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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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10 mai 2015

Méditation sur « Au commencement était la Parole... » Jn 1, 1. Etude des mots Arkhê et Logos en grec, hébreu, latin, français

Comment entendre le tout début de l'évangile de Jean ? Déjà les traductions varient d'une Bible à l'autre : « Au commencement était le Verbe » (TOB) ; « Au commencement était la Parole » (Louis Segond) ; « Entête, lui, le logos » (Chouraqui).

Lors de la session qu'il a animée sur le Prologue de l'évangile de Jean, c'est l'avant-dernier jour que Jean-Marie Martin a médité les cinq premiers versets. À propos du début du premier verset il est revenu au texte originel grec (« En arkhêi ên ho logos »), s'est penché sur le mot arkhê en remontant même à l'hébreu et en allant jusqu'au latin, il s'est interrogé sur ce que peut signifier le mot parole dans ce contexte ; et le dernier jour il s'est penché sur le mot logos. Voici des extraits de cette session[1] avec quelques changements.

Dans ce qui suit certains passages sont assez techniques, mais d'autres sont proches de la vie !

 

Jean 1, 1

Arkhê et Logos

 

I – Dans l'arkhê était la Parole

 

 

Croix dans le ciel étoilé, Le mausolée (ou le baptistère) de Galla Placidia à Ravenne

1) « En arkhêi ên ho logos » (Jn 1, 1a).

« Dans le commencement était la Parole » : ça a lieu où et quand ? D'après la façon que nous avons eue de procéder jusqu'ici, il y a une réponse possible : ça a lieu dans la parole, et nulle part ailleurs, ça a lieu même dans une parole que nous avons d'emblée repérée comme étant le début de la Genèse : « 1Au commencement Dieu fit ciel et terre…. 3Dieu dit : “Que la lumière soit” et la lumière fut. »

Il va sans dire que la réponse peut paraître décevante si nous gardons le sens usuel du mot de parole auquel nous sommes accoutumés, parce que la parole n'a pas la réputation d'être un lieu. Or précisément la parole dont il sera question ici, qui est à la fois ce qui est crypté dans la Genèse et ce qui en est lisible à partir de l'expérience de résurrection, c'est ce qui a le plus lieu, et en outre ce qui donne lieu à tout. C'est donc l'éminemment habitable.

Nous avions mis en rapport trois textes :

« 1Dans l'arkhê Dieu fit ciel et terre…. 3Dieu dit : “Que la lumière soit”, et la lumière fut. » (Gn 1)[2] 

« 1Dans l'arkhê était le Logos (la Parole), et le Logos était vers Dieu, et le Logos était Dieu. 2Celui-ci était dans l'arkhê auprès de Dieu (pros ton Théon). 3La totalité fut par lui, et en dehors de lui fut rien. 4Ce qui fut en lui était vie, et la vie était la lumière des hommes. 5La lumière luit dans la ténèbre, mais la ténèbre ne l'a pas détenue. » (Jn 1).

« 1Ce qui était dès l’arkhê, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, et que nos mains ont touché au sujet du logos (de la parole) de la vie2 nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père (pros ton Patera)…5 Dieu est lumière, en lui point de ténèbre » (1 Jn 1).

 

Arkhê parole Gn 1, Jn 1, 1 Jn 1

a) La parole est un lieu.

Que la parole soit un lieu, d'autres déjà l'ont pensé, peut-être même le lieu des lieux. Je pense en particulier à Heidegger puisqu'il médite la parole de Hölderlin : « L'homme habite en poète »[3]. La parole poétique est ce qui fonde toute habitation.

b) La parole comme fondement à divers niveaux.

Un jour j'avais donné une homélie lors d'un mariage de jeunes qui avaient choisi pour texte, comme il est très courant, le passage de saint Matthieu où il s'agit de la maison solidement construite sur le roc. Il est intéressant de remarquer que ce qui fait la solidité de la maison, c'est d'être construite sur la parole entendue, effectivement entendue : « celui qui entend cette parole est semblable à celui qui a construit sa maison sur le roc. »[4] Une parole est en effet le fondement, l'inauguration d'un couple. Il s'agit de cette maison au sens ancien du français qui appelait une famille "une maison". Autrement dit la fondation est verbale.

"La fondation est verbale" c'est une façon de traduire « Au commencement était le Logos (le Verbe). » C'est-à-dire que, fort de cette expérience qu'une parole de dialogue fonde l'espace de relation, les anciens entendaient qu'une parole de dialogue fonde le monde. Et quand on connaît le caractère vraiment très soluble de nos paroles, on comprend que le vœu d'indissolubilité ait cherché à s'abriter sous la parole, la parole constituante, la parole fondatrice de toutes choses, le Verbe.

C'est curieux, ce qui pour nous est le plus fluant, le plus labile, le plus éventuel, le plus maigre, la parole, c'est ce qui, pour les anciens est posé, paradoxalement, comme constituant la fondation de toutes choses.

 

2) Notre posture devant le texte.

