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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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19 décembre 2014

La symbolique de l'eau en saint Jean (la mer, eau des jarres, fleuves d'eau vive, eau-sang-pneuma au Baptême et à la Croix)

La symbolique de l'eau est complexe. Elle est omniprésente dans la Bible. Plutôt que faire un cours qui prétendrait dire des choses sur l'eau, Jean-Marie Martin préfère nous apprendre à entendre ce symbole fondamental comme d'autres (ciel-terre...), en lisant des textes. Il cherche en même temps à nous introduire dans un mode d'écoute, et donc un mode de parole, qui ne nous est pas familier. C'est pourquoi ici il y a une traversée de quelques textes et non pas simplement une information en survol sur ce que l'eau peut bien signifier. Les quatre parties viennent d'interventions différentes elles ont été légèrement modifiées pour ce message,et certaines sont déjà sur le blog. La prière pour la bénédiction de l'eau baptismale a été ajoutée à titre d'exemple : l'eau n'est pas qu'un élément, elle "raconte". Une des symboliques de l'eau touche au pneuma, terme que nous traduisans habituellement par "esprit" mais que J-M Martin préfère ne pas traduire (cf Le Pneuma (l'Esprit Saint) chez saint Jean : repères ; symboliques (eau, feu, amour, connaissance, onction, parfum...)).

PLAN

  • I – La symbolique de l'eau à partir de Jn 6, 14-29
  • II – Le partage des eaux en st Jean à partir de Jn 2, 1-11
  • III – Le thème de l'eau et des dérivations de l'eau à partir de Jn 7, 37-39
  •  IV – Le ternaire « eau, sang, pneuma » en 1 Jn 5, 6-8 avec l'étude  du sang au Baptême et de l'eau à la Croix.
  • Prière pour la bénédiction de l'eau baptismale pendant la veillée pascale

Pour lire, télécharger, imprimer, c'est ici en fichier pdf : symbolique_de_l_eau (sans la prière pour la bénédiction de l'eau);
et en fichier docx : symbolique_de_l_eau.

 

 

La symbolique de l'eau en saint Jean

 

I – La symbolique de l'eau à partir de Jn 6, 14-29[1]

 

« 14Les gens donc, voyant ce signe qu'il avait fait disaient : « C'est vraiment lui le prophète qui vient dans le monde ». 15Jésus donc sachant qu'ils doivent venir le ravir pour le faire roi, se retire de nouveau sur la montagne, lui seul.
16Comme le soir venait, ses disciples descendent à la mer. 17Ils montent en barque pour aller de l'autre côté de la mer à Capharnaüm. Les ténèbres étaient déjà là. Jésus n'était pas encore venu vers eux, 18et la mer avec un grand vent qui soufflait, se réveillait. 19Ils avaient donc ramé environ 25 ou 30 stades quand ils voient Jésus marchant sur la mer. Il est proche de la barque, ils craignent, 20mais il leur dit : « Je suis, ne craignez plus ». 21Ils veulent donc le prendre dans la barque, et aussitôt la barque est à terre, là où ils allaient.
22Le lendemain la foule restée de l'autre côté de la mer voit qu'il n'y a eu là qu'une seule barque, Jésus n'est pas entré dans le bateau avec ses disciples et seuls ses disciples s'en sont allés. 23D'autres bateaux étaient venus de Tibériade près du lieu où ils ont mangé le pain après que le Seigneur a rendu grâce. 24Quand la foule voit que Jésus n'est pas là ni ses disciples, ils montent dans des bateaux et viennent à Capharnaüm chercher Jésus. 25Ils le trouvent de l'autre côté de la mer, ils lui disent : « Rabbi, quand es-tu arrivé ici ? ». »    
                                           (Traduction de Sœur Jeanne d'Arc)

1) Autour de la symbolique de l'eau et de la symbolique en général.

Aux versets 14-29 du chapitre 6, à la suite du récit de la multiplication des pains, nous trouvons deux épisodes intercalés que nous pouvons appeler épisodes maritimes : la barque d'une part et puis la recherche. Il nous faudra voir la visée propre de chacun.

a) Champ symbolique du maritime.

Croix Arbre de vie, Saint-Jean du LatranCes deux épisodes ont en commun d'appartenir au champ symbolique du maritime qui est un des aspects du champ symbolique de l'eau.

Ils prennent donc place dans un ensemble qui contient, entre autre : la marche sur les eaux de Jésus ; la tentative de Pierre de marcher sur les eaux (dans les Synoptiques) ; la pêche miraculeuse ; l'aspect aventureux (périlleux) de la navigation dû à la tempête. Ces épisodes appartiennent à tous les évangiles plus ou moins, et ils ne sont pas nécessairement distribués au même endroit ni groupés de la même manière.

Il est important que nous mettions en rapport les textes que nous allons lire et le texte du chapitre 21 (le dernier) où se trouve la pêche miraculeuse. Certains sont disposés après la résurrection (c'est le cas du chapitre 21) et d'autres avant. Il y a une unité de champ symbolique avec des traditions qui travaillent ce champ symbolique mais qui, ensuite, sont ressaisies et groupées différemment dans les Écritures.

Je ne sais pas si vous apercevez l'intérêt d'une réflexion comme celle-là. Ce serait au fond la mise en avant d'une appartenance à un champ symbolique par rapport aux articulations du récit, aux intentions de récit, ce qui en un certain sens correspondrait à la différence de la parataxe et de la syntaxe. La syntaxe est une articulation selon les principes de la grammaire : les mots sont les uns à côté des autres, groupés par des fonctions répertoriées telles que sujet, verbe, complément. Mais il y a une autre fonction des mots, apparemment moins intelligente mais peut-être plus fine et plus importante, qui résulte de la juxtaposition des mots : la seule fonction ici c'est la proximité. Et le poème parle plus par la simple proximité des mots que par leur jonction syntaxique.

b) Les testimonia.

Les premiers chrétiens ont constitué de très bonne heure ce qu'ils appellent des testimonia, c'est-à-dire des listes de passages de l'Ancien Testament groupés par une affinité symbolique et non pas par la référence à leur fonction dans le récit. Il y a des groupements de testimonia autour du bois, autour de la pierre, autour de l'eau. Ce sont les principaux, les plus connus. Et manifestement l'écriture dernière de notre Nouveau Testament (en particulier saint Jean) connaît des groupements de ce genre qui sont censés révéler quelque chose de la manière de Dieu.

Dieu s'exprime dans le langage de l'eau, dans le langage de la pierre, dans le langage du bois (dans la croix), etc. Ceci est plus important qu'il n'y paraît et nous aidera à élucider un des mots qui va survenir aujourd'hui et qui est le mot de signe. Les signes ne sont pas utilisés dans le Nouveau Testament comme des preuves mais comme des attestations de la manière de Dieu, de la main de Dieu, des traces. On trace avec la main mais aussi on peut avoir des vestiges si on garde le sens originel du mot vestigia qui est la façon de marcher, les traces au sol[2]. Cela requiert une sagacité particulière (un savoir-faire particulier) et le modèle de cette sagacité par rapport aux traces, c'est le chasseur et peut-être même le braconnier. J'expliquais cela un jour dans une paroisse où le curé et ses paroissiens sont de fieffés chasseurs braconniers. Voilà : la trace, les vestiges et les présages, autant de choses qui sont étrangères, lointaines par rapport à notre mode de rendre compte d'un processus de notre pensée. Les vestiges et les présages : deux mots magnifiques qui font un octosyllabe parfait.

c) Eaux vivifiantes et eaux meurtrières.

« 16Quand fut le soir, ses disciples descendirent vers la mer. » Ce qui est intéressant ici c'est que Jésus remonte à la montagne, les disciples descendent vers la mer.

La mer est essentiellement un lieu de péril, la mer est dangereuse déjà par elle-même. Donc dans ces deux épisodes nous allons nous trouver dans une symbolique de l'eau qui aura plus à voir avec le déluge, avec les eaux meurtrières qui engloutissent, qu'avec les eaux vivifiantes.

Dans les testimonia sur l'eau, ils prennent bien soin de distinguer l'eau vivifiante, celle qui rafraîchit, celle qui soigne, celle qui nourrit la végétation, de l'eau qui engloutit – les eaux sont un lieu de terreur ici – et ils ne confondent pas l'eau de l'épisode de Noé et l'eau dont parle le psaume premier (« Heureux l'homme qui ne marche pas selon le conseil des méchants […]. Il est comme un arbre planté près d'un courant d'eau, qui donne son fruit en sa saison. »).[3]

d) Quand est-ce qu'une chose devient symbolique ?[4]

Je cite cela parce que nous avons ici un exemple de ce qu'aucune chose en elle-même n'est symbolique. Elle n'accède à être symbolique que si elle est considérée en référence à une autre chose. Ainsi l'eau peut être symbole de mort ou symbole de vie. La chose en elle-même est absente de tout symbolisme, elle n'accède au symbole qu'en entrant dans une relation avec d'autres mots. Le feu peut être le feu de l'amour ou le feu de l'enfer suivant les lieux, et ceci à l'intérieur d'une même tradition. A fortiori quand il s'agit de traditions différentes. Le dragon, c'est le mauvais dans l'Apocalypse chez saint Jean, mais le dragon en Extrême-Orient est quelque chose comme le Verbe. D'où la nécessité de ne jamais considérer un mot seul, il est toujours en rapport au moins à un autre mot. Il est posé dans une élocution, dans une phrase, dans un texte. C'est son lieu, son site où il prend sens. Et c'est la phrase qui donne sens au mot et non pas le mot ou l'addition des mots à la phrase. D'où la nécessité de toujours entendre un discours dans sa propre source. Je dis cela parce que la mode est de piocher des éléments de phrases, de mots : un petit mot à l'hindouisme, un petit mot à l'Islam, ça ne fait pas de mal… Ça n'a aucun sens.

e) La parole[5] : un aspect de la symbolique de l'eau.

