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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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27 mai 2014

De l'écoute à la parole, Trouver sa propre parole de foi. Par Régine du Charlat

 

DE L’ÉCOUTE A LA PAROLE :

TROUVER SA PAROLE DE FOI

 

Régine du Charlat

 

Article paru dans la revue Esprit Saint, n° 213, janvier 2005[1].

 

 

Régine du Charlat,  est directrice honoraire de l’Institut des Arts Sacrés à l’Institut catholique de Paris. Pendant plus de 30 ans et jusqu’à aujourd’hui, elle a participé à la formation de responsables dans l’Église. Particulièrement sensible à l’art de dire l’Évangile, elle est attentive à trouver les mots qui disent l’expérience de la foi.

 

Une urgence : « J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé »    (2 Cor, 4,13).

Même si nous pouvons constater quelques progrès, notre Église aujourd’hui, au moins dans nos régions, connaît une grave crise du langage religieux. Tous n’en conviendront pas, je le sais. La plupart d’entre nous cependant reconnaîtront sans doute le sentiment d’étrangeté éprouvé par le plus grand nombre de nos contemporains lorsque s’exprime la foi des chrétiens. On ne rencontre plus que très rarement  l’hostilité ou le mépris mais plutôt la perplexité devant un discours dont on ne perçoit pas la pertinence et qui engendre très vite, en conséquence, une large indifférence devant une réalité sur laquelle on n’a aucune prise. Il se peut très bien d’ailleurs que cette indifférence ne soit pas aimée par tous ceux qui l’éprouvent. L’Église a vraisemblablement marginalisé beaucoup de croyants qui ne pouvaient se retrouver dans un langage trop « savant » ou trop « militant ». Ils ont ainsi perdu confiance dans leur propre parole. À la fin, ils deviennent muets et se mettent à douter de ce qu’ils ont peut-être encore à cœur.

Bien sûr, l’Évangile continue d’être entendu et annoncé. On ne peut douter  de la sincérité et de la foi dont témoigne l’Église, dans ses positions communes comme dans le témoignage de ses membres. L’attention n’est pas portée ici sur les intentions des chrétiens, dont on n’est pas juge et à la foi desquels on fait entièrement crédit. Il s’agit de s’interroger sur la capacité de tous d’accéder à sa propre parole de foi, parole née de l’écoute de l’unique Parole de Dieu, mais incorporée dans la singularité de chacun. Car il est urgent de renouveler le langage de la foi, de façon non pas à convaincre – ce qui appartient à l’Esprit – mais à témoigner, ne serait-ce que pour soi-même, d’une parole vivante et habitée.

 

Visiter nos images

 Il est très souvent salutaire, avant de s’engager dans une réflexion, quelle qu’elle soit, de laisser venir au jour les images inscrites profondément en nous et dont certaines peuvent faire lourdement  obstacle.

Combien sommes-nous, en France, à souffrir de l’idée que l’on ne peut parler que « clairement » ? Fantasme scolaire et puissant de Boileau : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » ! Alors, si je ne peux que balbutier, je n’ai qu’à me taire. D’autres plus « aisés » parleront, mais cela ne remplacera pas ce que j’aurais pu dire, même maladroitement. Une autre « image » souvent s’impose également : il y a des spécialistes, des prêtres, des théologiens, des catéchistes, des papes, des conciles ; eux savent ce qu’il y a à dire et savent comment le dire, qu’ils le fassent. Ce qui ne nous empêche pas de douter de leur véritable expérience de la vie : savent-ils vraiment de quoi ils parlent, eux qui vivent apparemment loin du monde ordinaire ?

Ces images sont fréquentes et il y en a probablement d’autres. Leur gravité vient de ce qu’elles peuvent tuer la confiance en sa propre capacité de parler. Or, nous le savons-bien, il y a des discours savants ou élégants qui ne parlent pas et il y a des propos malhabiles qui parlent infiniment. Chacun de nous est appelé à trouver sa propre parole et, le plus souvent, la trouve, dans le courant des jours. Il importe que, lorsqu’il s’agit de notre foi, c’est à dire de ce que nous avons entendu dans l’écoute de la Parole de Dieu, nous soyons tout aussi capables d’accéder à notre propre parole : la parole qui s’est forgée au creux de notre humanité, à la mesure de notre écoute de la Parole de Dieu.

« Une vérité qui n’est pas réchauffée dans une conscience d’homme, est une vérité trahie. » (Jean Sulivan).