Au départ nous avons bien posé la question dont nous avons dit qu'elle était essentielle, à savoir la question « Où ? » : « Où cela a-t-il lieu ? » Or s'il s'agit d'un "où" incirconscriptible, indépréhensible. Cela explique que la question « Où ? »  n'est pas une question qui vit (ou se renouvelle) par une réponse, mais une question qui vit d'être relancée comme question.

Du reste la question qui ne cesse d'être question c'est, pour saint Jean, la demande, qui met en rapport à la donation de ce qu'il y a (es gibt, ça donne). Le verbe avoir est ici suréminent par rapport au verbe être, contrairement à ce qui se raconte partout. La demande est la fine pointe de la prière, contrairement aussi à ce qui se dit. Et la demande (ou la prière) est probablement la fine pointe de la parole.

Nous avons ici l'indication d'un lieu qui demeure une question, et donc l'indication d'une posture, la posture de prière : de zêtêsis (de recherche), de question (érotaô) et enfin de aïtêsis (de prière) [5]. Voilà comment il faut habiter l'espace qui s'ouvre ici.

Nous avons donc essayé de répondre à la question « Où cela a-t-il lieu ? ». Nous y avons répondu d'une manière étonnante ! En effet nous n'avons pas déterminé le lieu géographique ni le temps chronologique de ce qui est en question ici, puisque qu'aucune réponse géographique ni aucune réponse chronologique ne peut répondre à cette question. Nous avons déterminé cela comme la parole, une parole. Et précisément le texte parle de la parole et de cette parole-là, cette parole qui donne lieu, la parole qui donne qu'il y ait lieu.

Lorsqu'au début de notre recherche, en lisant le Prologue, nous avons trouvé la figure de la Transfiguration[6], nous avons déterminé cette parole comme appartenant au témoignage, en tant qu'elle est parole de l'Écriture. L'Écriture est appelée en témoignage, témoignage d'une venue, de l'événement que nous avons rencontré notamment dans le verset 14. Il est important d'avoir reconnu ce site de la parole qui est là, plutôt que de rêver l'imaginaire des pseudo-éternités, qui n'est ni moins ni plus débile que l'imaginaire de la pseudo-temporalité.

Le mot arkhê (commencement)  nous invite à penser le temps en rapport à l'éternité, et c'est l'œuvre la plus difficile qui se puisse entreprendre.

C'était donc pour le site et notre posture devant le texte.

 

3) Arkhê et les dénominations du Christ[7].

Nous allons voir que le mot arkhê, en tant qu'il est puisé au livre de la Genèse, en tant qu'il est repris dans notre texte, est repris comme une dénomination du Christ : il est arkhê. Nous verrons que arkhê n'est pas un mot circonstanciel de commencement. De même logos est puisé au livre de la Genèse, et il est une des dénominations du Christ, il ne dit pas le propre et l'ultime.

Le mot "Dieu" lui-même est pris dans un double sens à la mesure où le logos est vers Dieu, mais aussi où il est Dieu : donc Dieu est aussi une dénomination de cela. De même vie, lumière…

Voilà des mots qu'il faudrait examiner. Qu'est-ce que nous pouvons dire de leur statut ? Tous ces mots sont des aspects de cela que nous ne pouvons dire. Autrement dit ces mots sont des seuils, ils sont pour nous des entrées, des pas de porte de là où nous visons.

En fait ce qui est en question, c'est le "Je christique", mais nous ne savons pas ce qu'il est, puisque ce n'est surtout pas "je" au sens psychologique et usuel du terme.

Ce sont les « Je suis » : « Je suis la porte », « Je suis le pain », « Je suis la vie », « Je suis la lumière »… Ce sont des dénominations, donc des entrées vers, des pas de porte. Et justement il y a « Je suis la porte ».

Je ne dis rien de plus là-dessus pour préparer à la fois notre geste d'y aller, notre posture et notre allure, et ce qu'on peut dire de là où nous allons.

► On met une majuscule à Verbe (Parole) en français et ça influence notre lecture, mais en grec ça n'existe pas. Est-ce important ?

J-M M : Bien sûr que non. La question peut être répondue par vous. Vous pouvez répondre à : « Qu'est-ce que je fais quand je mets une majuscule ? » Réponse : Je retire un mot de son sens usuel pour lui attribuer une autre fonction, mais quelle fonction ? La fonction d'être un mot susceptible d'être pris comme seuil pour dire cela que nous disons.

► Donc on peut mettre aussi une minuscule ?

J-M M : Ça va de soi, évidemment.

 

4) Arkhê et ses traductions.