La tâche première que nous avons c'est d'être sourciers. Entendre c'est être sourcier, entendre c'est détecter la source d'où ça parle, reconnaître la source. C'est la thématique de la Samaritaine. Son puits lui parle, puisque l'eau a comme symbolique d'être la parole[6], la parole qui entretient et qui, comme l'eau, nourrit également[7]. C'est son lieu référentiel, c'est un site où elle se rend, c'est son centre, c'est là où son pays plonge dans ses racines mais aussi plonge dans une histoire car c'est le puits que « Jacob a donné à Joseph son fils », c'est-à-dire que c'est le puits référentiel, ce qui répondait pour elle à la question "où ?". « Où faut-il se prosterner ? » qui est la question qui survient ensuite dans cette thématique de la Samaritaine. Et voici que la Résurrection ouvre une source neuve.

Et une source est toujours la source. S'il y en a d'autres, elles sont aussi la source. Nous n'avons pas affaire à plusieurs sources. En effet, nous avons forcément une source, et nous rencontrons des gens qui ont une autre source ; et nous pouvons établir des dialogues entre sources, plus exactement nous pouvons essayer de pressentir comment les sources elles-mêmes se parlent secrètement. Tel est le dialogue auquel nous ne pouvons prendre part qu'en allant au plus profond de notre propre source, notre interlocuteur allant, de son côté, au plus profond de sa propre source. Ce n'est pas nous qui, à partir de la surface, tentons de faire un discours moyen et commun. Si les sources se parlent, cela signifie que c'est en étant au plus profond de notre propre source que nous avons quelque chance d'entendre celui qui entend dans une autre source. Dans ce qu'on appelle couramment le dialogue des religions, ce qui paraît souvent visé c'est d'arriver à une sorte de discours moyen sur lequel on s'entend, un discours négocié ; on croit s'entendre mais cela aliène chacun.

 

II – Le partage des eaux en st Jean à partir de Jn 2, 1-11[8]

 

« 1Le troisième jour, fut une noce à Cana de Galilée et la mère de Jésus était là. Fut invité aussi – littéralement : appelé – Jésus et ses disciples à la noce. 3Et le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit : “Ils n'ont pas de vin”. 4Jésus lui dit : “Quoi, à moi et toi, femme, mon heure n'est pas encore venue”. 5Sa mère dit aux serviteurs : “Quoiqu'il vous dise, faites”. 6Étaient là six jarres de pierre en vue de la purification des Judéens, posées, contenant jusqu'à deux ou trois mesures. 7Jésus leur dit : “Emplissez les jarres d'eau”. Ils les emplirent jusqu'en haut. 8Il leur dit : “Puisez maintenant et portez au maître du festin ”. Ils portèrent. 9Quand donc le maître du festin eut goûté l'eau devenue vin – et il ne savait pas d'où cela est, mais les serviteurs savaient, eux qui avaient puisé l'eau – le maître du festin appelle le marié. 10Il lui dit : “Tout homme pose d'abord le bon vin, et quand on est ivre, le moins bon, mais toi tu as gardé le bon vin jusqu'à maintenant.” 11Ce fut l'arkhê (la tête, le premier) des signes que fit Jésus à Cana de Galilée. Et il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui.» (Jean 2).

Dans l'espace de ce court texte nous marchons de façon aléatoire en nous arrêtant rapidement d'abord vers les choses que vous-même aviez remarquées, ensuite en prenant plus de temps pour certaines de vos remarques.

► Vous avez traduit "contenant deux ou trois mesures", dans nos traductions c'est "des centaines de litres". Alors c'est beaucoup ou ce n'est pas beaucoup ?

J-M M : Il ne faut pas traduire « contenant chacune 100 litres » parce qu'on ne garde pas la signification des mots. C'est quelque chose que je peux dire à propos de n'importe quoi. Par exemple là, ce sont des nombres, mais chez les anciens, les nombres sont des qualités, pas des quantités simplement. D'autre part, pour être plus clair, à propos de choses comme le vin ou le sang… : en eux-mêmes le vin et le sang ne signifient rigoureusement rien. Vin ou sang signifient dans la parole qui l'énonce. Par ailleurs le feu ne signifie rien parce qu'il peut signifier ou bien l'enfer ou bien l'amour de Dieu, c'est-à-dire le contraire. L'eau peut signifier l'engloutissement (donc la mort) ou la vie.

Il faut nous habituer à regarder le mot d'abord, ensuite à essayer de l'entendre dans le champ symbolique qui lui est propre en cette langue, en ce lieu, et en particulier en celui qui écrit, et même d'après le lieu de son écriture, parce que le même mot peut aussi avoir des sens contradictoires chez le même auteur.

Pour en revenir aux cent litres, je vais vous donner un exemple plus parlant. Au début de la rencontre avec la Samaritaine, lorsque Jésus fatigué s'assoit au puits, l'évangéliste ajoute : « il était environ la sixième heure » (Jn 4, 6). La sixième heure c'est midi – de même que deux ou trois mesures c'est environ 100 litres probablement, c'est ce qu'on dit partout – seulement dire « il était midi » ça dit le contraire du texte, bien que ce soit matériellement la même chose. En effet la sixième heure signifie l'inaccomplissement, la fatigue, c'est un autre mode du manque, et c'est précisément l'heure de la passion du Christ ; alors que midi chez nous, c'est la grande lumière orthogonale, le milieu du jour. Donc midi a un sens plein alors que la sixième heure a un sens déficient ! Alors, qu'est-ce qui parle ? Est-ce la matérialité de la correspondance qu'on peut faire, ou bien est-ce la nomination même de de la mesure ? C'est la nomination même, c'est pourquoi je commençais à vous dire tout à l'heure que rien ne symbolise que dans le mot qui l'énonce, et ensuite dans le contexte du mot qui l'énonce.

Je viens de dire que la sixième heure est celle de la passion, autrement dit c'est l'heure de l'œuvre non pleinement accomplie, puisque la passion s'accomplit pleinement en résurrection.

Ici les six jarres sont les six réceptacles de la parole de Dieu en monde juif, puisque ce sont des jarres pour la purification des Judéens, et que l'eau a une symbolique de la parole, comme le pain. On pourrait dire en effet qu'eau et pain sont ce qui entretient l'homme, c'est une façon française de jouer sur le double sens du mot "entretenir". Ceci pour vous aider à cristalliser dans les ressources de notre langue ce qui n'a pas d'équivalent dans le grec. Donc les six jarres ont à voir avec l'eau juive qui n'est pas l'eau de l'accomplissement[9]. Et c'est encore plus subtil que cela, car l'eau juive dit ici l'écoute juive de la parole. Or, quand les jarres sont remplies jusqu'en haut, l'eau est devenue vin. Autrement dit, lorsque la parole est emplie jusqu'en haut, alors elle est le vin eschatologique.

► Il y a une chose que tu as dite : l'Écriture juive en son plein signifie la résurrection. Tu as bien précisé qu'il s'agissait d'une certaine lecture juive de l'Écriture de l'époque. Mais qu'est-ce que ça veut dire ?

J-M M : Dans cette question des rapports du judaïsme et de la foi chrétienne, il faut être très attentif à ce qu'on dit, et de quel point de vue on le dit. Il est tout à fait normal qu'un chrétien parlant du judaïsme ne dise pas la même chose qu'un juif qui parle du judaïsme. Une des caractéristiques du christianisme naissant, et cela se trouve en particulier chez saint Paul, c'est la critique de la Torah sous la dénomination de nomos (loi), c'est-à-dire que c'est la critique de la suffisance de la loi. Mais il ne faut pas oublier qu'en même temps il y a l'affirmation du Christ que tout est « selon les Écritures », selon cette Torah qui alors est appelée Graphê (Écriture). Mais il faut voir ce que veut dire ce « selon » parce qu'il risque d'être traduit chez nous soit selon le prédit soit selon le prescrit : selon le prédit, c'est un fatalisme, les choses se passent comme il a été dit ; selon le prescrit, c'est une sorte de moralisme. La signification de ce selon, c'est que lorsque les Écritures sont lues à partir de Jésus, elles connaissent leur plein. Mais ce qui est étrange du reste, c'est que parler du judaïsme est bien difficile. Pour ma part, il y a quelque chose de la kabbale que je perçois, où j'entends le même plein que dans l'Évangile, mais je ne prétends rien dire là-dessus. La kabbale est une lecture, et il y en a beaucoup d'autres.

c) Partage des eaux dans l'évangile de Jean.

► Est-ce que l'eau et le vin dont il est question ici renvoient à la croix où sortent de l'eau et du sang ?

J-M M : C'est une question qu'il faut élucider. On peut l'aborder en regardant la situation des premiers chapitres de Jean qui sont tous des chapitres d'initiation, c'est-à-dire d'entrée dans quelque chose où l'on n'était pas, donc un processus d'intro-duction, un processus de passage d'un état à un autre état, et tous ont rapport avec l'eau.

