Rm 6, 3-9. Plongés dans la mort du Christ, marcher en nouveauté de vie
Voici un commentaire de Jean-Marie Martin sur ce texte célèbre de l'épitre aux Romains. C'est un passage qu'il commente souvent parce qu'on y trouve l'opposition de l'homme ancien et de l'homme nouveau (ici sous la forme "marcher en nouveauté de vie"). Il s'agit de deux postures qui coexistent en chacun de nous.
Au début figure la traduction de la liturgie, mais dans le commentaire figure la traduction que J-M Martin a faite en se référant directement au texte grec qu'il avait devant lui.
Marcher en nouveauté de vie
Rm 6, 3-9
« Ne le savez-vous pas ? Nous tous qui par le baptême avons été unis au Christ Jésus, c’est à sa mort que nous avons été unis par le baptême. Si donc, par le baptême qui nous unit à sa mort, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. Car, si nous avons été unis à lui par une mort qui ressemble à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection qui ressemblera à la sienne. Nous le savons : l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui pour que le corps du péché soit réduit à rien, et qu’ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché. Car celui qui est mort est affranchi du péché. Et si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; la mort n’a plus de pouvoir sur lui. » (Traduction de la Bible de la liturgie)
« 3Ignorez-vous que nous tous qui avons été plongés (baptisés) dans le Christ Jésus, c'est en sa mort que nous avons été plongés (baptisés) ? » Le baptême c'est "être plongé dans". La plongée désigne le geste rituel du baptême mais désigne surtout la réalité du baptême, et pas simplement le signe extérieur. Nous sommes plongés dans la mort du Christ, donc nous sommes plongés dans les eaux meurtrières. La symbolique de l'eau, comme toute symbolique, est extrêmement complexe puisque l'eau est à la fois ce qui assure la vie, et aussi ce qui donne la mort par l'étouffement. Par exemple les eaux de Noé sont des eaux négatives. Les symboles, surtout les symboles fondamentaux, sont à double sens.
« 4Nous avons donc été co-ensevelis avec lui par la plongée (le baptême) dans sa mort… Nous avons été plongés dans la mort du Christ. Nous sommes contenus dans le Christ, lui qui est le Monogenês (le fils un) : ce qu'il vit, il ne le vit pas pour lui-même, il le vit avec l'humanité en lui. Lorsque le Père le salue à l'ouverture de l'Évangile : « Tu es mon fils », c'est un salut en reconnaissance de paternité ; et saint Paul dira : « le Dieu… qui nous a bénis dans les lieux célestes en nous reconnaissant comme fils » (d'après Ep 1, 1). Nous trouvons ici le thème de l'ensevelissement. C'est un thème qui est majeur dans la première communauté chrétienne : il y a la mort, l'ensevelissement, la descente aux enfers, la montée à la droite du Père. Il y a donc une grande symbolique de monter et descendre à travers laquelle la mort et la vie du Christ s'expriment, cela structure notre Credo mais aussi l'essentiel de la pensée chrétienne.
… en sorte que, de même qu'il (Christ) est ressuscité (êgerthê) d'entre les morts par la gloire du Père, ainsi, nous aussi, nous marchions dans une nouveauté de vie (la vie de résurrection). » Et la résurrection c'est maintenant, la résurrection ne désigne jamais purement et simplement la réanimation de cadavre (ce n'est jamais le sens plénier du mot). La résurrection du Christ qui est exprimé par le verbe égeireïn qui signifie éveiller, réveiller, ressusciter, concerne notre marche. La marche c'est le fait de se porter, de se comporter, cela désigne ici le comportement, parce que marcher est la traduction du terme hébreu halakh, et la halakha désigne les règles de comportement, ce qu'on appelle couramment la morale. Il n'y a pas premièrement une théorie à entendre et deuxièmement une pratique car ce n'est pas une pratique. Le mot de nouveauté est un mot majeur de la résurrection, et il y aurait à méditer sur la signification de cette nouveauté.