Le premier mot de la Genèse est bereshit en hébreu, et c'est le mot qui est en général traduit par "en arkhêi"[8] en grec. Nous allons voir successivement : la signification de bereshit, puis la signification même de arkhê, ensuite les traductions latines parce que tous ces mots-là essaient de garder quelque chose des aspects de bereshit.

a) À partir de l'hébreu bereshit : בְּרֵאשִׁית  

L'expression "en arkhêi" est donc ce qui traduit ici le mot hébreu bereshit[9]. Ce mot bereshit donne lieu dans la littérature rabbinique à des méditations indéfinies. Il est ce sur quoi se fixe la méditation, il est le lieu de la méditation. Et ce n'est pas simplement le mot bereshit, mais même déjà la première lettre bet[10] qui désigne la maison, c'est pourquoi je peux dire que c'est le lieu de méditation. Et ce n'est pas seulement la lettre bet, mais, même le point diacritique que les massorètes ont introduit dans le bet pour l'écriture, est un lieu de méditations indéfinies. Nous verrons que ce mot-là est aussi une des sources de méditation majeure de saint Paul et de saint Jean.

  • Be (בְּ) désigne la proposition "dans" qui convient très bien pour dire l'habitation ;
  • reshit signifie commencement, mais la racine de ce mot est rosh qui signifie tête.

Nous avons une sorte d'équivalent de cela dans la langue française : on retrouve le mot commencement par exemple dans « en tête de la procession venait la bannière » ; mais le mot tête existe aussi dans une autre expression française : « être à la tête de » c'est-à-dire régir, diriger. Ce double sens est implicitement dans le mot bereshit, il sera développé dans le mot grec arkhê, nous allons le voir, et il y a trace de cela dans le mot français tête.

Je ne sais pas si vous connaissez le titre qu'André Chouraqui donne pour la Genèse : « Entête »[11]. Comme à la mode hébraïque il intitule les différents livres de la Bible par le premier mot. En latin on fait ça pour les encycliques également. Donc "en tête" peut s'écrire en deux mots ou en un seul mot parce que c'est précisément l'entête.

Irénée vit à la fin du IIe siècle, et dans un opuscule qu'il a écrit mais que nous ne possédons qu'en arménien, nous trouvons ceci : « Certains disent que le mot bereshit signifie commencement, tête et fils. »

Comment faut-il comprendre ce mot fils ? Est-ce parce que bara (qu'on traduit par créer) en syriaque est l'équivalent de ben qui signifie fils, ou est-ce pour une autre raison ? Est-ce parce qu'implicitement le commencement est ce qui vient en tête, puisque lors de la naissance c'est la tête qui vient normalement la première, les naissances par le siège sont plus difficiles ? Est-ce qu'il y a l'idée de fils dans l'idée de premier-né ? En effet les anciens ne font pas de distinction entre faire et engendrer, donc les prôtoktistês (les premiers créés) sont plus ou moins considérées comme les premiers engendrés, et le mot fils viendrait de là.  Je ne peux pas en dire plus[12].

b) À partir du grec arkhê[13] 

Le grec arkhê est un mot qui n'a pas d'équivalent dans notre langue, et il faut juxtaposer au moins deux mots pour pouvoir faire entendre ce que serait l'unité de ces deux mots.

Tertullien, un auteur du début du IIIe siècle, dans son commentaire sur ce texte, dit : « pour dire initium (commencement) – il a écrit en latin mais il connaît le grec, seulement ses traités grecs sont perdus – les Grecs ont le mot arkhê qui dit à la fois commencement et commandement. »[14] Nous trouvons ici le premier sens, commencement (l'en tête), et le deuxième sens : « être à la tête de ».

Nous pouvons éprouver dans notre langue même cette double signification du mot arkhê (archê) en cherchant les mots français issus directement du grec, à la racine desquels il se trouve. Il y a deux catégories de mots : la première catégorie, qui garde l'idée de commencement, se trouve dans le mot archéologie ; dans l'autre série se trouvent des mots comme monarchie, hiérarchie, archevêque, archiprêtre où arkhê garde l'idée de commandement ou de ce qui est à la tête, de ce qui régit. Le mot arkhê a indissolublement ces deux sens-là.

Je pourrais citer aussi un mot grec, fabriqué sur arkhê, le mot aparkhê qui signifie prémices[15]. Les prémices ont pour signification d'être les premiers fruits de la récolte ou les premiers-nés du troupeau, mais leur consécration ou leur sacrifice a pour effet de rejaillir en bénédiction sur toute la récolte, toute la masse, tout le troupeau. Il y a ici l'idée que le premier n'est pas simplement un parmi d'autres qui se trouve par hasard être le premier, mais qu'il a la signification ou la charge ou la direction ou la régie pour l'ensemble ; c'est un premier qualifié et non pas simplement un premier numéral. Il ne s'agit pas simplement d'une priorité mais d'une primauté.

c) À partir du latin.

Tapisserie de la création, Gérone, Espagne, XIIeEn latin il y a le mot initium, mais il se laisse plutôt traduire par "le début". Tertullien, dans son recensement, le rejette en premier.

Le mot que retient la Vulgate et sur lequel nous allons méditer c'est principium, car "en arkhêi" est traduit par in principio[16]. Nous avons dans l'histoire du mot principium un beau lieu pour examiner l'éclatement en sens divers de ce qui est tenu en unité dans ce mot originel. Le mot principium garde la signification de commencement, mais il a deux autres usages :

– il a à voir avec le prince, c'est-à-dire avec ce qui régit.