1/ Au chapitre premier nous avons la distinction entre l'eau du Baptiste (« je baptise dans l'eau ») et le pneuma (« lui baptise dans le pneuma ») qui est l'Esprit de résurrection.

2/ Au chapitre 2 nous avons ce passage de l'eau en vin. Est-ce que ça voudrait dire qu'il y a un rapport entre le vin et l'Esprit de résurrection ? Mais là les rapports ne sont pas cumulatifs, c'est-à-dire qu'il n'y a pas l'eau, le vin et l'Esprit, car il y a une eau que l'on quitte pour autre chose, éventuellement une autre eau.

3/ Au chapitre 3 on trouve : « Si quelqu'un ne naît pas d'eau et pneuma (c'est-à-dire de cette eau-là qui est le pneuma)… » Ce n'est pas notre conception sacramentelle du baptême qui est indiquée ici, dans laquelle il y a de l'eau, élément sensible, et puis l'intériorité pneumatique. Cette conception va se développer plus tard dans d'autres structures de pensée que celle de Jean ; ce n'est pas faux mais c'est nocif pour notre lecture authentique de Jean. Nous avons ici un hendiadys : « eau et pneuma » c'est-à-dire « de cette eau-là qui est le pneuma », donc ce qui est évoqué ici, ce n'est pas l'eau (l'élément eau).[10]

4/ Au chapitre 4 il y a le passage entre d'une part l'eau juive de Jacob, car pour la Samaritaine il s'agit de sa culture, de ses racines historiques puisque le puits creuse à la fois dans l'histoire et dans le sol, et d'autre part « l'eau vivante que je donnerai ». Ici c'est une eau et une autre eau, cette autre eau qui est l'eau vivante, et qui est la même chose que le pneuma.[11]

5/ Au chapitre 5 c'est la piscine : il y a l'eau qui guérit peu et mal car elle guérit un homme par hasard quand il arrive à descendre dans la piscine ; et puis il y a la parole de Jésus qui guérit. C'est donc la parole qui est l'autre eau, la parole de Jésus qui dit « Lève-toi ».

6/ Au chapitre 6 il y a tout un épisode maritime après la multiplication des pains et avant le discours sur le pain de la  vie. C'est un épisode de traversée c'est-à-dire de passage[12].

7/ Au chapitre 7 on trouve le fameux texte : « 37Dans le dernier jour qui est le grand jour de la fête, Jésus se tint debout et cria disant : "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein". 39Il dit ceci à propos du pneuma que devraient recevoir ceux qui croiraient en lui, car il n'y avait pas encore de pneuma puisque Jésus n'avait pas encore été glorifié. » Donc le pneuma c'est la diffusion de la glorification, c'est-à-dire de la résurrection de Jésus.[13]

8/ Au chapitre 9, celui de l'aveugle de naissance, on a la dernière mention importante d'eau (« Va te laver à la piscine de Siloé qui signifie envoyé »), là encore il s'agit de passer d'un état à un autre, il s'agit d'être transféré d'un espace de vie à un autre espace de vie, la "chair" (pas au sens de la viande) étant un espace de vie, un mode mortel et meurtrier de vie, et le pneuma étant un autre espace de vie qui est un mode de résurrection et d'agapê.[14]

Quand il s'agit de l'eau prise en un sens positif chez Jean, ça désigne le pneuma lui-même. C'est pourquoi dans la phrase du chapitre 3 que je citais : « si quelqu'un ne naît pas d'eau et esprit » il ne faut pas entendre qu'il y a de l'eau matérielle comme signe, et l'Esprit ou la grâce en plus. On a là une conception catholique postérieure, qui n'est pas fausse en son lieu mais qui n'est pas dans le texte de saint Jean. « Si quelqu'un ne naît pas de cette eau-là qui est le pneuma de résurrection, il n'entre pas dans le royaume. » C'est-à-dire qu'entrer dans le royaume c'est la même chose que naître à nouveau à partir du pneuma de résurrection. Voilà ce que veut dire cette phrase qui a été utilisée à beaucoup d'autres fins dans le courant de l'histoire de la sensibilité et de la pensée chrétienne, malheureusement parfois.

Donc dans ces différents chapitres, à chaque fois nous avons un passage, soit d'eau à pneuma, soit d'eau à autre eau, ce qui est la même chose, soit ici d'eau à vin, et c'est peut-être la même chose. Et à propos de l'énumération ternaire qui se trouve dans la première lettre de Jean à laquelle vous avez fait allusion : « Car trois sont les témoignants : Le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont un (vers un) » (1 Jn 5, 7-8), s’agit-il de la même énumération ? C'est la question qui est posée. Il faudrait aller voir de près[15]. (…)

d) La différence de l'eau des jarres et du vin.

► Moi j'ai été frappé par le fait que dans le texte Marie détecte le manque, et précède Jésus un peu puisque c'est elle qui lui suggère de faire quelque chose (« Ils n'ont pas de vin »), et donc aussi le mystère qui va s'accomplir. Elle ne connaît pas mais sent quelque chose, elle précède quelque chose.

J-M M : En saint Jean, souvent ce qui précède est inférieur, c'est le cas du Baptiste ; mais en même temps c'est une ambiguïté, parce que celui qui précède dénonce ou annonce. Ceci était justement repris dans l'explication gnostique dans la mesure où la femme, là, c'est la Sagesse. En effet, dans le premier christianisme, la Sagesse est un des noms du Christ[16], or les Valentiniens n'ont pas craint de faire de la Sagesse quelque chose de déficient pour une part. Un de ses noms c'est hustérêma, la déficience, et comme je l'ai dit, le mot est employé ici : « le vin venant à manquer (hustérêsantos oinou) », c'est de la même racine. Elle est aussi celle qui décèle le manque ; parce qu'elle est consciente du manque, elle est aussi le plein, donc la même Sagesse.

Cette Sagesse, c'est aussi ce qui précède le maître du festin, qui lui, ne sait pas. Cette sagesse, c'est quoi ? Au fond, c'est la Sophia des Grecs, et peut-être que le maître du festin, c'est la Sophia des juifs. Cela paraît quasi insupportable de dire des choses pareilles. Mais ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que nous avons pensé Dieu comme un "en soi", cela à la suite d'une dogmatique qui s'est créée de cette façon-là, et d'une façon tout à fait légitime. La question fondamentale dans la théologie était de savoir si Dieu était vers nous ou en soi, car on pouvait distinguer ce qu'il est ad intra et ad extra. Or cela, c'est sans doute la projection de notre concept de l'individu, de l'homme indivisible, considéré comme un "en-soi" au sens de la pierre, c'est-à-dire ce qui est probablement le moins vivant et le plus idolâtrique, alors que peut-être le fond de l'être est "d'être à", c'est-à-dire constitué par la relation. Cela, du reste, les théologiens le disent, mais d'une façon qu'ils n'exploitent pas, puisque les personnes divines sont des relations : elles n'ont pas des relations, elles sont des relations[17]. Or quand il s'agit de parler du Dieu des juifs, il s'agit de parler de mode juif d'être à Dieu, et que le mode juif d'être à Dieu soit déficient, soit un manque, cela est au cœur de l'Évangile. Je dis bien le mode juif, d'un certain judaïsme avec lequel l'Évangile est aux prises[18].

► Est-ce que de dire que le mode juif d'être à Dieu est déficient, ça veut dire que l'Ancien Testament est déficient ?

J-M M : L'Écriture juive (la Torah) est un texte, et ça ne dit pas en soi le mode de lecture, le mode d'écoute. La lecture juive dont parle Paul c'est ce qu'il appelle Nomos (la Loi) mais dans un sens dépréciatif. Bien sûr la Torah n'est pas une législation au sens du nomos grec. Et je pense qu'un judaïsme d'aujourd'hui pourrait aussi entendre quelque chose comme cela, au moins partiellement. Mais entendre la parole de Dieu comme le nomos grec est la tendance d'un judaïsme contemporain de la naissance de l'Évangile. D'où le refus de la loi par Paul. Et justement Paul est celui qui met en évidence que la parole de Dieu n'est pas une parole qui donne simplement une indication sur la façon dont je ferai mon salut, mais c'est une parole qui sauve d'être entendue, qui m'éveille à mon propre.

 Pour le Nouveau Testament l'Écriture (la Graphê) est aussi la Torah, mais c'est l'Écriture juive en tant qu'elle est pleine, qu'il n'y a pas besoin d'y ajouter. Quand les jarres juives sont remplies jusqu'en haut, il n'y a plus qu'à goûter le vin de la résurrection. Et en même temps c'est la dénonciation radicale de la suffisance de la lecture juive de la Torah, précisément chez saint Paul. L'Ancien Testament est infiniment plus, et à certains égards infiniment moins que nous ne le pensons, et ça joue ici également.

Mais il ne faudrait surtout pas confondre la problématique qui s'ouvre avec le Nouveau Testament concernant les rapports du christianisme naissant et d'un certain judaïsme de l'époque, avec ce que nous appelons aujourd'hui le problème de nos relations avec les juifs. Aucun rapport, aucun, ce n'est pas la même question.