 

La parole en écho

Virerge Orante, Monastère du Christ, Mendoza, Argentine

La parole de foi n’a pas d’autre source que l’écoute de la Parole de Dieu. Il n’y a aucune ambiguïté à ce sujet : « la foi naît de l’écoute ». Trouver sa parole propre ne fait pas inventer l’Évangile. Être sujet de sa parole – nous réfléchirons plus loin à cette « subjectivité » – ne dispense pas, lorsqu’on est chrétien, de vivre dans l’attitude du disciple. Est disciple  celui qui se laisse instruire, qui consent à ce que toute vérité ne vienne pas de lui. Le chrétien est celui qui se reçoit comme disciple du Christ et se met à l’écoute de sa parole. La parole propre du chrétien peut alors s’entendre comme un écho vivant de la Parole de Dieu écoutée et entendue.

Il n’y a qu’une écoute de la Parole. On peut cependant la déployer en « triple écoute » :

– On peut parler d’abord d’écoute de la Parole dans l’Écriture et dans la Tradition de l’Église qui, sans cesse, la répercute. C’est la première écoute, celle qui est source. Elle demande la plus grande attention, la plus grande « obéissance » (obéir veut dire étymologiquement écouter). Se mettre dans l’écoute est déjà se mettre dans la foi, plus encore, se découvrir mis dans la foi. Cette écoute est toujours à reprendre. Nous n’avons jamais tout entendu de ce qu’il y a à entendre. Nous avons aussi à attendre, parfois longtemps, d’entendre ce qu’il nous sera donné d’entendre.  « On n’entend que ce qu’on avait en soi à entendre, et à l’heure où il nous est donné de l’entendre » (Jean-Marie Martin). Nous ne serions pas disciples si nous croyions avoir tout entendu et sans cesse nous avons à nous remettre à cette première écoute. C’est bien ce que fait l’Église en proclamant inlassablement dans la liturgie la même Parole de Dieu.

– La deuxième écoute cherche à entendre le monde, c’est-à-dire tout ce qui constitue notre humanité, tout ce qu’il lui est donné de vivre. Là encore est demandée la plus grande attention. Là où nous habitons, là nous rejoindra la Parole de Dieu. Encore faut-il que nous y habitions vraiment, que nous explorions l’immensité et la complexité de notre vie ; que nous acceptions là aussi que cela prenne du temps. Bien sûr, aucun de nous n’est capable de tout explorer, et il y a une infinité de chemins possibles. Mais il est de notre responsabilité  d’aimer, de connaître et d’assumer notre humanité sans réserve, si nous voulons y entendre la résonance de la Parole de Dieu.

– La troisième écoute est celle de l’écho de la Parole de Dieu dans notre existence. Si nous nous faisons disciples et tendons l’oreille, et sommes simultanément attentifs à notre vie concrète, alors la Parole de Dieu peut nous toucher, résonner en nous et parler dans la particularité, dans la singularité, propre à chacun. La foi est très précisément l’écho de la Parole de Dieu en nous. Notre propre parole de foi livrera cet écho. « Faire écho », c’est ce que dit très précisément, dans son étymologie, le terme de « catéchèse ». Il est bon de s’en souvenir, même si ce terme aux allures trop technique est difficile à utiliser couramment.  Il est de notre responsabilité d’écouter et d’entendre cet écho de la Parole de Dieu en nous, à condition pour que nous puissions livrer nous-mêmes cet écho dans notre propre parole de foi.

 

Trouver sa parole

Commence alors l’œuvre de la parole propre à chacun. « Écrire comme on écoute » : c’est le beau titre d’un article du moine poète Gilles Baudry sur la poésie. Parler comme on écoute ; faire accéder ce que l’on a entendu  – en écho dans la vie –  de la Parole de Dieu ; accéder à sa propre parole de foi : c’est donner corps à la Parole qui ne cesse ainsi de « prendre chair » ; c’est prouver qu’elle retentit toujours et qu’elle fait vivre. C’est une œuvre, comme on peut parler, osons le dire, d’une œuvre d’art. C’est donc exigeant.

Il ne suffit pas, en effet, de se contenter de répéter le langage tout fait. Il s’agit de faire œuvre créatrice en élaborant sa propre parole. « Les chrétiens devraient trouver des mots nouveaux », disait récemment Marcel Gauchet. Si le message chrétien n’est pas porté et sans cesse renouvelé par l’écoute de ses disciples, il restera « lettre morte », non seulement pour les autres mais peut-être aussi pour les disciples eux-mêmes. Ceci étant proposé nettement, il est bon d’affiner un peu maintenant la réflexion.