– il a à voir en outre avec ce qui fonde, et ceci dans deux directions : il est ce qui fonde dans le sens de ce qui est la cause, ceci dans le domaine de la physique (dans le sens ancien du terme phusis) ; et il est ce qui fonde un raisonnement, à savoir les principes premiers du raisonnement, ceci dans le domaine de la logique ; c'est donc un principe au sens logique du terme.

d) Apparition de l'idée de cause.

On vient de voir que le mot principe pouvait aller du côté de la cause. Le mot arkhê lui-même va aller de ce côté. Cette confusion entre l'idée de commencement et l'idée de cause a déjà lieu dans le grec. Aristote est le premier qui dise : « arkhê estin aïtia (arkhê c'est-à-dire cause). » Or arkhê signifie tout autre chose que cause originellement, mais son sens commence à être réduit dans cette direction.

Autrement dit, le mot arkhê commence à prendre deux sens : le sens de commencement et celui de cause. Il faut penser d'ailleurs que, dès l'origine, le passage est assez facile. En effet aïtia, qui signifie cause chez Aristote, va devenir ce que nous appelons banalement une cause, mais à l'origine aïtia signifie « ce qui répond de quelque chose, ce qui est responsable  de quelque chose ». Le mot cause a d'ailleurs un sens juridique en latin : « répondre de ». Il est vrai d'ailleurs que l'arkhê,  la prémice répond de la totalité.

► Dans le mot fonder est-ce qu'il n'y a pas la notion de s'appuyer ?

J-M M : Vous avez raison, mais on pourrait le dire d'autres mots : origine, ce qui surgit… et quand les Allemands disent grund soit pour dire la cause soit pour dire le principe logique, il s'agit du fondement. Donc il y a des choses de ce genre qui s'appartiennent.

e) Reprise générale du mot arkhê.

Christ Pantocrator, dome du Saint Sépulcre, JerusalemSi je fais ce catalogue ce n'est pas simplement pour que nous en restions à une énumération historique qui peut être considérée comme de la pure information, mais c'est pour nous faire percevoir que arkhê ne peut pas signifier simplement le début au sens temporel du terme. Le mot en question, aussi bien en hébreu qu'en grec et en latin, et même en français où il ne fait que décalquer le latin, conserve une sorte de double sens essentiel qui se trouve être rapidement disjoint, à savoir le sens temporel et le sens de ce qui régit, parce que d'une certaine façon la cause régit, "elle répond de" et "elle régit".

Je vais en retirer, comme étant l'essentiel, l'écartement qui se fait entre un usage temporel et un usage dans le champ de la causalité, du règne, de l'intelligibilité. Cette distinction-là est faite sous la pression de la distinction platonicienne du sensible et de l'intelligible : la temporalité est mise au rang des choses mutables, aperçues par les sens purement sensibles, alors que le principe de raison, la cause sont de l'ordre de l'intelligible. Cela donne une rupture tout à fait caractéristique.

Ce qu'il faut donc, pour entendre arkhê ici, c'est, pour autant qu'il est possible, régresser en amont de tous ces sens pour essayer d'entendre quelque chose qui n'a pas encore distingué le sensible et l'intelligible, et quelque chose qui dit simultanément l'ouverture et le règne.

De façon tout à fait pratique, et c'est sans doute ce qu'il vous faudra retenir, la différence entre, d'une part ce que nous appelons le commencement (ou le début) et, d'autre part le mot arkhê est celle-ci : le début ouvre quelque chose puis disparaît, après ce n'est plus le début ; alors que l'arkhê ouvre quelque chose et continue à régir, fut-ce secrètement, ce qui est ainsi ouvert.

Donc l'arkhê ouvre et tient, fût-ce secrètement, et maintient ce qui a été ainsi ouvert. L'arkhê ne disparaît pas, le début disparaît. Pour autant qu'on puisse essayer de l'énoncer puisqu'il s'agit de recourir à un concept qui est absent de notre pensée, l'essence de la différence se tient ici.

Par parenthèse le choix du mot de règne (ou de régir) est très important parce que nous n'oublions pas que la question majeure de l'Évangile c'est « Qui règne ? ». Le mot du Credo que nous traduisons par tout-puissant c'est le mot pantocrator (celui qui règne).

C'était un fragment d'information, à vous d'en faire un lieu de méditation.

 

II – Lecture christologique

 

Ce que j'ai fait jusque-là était fragmentaire, et, fort de ces fragments, je vais donc tenter une lecture continue de ces quelques versets, c'est-à-dire essayer de les tenir ensemble et voir, parmi les significations possibles, celles qui se précisent et se déterminent par la marche même du texte.