Les gnostiques distinguent le Père de notre Seigneur Jésus Christ et le Dieu de l'Ancien Testament, et subordonnent ou critiquent ce Dieu de l'Ancien Testament. En réalité ils sont dans la certitude que nul ne parle ou ne peut parler de Dieu sans parler simultanément de l'être-à-Dieu, et donc c'est l'être-juif-à-Dieu qui est dénoncé sous le nom de Dieu de l'Ancien Testament. Dieu n'est pas un objet, une chose. Et là aussi, par "juifs" il faut entendre ce qui désigne non tout le peuple, mais très précisément les juifs avec lesquels le Nouveau Testament est aux prises, c'est-à-dire la lecture de ce moment-là. Et il faut bien se garder de projeter sur une histoire aussi éloignée de nos structures quelque jugement que ce soit. Cependant à travers le conflit qui a lieu entre, d'une part le Dieu vivant qui est celui de la Sagesse chrétienne, et d'autre part le Dieu d'Achamoth qui est celui de la Sagesse juive, c'est le conflit de ces sagesses-là qui est représenté d'une certaine manière. Et il n'est pas inintéressant de penser que l'on puisse parler de Dieu précisément en décrivant l'être-à-Dieu, à cause de l'entre-appartenance de ces choses.

Il faut donc toujours distinguer : la Torah en tant que Graphê (l'Écriture) et à laquelle il n'y a pas besoin d'ajouter (quand les jarres juives sont remplies jusqu'en haut, il n'y a plus qu'à goûter le vin de la résurrection) ; et la lecture de la Torah que Paul appelle Nomos (la Loi) en un sens dépréciatif, puisque le Nouveau Testament (surtout chez Paul) est en même temps  la dénonciation radicale de la "suffisance" de la lecture juive de la Torah.

 

III – Le thème de l'eau et des dérivations de l'eau
à partir de Jn 7, 37-39

Les deux parties proviennent de deux interventions différentes.

 

1) Première approche. La symbolique de l'eau en Jn 7, 37-39.[19]

Le lieu le plus fondamental pour comprendre la symbolique de l'eau nouvelle chez Jean c'est très probablement Jn 7, 37-39.

a) Le texte et le contexte.

C'est lors de la fête d'automne, le dernier jour de la fête qui est le grand jour :

« 37Dans le dernier jour qui est le grand jour de la fête, Jésus se tint debout et cria disant : "Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein (de son ventre)". 39Il dit ceci à propos du Pneuma que devraient recevoir ceux qui croiraient en lui, car il n'y avait pas encore de Pneuma puisque Jésus n'avait pas encore été glorifié

Le temps est précisé : les chapitres 7 et 8 se passent à la fête de Soukkot. On monte à Jérusalem pour Soukkot. D'abord, il y a le premier jour de la fête où Jésus monte en secret. Au milieu de la fête, Jésus se met à parler. Enfin, nous sommes dans le dernier jour, le huitième, qui est le grand jour. Cela veut dire qu'il y a une similitude de spiritualité – au sens où nous employons couramment ce mot –, entre la fête de Soukkot et la parole de Jésus ici. En effet cette fête, dans son plus originel, est d'abord une fête d'automne. Elle fait partie de ces fêtes qui vont ensemble : Yom Kippour, Soukkot et enfin Rosh Hashana, à l'automne, dans le monde juif. La fête de Soukkot est une fête des eaux. Les eaux sont précieuses. Ces fêtes étaient agraires avant de se colorer de réminiscences historiques.

Nous sommes dans la fête de l'eau. Nous avons un lieu, un temps – qui est une qualité de temps (kaïros) : la fête n'entre pas dans un temps chronologique ; et enfin il y a une posture : Jésus se tient debout pour une proclamation qui est une invite, un appel – nous sommes dans la verticalité, l'axialité dont nous avons souvent parlé. Celle-ci rejoint la phrase : « Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai la totalité à moi » (12, 32), c'est la même configuration symbolique. Cette configuration est connue, elle existe dans l'Ancien Testament, dans la littérature sapientielle où la Sagesse se tient sur les places et appelle : « Venez et mangez de mon pain. » (Pv 9, 5). Jésus s'identifie ici à cette posture de Sagesse : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi et boive ».Ce boire est identifié à croire : « …qu'il boive 38celui qui croit en moi comme dit l'Écriture… » Dès les premiers temps, le mot traditionnel du recevoir est croire, les mots johanniques qui modulent cette réceptivité : entendre, voir, toucher, manger, boire.

b) Les testimonia et la manière de Dieu.

« 38Celui qui croit en moi comme dit l'Écriture»: ici nous avons une chose étonnante, c'est que personne ne sait où se trouve ce texte d'Écriture ! Nous avons affaire à l'embryon de ce qu'on appellera les testimonia. Ce sont des recueils de textes vétéro-testamentaires qui se font dès le premier christianisme autour d'un thème symbolique. Il y a des testimonia sur la pierre, sur le bois, sur l'eau. Les éléments sont lus comme des témoins écrits du Christ. On recueille ces témoignages, et, très souvent, ils se mêlent les uns aux autres.

Les références qu'on peut apercevoir ici ont à voir avec l'eau surgissant du rocher frappé par la baguette de Moïse : c'est un testimonium très fréquent car le Christ est par ailleurs appelé la pierre d'angle (pas la pierre de fondation). La baguette a la chance d'être en bois, c'est un testimomium par rapport à la croix, et l'eau surgissante est également un testimomium. En même temps, il y a la référence au temple d'Ézéchiel qui est elle-même une référence de l'arbre paradisiaque. Car c'est du pied de l'axe que diffluent, des quatre côtés, les quatre fleuves que l'on retrouve dans l'Apocalypse, avec la symbolique des quatre coins. Il y a également des références à l'appel de la Sagesse, car la Sagesse appelle à venir boire. Tous ces thèmes se joignent, se mêlent. On lit des testimonia chez Barnabé, chez Justin... La liturgie pascale est construite à partir des testimonia sur l'eau, dans l'Exultet, la grande louange de l'eau. C'est une symbolique très originelle qui a été reprise. Elle ne garde pas nécessairement la rigueur d'origine mais la traduit et l'interprète en fonction de différentes possibilités.

Nous avons ici un exemple de testimonia, puisqu'il y a des choses qui témoignent comme l'eau, le sang et le pneuma. C'est une idée qui devrait être à la source d'une reprise de la sacramentalité car c'est l'indication de la main, ou plus précisément de la manière de Dieu. Les sacrements sont en référence à la manière de Dieu. Dans l'eau sont des vestiges, des traces du passage de Dieu : ceci introduit à la fois la symbolique du pied et de la main (la manière) de Dieu. Le pied et la main sont des symboles très fondamentaux de sa présence. Et nous sommes ici dans l'ordre du toucher, ce qui peut avoir de l'importance par rapport à la sacramentalité, parce que le propre de la sacramentalité, c'est la présence symboliquement touchée. De même l'imposition des mains est une chose essentielle dans le régime de la sacramentalité. En même temps, elle est l'insurmontable d'une chose aussi étrange qu'un sacerdoce permanent qui se fait par transmission de toucher. Il y a tout une symbolique qui nous est totalement étrangère et dont il faudrait s'approcher. Nous sommes conceptuels et même quand nous donnons à voir quelque chose, c'est plutôt imaginé.  Car le sacrement n'est pas seulement signe, il est trace de présence : Dieu passe ici et maintenant. C'est un aspect qui est très difficile pour nous, pour notre structure d'intelligence, et qui est essentiel.

c) D'où va couler l'eau ?

Nous étions partis de l'imprécision d'une citation qui est en fait une référence multiple et non absolument littérale. Mais revenons au texte. Il continue à étonner. On attendrait : « Celui qui croit en moi, des fleuves viendront qui couleront de moi, et qu'il boive… » Or, pas du tout, ces fleuves vont couler du ventre de celui qui croit. Certains ont supposé qu'il y avait quelque erreur de texte, mais aucun manuscrit ne le confirme, donc il ne faut pas changer, il faut essayer d'entrer. Ce qu'il importe de garder à l'esprit, c'est que boire, probablement, c'est toujours donner à boire : « 38 (Celui qui reçoit cette eau) des fleuves d'eau vive couleront de son sein.»

Nous avons retenu ce texte parce que c'est un lieu où il s'agit d'eau. Nous avons vu que de tels lieux sont multiples chez saint Jean. On en trouve même jusqu'au chapitre 21 (l'épisode de la plage et de la pêche). De quoi le Christ parle-t-il quand il parle de son eau à lui, de cette eau nouvelle, de cette eau vivante qui n'est pas simplement l'eau qui nourrit la Samaritaine, l'eau lustrale des Juifs, l'eau du Baptiste, l'eau de la piscine de Béthesda ? Nous avons ici la précieuse exégèse de Jean : « 39Il dit cela au sujet du pneuma. » Quand je lis eau dans un sens positif chez Jean, ça désigne le pneuma, et c'est là ce qui justifie mon interprétation comme hendiadys : « cette eau qui est pneuma »  au chapitre 3.

« 39Il dit cela au sujet du pneuma que devait recevoir les croyants (ceux qui croiraient). » Entendre, c'est boire et donner à boire. Ce qui donne à boire, ce qui donne que je boive et que je donne à boire, c'est l'Esprit de Dieu, le pneuma. Nous aurons d'autres lieux où la symbolique du pneuma va toucher à cela.

