses frères se tenaient au-dehors, cherchant à lui parler. Quelqu'un lui dit : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui cherchent à te parler. » Jésus répondit à cet homme : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? » Puis, tendant la main vers ses disciples, il dit : « Voici ma mère et mes frères. Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur et une mère. »
Homélie
Ce texte vient ici dans une certaine opportunité, non pas qu'il soit dans le droit-fil de nos lectures, mais il y a eu hier une intervention à propos du rapport familial et de la dureté apparente de Jésus. En effet c'est une question très intéressante.
Que Jésus, à première écoute, ait l'air d'être quasi méprisant par rapport à sa mère, ses frères, c'est en effet une constante. Nous avons cela dans l'évangile de Jean dans les faits, apparemment en tout cas, et dans les synoptiques également il y a un certain nombre de préceptes qui consistent à dire qu'il faut « haïr son père et sa mère » ; ou « celui qui vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, etc. » (Lc 14, 26) nous avons à l'oreille toutes ces paroles.
Pour ce qui est de saint Jean, j'avais commencé un début de réponse en évoquant la parole apparemment dure de Jésus vis-à-vis de Marie, aux Noces de Cana où elle était présente ainsi que les frères de Jésus et des disciples. C'est Marie qui décèle en premier le manque, la carence : « Le vin venant à manquer… » (Jn 2, 3). Elle fait une demande à son fils, une demande qui, à première vue reçoit une sorte de fin de non-recevoir, puisque Jésus dit : « Quoi entre moi et toi, femme ? » Dans l'usage courant de l'époque le mot “ femme” en lui-même n'a pas le côté dur qu'il peut avoir à votre oreille. Néanmoins Jésus acquiesce à la demande de sa mère, c'est-à-dire qu'il voit sa mère comme ladisciple par excellence, celle qui sait entendre et déceler le manque.
Et ceci se confirmera à la deuxième parution de Marie dans l'évangile de Jean qui se trouve à la fin, au chapitre 19, le chapitre de la passion du Christ, lorsque Jésus dit à Marie en parlant du disciple bien-aimé : « Voici ton fils » et au disciple : « Voici ta mère » ; or c'est le disciple par excellence : Marie est la mère de ce disciple et c'est cela sa véritable grandeur.
Il pourrait se faire que dans l'histoire des premiers temps, après la mort du Christ, il y ait eu comme une sorte de rivalité entre la famille et le groupe des disciples. Cette rivalité est gérée par nos Écritures.
Il y a une sévérité de Jean lui-même par rapport aux frères de Jésus. Au début du chapitre 7, les frères de Jésus le pressent d’aller à Jérusalem (en Judée), alors que c’est risqué. Monter à Jérusalem, c'est aller à la mort, ce qui est la signification profonde de monter à Jérusalem. Jésus refuse ; il y montera plus tard, en secret. Et Jean ajoute. « Ses frères ne croyaient pas en lui. »
Qu'est-ce que tout cela indique ? Ce qui est clair, à deuxième lecture, c'est que la véritable dignité de Marie et des frères de Jésus ne consiste pas dans la familiarité, dans le caractère familial natif, elle réside précisément en ce qu’ils entendent la parole… Et Marie est la mère de toute écoute étant mère du disciple qui est essentiellement l'écoutant.
Donc nous n'avons pas ici, disons, un rejet de personne qui paraîtrait dur, mais une invitation à relire les liens christiques qui existent, qu'il y ait famille ou non. Cela ne dénie pas ces liens, et cela en outre nous oblige à ne pas penser père à partir de notre idée psychologique du père. Au contraire, l'idée authentique de Dieu Père devrait nous aider à relire ce qu'il en est de la paternité, et même de la paternité humaine.
J'avais un collègue qui travaillait au Centre National de Pastorale Liturgique[1], et qui avait affaire souvent avec des problèmes concernant le baptême. Les problèmes de baptême se sont posés tout au long de l'histoire de l'Église. Il y eut un temps où on se faisait baptiser adulte, un temps où on retardait le baptême jusqu'au dernier moment de la vie afin de ne pas risquer de manquer à la signification du baptême au cours de sa vie ; et un temps (même à notre époque) où on baptisait même les tout petits enfants. Ces choses-là ont été en débat il y a une cinquantaine d'années dans les familles chrétiennes. Vous savez que les théologiens n'ont pas grand-chose à dire là-dessus : ils regardent l'histoire, ce qui s'est passé, ils ne décident rien. La législation peut gérer les habitudes prises, les usages des différentes époques, mais cela ne relève pas des théologiens, cela relève des pasteurs (du pasteur suprême, en premier, et entre autres).
Seulement ce collègue ne résolvait rien, ni dans un sens ni dans l'autre. Il disait : « Quand ça se pratique, le baptême des petits-enfants est à gérer comme une occasion de conversion des parents. » Il faisait donc de très longues préparations, très soigneuses, pour préparer les parents à l’éducation de cet enfant.
En effet ce qu'un père ou une mère chrétienne ont à apprendre, c'est à ne pas s'en tenir aux gestes spontanés, mais à entendre et à attendre de nouer une relation plus originelle et plus fondamentale avec l'enfant, ne plus s'en sentir le propriétaire, prendre la bonne distance, non pas pour évacuer ou rejeter, mais pour être de façon plus authentique et christique en rapport avec l'enfant.
Ces quelques suggestions que donne à entendre le texte que nous venons de lire, je ne sais pas si vous pouvez en faire usage, je vous les livre telles qu'elles me viennent.