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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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6 décembre 2014

Penser le baptême. Cours de J-M Martin à l'Institut Catholique de Paris

En, Rm 6, 1-13, Paul réfère le baptême à la mort-résurrection du Christ. C'est de là que J-M Martin part dans ce cours sur le baptême. Il élargit ensuite cette réflexion et pose des jalons pour penser à nouveaux frais le baptême. En 4ème partie figurent différentes symboliques du baptême autres que la plongée (circoncision du cœur, sceau, onction, végétation, vêtement, illumination), elles ont été complétées à partir de sessions.

Ce cours a été donné à l'Institut Catholique en 1983-84, il y a trente ans, et actuellement J-M Martin formule de façon différente certaines choses, mais tout reste d'actualité. Cette réflexion sur le baptême formait la troisième partie d'un chapitre sur les sacrements. Cela se situait dans la deuxième partie de l'année, et le cours fait référence à des choses expliquées auparavant, les notes (qui ont toutes été ajoutées) essaient de renvoyer à des messages correspondant du blog.

Ici la réflexion sur le baptême est faite à partir de saint Paul. Le thème du baptême chez saint Jean figure en bonne part dans la session sur le Prologue (tag JEAN-PROLOGUE). Un autre message sur le récit du Baptême du Christ en Marc 1, 9-11 est sur le blog : Le Baptême de Jésus. Marc 1, 9-13 et parallèles. Symboliques développées dans les premiers siècles. Réflexions pastorales.t.

 

 

Penser le baptême

 

 

Quand je prononce le mot de baptême, il est situé nécessairement dans un ensemble. Par exemple si je le pense comme l'un des sept sacrements,  il est situé dans les sept, mais le mot sacrement lui-même je le situe aujourd'hui dans la pratique chrétienne par opposition à la connaissance dogmatique, il est donc dans cet ensemble. Mais, quand le mot baptisma intervient dans le Nouveau Testament, il n'est pas situé là parce que cet ensemble n'existe pas et qu'il en existe un autre. Or la situation d'un mot est capitale pour sa définition, donc pour ce qui est entendu dans ce mot. Et nous savons combien il est facile de reverser inconsciemment dans la lecture du Nouveau Testament des structures de pensées qui lui sont étrangères.

 

I – Étude à partir de Rm 6, 1-13

 

En ce qui concerne le baptême, le premier terme fondamental se trouve en, Rm 6, 1-13. Ce texte est trop connu, c'est-à-dire qu'il est méconnu. On prête à Paul une théorie mystique du baptême qui lui serait propre dans l'ensemble du premier christianisme. Or souvent cet emploi du mot "mystique" est une façon de recouvrir hâtivement ce que l'on ne cherche pas à penser.

1) Le texte.

Baptême, Rembrandt« 1Que dirons-nous donc? Demeurerons-nous dans le péché, en sorte que la grâce abonde ? 2Pas du tout ! Nous tous qui sommes morts au péché – ici il faut entendre "cela de nous qui est mort au péché"[1] –, comment vivrions-nous encore en lui ? 3Ou bien ignorez-vous que nous tous qui avons été plongés (baptisés) dans le Christ Jésus, c'est en sa mort que nous avons été plongés (baptisés) ? 4Nous avons donc été co-ensevelis avec lui par la plongée (le baptême) dans sa mort, en sorte que, de même qu'il s'est relevé Christ d'entre les morts par la gloire du Père, ainsi, nous aussi, nous marchions dans une nouveauté de vie. – Il faut entendre ce "nous marchions" au sens hébreu c'est-à-dire "nous nous conduisions".

5En effet, si nous avons été co-plantés (sunphytoï)  avec lui en similitude de sa mort, nous le serons aussi de sa résurrection, 6sachant que notre homme ancien a été co-crucifié avec lui – "l'homme ancien" fait référence à ce que nous appelions l'homme adamique en Ph 2[2] ,  en sorte que soit désactivé (détruit) le corps du péché, de sorte que nous ne soyons plus esclaves du péché ; 7car celui qui est mort est justifié (délié) du péché. – La réalité décisive, le coup mortel porté à l'humanité adamique est situé à la mort du Christ, et cela est fondamental chez saint Paul. En un autre sens, ce coup mortel est situé dans l'événement du baptême.

8Or si nous sommes morts avec Christ, nous croyons que nous co-vivrons aussi avec lui, 9sachant que Christ ressuscité des morts ne meurt plusil n'appartient plus à la mort –,  la mort n'a plus de pouvoir sur lui– elle ne le régit plus, elle n'a plus de prise sur lui. 10Car celui qui est mort, est mort au péché en une fois une fois pour toutes et une fois pour tous – celui qui, au contraire, vit, vit à Dieu.

11Ainsi vous-mêmes, regardez-vous comme morts au péché, et comme vivants à Dieu dans le Christ Jésus. 12Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel dans le cours de votre vie mortelleen sorte que vous obéissiez à ses convoitises, 13et ne présentez pas vos membres au péché comme armes (moyens opératoires) de désajustement. »

2) Le contexte.

Le texte s'ouvre sur l'objection qui a déjà été entendue en Rm 3, 5, et qui est suscitée ici par ce que Paul dit à la fin du chapitre 5 : « La loi intervint afin que la transgression abonde, et là où le péché a abondé, la grâce a surabondé »[3]. Nous retrouvons le thème de l'abondance et de son sens. Les calomniateurs partent de ce que dit Paul pour en déduire une conséquence fausse, c'est pourquoi Paul reprend leur accusation : « Que dirons-nous, demeurerons-nous dans le péché pour que (hina) la grâce abonde ? Or l'abondance de la mort est pour "la mort de la mort", et elle n'est lisible comme abondance que dans ce qui y met un terme – pour autant qu'un terme y est mis –, et c'est pourquoi Paul peut répondre à la calomnie : « Pas du tout ! ».

3) Rapport du texte au sacrement.

À première lecture c'est le thème du baptême qui semble intervenir. En fait il s'agit de percevoir qu'il ne s'agit pas de partir de notre conception du baptême pour comprendre ce texte : il ne s'agit pas premièrement du baptême, il s'agit premièrement du cœur même de la foi qui est la mort-résurrection du Christ  et c'est à partir de là que le mot de baptême pourra éventuellement reprendre sens, un sens neuf, pour nous.