Beaucoup plus important et décisive est la dernière petite remarque de Jean : « Car il n'y avait pas encore de pneuma puisque Jésus n'avait pas encore été glorifié. » On m'a dit : « Alors l'Esprit Saint n'existait pas avant ! » La question est, justement : Avant, il n'y avait pas encore de pneuma répandu. En effet la glorification est la manifestation et la diffusion du Pneuma. Le fait que la Résurrection soit sous son nom de gloire est significatif. En effet, la gloire de Dieu – qui est Jésus ressuscité –, c'est que le pneuma nous advienne et nous donne de vivre. Tout cela se tient.

► On a du mal à penser qu'il y a d'abord le pneuma et ensuite sa diffusion. Est-ce que ce n'est pas le propre du pneuma d'être diffusé ?

J-M M : Non. Le propre du pneuma c'est la respiration, comme le mot l'indique : le souffle, c'est-à-dire l'expir et l'inspir. L'inspir est le pneuma totalement retenu dans le Christ, et l'expir est le moment où le pneuma se répand et se diffuse sur la totalité de l'humanité. Le rapport entre inspir et expir est analogue à celui de la semence et du fruit. C'est le rapport du sômatikos, du tenu en compact (le Christ est le pneuma en compact), et de la diffusion du Christ sur l'humanité.

 

2) Deuxième approche. Le thème de l'eau et des dérivations de l'eau.

La question que je vais poser c'est la question de l'hydrographie johannique. J'explique ce mot. Chez saint Jean, le thème de l'eau et des dérivations de l'eau est un thème tout à fait fondamental. Le lieu le plus fondamental est très probablement Jn 7, 37-39.

a) Quelques références de ces deux versets.

1/ Le thème de la source à partir d'où se produit le découlement se trouve au chapitre 4 dans le débat avec la Samaritaine : quelle est la source, est-ce ici ou à Jérusalem ? Ce n'est ni ici ni là mais « dans le Pneuma qui est la vérité », donc dans le Pneuma de Résurrection comme en Jn 7, 37-39 : il est la source à partir d'où cela s'ouvre. 

2/ Du point de vue de l'imagerie, nous avons indirectement une référence à Gn 2 où se trouve le tout premier symbole de ce qui est en question. Il s'agit de la détection du centre, c'est-à-dire de la source qui est au milieu du jardin et qui se répartit dans les quatre "têtes" (les quatre fleuves) énumérés en Gn 2. Ce fleuve source se retrouve dans la ville à la fin de l'Apocalypse[20]. Il s'agit donc de la détection du centre et de l'examen des fluences : comment cela découle-t-il ?

3/ D'autre part le lieu de la référence immédiate, c'est le temple selon Ézéchiel : du temple l'eau coule dans la direction des quatre points cardinaux. Et en Jn 2 Jésus s'assimile à ce temple : désormais son corps de résurrection est le véritable temple. En effet à propos des vendeurs chassés du temple, « 19Jésus leur dit :"Détruisez ce temple et je le rebâtirai en trois jours."…21Il parlait du temple de son corps » (Jn 2). Ceci est compris dans le mot gloire, puisque « nous avons contemplé sa gloire » (Jn 1, 14) et que la gloire c'est la présence de Dieu dans son peuple.

4/ Et surtout le lieu de référence le plus intéressant, c'est le chapitre 19 : le corps de Jésus en croix est le lieu d'où flue le pneuma qu'il remet (v. 30) et d'où fluent l'eau et le sang (v. 34), cette eau-là qui est le sang, et ce sang-là qui est l'eau, parce que ces trois fluides sont appelés « pneuma, eau et sang » en 1Jn 5 dans un passage extrêmement complexe, progressif où les trois sont énumérés avec l'indication qu'ils sont « vers un seul » : ils sont désormais le véritable Éden ou le véritable temple. Le véritable lieu à partir d'où se situe tout cela, c'est Jésus ressuscité, c'est le Pneuma « car auparavant il n'y avait pas de pneuma car Jésus n'avait pas encore été glorifié » (Jn 7). Ce thème est souligné au chapitre 19 parce qu'on insiste sur le fait que le témoin a vu et qu'il témoigne, et que son témoignage est vrai (v.35) car c'est un point essentiel. C'est repris dans le chapitre 20 à propos des traces : de son flanc percé, transfixé, découle la reconnaissance de Jésus pour ce qu'il est, c'est-à-dire précisément la foi. Ceci intervient lors de l'apparition aux disciples rassemblés au soir du premier jour, et c'est également repris, en mêlant un autre thème, dans l'apparition à Thomas.

Voyez ce que je veux faire, c'est détecter un ensemble symbolique avec ses références propres et voir comment tout au long de l'évangile de Jean il émerge. Il faut entendre l'Évangile à partir de cette symbolique fondamentale qui est donc la question de ce qui était rassemblé en Jésus, qui se diffuse et se répand. Répandre est une des caractéristiques fluides du Pneuma, c'est un des verbes fondamentaux du Pneuma, d'autres verbes étant emplir et verser, tous des verbes de fluide qui disent la donation ou la diffusion, sans compter que le verbe donner est fondamental à propos du Pneuma.

b) Le langage de la fluence, de l'énergie.

Nous avions parlé, rappelez-vous, en jouant un peu sur les mots, de typographie, l'écriture du tupos (typos) étant la marque de la transcription[21]. Pour l'hydrographie spirituelle que j'évoque maintenant c'est un peu la même chose. Vous savez, il ne faudrait pas vous étonner outre mesure si vous avez eu l'occasion de parler avec telle ou telle personne qui connaît telle ou telle doctrine orientale ou autre, qui emploie des mots comme les énergies, les influences, les fluences. Cela du reste se retrouve dans le judaïsme biblique sous la dénomination des bénédictions qui étaient toujours plus ou moins dans le langage de la fluence, de la pluie ou de la dérivation des eaux. Vous voyez vers quoi nous allons ici : nous allons vers cette idée qu'être au fait de ce texte suppose de ne pas simplement l'avoir entendu comme une opinion ou une doctrine, mais peut-être se mettre dans un certain rapport avec cette dérivation.

c) Goûter à la parole répandue.

On pourrait s'interroger et se demander en quoi consiste cette dérivation. Je dirai probablement que la dérivation la plus fondamentale, c'est la parole, et singulièrement la parole écrite, d'où l'importance de la graphie dans la situation de Jean. Ce qui est en question dans cette affaire ne vient pas de l'écoute, mais il ne faut pas opposer l'écoute et l'Écriture, car l'Écriture est la Graphê de cette eau-là, d'où l'importance du témoignage au sens johannique du terme : être dans le champ de l'écoute de l'Écriture, c'est tout autre chose que se documenter sur une opinion de jadis. Lire en ce sens-là, c'est être en rapport avec cette source, c'est voir que la volonté du texte est celle-ci. Autrement dit cela fait partie du dit du texte que de goûter à cette eau-là qui est la parole répandue.

d) La dimension de la gestuation.

Mais il y a autre chose également : cette symbolique originelle se donne spontanément dans une gestuation : une gestuation baptismale, une gestuation de repas, une gestuation de l'odeur même, des gestuations diverses. Il y a là une dimension importante qui se dit.

Je viens de parler de repas : cela se trouve même à partir du pain. On sait que si la parole dont je viens de parler est eau (puisque le puits c'est la parole), c'est le pain aussi. Dans l'acte de multiplication des pains, l'idée de multiplication est très importante, le passage de l'un (les 5 pains) aux multiples. Mais plus importants encore sont les 12 paniers de pain qui restent et qu'il ne faut pas laisser de côté, ils sont en plus : là est la présence eucharistique pour toute la lignée de l'Église. Nous mangeons encore de la multiplication des pains. Nous avons là un exemple de dérivation : dérivation de la parole mais aussi dérivation de la gestuation de la parole qui nous arrive sous la forme des sacrements.

e) La météorologie de la grâce.

► Vous avez parlé d'hydrographie à propos des sacrements, cela dans l'optique de parler de la figure sacramentelle de l'Église, mais vous nous avez souvent dit que le don (ou la grâce) n'était pas cantonné à la figure visible de l'Église.

J-M M : Il y a une hydrographie de la grâce, c'est-à-dire qu'il y a des canaux, des fleuves par quoi elle coule et ce sont les sacrements, c'est la lecture, la méditation, la prière. Mais il y a aussi une météorologie de la grâce. Et je prends ici l'adage qui était commun chez les théologiens du XVe siècle et peut-être avant, c'est un mot qui se passait et les adages sont souvent intéressants. « Deus gratiam non alligavit sacramentis (Dieu n'a pas donné l'exclusivité de la grâce aux sacrements) » c'est-à-dire que la grâce se reçoit naturellement par une hydrologie, c'est-à-dire par des canaux, mais il y a aussi des orages, il y a ce que j'appelle la météorologie spirituelle : l'irruption, l'ouragan, la saisie par le pneuma. Il ne faut donc pas cantonner la présence de la grâce aux modes usuels, précieux sans doute, selon lesquels elle nous est accordée (pour parler le langage classique), qui sont les sacrements, les prières…

Le côté éruptif de l'Esprit est connu, il a le son de l'ouragan quand il entre dans le Cénacle. Nous connaissons des conversions fracassantes qui sont sans doute préparées secrètement sans qu'on le sache par un cheminement qui ne s'est pas ouvert à lui-même. Donc il ne faut pas borner la puissance de l'Esprit aux organisations utiles que Dieu a déterminées lui-même, ainsi de l'Eucharistie, c'est Jésus qui la détermine, et c'est de grâce prodigieuse, mais l'Esprit a toute liberté par rapport à cela. Comme il est dit c'est non alligavit : ce n'est pas lié, ce n'est pas une ligature exclusive.