Tout d’abord, il ne faudrait pas penser qu’il s’agit là d’un travail savant, réservé à ceux qui auraient une formation spécialisée, ou qui seraient plus avancés dans la foi, ou encore qui auraient une responsabilité spécifique dans la vie de l’Église. Non, c’est une œuvre pour tous. Pas plus que dire « je t’aime », dire « je crois » n’est réservé à certains. Et dire « je t’aime » n’est pas moins mystérieux que dire « je crois ». En revanche nous avons droit à une parole modeste ; nous avons droit au balbutiement, à la parole traversée par le doute, par les angoisses et les souffrances non surmontées, par la difficulté de vivre. Une parole vraie peut être inachevée, parole en chemin vers la vérité tout entière, pas à pas. La parole de foi du chrétien n’a pas à égaler la parole dogmatique ou « magistérielle » de l’Église. Certes, cette parole doit, elle aussi, être écoutée comme écho de l’Évangile mais elle ne remplacera jamais la parole vive du simple croyant. Elle risque même d’être parole morte si elle n’est  sans cesse vivifiée  par le simple croyant.

Devrions-nous pour autant tout inventer ? N’aurions-nous pas le droit de reprendre à notre compte les paroles traditionnelles que nous livrent les Écritures et l’Église ? Bien sûr que si. Chaque jour le « Notre Père », inlassablement répété ; chaque jour la liturgie chrétienne ; chaque jour la méditation des textes reçus – psaumes, textes de l’Ancien ou du Nouveau Testament - : entièrement reçus, sans que nous en ayons forgé les mots, ils peuvent être entièrement habités et repris comme notre propre parole de foi. Mais à deux conditions. La première est que notre répétition ne soit pas purement passive. Il y a des répétitions mortes et des répétitions vives : cela vit en nous. Il n’est pas nécessaire pour cela d’en être tout à fait conscient, de le maîtriser ; peut-être seulement d’y être présent ou plus radicalement encore de demander la grâce d’y être présent. La seconde condition est de ne pas prendre prétexte des paroles reçues et goûtées intérieurement pour se dispenser de trouver sa propre parole. Si modeste, si inachevée soit-elle.

 

La parole fraternelle

Mais notre parole sera-t-elle fidèle ? Être sujet de sa parole est-il suffisant pour rendre compte de la Parole de Dieu ?

Il n’y a de véritable parole que singulière, il n’y a de parole que venant d’un sujet qui l’habite, la porte et la livre. Mais là aussi il faut affiner le propos. Tout d’abord, le sujet peut être individuel ou collectif. La parole peut être celle d’un groupe ou d’une personne. Elle peut être celle d’une époque, d’une culture, d’un milieu spécialisé. Notre époque est particulièrement sensible à l’individu, au risque de dissocier le moi de tout son environnement social. Pour autant, le « sujet » de la parole n’est pas à réduire au seul individu. Trouver sa parole de foi a une dimension fraternelle ecclésiale qu’il ne faudrait pas dissoudre dans une conception trop individualiste du « sujet ».

Par ailleurs, la subjectivité n’est pas à confondre avec le subjectivisme, qui ferait du seul sujet la mesure de la vérité. Cela a été rappelé dès le début de ces lignes. La parole propre du sujet croyant est celle du disciple qui s’est mis à l’écoute d’une Parole qui ne vient pas de lui. Mais cette Parole s’est révélée capable de retentir en lui et d’inspirer sa propre parole. La singularité de la parole de foi, c’est à dire sa capacité à surgir en chacun de nous, est justement la « preuve » de sa capacité à nous faire vivre et à nous donner, à notre tour, la parole.

Du même coup, notre parole subjective reste limitée. Nous n’avons jamais tout entendu de l’Évangile. C’est pourquoi notre parole de foi se doit de rester fraternelle. Notre écoute s’enrichit de l’écoute des autres. Par eux elle s’affine, se corrige s’il le faut. Tout a été dit en Jésus-Christ, mais tout n’a pas été entendu. Il faudra la multiplicité de l’écoute des disciples, et la diversité de l’histoire, et celle des cultures ou des expériences particulières pour que, progressivement, l’Évangile soit entendu dans sa plénitude. L’œuvre de la parole de foi qui incombe à chacun peut se livrer en véritable écho de la Parole de Dieu mais elle ne peut être solitaire. En cela elle témoignera aussi de l’Église, communauté de tous les disciples qui acceptent de se mettre à l’écoute de la même Parole.

 


[1] Revue de spiritualité dirigée par les spiritains de France, Esprit-Saint offrait jusqu'en 2008 sur 50 pages, un approfondissement biblique, une nourriture pour la prière, un regard sur l'Esprit-Saint et une réflexion sur la vie. Le n° 213 portait comme titre : "Avec le Christ, à l’écoute du Père" ; l'article de Régine portait comme entête : "Accueillir le mystère". Site de la revue : http://www.spiritains.org/pub/esprit/esprit.htm .

 

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