Donc ici Paul se pose une question à laquelle il cherche à répondre, et il répond à partir de la christologie, c'est-à-dire à partir de la mort-résurrection du Christ. Or il n'est explicitement question d'elle qu'au verset 9. Cela signifie que ce verset est dès le début l'orientation du texte, c'est-à-dire ce qui, secrètement, conduit et régit le processus de l'écriture. Alors si nous avons lu une première fois, nous avons pu le repérer comme tel, et il faut donc faire une deuxième lecture, ce qui fait que d'une certaine façon nous désécrivrons le texte en ne suivant pas exactement son ordre, mais c'est pour mieux le laisser vivre dans son écriture à lui.

Cela ne nous étonne pas que la mort-résurrection du Christ soit ce qui oriente tout le texte. Il est cependant important que nous en prenions conscience, parce que si nous laissons aller à lire simplement dans le mouvement apparent du texte, voilà que le premier mot qui vient c'est le mot de baptême. Or baptême ça dit quelque chose chez nous, mais ça ne dit pas ce que ça dit dans le texte puisque le mot de baptême est orienté dans son intelligence vers autre chose, à partir d'autre chose chez Paul. Donc il faut nous défaire de la lecture paresseuse qui se laisse aller au cours du texte.

Cela, nous l'avons déjà expérimenté à plusieurs reprises, ça correspond à que nous appelons parfois "prendre de la distance par rapport à l'immédiateté du texte et aux échos spontanés qu'il peut susciter chez nous". Il faut l'entendre à partir de son secret, de son désir.

Ce texte n'est donc pas d'abord sacramentel, c'est-à-dire qu'il ne doit pas être entendu par l'abord de notre conception du sacrement. En revanche, s'il est entendu à partir de son lieu, il ouvre sur une relecture de ce que nous appelions sacrement.

4) Entendre le texte à partir de la mort-résurrection du Christ.

Ce texte n'est donc pas d'abord sacramentel, il est christologique. C'est ce que je développe maintenant.

–  Un principe d'origine rabbinique.

Ce texte s'entend à partir de la mort résurrection du Christ, et les versets où cela émerge en plus clair sont les versets 7 à 10. « Celui qui est mort est justifié du péché (délié du péché) » : ceci est un principe, peut-être le principe fondamental de la christologie paulinienne.

Ce principe est d'origine rabbinique, c'est une lecture de la Loi, et on le trouve au début du chapitre 7 « 1Ignorez-vous, frères – car je parle à des experts en fait de loi (à des gens qui connaissent la loi) –, que la loi ne régit l'homme que durant sa vie ?». Ici nous avons le fait que celui qui est mort n'a plus à rendre compte du péché, il n'est plus en dépendance du péché. De même, dans le texte du chapitre 7, celui qui est mort laisse une femme libre, c'est-à-dire qu'elle n'est plus sous la loi de son appartenance à lui, de telle sorte que si elle va à un autre homme elle n'est plus adultère. C'est apparemment sur un petit point de jurisprudence de la Loi que la réflexion se pose, mais elle prend toute son ampleur parce que, pour les rabbins, il n'y a pas de petit point de jurisprudence.

–  Mort à la mort et résurrection.

Ce qu'il en est de la mort du Christ est donc finalement lu chez saint Paul dans la fonction syntaxique de la mort. La syntaxe fondamentale de Paul est une hypotaxe, c'est-à-dire une dépendance ; la rupture de cette dépendance est une mort, c'est "mourir à" ce dont je dépendais. Or je ne meurs à ce dont je dépendais que pour autant que je vis à autre chose. Et ce principe prend une dimension tout à fait singulière dans le cas du Christ, en ce que le Christ meurt à la mort. C'est ce qui est dit chez saint Paul : « la mort ne le régit plus ». Régir est un des mots de la fonction syntaxique.

Donc le Christ est mort à la mort, c'est pourquoi, à chaque fois qu'il est question de la mort du Christ, n'entendez nullement quelque chose de triste, car la mort à la mort, c'est la résurrection, c'est la vie. Il y a identité mort du Christ / résurrection. Vous pourriez même étudier de façon syntaxique la façon dont le lien et la dépendance sont à chaque fois marqués, et comment la rupture d'une syntaxe est l'avènement d'une autre subordination. Seulement c'est là que nous allons trouver notre principe de "rature", je l'indique parce que le terme de subordination ne peut plus s'entendre au sens où il désignait l'esclavage au sens propre[4].

5) Le passage de lui à nous.

La mort-résurrection du Christ se dit également de nous.

Au verset 2 « Nous tous qui sommes morts au péché – ou à la mort, c'est pareil – comment vivrons-nous en lui ? », c'est en effet une absurdité, c'est une impossibilité radicale.

Ici, trois choses à noter :

  1. nous sommes passés subrepticement de « il est mort » à « nous sommes morts » ;
  2. ensuite cela indique une absurdité parce que cela est entendu dans le « pour autant que nous sommes morts au péché », saint Paul ici ne vérifie rien à partir de l'expérience ;
  3. et enfin cette première mention de la mort (entendue au sens de notre mort à la mort et non de notre mort au péché)[5], énonce le rapport inouï entre "il" et "nous" dans un langage radical qui n'est pas encore celui du baptême, ce mot n'a pas encore été prononcé, il le sera au verset suivant.

En effet ce n'est pas uniquement ni premièrement en langage baptismal que ce rapport inouï de "il" et de "nous" est énoncé chez saint Paul. L'exemple le plus fondamental sans doute dans cette affaire se trouve en Ep 1, 3-4[6].

Baptême du Christ, icône« Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui nous a bénis en pleine bénédiction pneumatique dans les lieux célestes dans le Christ. » "Dans les lieux célestes" est une façon de désigner la résurrection car « est monté aux cieux » est une des premières façons de dire la résurrection du Christ. Que le Christ y ait été béni, c'est-à-dire que le Père lui ait dit la bénédiction patriarcale « Tu es mon fils », c'est ce qui est attesté dès le début de notre épître aux Romains « déterminé Fils de Dieu de par la résurrection d'entre les morts ». C'est là qu'il est désormais Christos, oint de la plénitude de la bénédiction pneumatique. Or le texte dit non pas" il" mais immédiatement "nous". Qui est ce nous ? Cela va se manifester dans le verset suivant : « selon qu'il nous a choisis en lui avant le lancement du monde ». À propos des versets précédents nous posions la question « Quand ? » C'est donc avant le lancement du monde, c'est-à-dire le moment qui est figuré comme la délibération « Faisons l'homme à notre image » (Gn 1). C'est le moment de la volonté divine[7] et du caché en Dieu qui est caractérisé comme une délibération, et qui est le moment du choix : « il nous a choisis ». C'est aussi le moment de l'appel, ce qui viendra ensuite comme klêsis (appel) et Ekklêsia (l'humanité convoquée).