« 1Dans l'arkhê était le logos » "être dans" chez saint Jean est généralement l'équivalent de notre verbe être. Donc le premier titre c'est arkhê ; ce n'est pas une proposition circonstancielle. L'arkhê c'est ce qui règne du plus originaire. Ici originaire a une signification temporelle, ce n'est pas l'origine au sens du début…

Par exemple il y a un problème qui vient à la mode au XVIIIe siècle : « de l'origine des langues, de l'origine de l'inégalité, de l'origine de la musique… », c'est Rousseau… ; ensuite au XIXe siècle on a « de l'origine des espèces ». C'est le récit du "surgissement" et du "comment" du développement de quelque chose. Origine, pour nous ici, ce n'est pas cela, origine n'est pas le début nous l'avons dit. Ce que je dis est négatif par rapport à la question du temps, mais écarter des méprises c'est déjà faire un pas.

Donc ce qui règne, ce qui tient et maintient la totalité a le trait de la parole, c'est de toujours un logos. Et nous verrons que le logos est déjà dialogos. En effet « le logos était vers Dieu ».

 « Vers Dieu » L'essence de la parole n'est pas de raconter des choses mais de "se tourner vers" et d'instaurer une plus grande unité que ce que nous considérons comme solité (ou solitude). On peut aussi traduire « le logos était auprès de Dieu ». Auprès est un mot magnifique qui dit la proximité. Ici on a pros avec l'accusatif, ce qui indique un aspect directionnel, une adresse. L'essentiel de la parole c'est de s'adresser, c'est de se tourner vers. L'essentiel de la parole c'est d'ouvrir la bouche : « Il ouvrit la bouche et dit »[17], un peu comme lorsque je dis « je prends la plume et je vous écris ». D'ailleurs la lettre aleph en hébreu n'est rien d'autre que l'ouverture de la bouche[18].

C'est le moment de l'adresse, car être auprès c'est toujours venir. Le leitmotiv du Christ tout au long de l'évangile de Jean c'est « Je vais vers le Père ». Ce n'est pas une chose qu'il fait de temps en temps ou qu'il ne fait qu'une fois, c'est son être même.

« Vers Dieu » : Dieu c'est un nom comme un autre, c'est un nom qui a, parce que précisément il n'est pas entendu, une capacité de dire l'insu et le silence.

L'essence de la parole est le silence. Autrement dit c'est l'écoute. Ce qui empêche l'écoute c'est d'être plein. L'écoute est un vide, c'est l'acte de se vider. Nous n'écoutons jamais. Nous évitons d'écouter car écouter vraiment c'est mortel, ou alors c'est pascal, c'est-à-dire que c'est la mort christique.

► Écouter vraiment, c'est la bonne mort ou c'est la mauvaise mort ?

J-M M : C'est la bonne mort bien sûr. Mais comme nous ne distinguons pas la bonne mort et la mauvaise mort, nous évitons d'écouter.

« Et le logos était Dieu. » Cela signifie qu'on entend à partir d'où l'on parle et que seul Dieu parle à Dieu. Seul le silence est parole pour la parole essentielle. C'est-à-dire que nous n'avons quelque chance de parler à Dieu que pour autant que notre parole n'est pas notre parole, mais la parole du logos en nous. Le Christ est le substantiel Notre-Père (la prière du Notre-Père). Ce qui le constitue c'est d'être parole qui dit : « Père ». Il est cela. C'est en lui que nous pouvons parler à Dieu.

« 2Celui-ci était dans l'arkhê auprès de Dieu. »

(…)[19]

 

2) Le logos, la parole.

a) Qu'est-ce que cette parole ?

► Est-ce qu'on peut dire que le début de la Genèse et le Prologue ne sont pas pareils mais qu'ils sont le même ? Par exemple je ne vois pas la volonté de Dieu en premier dans le Prologue, alors que dans le début de la Genèse lorsqu'il y a : « Dieu dit », je trouve qu'il manifeste sa volonté.

J-M M : Qu'est-ce que c'est que le logos (la parole), sinon « Dieu dit ».

► Mais Dieu est silence.

J-M M : Vous avez le dialogue de Jésus vers le silence, mais justement c'est cette parole entendue du Père qui est la parole tournée, à travers laquelle la totalité advient et devient la vie et la lumière des hommes. Le mot parole n'est pas fait pour désigner simplement un dialogue rêvé avant la création du monde, entre du silence et une parole : tout cela est toujours déjà pris dans la parole qui donne.

Une des grandes naïvetés de la théologie d'Occident consiste à traiter séparément de la Trinité éternelle et de la Trinité économique (c'est-à-dire la Trinité en tant qu'elle fait œuvre par rapport au monde en le créant ou en le sauvant). Il y a là une fausse compréhension du rapport du temps et de l'éternité. L'Écriture ne parle jamais de la Trinité quant à soi et en soi, ça n'a aucun sens. Alors « ça veut dire qu'elle commence avec la création ? » Mais non.

Notre première difficulté, que nous avons tenté par tous les moyens de dissoudre, c'est de penser qu'il existe un "avant la création du monde" qui correspond à « Dans le commencement était la parole » : le Père, le Fils et l'Esprit étaient là tous les trois, ils causaient, et puis un beau jour le Père décide de créer, et la création est alors exprimée par « Tout fut par lui » ; enfin, comme ça tourne mal, il décide d'envoyer son Fils.