« 5En effet, si nous avons été co-plantés (sunphutoi) avec lui en similitude de sa mort – c'est pour cela que les baptisés sont des néophytes, et phutoi c'est le mot phusis qui garde le sens de croissance de la plante. Paul dit que si nous avons été nouvellement plantés avec lui en similitude de sa mort. Ici nous avons co-planté, plus loin co-crucifié :Paul emploie des mots classiques, connus, mais souvent avec un préfixe – nous le serons aussi de sa résurrection – et il faut entendre que nous commençons à l'être car la pensée sous-jacente est hébraïque, et le futur correspond à un inaccompli hébreu –, 6sachant que notre homme ancien a été co-crucifié avec lui – L'homme ancien désigne un mode d'être que Paul oppose au "marcher en nouveauté de vie" dont il a été question au verset 4. Donc c'est une posture d'homme qui est dénoncée et qui est désormais désuète –, en sorte que soit désactivé (rejeté) le corps du péché – il ne s'agit pas du tout ici du péché du corps car le corps désigne l'accomplissement plénier. En effet nous sommes non pas dans une pensée de la fabrication mais dans une pensée de l'accomplissement : il y a l’être séminal et la venue à corps désigne l’être accompli[1]. Paul dit que la manifestation accomplissante de la racine du péché qui est en nous, est détruite. Le péché est mort "en principe" c'est-à-dire dans le Christ– de sorte que nous ne soyons plus esclaves du péché. – Paul emploie le mot esclavage pour dire ici "être esclave du péché", mais ailleurs il emploie l'expression "être esclave de Dieu" ou "être esclave de la justification". Autrement dit l'homme est toujours "être à", et lorsqu'il y a rupture d'un être à, c'est nécessairement qu'il y a appartenance à un autre être à. Ceci c'est de la grammaire élémentaire – 7Car celui qui est mort est justifié (délié) du péché. » Là c'est un principe de législation juive : le mort est acquitté de la loi. Il explique cela à propos de la mort du conjoint : le conjoint étant mort l'épouse n'est plus adultère si elle va avec un autre : « si le mari meurt, elle est dégagée (katêrgêtai) de cette loi qu'est son mari » (Rm 7, 2).
Au verset 6 nous avons l'expression "l'homme ancien". Cela se réfère à la distinction homme ancien / homme nouveau qui se trouve dans d'autres passages de Paul par exemple en Col 3, 9-10 : « 9Ne soyez pas menteurs les uns envers les autres, ayant dévêtu l'homme ancien avec ses pratiques – c'est-à-dire vous étant dévêtus de l'homme ancien. L'image du vêtement sera constamment utilisée : revêtir l'homme nouveau, se dévêtir de l'homme ancien. Ici on pourrait dire "se dépouiller du vieil homme avec ses pratiques" ; le vieil homme est une façon de se comporter, donc "avec ses pratiques" ne fait qu'expliquer la signification de l'expression "le vieil homme" – 10et ayant revêtu le nouveau (néon), celui qui se renouvelle (anakainoumenon) – la nouveauté consiste à se renouveler. La nouveauté c'est la capacité de constamment se renouveler.
« 8Or, si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous co-vivrons aussi avec lui, 9sachant que Christ ressuscité des morts ne meurt plus – il n'appartient plus à la mort – la mort n'a plus de pouvoir sur lui – la mort ne le régit plus, elle n'a plus de prise sur lui. Il n'appartient plus à la région de la mort. »
[1] Paul utilise ici un langage qui est plutôt semblable au langage stoïcien. Pour les stoïciens tout est corps, Dieu est corps, mais pas corps en notre sens, et il n'y a que quatre incorporels stoïciens : le lieu (l'espace), le temps, le lekton (l'espace du dire, espace la parole), le vide. Pour eux corporel signifie quelque chose comme substantiel, ayant une existence aboutie. Si on voulait garder l'image de la semence et du fruit, devenir corps veut dire arriver à fruit. Sur la structure d'accomplissement voir : Caché/dévoilé, semence/fruit, sperma/corps, volonté/œuvre....