Or ce qui apparaît dans la résurrection du Christ en tant que nous sommes en elle, c'est la manifestation accomplissante (apocalupsis) de ce qui était dans le caché (mustêrion) et qui est évoquée en référence à « Faisons l'homme à notre image ». Autrement dit, l'accomplissement de "l'Homme à l'image" (de l'humanité tout entière) se manifeste dans le Christ ressuscité en tant qu'il est "nous".

Ceci peut-être vous étonne, mais implicitement il y a un mot qui joue un grand rôle dans cette affirmation et qui est le mot « fils de Dieu » auquel il est fait allusion par la suite lorsqu'il est parlé du « bien-aimé » (Ep 1, 6). Donc il y a en Ep 1 un certain nombre de mots qui se réfèrent à la thématique du Baptême du Christ où la voix du ciel dit « Tu es mon fils bien-aimé ». Or l'expression « fils de Dieu » dans l'Ancien Testament est premièrement dite du peuple comme peuple, et c'est cette conception d'une certaine identité entre l'Oint (le Christos) et le peuple qui permet d'entendre « Tu es mon fils bien-aimé » dit à Jésus-Christ comme immédiatement adressé à l'humanité.

Nous avons touché ici des articulations très fondamentales ; nous reviendrons sur les rapports du mustêrion et de son apocalupsis, c'est-à-dire du caché et de sa manifestation accomplissante[8], parce que c'est sans doute ce qui est le plus sûrement à l'origine de la notion fondamentale de sacramentalité dans notre Nouveau Testament – je ne dis pas de tel ou tel sacrement, ni de la notion théologique de sacrement, mais de la sacramentalité.

De même, dans Col 3, 3, dans un contexte qui n'est pas immédiatement baptismal, mais qui se réfère au rapport singulier de "il" et de nous, Paul dit : « vous êtes morts et votre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Quand le Christ se manifestera, lui qui est notre vie, alors vous aussi, avec lui, vous serez manifestés dans la gloire. » Ce qui est en question ici, c'est bien ce mystérieux être-dans. Ce point, nous l'avons relevé, nous ne le développons pas davantage maintenant pour les mêmes raisons, mais je vous signale qu'il est à l'origine de tout ce qui se développera dans l'ecclésiologie paulinienne de tête / corps.

Je vous signale qu'en langage johannique on trouve des équivalences à ce que nous venons de relever chez saint Paul, en particulier « le Père lui a remis la totalité entre les mains » (Jn 13, 3). Il y a aussi « toi (Père) tu lui as donné l'exousia sur toute chair » (Jn 17, 2), expression qu'il ne faut pas traduire par « tu lui as donné le pouvoir sur toute chair », mais : « il lui a donné d'être le principe accomplissant de la totalité de l'humanité » car "toute chair" correspond à l'expression hébraïque kol basar qui désigne la totalité de l'humanité. Enfin, chez Jean, c'est le rapport entre le Monogène qu'il ne faut pas traduire par "Fils unique", et d'autre part les tekna, les enfants de Dieu : les dispersés sont rassemblés dans le Monogène, celui qui est le Fils "en unité (monos)" et en plénitude. Même contexte.

 

II – Le langage baptismal et la mort-résurrection

 

1) Mort et résurrection du Christ peuvent se dit en langage baptismal.

Je puise maintenant dans l'ensemble du Nouveau Testament, et par exemple : « Pouvez-vous boire la coupe que je boirai ou être baptisés du baptême dont je serai baptisé ? » (Mc 10, 38). Ce qui est nommé baptisma ici c'est la mort, autrement dit ce qui est visé c'est la mort elle-même sous la désignation métaphorique de baptisma, c'est-à-dire de plongée.

Il y a également tout ce qui se réfère au baptême du Christ. Nous avons vu que ce qui était dit de la relation singulière du Christ et de l'humanité en Ep 1, 1-3 était largement induit par le contexte de Baptême du Christ. Or la plongée du Christ dans les eaux a été de bonne heure entendue comme plongée dans les eaux de la mort ; de même qu'il soit relevé (re-suscité), qu'il remonte en tant que Christos, c'est-à-dire oint par la présence du pneuma et entendant la parole qui dit « Tu es mon Fils », a été lu comme la résurrection. C'est donc le mystère même de la mort-résurrection du Christ qui est mis dans le récit du Baptême du Christ.

Je vous signale que la référence au récit du Baptême du Christ peut susciter des ambiguïtés. En effet il ne faut pas confondre la question de la signification-même du baptême donné par Jean-Baptiste avec la signification du Baptême du Christ lui-même. En effet le baptême de Jean-Baptiste s'inscrit dans un mouvement baptiste, et il en est parlé dans notre Nouveau Testament, mais il faut voir la façon dont il est traité par le texte de saint Jean l'évangéliste.

Pour ce qui est du baptême donné par Jean, il y est fait allusion en Ac 13 dans le discours de Paul à Antioche de Pisidie. Il y a un grand passage sur Jean le Baptiste, mais on ne sait pas très bien dans ce récit ce qui vient de Paul et ce qui vient de la rédaction de l'auteur des Actes des apôtres. Donc cette question de la signification du Baptiste comme tel, nous ne la mettrons pas nécessairement au compte de la lecture paulinienne.

Cependant, que le Christ baptise dans le pneuma et Jean-Baptiste dans l'eau ne signifie pas d'abord qu'il y ait un baptême chrétien qui soit autre. C'est tout à fait vrai, mais ce n'est pas ce qui est visé dans ce qui est dit chez Paul et chez Jean. En fait il s'agit d'être plongé dans le pneuma de résurrection et de vérité. Que cela donne lieu à gestuation particulière dans le baptême, c'est vrai, c'est le développement d'une symbolique fondamentale, mais il ne faut pas que le particulier nous permette d'éluder la grande dimension du baptiser.

2) Notre mort-résurrection se dit aussi en langage baptismal.

J'ai montré comment la mort-résurrection du Christ dans l'ensemble du Nouveau Testament trouvait déjà à se dire dans le langage du Baptême. Bien sûr, notre recueil de la mort-résurrection se nomme premièrement pistis (foi). Or cette foi, pour autant qu'elle est foi, est toujours déjà baptismale. Nous reprenons ici ce que nous avons dit à propos de l'eucharistie.

Que la foi soit toujours déjà baptismale, peut s'entendre en deux sens :

  • en ce qu'elle peut se nommer ainsi, et en particulier en tant qu'elle est initiale et initiatrice,
  • et cela peut s'entendre aussi en ce que toute foi est se réfère à une gestuation baptismale, c'est-à-dire que toute foi est vers le baptême, dans le baptême, après le baptême. Avant, pendant, après : la foi est en référence effective aux gestes du baptême, et ce que veut dire baptême n'est pas essentiellement ou exclusivement le moment ponctuel de la gestuation. Ceci n'est pas sans importance.