Non, tout se pense à partir de ce qui est dernier, c'est-à-dire à partir de Jésus mort et ressuscité, c'est la plus haute nécessité. Il ne vit que pour mourir, et il ne meurt que pour ressusciter, il n'a pas de sens sans cela.

Qu'est-ce que fait la théologie avec une autre répartition ? Elle veut disserter sur la nature de Dieu et sur les natures du Christ, et puis, quand les théologiens ont une réponse à ce sujet, ils se demandent ce que peuvent bien faire Dieu et le Christ : ils viennent, ils font du salut, et ce sont les actes du Christ, sa mort, etc. C'est donc l'autre absurdité qui est pensée sur la distinction occidentale de l'être et de l'operari (la distinction entre être et agir) : il faut traiter de la nature de Dieu, et après on regarde ce qu'il fait. Tu parles ! Il est ce qu'il fait et nous n'avons d'autres accès à ce qu'il est que dans la donation de ce qu'il fait.

Je ne dis pas que la théologie classique est insignifiante, je ne dis pas non plus qu'il y a des choses qui seraient bonnes et des choses qui ne seraient pas bonnes. Je dis que tout est une série de réponses aux questions que nous posons. Nous importunons l'Évangile par nos questions, alors que la tâche de cette parole-là est de poser les questions et pas de répondre aux nôtres. Bien sûr nous ne pouvons pas ne pas interroger l'Évangile. Et pourtant il faut savoir que l'essentiel de la pensée n'est pas dans la réponse, mais dans la question. Or, si je structure tout l'Évangile sur ma question, je structure une pensée occidentale. Je dois attendre d'entendre la question porteuse et articulante qui régit l'Évangile.

Vous ne savez pas à quel point vous ne causez qu'Occident quand vous prétendez parler Évangile, parce que, plus important que les mots, il y a les structures porteuses, toutes les répartitions du discours : sujet / objet ; singulier / pluriel ; masculin / féminin ; singulier / collectif ; intelligible / sensible ; être /agir ; intelliger / vouloir… Vous vivez sur des structures d'Occident, vous êtes les petits-enfants d'Aristote et moi aussi. Pourquoi petits-enfants d'Aristote ? Non pas parce qu'Aristote vous aurait engendrés, mais parce qu'il est le sage qui a nommé la donation du verbe être qui régit la pensée de l'Occident.

Ceci pour nous inviter à questionner nos questions avant d'essayer de les résoudre. La bonne façon de résoudre nos questions le plus souvent c'est d'arriver à les dissoudre.

b) La parole précède l'homme.

► Je n'ai pas bien compris quand vous avez dit que le site du texte était la parole.

J-M M : Quand je dis que le site de ce texte est la parole, vous pouvez l'entendre de façon légère, parce que si quelque chose n'a pas d'autre lieu que la parole que je profère, vous pouvez penser que ce n'est pas un site très fiable ni très solide. Or la parole dont je parle ici précède l'homme.

Que la parole précède l'homme, c'est un point, c'est quelque chose qui me touche beaucoup dans le dernier Heidegger. D'un point de vue qui n'est nullement christique, c'est un thème qu'il défend avec beaucoup de pertinence, d'une façon remarquable.

Nous recueillons cela ici, parce que « dans l'arkhê est premièrement la parole », et « cette parole est la vie ou la lumière des hommes ». Donc l'homme vient ensuite, car ce qui donne à l'homme de paraître en tant qu'homme, de surgir ou de naître en tant qu'homme, c'est la parole. L'homme est lui-même le recueil de la parole.

Sur ce thème du rapport entre homme et parole, il y aurait beaucoup à méditer parce que c'est vrai pour le meilleur et pour le pire, c'est-à-dire que l'homme croit naïvement qu'il parle : c'est vrai "pour le pire",  car l'homme est en fait, le plus souvent, parlé. Il n'y a qu'à lire, par exemple, ce joli petit texte autobiographique de Sartre qui s'appelle "Les Mots", c'est ce thème-là. En revanche, c'est vrai "pour le meilleur", car lorsque ce qui est proféré vient de son insu propre, oui, l'homme est divinement parlé. Je n'assimile pas une chose à l'autre. Nous avons une analogie de cela, c'est que la langue nous précède, et nous venons au monde par la langue, par l'oreille.

c) « Le Logos (la  parole) était vers Dieu ».

Nous, nous considérons que la parole vient après l'homme, c'est-à-dire que l'homme est un être qui, ensuite, éventuellement parle. Or au cœur de notre révélation, ce qui fait fond, ce n'est pas une substance, ce n'est pas un sujet comme ce qui fait fond dans nos propositions en grammaire, mais c'est un « être tourné vers ».