 

IV – Le ternaire « eau, sang, pneuma » en 1 Jn 5, 6-8

 

« 6Il est celui qui vient par eau et sang, Jésus Christos, non pas dans l'eau seulement mais aussi dans l'eau et dans le sang. Et le pneuma est le témoignant, puisque le pneuma est la vérité. 7Car trois sont les témoignants, 8le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont un seul. »

Nous allons nous concentrer sur le ternaire « eau, sang, pneuma (souffle) ».

1°) Comment aborder ici eau, sang et pneuma ?

a) Eau, sang et pneuma comme éléments.

On pourrait dire que ce sont trois éléments, l'eau, le sang, le pneuma (le souffle) – mais dire le souffle ce n'est pas suffisant, il faut garder le terme de pneuma parce que lui-même est récapitulatif. Ces éléments ont en commun d'être des fluides. L'eau abonde (le verbe abonder vient de onde, il désigne l'eau) ; le sang désigne parmi les éléments classiques l'équivalent du feu ; il y a un petit texte du IIe siècle ou j'ai trouvé cela : aima (le sang) hôs (comme) pyr typomenon (marqué de la symbolique du feu) ; le sang est aussi fluide ; enfin le pneuma (souffle).

On pourrait dire que eau, sang et pneuma sont trois éléments. Et cette perspective peut avoir son intérêt à la mesure où les verbes qui concernent le pneuma sont des termes comme verser, emplir qui concernant aussi eau et sang. Le verbe verser : « L'amour de Dieu est versé dans nos cœurs par le Pneuma Sacré (l'Esprit Saint) qui nous a été donné » (Rm 5, 5) ; emplir est lui aussi un terme très important : « Le ciel et la terre sont remplis de ta gloire » (dans le Sanctus, cf Is 6, 3) et la gloire est un autre nom du pneuma. Donc nous sommes dans une symbolique d'éléments liquides (fluides).

b) Dans l'AT les éléments sont rapportés à des événements.

Mais ce n'est pas suffisant de dire cela parce que dans notre texte ces éléments sont lus à partir de l'Ancien Testament et par suite ils sont toujours plus ou moins référés à un épisode. Ceci correspond à ce qu'on appelle couramment l'usage des testimonia. Les premiers chrétiens font des recueils de textes de l'Ancien Testament qui sont groupés autour d'un thème, et par ailleurs ces textes sont puisés de façon disparate dans l'Écriture. Vous avez des listes de choses qui concernent l'eau dans l'Ancien Testament, des choses qui concernent le bois pour la symbolique de la croix, des choses qui concernent la pierre ou le roc, etc. Et à chaque fois ces termes-là se trouvent dans des épisodes. Nous savons que saint Jean connaît cela puisque, à propos de la symbolique de la croix, il évoque l'échelle de Jacob qui était traditionnellement invoquée comme l'échelle verticale qui réunit ciel et terre, de même qu’il a recours à l'élévation du serpent sur la hampe du bois, du serpent qui guérit de la morsure des autres serpents dans un passage du livre des Nombres (Nb 21, 6-9). Donc il connaît un certain nombre de ces testimonia.

Nous allons donc nous poser la question de savoir si ces éléments (eau, sang, pneuma) correspondent à des épisodes de l'Évangile. Autrement dit, s'ils ne sont pas simplement puisés au monde minéral, au monde élémentaire, s'ils sont référenciés à quelque chose qui est récité comme un épisode, ce qui est une structure constitutive de l'Écriture. Ceci est techniquement, pour la lecture, très important.

Donc nous allons nous poser cette question-là. Mais auparavant, nous regardons les versets 6 à 8 de notre texte parce que cela peut ne pas paraître évident.

2°) Le cheminement dans les versets 6-8.

Voyons la marche du texte. Cela prendra toute sa vigueur lorsque nous aurons repéré les lieux référentiels qui sont implicitement évoqués sans être énoncés explicitement.

Verset 6a : l'hendiadys "eau et sang".

Il faut bien faire attention que nous avons d'abord un hendiadys : « il vient par eau et sang ». Qu'est-ce que c'est qu'un hendiadys ? Deux noms pour dire une seule chose : eau et sang désignent la même chose. C'est cette eau-là qui est le sang. Nous savons également qu'il y a un hendiadys avec l'eau et le pneuma ; vous vous rappelez la référence : chapitre 7 à la fête de Soukkot, « 37Dans le dernier jour qui est le grand jour de la fête Jésus se tint debout et cria disant : “Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et qu'il boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein” – et l'exégèse qui est faite par Jean –  39Il dit ceci à propos du pneuma » ; donc eau est un des noms du pneuma, ils sont un.[22]

Le texte poursuit : « non pas dans l'eau seulement, mais dans l'eau et dans le sang » donc ici ils sont deux. Avec cette différence que nous n'avons pas la structure hendiadyque pour la bonne raison que, cette fois, la préposition est répétée et l'article est donné à chacun ; alors que dans « par eau et sang » vous avez une seule préposition pour deux et pas d'article. Ici « dans l'eau et dans le sang ». Ils sont un, ils sont deux ; et nous allons bientôt voir qu'ils sont trois. Alors il faut garder à la fois leur unité et leur différence.

Verset 6 b : le témoignage du pneuma.

« Et le pneuma est l'attestant (le témoignant) » : voilà le mot important qui va gérer la suite du texte : martyrein (témoigner, attester).

En effet l'idée de témoignage chez Jean est méditée à partir d'un mot qui se trouve dans la Torah et qui institue les conditions de gestion des tribunaux selon lequel toute vérité se tient entre le témoignage de deux ou trois. « Un seul témoin ne peut suffire pour convaincre un homme de quelque faute ou délit que ce soit ; quel que soit le délit, c'est au dire de deux ou trois témoins que la cause sera établie. » (Dt 19, 15). On en trouve l’écho dans saint Jean « Et dans votre loi il est écrit que le témoignage de deux hommes est vrai.» (Jn 8). La déposition d'un seul témoin ne suffira pas pour établir la culpabilité d'un homme accusé d'un crime, d'un délit ou d'une faute quelle qu'elle soit ; on ne pourra instruire l'affaire qu'après avoir entendu les déclarations de deux ou de trois témoins.

Versets 7-8 : le témoignage des trois.

Donc l'hendiadys ne suffit plus, il faut qu'ils soient deux témoignants et qu'il y en ait même un troisième pour que la notion de témoignage surgisse dans le texte : « 7Car trois sont les témoignants ». Dans notre texte, il fallait arriver à cela : le pneuma peut se dire tout seul de façon hendiadyque parce que de toute façon il est aussi trois. « Et le pneuma est le témoignant, puisque le Pneuma est la vérité. Car trois sont les témoignants, 8 le pneuma et l'eau et le sang, et les trois sont un. »

3°) Le thème de l'un et des multiples.

Les multiples qui sont "un" est une expression fréquente dans nos Écritures, ça se dit du Père et du Fils : « Le Père et moi – cela fait deux, mais – nous sommes un » (Jn 10, 30).

Les multiples sont multiples, oui, mais il y a le fameux mot de Caïphe[23] : « 49 "Vous ne savez rien, 50ne calculez-vous pas qu'il vous est bon qu'un seul homme meure pour tout le peuple et que toute la nation ne soit pas détruite (ne périsse pas)". 51Il dit cela non pas de lui-même, mais étant grand prêtre de cette année-là, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation, 52mais non pour la nation seulement, mais en sorte que les enfants de Dieu dispersés (ta dieskorpismena : les multiples sous le mode de la déchirure) il les rassemble (synagagê) pour être un. » (Jn 11) donc le rapport des multiples et de l'un est un thème absolument fondamental.

Il ne s’agit pas de curiosités, ce sont des choses qui sont, on peut dire, étranges à notre oreille si nous ne sommes pas habitués à lire ces œuvres-là. Mais ce ne sont pas des choses qu'on note en passant comme étranges, c'est constitutif de cette Écriture, c'est essentiel. Le rapport du Christ et de l'humanité est impliqué dans ce mode de dire, car nous sommes les dieskorpismena (les déchirés), nous sommes une humanité déchirée et les fragments n'ont pas en eux-mêmes de quoi se refaire. Il y a l'intact de cette déchirure qui est le Fils un, qui est, lui, unifiant de la totalité de l'humanité. C'est pourquoi sa mort et sa résurrection ont à voir intimement avec notre mort et notre résurrection. C'est au cœur du mystère christique.

4°) Les épisodes référents pour « eau, sang, pneuma ».

La question maintenant qui reste posée c'est de repérer les lieux, les épisodes correspondants. En effet j'ai dit que ces éléments étaient des épisodes ou se lisaient, étaient assumés à travers un épisode qui était censé leur donner leur sens (leur signification). Quels sont les épisodes où l'on trouve l'eau, le sang et le pneuma (le souffle) dans l'évangile de Jean ? L'eau seule il y en a partout ; l'eau et le vin ayant rapport à eau et sang, il y en a à Cana mais là, il n'y a pas de pneuma nommé. Les lieux récapitulatifs des trois se trouvent, l'un tout à fait au début et l'autre tout à fait à la fin : c'est le baptême de Jésus au premier chapitre ; et c'est la mort du Christ en croix au chapitre 19, mort qui contient en elle la résurrection.