3) Le rapport foi / baptême (Ep 4, 4-5).

Sur le rapport particulier que nourrissent entre eux foi et baptême, il faudrait voir Ep 4, 4-6 où nous avons une belle répartition trinitaire du vocabulaire originel :

  • 4un seul corps et un seul pneuma,
                               selon que vous avez été appelés à une seule espérance de votre appel,
  •  5un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême
  •  6un seul Dieu et Père de tous, qui (est) au-dessus de tous, et par (à travers) tous et en tous.

Vous remarquez ici une énumération ternaire, on pourrait dire quasi-trinitaire car il s'agit du Pneuma, du Seigneur et du Père. Il nous intéressera de voir que les dénominations de chacune des lignes s'entre-appartiennent de façon rigoureuse :

  1. Sôma (corps) et pneuma (esprit) disent la même chose, et c'est le contraire de notre langage. En effet le pneuma accomplissant constitue le sôma qui est l'Ekklêsia (le corps qui est l'Église). Donc nous avons à propos du pneuma un langage proprement ecclésiologique.
  2. Ensuite les termes retenus sont : Kurios c'est-à-dire le Seigneur ressuscité qui est recueilli par pistis (la foi) ; baptisma (baptême) étant un nom de la gestuation de pistis. Donc résurrection, foi, baptême.
  3. Et enfin tout cela a un Dieu et Père qui est en tous…

Nous avons une belle énonciation ternaire qui montre l'entre-appartenance qu'il y a entre la résurrection du Seigneur, la pistis (la foi) et le baptême, même si le rapport qui existe entre ces termes n'est pas explicité.

4) Pourquoi Paul emploie-t-il un langage baptismal ?

Je pense qu'il faut situer l'utilisation par Paul d'un langage baptismal dans le cadre de sa polémique contre les pratiques de la Loi, et notamment contre la nécessité pour les chrétiens, de la circoncision. Nous avons remarqué que, dans Rm 10, Paul privilégie, dans sa symbolique corporelle, le complexe bouche-oreille, le complexe bucco-auriculaire[9], et qu'il déstabilise le modèle mosaïque, en combattant la symbolique génitale de la circoncision. Et ceci n'est pas hasardeux ou secondaire. En effet, cela est lié à l'idée de la vocation universelle de l'Évangile s'adressant aux Gentils, et donc à la nécessité de supprimer la symbolique plus particulièrement raciale. C'est ainsi que, de la même façon, il provoque à la figure antécédente d'Abraham : la figure mosaïque est déstabilisée au profit de la figure d'Abraham qui est justifié par la foi et non par la circoncision. Cette figure d'Abraham intervient dans l'épître aux Galates et aux Romains notamment.

 

III – Quelques conséquences

 

Je rappelle deux points essentiels de ce que nous avons relevé :

  • le texte de Rm 6, 1-13 est un texte christologique avant d'être un texte sacramentaire, et toute pensée, même ultérieurement sacramentaire, s'enracine dans la christologie ;
  • toute foi est toujours déjà baptismale. Ceci nous invite à ne pas penser le mot de foi comme opinion et le mot de baptême comme geste.

De cette affirmation il ressort une proposition de relecture de ces mots dans nos sources : résurrection – foi – baptême sont des mots qui s'entre-appartiennent au point de ne pouvoir se penser l'un sans l'autre ; on pourrait même dire qu'ils désignent des aspects de la même réalité. Et ceci nous renvoie à ce que nous avons déjà rencontré dans notre traité de l'eucharistie où nous disions que toute foi est toujours déjà eucharistique[10]. D'autre part, cela pourrait nous inviter à penser, ce qui n'est pas sans conséquence, même pastorale, qu'à la racine, baptême et eucharistie se réfèrent à la même réalité.

Tout cela nous invite à ne pas penser uniquement à partir de la multiplicité des concepts qui auraient été préalablement définis de façon univoque, mais à les penser à partir du lieu d'où ils jaillissent, et de l'expérience qu'ils se proposent de porter. D'où quelques conséquences.

 

Baptisés, Berna Lopez

1) Première conséquence : comment penser le baptême ?

Le baptême ne peut plus être pensé comme « ce qu'il faut faire pour », c'est-à-dire qu'il ne peut plus être pensé à partir du geste à poser.

Le "pour" indique que le sacrement est pensé comme un moyen pour "autre chose", donc pensé dans la catégorie du moyen, et cet "autre chose" doit bien être ce qui est visé par l'instituteur de ce moyen, ce qui urge d'une certaine manière la nécessité de le faire. Cela ouvre la question du rapport entre les "motifs" et la demande, toute une série de questions qui ne sont pas sans incidence pastorale.

Le verbe "faire" indique ici qu'il s'agit d'une "pratique". Nous retrouvons tout naturellement la distinction bien occidentale de la théorie et de la pratique qui se traduit dans le langage banal sous la forme de la différence croyant /pratiquant ou croyant /non pratiquant. À l'origine de cette attitude on trouve la distinction théologique entre la doctrine et le sacramentaire.

Enfin "il faut", cela risque de nous introduire dans la dimension, banalement expérimentée elle aussi, du sacrement conçu à partir de l'obligation et non pas à partir d'ailleurs, encore que nous sachions que l'alternance de l'obligation chez nous est simplement le plaisir, mais peut-être que celui-ci ne vaut pas, de soi, simplement comme réponse à la question.

Il suit de là que la pensée du baptême ne sera pas un commentaire du geste à poser. Penser le baptême n'est pas commenter le geste. La pensée du baptême vient du mystère lui-même, de la mort et de la résurrection du Christ qui se donnent à penser dans leur formulation baptismale. Nous avons vu comment la mort-résurrection s'est donnée à entendre de très bonne heure dans le Baptême du Christ.

Ce qui s'indique donc également ici, c'est que la pensée du baptême ne va pas sans la parole. Mais nous avons compris qu'il ne s'agit plus d'une parole qui soit un commentaire explicatif du geste, mais une parole qui précède, qui porte et qui induit le geste, et cela c'est la fonction propre du symbole. Très souvent on oppose le symbole et la parole, la parole étant, comme chacun sait, essentiellement dissertative, et le symbole étant le fait spontané du corps. Mais pas du tout ! La parole est le cœur du symbole – mais évidemment il ne s'agit pas de la parole qui commente – et le geste symbolique se donne dans l'espace ouvert par la parole.