Là aussi nous avons à choisir : est-ce qu'il s'agit ici de la parole, c'est-à-dire du logos créateur, ou bien de la parole c'est-à-dire des enseignements que le Christ a communiqués ? Ou bien… ou bien… ? Et si c'était nous qui introduisions dans le texte une différence, si notre précompréhension occidentale et moderne de la parole nous empêchait d'entendre justement ce que veut dire parole ? Si le fait même de poser cette question : « Est-ce le logos créateur ou est-ce la doctrine ? » était l'aveu de notre incapacité à comprendre ce que veut dire parole dans le Nouveau Testament ?

Nous distinguons couramment la création et la révélation. Chez nous :

– d'une part la création est pensée à partir du verbe faire et même à partir de l'emploi du verbe usiner au sens où technologiquement on usine quelque chose, même si nous reconnaissons que ce faire s'exprime dans la Genèse sous la métaphore du dire. Mais alors le dire ne devient plus qu'une métaphore, et on l'a déjà réduit à notre compréhension du faire.

– d'autre part la révélation est entendue d'après notre préconception de la parole, c'est-à-dire comme dissertant sur ce qui est déjà fait, parce que nous concevons la parole comme premièrement dissertante et non pas structive, c'est-à-dire simultanément constructive et instructive.

Mais pour apercevoir quelque chose de ce que dit Jean, il faut entendre que le logos est ce parler qui fait venir au jour, ce parler qui met à la lumière, qui constitue la présence et ainsi accomplit la résurrection. Ce n'est pas une autre parole que celle qui dit « Mariam » au jardin (Jn 20)[20]. C'est une parole d'éveil. C'est la parole qui éveille, et qui ainsi accomplit l'éveil de Jésus : égeireïn veut dire éveiller, et c'est le même verbe qui est traduit par ressusciter.

Cette parole parle à partir d'une compréhension de la parole qui n'est pas spontanément la nôtre et pas simplement parce que ce serait une autre culture reculée dans l'histoire ; elle est étrangère à bien d'autres titres, elle nous est étrangère parce qu'elle est parole de Dieu, et que la parole de Dieu ne se pense pas à partir de notre parole.

1/ La parole dit l'espace de dialogue. C'est la réalité consistante à la lisière de laquelle il y a le parlant et l'entendant. C'est l'unité première qui tient ensemble en les disjoignant pour les joindre "l'entendant et le parlant". Voilà ce que j'appelle espace. La parole est un mot qui dit espace.

Tout cela est très important, en particulier pour ce qu'il en est d'entendre les paroles du Christ. Les paroles ne sont pas des choses comme ça. Les paroles ne sont que lorsqu'elles sont entendues. Autrement dit les entendants, les entours du Christ ont une importance capitale : la figure du Baptiste qui témoigne, les apôtres qui recueillent, les premières communautés chrétiennes, tout cela est à prendre en compte pour parler du Christ : il s'agit de la création de l'espace initial de paroles échangées.

Dans notre texte il s'agit de l'espace du dialogue originel : la parole tournée vers, le parler parlant à. « Au commencement était le parler et le parler parlait à Dieu[21].. »

L'« être tourné vers » de ce qui est un parler, c'est le "s'adresser", c'est le Fils lui-même qui est la prière substantielle. Quand, au chapitre 17 de l'évangile, Jésus dit : « Père », se joue là ce qui est en question dans le premier verset du Prologue. C'est le retour au Père, c'est la présence au Père. « Levant les yeux vers le ciel Jésus dit : “Père, l'heure est venue, présentifie-moi de cette présence que j'ai auprès de toi avant que le monde soit.” »  (D'après Jn 17, 1)[22].

2/ Nous avons là tout le dialogue fondamental : « Tu es mon fils » – « Père, je viens ». "Venir vers" comme "être né de", c'est la structure même de l'évangile de Jean. À partir de là on a ensuite tout l'Évangile.

Cela remet en cause notre sensibilité de l'espace et notre concept de l'être. Le mot "être" en usage banal désigne une chose autonome, persistante, pouvant être posée dans un espace homogène, à côté d'autres choses autonomes ou à leur place. Or tout "être" est "être à". Être signifie présence (prés-ence). De surcroît parler n'est pas une activité du déjà présent. Parler constitue la présence. Parler est un mode de présence, d'être à. Être c'est constamment naître, c'est-à-dire venir à : venir au monde, au jour.

3/ J'invite ici à réflexion. Dans quelle mesure ce qui est dit là est-il suscité par la lecture du premier verset de Jean, dans quelle mesure cela est-il réveillé par des études philosophiques de type heideggerien, dans quelle mesure, à un autre niveau, cela ne consonne-t-il pas avec le langage du psychologue ? Autant de choses à ne pas confondre. Je pense qu'à un certain niveau il y a déjà dans les recherches psychologiques aujourd'hui quelque chose qui met en cause une certaine conception fortement banalisée du verbe être. À un certain niveau.