1 – Le Baptême.

  • 1er élément : Le sang.

Cependant vous pourriez me chipoter parce que : où est le sang dans le baptême ? Le sang est dans l'agneau sacrificiel. C'est que nous avons une double attestation. En effet, pour qu'il y ait vérité, il faut deux témoins, deux voix qui parlent. La voix venue du ciel dit « Tu es mon fils », et la voix de la terre est celle du Baptiste, et le Baptiste qui dit, en voyant Jésus passer : « Voici l'Agneau de Dieu qui lève le péché du monde » (Jn 1, 29), et c'est réitéré. Nous verrons qu'à la Croix, le sang est référencié aussi à l'agneau de façon explicite. Pour nous ça peut paraître étrange, mais il faut se placer dans la situation de quelqu'un pour qui ce n'est pas étrange, il faut trouver les présupposés qui rendent cela évident.

Deux témoins : le ciel et la terre, donc deux voix témoignantes car le Baptiste dit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert » (Jn 1, 23), et une voix venue du ciel se fait entendre. Le rapport ciel /terre est constitutif des premiers chapitres de Jean.

Pour que le témoignage soit vrai, il faut que les témoins disent la même chose. Donc « Tu es mon fils » et « Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » disent la même chose, mais pour nous c'est loin d'être évident. Et pourtant c'est cela. Avant même de chercher à apercevoir comment et en quoi cela peut être la même chose, il convient de se rappeler que, pour Jean qui écrit, c'est la même chose puisque les deux voix doivent dire la même chose pour être un témoignage authentique. Là c'est l'unité secrète du mystère christique qui est éparpillé chez nous dans des dogmes, des attestations, de multiples choses, mais qui est une pensée d'une profonde cohérence intime. C'est cela qu'il faut progressivement approcher.

  • 2ème élément : l'eau différente de celle du Baptiste.

Mais l'eau fait problème aussi : où est l'eau dans le Baptême ? Ce n'est pas l'eau du Baptiste puisqu’il dit : « 33Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau celui-là m'a dit : "Celui sur qui tu verras le pneuma descendant et demeurant sur lui, celui-ci est celui qui baptisera dans le pneuma." » (Jn 1). C'est qu'il y a eau et eau. En effet tout l'évangile de Jean est construit comme un partage des eaux[24].

  • 3ème élément : le pneuma.

Nous n'oublions pas qu'au Baptême, le pneuma descend sous forme d'une colombe et repose sur Jésus. Il oint Jésus et donc le manifeste comme Christos, c'est-à-dire comme Messie Roi oint, imprégné, enduit.

2 – La croix.

J'en viens au chapitre 19, l'épisode de la croix.

« 28Après cela, Jésus, sachant que maintenant tout est accompli, dit, pour que l'Écrit s'accomplisse : "J'ai soif". 29Là, un récipient plein de vinaigre. Ils entourent une hysope d'une éponge pleine du vinaigre et la présentent à sa bouche. 30Quand donc Jésus a pris le vinaigre, il dit : "C'est accompli". Inclinant la tête, il livre le pneuma.

Nous trouvons ici d'abord le « J'ai soif » dont nous avons parlé à propos de la Samaritaine. Le thème de la boisson aigre se lit sans doute en référence à une métaphore qui devait être usuelle et qui est l'expression : boire la coupe. On la trouve en réponse à la question posée par les disciples pour savoir s'ils auront part au Royaume. La réponse de Jésus est dans les Synoptiques mais pas chez Jean : « Vous boirez la coupe que je bois et vous serez baptisés du baptême du baptême dont je suis baptisé » (Mc 10, 39). Ce qui est assez intéressant, parce que c'est le langage de l'ordinaire. Sont annoncées ici une plongée et une imbibation, un thème qui préfigure la sacramentalité au sens le plus strict du terme.

L'accomplissement est souligné à chaque fois : dans le « J'ai soif» et dans le breuvage. En effet la mort du Christ n'est pas simplement ponctuelle, elle n'est pas simplement dans l'expiration. Chaque geste du Christ est accomplissement.

« 30Quand il eut pris du vinaigre, Jésus dit "c'est accompli"; inclinant la tête, il livra le pneuma». Il y a d'autres façons de dire : il expira, il rendit l'âme etc. Chez Jean, c'est précisément cette expression : "livrer le pneuma". La donation du pneuma est inscrite dans le moment même de la mort. Ici, c'est à double sens. On peut se contenter de dire : "il livra l'esprit" au sens usuel du terme. Mais les mots que choisit Jean sont indicateurs de quelque chose. Nous savons que nous allons retrouver sang et eau tout à l'heure, mais il y a pneuma, sang et eau. Le verbe livrer est de la racine du verbe donner : parédôkén (il livra) c'est le verbe para-didômi (livrer). Il peut être pris en mauvaise part ou en bonne part dans l'évangile de Jean. "Judas livre Jésus". Mais dans le mot paradosis (transmission, tradition) qui vient de paradidômi, livrer est pris en bonne part, c'est une des variantes dans la donation.

« 31Les Judéens, puisque c'était la Vigile (la Préparation), pour que les corps ne demeurent pas sur la croix pendant le shabbat – car c'était un grand jour que ce shabbat-là, demandèrent à Pilate de leur briser les jambes et de les enlever (les corps). 32Les soldats vinrent donc ; ils brisèrent les jambes du premier, puis de l'autre qui avait été crucifié en même temps que lui (Jésus). 33Venant vers Jésus, comme ils virent qu'il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes. 34Mais un des soldats, de sa lance, perça (pointa, ouvrit, transfixa, transperça, piqua) le côté. Et sortit aussitôt sang et eauIci, nous avons donc un hendiadys "sang et eau", c'est-à-dire deux mots pour une seule chose. Ce qui sort, c'est du sang, et ce sang est assimilé à l'eau de la vie. Ce ne sont pas deux choses au point où nous en sommes35Celui qui a vu a témoigné, et son témoignage est vrai. La thématique du témoignage vient en rapport ici avec la thématique de l'eau et du sang – Et celui-ci sait qu'il dit vrai afin que vous aussi vous croyiez.

36Ces choses arrivèrent, afin que soit accomplie l'Écriture : "Pas un os ne lui sera brisé" –  La citation de Ex 12, 46 fait allusion à la recette de cuisine de l'agneau pascal : il ne faut pas rompre les os de l'agneau pascal. Donc la référence à l'agneau que nous avons trouvée dans « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché du monde » se trouve à nouveau ici dans cet ensemble.  – 37Et une autre Écriture dit encore : " Ils regarderont celui qu'ils ont transpercé. » C'est la transfixion comme telle, et le pneuma est déjà là : « Inclinant la tête, il (Jésus) livra le pneuma. » Les Synoptiques disent « Il rendit sa psychê » c'est-à-dire « il rendit l'âme », mais à dessein Jean emploie le terme de pneuma avec le verbe paradidomi dans lequel il y a le verbe donner : paredôken (il livra).

Donc pneuma, sang et eau, ces éléments sont rassemblés ici de façon intentionnelle.

5) Relecture des versets 5-6 de 1 Jn 5.

Alors pour ramasser cela, nous revenons à notre texte.

« 5Quel est celui qui vainc le monde sinon celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu. » Le thème de la victoire : « Croire que Jésus… » c'est vaincre le monde. Ce qui vainc ce monde-ci qui est régi par la mort et le meurtre, c'est la résurrection. Celui qui croit, croit à la résurrection ; mais croire à la résurrection ce n'est pas avoir une opinion sur la résurrection, c'est ressusciter soi-même, la parole de Dieu étant, nous le disons encore une fois, une parole œuvrante, donc une parole donnante.

 « 6Il est Celui qui vient par eau et sang. » "Eau et sang" est un hendiadys que nous avons trouvé explicitement dans l'épisode de la mort sur la croix.

La mort sur la croix, c'est la résurrection du Christ. Jean ne considère jamais un épisode comme un fragment de l'Évangile. Chaque épisode, s'il est lu au profond de lui-même, recèle la totalité de l'Évangile[25]. La mort n'est pas une anecdote qui sera suivie ensuite heureusement par une bienveillance du Père qui se décide enfin et qui se dit : « Tiens, je vais le ressusciter ». Pas du tout. La résurrection est dans la mort du Christ, c'est-à-dire que son mode même de mourir fait que sa mort n'est pas une mort pour la mort, mais une mort qui manifeste la vie.

Prière pour la bénédiction de l'eau baptismale pendant la veillée pascale

Par ta puissance invisible, Seigneur,
tu accomplis des merveilles dans tes sacrements,
et au cours de l'histoire du salut,
Tu t'es servi de l'eau, ta créature,
pour nous faire connaître la grâce du baptême:
Dès les commencements du monde,
c'est ton Esprit qui planait sur les eaux
pour qu'elles reçoivent en germe
la force qui sanctifie.
Par les flots du déluge,
tu annonçais le baptême qui fait revivre,
puisque l'eau y préfigurait également
la mort du péché et la naissance de toute justice.
Aux enfants d'Abraham,
tu as fait passer la mer Rouge à pied sec
pour que la race libérée de la servitude
préfigure le peuple des baptisés.
Ton Fils bien-aimé,
baptisé par Jean dans les eaux du Jourdain,
a reçu l'onction de l'Esprit Saint.
Lorsqu'il était en croix,
de son côté ouvert
il laissa couler du sang et de l'eau;
et quand il fut ressuscité, il dit à ses disciples:
«Allez, enseignez toutes les nations,
et baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit».
Maintenant, Seigneur, regarde avec amour ton Église
et fais jaillir en elle la source du baptême.
Que l'Esprit Saint donne, par cette eau, la grâce du Christ
afin que l'homme, créé à ta ressemblance,
y soit lavé par le baptême
des souillures qui déforment cette image,
et renaisse de l'eau et de l'Esprit
pour la vie nouvelle d'enfant de Dieu.