Le baptême, quand il est entendu comme n'étant pas d'abord mon geste, se présente comme « laisser venir » la mort-résurrection du Christ, c'est-à-dire que le baptême est entendu d'abord comme une proposition, plus que cela, comme une initiative de Dieu, comme une action de Dieu, et même comme un engagement de Dieu. On a beaucoup insisté sur les aspects d'engagement que nous devions poser dans le baptême ou la profession de foi. Mais la première chose qui doit venir à la parole, c'est que Dieu s'engage, que, dans ce domaine, l'initiative est à Dieu.

Et, par parenthèse, cela n'est pas sans rapport avec le sens profond de la grâce, c'est-à-dire du don devant lequel ma tâche est d'accueillir, de laisser être. Cela par ailleurs, ne serait pas non plus sans conséquence sur une réflexion chrétienne du temps. Au lieu de considérer la gestualité sacramentelle comme une répétitivité dans le décours du temps, chaque geste n'est rien d'autre que de me laisser présent à ce qui, non seulement dépasse, mais encore dénonce le temps mortel, c'est-à-dire de me laisser être à la réelle présence de la mort-résurrection du Christ[11]. C'est là le fondement même de la notion de la présence réelle dans son sens originaire à propos de l'eucharistie, et c'est une signification de l'activité principale du mystère du Christ dans tous les sacrements et singulièrement dans le baptême.

2) Deuxième conséquence : le sens du baptême.

C'est la vanité du débat qui s'était levé parfois sur le sens du baptême dans la question qui demande s'il est d'abord rémission du péché ou agrégation à l'Église. Je parle de la vanité de cette question, car c'est le déliement du péché qui est la nouvelle présence. Il y a unité radicale dans le langage paulinien entre "mourir à" et "vivre pour", et cela encore une fois est fondé sur l'unité de la mort-résurrection du Christ. Cet aspect sacramentaire a donc un fondement christologique dans l'unité du mystère du Christ en sa mort. Le déliement du péché, c'est-à-dire de ce qui nous lie dans notre singularité, n'est peut-être rien d'autre que ce qui nous met en communauté ; c'est une mise en relation avec Dieu, et simultanément avec l'ensemble des appelés (klêtoï), donc avec l'Ekklêsia. C'est le même.

3) Troisième conséquence : une vie baptismale.

Notez le caractère continûment initiatique du baptême. Cela est bien une conséquence de ce que nous avons dit auparavant. On sait très bien que la foi est une chose qui n'est jamais simplement ponctuelle, mais qui a à se vivre continûment, de même pour le baptême,. Avant que le geste ponctuel du baptême ne soit posé, dans le geste du baptême lui-même, et après le geste du baptême, le véritable baptême est cette réalité permanente d'être baptisé.

J'ai dit "continûment initiatique" parce que le baptême n'a pas simplement à être considéré comme une initiation pour une section de la vie humaine, pour le passage de tel âge à tel âge, mais le baptême est initiation continue à la vie éternelle. Ainsi la vie chrétienne ne cesse d'être baptismale. À ce niveau le chrétien est chrétien "pour autant que" s'accomplit en lui la mort-résurrection du Christ qui n'est jamais totalement et adéquatement accomplie[12].

4) Le baptême et les autres sacrements.

De ce que la vie chrétienne ne cesse d'être baptismale, il s'ensuit également une autre conséquence, c'est que les différents sacrements, ceux que l'on commémore ainsi (l'eucharistie, la réconciliation...) sont radicalement dans le baptême. L'eucharistie explicite sur un mode ce qui est déjà le baptême ; la réconciliation explicite sur un autre mode ce qui est déjà le baptême… et par suite, comme ce sont des lieux d'explicitation, et il peut même se faire qu'il soit opportun de penser le baptême à partir de ce qui l'explicite, donc à partir de l'eucharistie ou à partir de la réconciliation.

 

IV – Compléments

 

Vous vous rappelez que nous avions conscience d'avoir abordé l'eucharistie par une entrée qui était le mot même d'eucharistie, mais que de multiples entrées étaient possibles. De même ici pour le baptême.

Le mimisme[13] significatif de la plongée et du relèvement, avec la symbolique essentielle de l'eau, a été ici d'une certaine manière privilégié puisque que nous lisions à partir du chapitre 6 des Romains. Mais il faut savoir que, d'une part, la symbolique chrétienne de l'eau est plus complexe que cette simple référence, et que, d'autre part, il y a des entrées au baptême qui ne se fondent pas sur la symbolique de l'eau.

1) La complexité de la symbolique de l'eau.

Donc en premier lieu, la symbolique de l'eau est plus complexe. Dans ce qui est évoqué en Rm 6, l'eau se trouve avoir une certaine signification de lieu d'ensevelissement, de tombeau et de mort, et cette thématique des eaux mortelles sera ressaisie dans la patristique à propos de la traversée de la Mer Rouge, à propos des eaux du déluge etc. qui sont toutes des eaux négatives. Mais il existe également une symbolique positive de l'eau, et en particulier à un niveau que l'on pourrait dire naturel si ce mot avait un sens à propos de ces choses-là : l'eau est universellement connue comme principe de vie, de végétation, d'honnêteté, de pureté etc.

Par exemple chez saint Jean, sauf au chapitre 6, l'eau est entendue habituellement dans cette symbolique positive.

Quand Jésus dit : « nul, s'il ne renaît d'eau et pneuma, ne peut entrer dans le royaume » (Jn 3), ce n'est pas à entendre à partir de la théologie sacramentaire postérieure du baptême, mais à partir de la nécessité d'entendre les choses du Christ à partir du pneuma, c'est-à-dire à partir de la résurrection[14]. "Naître du pneuma", c'est entendre à partir de la résurrection, et tout le contexte ne parle que du pneuma. Comme il y a ce petit mot « d'eau et pneuma » certains exégètes se sont demandé si le mot "eau" n'était pas un ajout postérieur en fonction de la pratique baptismale des communautés chrétiennes, mais tous les manuscrits possèdent, sans aucune défaillance, cette expression.  

En fait cette expression « eau et pneuma » ne se réfère pas à une thématique postérieure de la sacramentelle dans laquelle il y a deux éléments, l'élément de l'eau et l'élément de l'Esprit Saint, c'est-à-dire l'élément visible matériel et l'élément intérieur invisible, selon ce qui figure dans le traité du sacrement en général. Nous avons affaire à ce que la rhétorique appelle hendiadys, c'est-à-dire une façon de parler qui dit une seule chose sous deux mots. Il faut donc traduire : « naître d'eau-qui-est-pneuma », c'est-à-dire « naître de cette eau-là qui est le pneuma ». L'eau est assumée tout entière à dire la région du pneuma.