Daigne bénir cette eau.
Tu l'as créée pour féconder la terre
et donner à nos corps fraîcheur et pureté.
Tu en as fait aussi l'instrument de ta miséricorde:
par elle tu as libéré ton peuple de la servitude
et tu as étanché sa soif dans le désert;
par elle les prophètes ont annoncé la nouvelle Alliance
que tu voulais sceller avec les hommes;
par elle enfin,
eau sanctifiée quand Jésus fut baptisé au Jourdain,
tu as renouvelé notre nature pécheresse
dans le bain de la nouvelle naissance.
Que cette eau, maintenant,
nous rappelle notre baptême,
et nous fasse participer à la joie de nos frères
les baptisés de Pâques.


[1] Extrait de la session Jean 6, Pain et parole : Chapitre 3 : v. 14-29, Deux épisodes maritimes.

[2] Vestigium, ii, n. : plante du pied, empreinte de pas ; trace ; vestige (dictionnaire Gaffiot).

[3] Cinq directions essentielles du symbolisme de l'eau sont connues : 1/ celle de l'eau germinale et fécondante, 2-3/ celle de l'eau médicinale,  source miraculeuse ou boisson d'éternité, 4/ celle de l'eau lustrale, celle enfin de l'eau diluviale permettant la purification et la régénération du genre humain. (F Manns, http://www.interbible.org/interBible/ecritures/symboles/2010/sym_100423.html)

[4] Voir aussi IV 1 b : Dans l'Ancien Testament les éléments sont rapportés à des événements.

[5] Le pain est une autre symbolique de la parole, comme on le voit en rapprochant deux chapitres : en Jn 4, 13-14 Jésus dit à la Samaritaine « Tout homme qui boit de cette eau (la tienne) aura soif à nouveau, celui qui boira de l'eau que je donnerai n'aura plus jamais soif". » thème qui est repris littéralement avec la réplique au v. 15: « Donne-nous toujours de cette eau ». Et dans le chapitre 6 on a ça à propos du pain (et c'est un parallèle important à retenir) : « Donne-nous toujours de ce pain ».

« C'est un indice pour la symbolique commune, la parole constituant la symbolique soit pour l'eau, soit pour le pain. D'une manière étrange, cette formule se trouve dans la littérature sapientielle sous la forme inversée, c'est-à-dire qu'il est bon d'avoir toujours soif, que la soif soit constamment relancée. Chez Jean : « Il n'aura plus jamais soif ». Or, c'est la même chose dans l'inversion même : ici, l'avoir encore soif est dit négativement, de l'inextinguible par opposition à la plénitude, et dans l'autre texte, la plénitude consiste dans le perpétuel rejaillissement de la soif. Ce glissement est intéressant. C'est une petite énigme ! » (J-M Martin).

[6] Par exemple « Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes voies sont élevées au-dessus de vos voies, et mes pensées au-dessus de vos pensées. Comme la pluie et la neige descendent des cieux, et n'y retournent pas sans avoir arrosé, fécondé la terre, et fait germer les plantes, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui mange, ainsi en est-il de ma parole, qui sort de ma bouche: elle ne retourne point à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli mes desseins » (Isaïe 55, 9-11).

[7] « L'eau germinale et fécondante s'explique par le fait qu'une des premières expériences de l'humanité est d'établir le lien entre la pluie et la croissance de la végétation. L'eau tombe du ciel, féconde la terre après l’avoir purifiée. Il en est de même de la Parole de Dieu qui vient du ciel, purifie et féconde, affirme le midrash Cantiques Rabbah. Ce commentaire juif rappelle que l'eau est conservée dans des jarres de terre et non pas dans des vases en or ou en argent, ce qui signifie que la Parole de Dieu demeure chez celui qui est humble, qui sait qu'il est fait de terre et qu'il retournera à la terre. » (F Manns, Interbible.org).

[8] Dans cette partie plusieurs extraits d'une session sur les Noces de Cana qui a eu lieu à Versailles, dont la transcription paraîtra un jour sur le blog.

[9] Frédéric Manns dit la même chose dans L'évangile de Jean et la sagesse (Franciscan Printing Press 2003)  p. 55, et dans la note 49 il dit : « On précise au verset 6 qu'il s'agit de jarres de pierre. Les Synoptiques parlent d'outres que le vin nouveau fait éclater (Mc 2, 22) : autre manière de signaler l'imperfection, sans recourir à la symbolique des nombres. »

[12] Voir le I de ce message et, de façon plus complète la session sur Jean 6, Pain et parole : Chapitre 3 : v. 14-29, Deux épisodes maritimes..

[13] Voir le III de ce message, et de façon plus complète Jn 7, 37-39 : fleuves d'eau vive.

[16] « Le mot de Sophia (Sagesse) est un mot très important dans l'évolution de la première christologie. La sagesse dit précisément une pensée qui précède d'une certaine façon la parole. Là je fais allusion, non plus strictement à l'Écriture, mais aux premiers tâtonnements des IIe – IIIe siècles pour dire le rapport entre Dieu et la parole. »

«  La sophia, et même la philosophie, sont quelque chose qui précède l'homme. Occasion de dire que, dans cette perspective, la parole (ou la sagesse) n'est pas du tout pensée premièrement comme une éventuelle activité humaine où l'individu prend l'initiative de parler, c'est-à-dire où il a une pensée, la code dans un langage et la transmet à l'interlocuteur qui décode etc. Ici, la région de la parole précède la région de ce que nous appelons le monde. Et c'est seulement à partir de cela et dans un troisième temps que le monde est constitué. » (J-M Martin, deux extraits des rencontres sur le Je christique  en 2001-2002).

[18] Sur le Dieu créateur de l'Ancient Testament distingué du Dieu du Christ, lire la dernière partie de Dieu est "créateur du ciel et de la terre", qu'est-ce que ça veut dire ? La première pensée chrétienne sur le démiurge.

[19] Ceci vient d'une session sur La Symbolique des éléments.

[20]  « Un fleuve sort de l'Éden pour abreuver le jardin. De là, il se sépare : il est en quatre têtes. » (Gn 2, 10). « Puis l’ange me montra le fleuve de Vie, limpide comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau. Au milieu de la place, de part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de vie qui fructifient douze fois, une fois chaque mois : et leurs feuilles peuvent guérir les nations. » (Ap 22,1-2).

[21] Voici un extrait de ce que J-M Martin disait à ce propos. « Permettez-moi de mettre en rapport les marques sur le corps du Christ et les marques de l'écriture qui s'appellent tous les deux tupos (typos) (mot qui a été largement prononcé ici) et puis le verbe grapheïn (écrire) pour dire que nous avons ici une divine typographie. C'est un joli jeu de mots parce qu'en plus il peut se défendre. Le livre de saint Jean est littéralement la typographie de la présence. Ce que je veux dire par là, c'est qu'il s'écrit quelque chose sur le corps, et ce qui reste du corps c'est justement l'Écriture. Il y a un champ profond de possibilités symboliques qui nous inviteraient à repenser l'Écriture comme présence de l'Absent, à penser au « corps de l'Écriture » et à penser aussi à ce qu'il en est de la Résurrection.»

[22] Voir le message Jn 7, 37-39 : fleuves d'eau vive dans le tag "saint Jean" du blog.

[24] Voir le partage des eaux en II c.

[25] Il ne faut pas nous hâter de distribuer les mots eau, sang, pneuma que nous trouvons en 1 Jn 5 de façon étanche par rapport à tel ou tel épisode de la vie du Christ : le baptême, la croix etc. Ces mots disent la résurrection, mais ils ne la disent pas comme un épisode, ils la disent comme la venue de Jésus aux siens, c'est-à-dire qu'ils disent simultanément la résurrection et son recueil. En effet tout ce passage de 1 Jn 5 est dans un contexte de pistis (foi) d'après le verset 5 qui introduit le passage concernant ces trois qui sont l'eau, le sang et le pneuma (v.6-8). Ce qui est en question ici, c'est la foi comme victoire, c'est-à-dire la venue de Jésus aux siens. Ce qui est en question c'est le venir, et le venir par moyen d'eau, sang, pneuma. Il est bien question ici à la fois de la parole entendue, du baptême, de l'Eucharistie, mais non pas comme des choses disjointes et telles qu'il faudrait attribuer telle pièce du ternaire à tel sacrement, mais telles en revanche que chacun de ces symboles dans son unité profonde dit la totalité de la présence du Christ aux croyants maintenant. [ … ] Nous retrouvons là le langage de l'évangile de Jean : l'eau à boire, le sang qui coule, le pneuma parlant, ou la parole qui s'entend, comme aussi bien ailleurs le pain qui se mange désignent le "venir du Christ", disent des noms de sa réelle présence de Ressuscité. (Extrait du cours à L'institut Catholique en 1979-80).

 

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