Qu'est-ce qui nous permet de dire cela ? Deux choses :

– d'abord la symbolique générale de l'eau chez saint Jean comme l'atteste le chapitre 7, lors de la fête des Tentes qui est aussi une fête des eaux. Jésus est dans le Temple de Jérusalem : « 37Dans le dernier jour qui est le grand jour de la fête, Jésus se tint debout et cria disant : "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein (de son ventre)". 39Il dit ceci à propos du Pneuma que devraient recevoir ceux qui croiraient en lui, car il n'y avait pas encore de Pneuma puisque Jésus n'avait pas encore été glorifié. »  "Des ruisseaux d'eau", "il parlait du pneuma", donc l'eau qui est pneuma.

– Par ailleurs, une autre attestation de la validité de notre interprétation ici, se tire de l'usage hendiadyque très fréquent chez Jean, l'emploi de deux mots avec une préposition et sans article, comme par exemple « plein de grâce et vérité », « adorer en esprit et vérité » etc.

Voilà une petite indication sur la symbolique de l'eau chez saint Jean. Elle nous permet d'entendre l'ouverture même de l'évangile de Jean qui, après le Baptême, est le récit des noces de Cana où les eaux des jarres sont changées dans cette autre eau qu'est le vin, c'est-à-dire qu'est le pneuma[15]. Autrement dit le principe même du discernement des eaux est à la base de la symbolique johannique de l'eau[16].

2) Autres symboliques concernant le baptême[17].

J'avais dit que la symbolique de l'eau était plus complexe qu'il ne pouvait y paraître, mais j'avais dit en outre que d'autres entrées étaient possibles pour l'intelligence du baptême.

a) Le langage de la circoncision du cœur.

Je signale une référence qui a été très importante dans tout le premier christianisme : la circoncision du cœur. Ce qui est intéressant ici, c'est la notion du cœur qui, rappelez-vous, dans Rm 10, était assimilée à la bouche : « Si quelqu'un confesse de bouche et croit de cœur… », ces deux choses disant le même.

1/ En Rm 2 Paul parle de "circoncision du cœur", le terme vient après un développement.

« 14En effet quand les païens qui n'ont point la loi font spontanément les choses de la loi, ceux-ci, qui n'ont point de loi, sont en eux-mêmes loi ; 15ils montrent l'œuvre de la loi écrite dans leurs cœurs– c'est ce que nous appelons la semence de christité inscrite dans tout homme comme le fruit est inscrit dans la semence. 25D'une part la circoncision est profitable si tu pratiques la loi ; mais si tu es transgresseur de la loi, ta circoncision devient incirconcision – Ici Paul met en œuvre une procédure rabbinique. 26Si donc l'incirconcis observe lui les prescriptions de la loi, son incirconcision ne sera-t-elle pas comptée pour circoncision ? 27Et l'incirconcis de nature celui qui est incirconcis spontanément qui accomplit la Loi – il ne peut le faire au titre de ses ressources propres mais au titre de la semence de christité inscrite dans son cœur – te jugeras, toi celui qui, par la lettre et la circoncision [est] transgresseur de loi ?

28 En effet, le [vrai] Juif n'est pas celui [qui est] dans le visible; et la [vraie] circoncision n'est pas celle [qui est] dans le visible dans la chair ; 29mais le Juif, le [c'est celui qui est] dans le secret ; et la circoncision du cœur, [c'est celle qui est] dans le pneuma et non dans la lettre ; donc la louange ne [vient] pas des hommes, mais de Dieu. »

2/ En Col 2, 11-13 le lien est fait entre circoncision "non-faite par la main" et baptême.

« 11Et c'est en lui (le Christ) que vous avez été circoncis d'une circoncision que la main n'a pas faite (akheiropoiêtôi)[18], mais de la circoncision de Christ – il ne s'agit pas de la circoncision racontée par Luc dans l'évangile de l'enfance – [qui consiste] dans le dépouillement du corps de la chair autrement dit : vous vous êtes dévêtus du corps de la chair ; or vous savez que chez saint Paul la chair désigne l'humanité adamique, et le corps de la chair c'est la manifestation accomplie de cette humanité adamique[19]12ayant été ensevelis avec lui par le baptême, vous êtes aussi co-ressuscités en lui par la foi en l'activité de Dieu qui l'a ressuscité des morts – la pistis est l'accueil de  l'énergéia (l'activité) de Dieu, celle qui a ressuscité Jésus d'entre les morts. C'est le même acte qui ressuscite le Christ et qui donne la foi baptismale. C'est cet acte qui est dans le baptême; ou le baptême est l'accueil de cette même énergéia. 13Vous qui étiez morts par vos offenses et par l'incirconcision de votre chair, il vous a fait vivre avec lui, en vous faisant grâce de toutes les offenses… ». Il s'agit d'une circoncision non manuelle, non rituelle, non chirurgicale, qui est dite a-khéiropoiêtôi, avec kheir (la main), donc non faite par la main.

Or ce n'est pas la circoncision comme circoncision qui est en question ici, c'est très précisément la circoncision comme pratique. Et justement la notion de pratique va s'installer de très bonne heure. Cela se comprend très bien puisque nous aussi nous pensons : il y a ceux qui croient et ceux qui pratiquent. Peut-être bien que cette distinction même est dans son fond quelque chose de régressif par rapport à ce qui est en évidence dans la pensée paulinienne.

b) Le sceau (sphragis) du baptême.

En Rm 4, dans un contexte non baptismal, Paul parle de la foi d'Abraham, lui qui ne reçut qu'ensuite le signe de la circoncision :

« Nous avons dit en effet que la foi fut comptée à Abraham pour justification. 10Comment donc lui fut-elle comptée ? Était-ce dans la circoncision, ou dans l'incirconcision ? Non pas dans la circoncision, mais dans l'incirconcision.

11Et il reçut le signe de la circoncision, comme sceau de la justification [qui] elle [était] de la foi [quand il était] dans l'incirconcision, en sorte qu'il soit père de tous les croyants (ceux qui croient en étant) dans l'incirconcision, pour que la justification leur fût aussi comptée, 12 et aussi père de la circoncision (père des circoncis),[c'est-à-dire] de ceux qui ne sont pas seulement de la circoncision, mais encore qui suivent les traces de la foi de notre père Abraham [quand il était] dans l'incirconcision..» À propos de la circoncision d'Abraham on a le terme de sphragis (sceau) qui aura une importance capitale dans la première théologie du baptême[20]. Il s'agit de la marque, de l'inscription corporelle qui est ici explicitement caractérisée de sêmêion c'est-à-dire de signe.

Au fond, le mot même de baptisé il faut le penser à partir d'un mode d'appartenance : être baptisé c'est appartenir, et c'est ce qui est premier. Cela peut paraître simpliste, mais cela apparaît par exemple dans l'expression « baptiser dans le nom ». Et quand saint Paul se sert de l'analogie de la circoncision qui est une marque, un signe, c'est le même vocabulaire. Ce qui est premier c'est qu'on appartienne.

Il faut toujours penser le baptême à partir de la plus grande ampleur, quitte ensuite à préciser. Je veux dire par là : il est évident qu'il y a des modèles purement rituels, cultuels qui existent quand l'évangile est écrit. Néanmoins il ne faut pas omettre de penser que même ces modèles s'ils sont repris éventuellement, sont ressaisis à partir du profond de la pensée. Du reste, ce qu'on appelle des rites, on ne les pense bien qu'à la mesure où on ne les pense pas comme rites.

Il faut voir par ailleurs que l'Église a été affrontée à la question des lapsi[21] lors des grandes persécutions : beaucoup de chrétiens qui n'ont pas la ferveur des premiers martyrs chrétiens, renient parfois, et puis, la persécution passée, ils voudraient rentrer à nouveau dans l'Église. Alors la question se pose : est-ce qu'il faut les rebaptiser ? Voilà une question pastorale. Il se décide que non, ils ont à accomplir une sorte de pénitence pour pouvoir rentrer, ils ont besoin de se laver les pieds[22], mais ils peuvent le faire. Et ceci donne de l'importance à une pratique déjà ancienne, celle de la célébration du pardon. Les circonstances de cette histoire donnent donc à cette pratique une autre dimension, et elles donnent en plus un élément de réflexion. Ceux qui ont renié sont sortis de l'Église par l'apostasie, or c'est le baptême qui permet d'entrer dans l'Église. Donc si on ne les rebaptise pas, c'est que quelque chose de leur baptême perdure en eux, et c'est là que, de très bonne heure, s'est élaborée la notion de "caractère" baptismal. Et pour parler du caractère baptismal on a utilisé le mot de sphragis (de sceau). Il y a donc une marque indélébile.

c) Le chrisma.

Nous pouvons commémorer également la notion d'onction qui se dit chrisma et qu'on trouve dans la première épître de Jean, en particulier dans une phrase étonnante : « Vous, le Chrisma que vous avez reçu de lui (le Christ), qu’il demeure en vous. Et vous n'avez pas besoin que quelqu’un vous enseigne. » (1 Jn 2, 27).

Ce mot chrisma est de la même racine que le mot Christos et que le mot chrétien. Au cours du IIe siècle, lorsque l'on débat de la signification du mot "chrétien", il y a deux opinions chez les premiers écrivains : certains se réfèrent à Christos, mais d'autres se réfèrent au fait que nous sommes des "oints". La notion d'onction prendra une grande importance.

Le mot chrisma a donné le mot chrismation. C'est une onction : avec le pouce enduit d'huile, on enduit le front et parfois différentes parties du corps par un geste cruciforme[23]. Ce geste indique surtout que le cœur est enduit de pneuma, c'est-à-dire enduit de la connaissance que Dieu verse. En effet, connaître, c'est être enduit de la vérité. La chrismation a toujours fait partie du baptême.

d) Le vêtement.

La symbolique du vêtement[24] est une symbolique dont l'acuité nous échappe parce que, pour nous, un vêtement, c'est quelque chose qui s'ajoute par-dessus : le corps c'est l'essentiel, et le vêtement est secondaire. Mais il y a un vieux texte gnostique du IIe siècle qui dit : « Chez nous le corps est plus important que le vêtement, mais dans l'Évangile le vêtement est plus important que le corps » [25].

Dans la Bible le vêtement est la désignation de la posture intime, c'est la manifestation extérieure de la posture. Or chez saint Paul et chez saint Jean ce qui permet d'identifier, ce n'est pas la permanence d'un corps, c'est la posture. En particulier il y a deux postures différentes : la posture christique et la posture adamique de Gn 3[26]. L'homme n'est pas pensé à partir de l'idée de nature, mais à partir de l'idée de posture, d'où l'importance de cette symbolique.

Quand saint Paul dit : « Vous avez revêtu le Christ » (Ga 3, 27), pour nous c'est une chose banale et à peine compréhensible, mais ça veut dire que la foi, et le baptême de foi, nous configurent dans la posture christique. Ceci montre que nous ne sommes pas bien armés pour entendre la symbolique du vêtement, pas plus d'ailleurs que la symbolique du trempage au baptême, pas plus que la symbolique de l'imprégnation ou de l'onction ; et la symbolique de l'investiture, pas davantage. Nous sommes en difficulté par rapport au sens profond de ces choses. De le signaler permet que nous essayions progressivement de nous y familiariser.

e) Les néophytes : symbolique de la végétation.

Le baptême fait éventuellement référence à la plantation, à la végétation. On en a un indice en Rm 6, 5 que nous avons lu au début, mais cela n'apparaît pas dans les traductions courantes. Il y a le mot sunphutoï que l'on peut traduire simplement par « ayant la même condition », mais dans ce mot il y a phusis c'est-à-dire la végétation, la croissance. Paul reprendra cette thématique de la croissance et de l'arbre dans le chapitre 11 sur l'olivier.

Dans un certain judéo-christianisme le thème de la plantation a été utilisé en référence au jardin du paradis, aux plantes que le Seigneur a plantées. Éventuellement cela fait aussi référence à la vigne du Seigneur qui est son peuple.

f) Le baptême comme illumination.

Enfin il y a surtout le thème de la lumière. Il faut savoir que dès le IIe siècle, c'est devenu quasi-courant de désigner purement et simplement le baptême comme illumination (phôtismos)[27].

Conclusion.

Mais, ce qu'il faut noter à travers tous ces mots, c'est que ces choses sont d'abord des désignations de l'appartenance radicale au mystère du Christ.



[3] « Cette phrase est essentielle dans le discours de Paul, son ambiguïté va susciter le ch. 6 et une bonne partie du ch 7. Cette phrase est très précieuse parce que, en un certain sens, nous ne pouvons pas la prononcer et pourtant ce qui est dit là est le plus haut du monde. C'est que nous l'entendons comme une phrase stratégique, comme un calcul, comme un rapport de moyen-fin alors que tout le travail est d'essayer de l'entendre de façon non stratégique et pourtant de façon rusée. En ce moment je suis en train de méditer sur les deux visages de la ruse. Il y a la bonne ruse qui est la sagesse et par quoi sont fondées les cultures si on peut parler ainsi. Véritablement la figure fondamentale de l'Occident c'est Ulysse, la ruse ; et une des figures fondamentales d'Israël c'est Jacob le rusé. En revanche la ruse telle que nous l'appréhendons spontanément c'est la ruse stratégique, calculée. Je vous indique ça comme un sujet de méditation.» (J-M Martin).

[4] « Paul dit que, ayant été libérés de l'esclavage, nous sommes devenus esclaves de l'esprit, ou de la justification, ou de la parole de Dieu. Mais évidemment le mot esclave signifie la fonction d'appartenance et non pas la qualité d'espace, et alors Paul rature. Par exemple en Rm 6, 19  il dit que « nous sommes devenus esclaves de la justification, mais je parle à l'humaine à cause de la faiblesse de votre chair » c'est-à-dire à cause de notre expérience posturale native qui fait que nous n'avons pas d'autre vocabulaire que le vocabulaire de la servitude et de la violence. » (J-M Martin).

[5] Pour le Christ lui-même on ne peut parler de "mort au péché", mais seulement de mort à la mort. Ici J-M Martin utilise le fait que chez saint Paul le mot péché ne désigne pas ce que nous appelons péché, mais que bien souvent c'est un nom propre qui désigne le prince de ce monde qui est le prince de la mort et du meurtre. Mort et péché s'entre-appartiennent.

[7] Sur la signification du mot volonté dans le Nouveau Testament voir Caché/dévoilé, semence/fruit, sperma/corps, volonté/œuvre.....

[8] Sur ce couple voir la référence note précédente.

[9] « …Telle est la parole de la foi que nous proclamons. Car si tu professes de ta bouche que Jésus est Seigneur, et si tu crois dans ton cœur que le Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauf. Car on croit de cœur pour l'ajustement on professe de bouche pour le salut. » (Rm 10, 7-10). Cf. Romains 10, 6-17 : Foi et Résurrection.

[10] « Le pain, et par suite le partage du pain, n'est pas le signe convenu de la doctrine et de la foi, il est la foi : la messe pour Jean ne serait pas le signe de la foi, elle est la foi ; manger c'est entendre. De même la foi a le trait eucharistique : entendre c'est déjà manger. Et les distinctions qui peuvent advenir ensuite – parce qu'il reste que croire en Jésus-Christ et aller à la messe sont deux actes que nous vivons comme différents – ces différences-là ne peuvent se penser qu'à partir de l'unité originaire et non à partir de leur différence ou de ce à partir de quoi nous pensons la différence ; par exemple la notion de pensée et la notion de rite, la notion de théorie et la notion de pratique, la notion de confiance et la notion d'obligation. De même la foi en elle-même est baptismale (entendre a le trait d'émerger à). » (J-M Martin). Dans ce qui vient d'être dit il y a identité entre "foi" et "entendre". En effet, la foi est l'accueil de la résurrection, elle est l'accueil de ce qui vient sous forme de parole et donc c'est un entendre. De même J-M Martin désigne le recueil de l'eucharistie par le verbe manger.

[11] À ce propos J-M Martin parle d'accéder à l'Eucharistie consistante qu'est le Christ : voir "Accéder au lieu de louange". dans le 2) de la deuxième partie de Eucharistie : la nourriture ; repas et eucharistie dans les épîtres de Paul, chez Marc et chez Jean Sur la Présence réelle voir De la pratique eucharistique de la première Église à la question de la “Réelle présence”.

[12] Dans un cours précédent J-M Martin avait passé un bon moment sur l'expression "pour autant que" : « Je vais parler de l'homme pour autant qu'il est l'homme de l'Évangile. (…) Quand Paul dit que nous avons déjà traversé la mort, il faut entendre : "le caché de nous qui a déjà traversé la mort". (…) Et j'emploie ce "pour autant que" afin d'éviter la confusion avec le "en tant que" (l'homme en tant qu'homme appartient à la logique). »

[13] Le mot "mimisme" est très rarement utilisé par J-M Martin, peut-être même est-ce la seule occurrence.  Il s'est en effet intéressé à la pensée de Marcel Jousse (1886–1961) qui emploie fréquemment ce terme. Comme il est dit sur le site www.semonslaparole.com : «L’être humain est un être mimeur, non parce qu’il copie le réel, mais parce qu’il en prend conscience, le fait sien et lui donne son sens. La grandeur de l’homme est là, dans le geste humain qui devient signe. Le mimisme s’opère en trois étapes : réception, intériorisation, appropriation et interprétation. L’ensemble de ce mouvement s’exprime de façon imagée dans la Bible : “Comme la pluie ou la neige descendent du haut des cieux et ne retournent pas là-haut sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer ainsi ma Parole quand elle sort de ma bouche, elle ne retourne pas vers moi à vide, sans avoir fait ce que je désire, et accompli ce pour quoi je l’ai envoyée.” »

[15] Cf. la session sur les Noces de Cana (la transcription va être mise sur le blog)

[16] Un message est en préparation sur la symbolique de l'eau (tag Symboles).

[17] Beaucoup de choses ont été ajoutées par rapport au cours de 1983-84  à partir de sessions car J-M Martin n'avait fait qu'une rapide énumération.

[18] Cela vient du mot kheir (la main), qui s'écrit cheir en écriture non phonétique, le mot chirurgie vient de là.

[20] D'après ce que dit la théologie sacramentaire, en cas de péché grave le baptisé perd la grâce mais pas le "caractère" baptismal qui est un "sceau" indélébile imprimé dans l'âme. C'est d'ailleurs pourquoi on ne peut pas débaptiser, et si quelqu'un demande à être débaptisé, on peut seulement indiquer sur le registre de baptême qu'il a fait cette demande.

[21] Au cours des premiers siècles un lapsus (pluriel lapsi) est un chrétien qui a renié sa foi par peur des persécutions.

[22] Allusion à la scène du lavement des pieds (Jn 13). J-M Martin, à partir du dialogue avec Pierre, interprète le lavement des pieds comme la possibilité du pardon. Cf Jn 13, 1-15 : Lavement des pieds ; dialogue avec Pierre

[23] Dans l'Église orthodoxe il est courant de faire une chrismation sur différentes parties du corps (front, yeux, oreilles…) lors du baptême, et cela se fait parfois aussi dans l'Église catholique.

[25] « En ce monde ceux qui portent les vêtements sont supérieurs aux vêtements, dans le royaume des cieux, les vêtements sont supérieurs à ceux qui les portent.» (Évangile de Philippe n° 24, traduction Louis Painchaud).

[27] À Constantinople, le baptistère de Sainte-Sophie était appelé le grand illuminatoire, ou le grand illuminateur.

 

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