Naguère préparant un baptême, je réfléchissais au mot "émerger" qui est un mot important de la symbolique baptismale. Émerger hors de l'eau pour un espace respirable : l'Esprit, le pneuma de Dieu… Il est vrai que le psychologue est très attentif, même à un niveau divulgué, à ce que, à la naissance, l'enfant émerge "hors de" et "à", mais qu'il a ensuite à émerger à l'espace de la liberté de mouvement, de la marche ; et puis il a à émerger à l'espace de la parole, et puis il émergera à un espace de rencontres diverses, d'être avec. Et à chaque fois c'est la reprise d'être et d'être à. Je viens de faire un simple signe, quelque chose d'important. Je crois qu'il peut être utile de le méditer.

d) La parole est dans le "cœur" de celui qui l'entend.

► Jean-Marie, la parole qui est en question, c'est quelque chose qui est écrit ou qui est dit ?

J-M M : Ce que tu dis me donne une idée très importante que voici : – Où ça a lieu ? – Dans la parole – Oui, mais la parole elle est où ? – La parole est dans le cœur de celui qui l'entend et nulle part ailleurs, sinon dans des ailleurs mythiques rêvés, qui peuvent être alors des nominations symboliques de la parole du cœur.

Où je prends ça ? Chez saint Paul. En effet c'est la parole Fiat lux qui est en question ici puisque nous sommes dans l'arkhê, qui est le premier mot de la Genèse, et Paul dit : « Le Dieu qui dit “De la ténèbre luise la lumière”, c'est lui qui fait luire dans nos cœurs pour l'illumination de la connaissance de la gloire de Dieu dans le visage du Christ »  (2 Cor 4, 6)[23].

Alors le rapport du dire et de l'entendre : le dire est quand il est entendu, autrement il n'est que semence, or la semence qui ne vient pas à fruit n'est rien. La parole vient à fruit dans notre cœur, et quand je dis le cœur, je parle, premièrement, à partir d'un sens plutôt hébraïque que d'un sens grec. Il s'agit de l'intimité ultime de l'homme, c'est-à-dire aussi bien l'intellect que l'affect. Chez nous, le cœur c'est plutôt l'affectif. Non, pas en ce sens-là. C'est le cœur unifiant, le lieu unifiant, le point unifiant, l'intériorité unifiante de l'homme, l'arkhê de l'homme.

 

III – Le mot logos

 

Je vais dire un mot sur le terme de logos, un peu comme je l'ai fait hier pour le terme arkhê.

1) Logos en tant que dénomination du Je christique.

J'ai parlé hier des dénominations du Je christique qui se trouvent dans le Prologue : arkhê, Logos, Dieu, vie, lumière… Pourquoi vie et lumière ? Entre autres parce que Jésus dira : « Je suis la résurrection et la vie » (Jn 11, 25) et « Je suis la lumière » (Jn 9, 5).

Je dirai tout d'abord que le mot Logos n'est pas une dénomination qui aurait à tous égards une priorité ou une primauté sur les autres dénominations, et ceci parce que le mot logos n'est pas premier dans le texte de Jean ; c'est arkhê qui est la première dénomination. En effet arkhê n'est pas simplement un mot qui dit le début : l'Arkhê est quelqu'un, il est Arkhê. Logos est donc une deuxième dénomination et elle n'est pas dominante. Elle est posée puis oubliée au bénéfice d'une autre qui est beaucoup plus importante.

Logos est prononcé trois fois puis disparaît, puis réapparaît une fois au verset 14 : « Le Logos fut chair. » Il n'existe pas entre-temps dans le texte, mais parfois il est mis dans les traductions du verset 9 : « Le Verbe était la véritable lumière ». Or ce n'est pas dans le texte qui dit simplement : « Était la véritable lumière », le mot lumière (qui est une dénomination du Je christique) étant à entendre comme sujet.

La dénomination du même qui apparaît après Logos, c'est la vie, et tout de suite après c'est la lumière : « En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes » (v. 4), Le mot lumière, en tout, apparaît sept fois dans le Prologue. Donc lumière est un mot dominant qui l'emporte sur le mot logos, et Logos est une dénomination du même parmi d'autres dénominations, elle n'a en soi pas de priorité ni surtout de primauté.

 

2) L'origine du mot logos tel qu'employé par Jean.

Christ et creationD'où vient le mot logos tel qu'employé par Jean ?

a) Le mot logos vient du « Fiat lux ».

Quand nous avions regardé le verset 1 nous avions mis en rapport trois textes, et déjà nous avions suggéré que le mot logos venait de la Genèse, à savoir qu'il était la mise en substantif de l'activité indiquée dans « Dieu dit : "Lumière soit". ». On comprend pourquoi le terme qui vient après et qui sera développé dans la suite du Prologue est celui de lumière.

De plus, le lieu de méditation des premières choses dans le judaïsme c'est, de façon préférentielle, la Genèse, mais c'est aussi son interprétation sapientielle avec la figure de la Sagesse (Sophia) dont il est question au livre des Proverbes, la Sagesse qui préexiste à la création du monde. Et la figure de la Sophia va nous aider à comprendre le terme logos.

b) Les mots hébreux et araméens pour la parole.

Le mot logos est donc une mise en substantif de l'activité de Dieu. Est-il possible de lui faire correspondre un mot hébreu ?

En hébreu le mot le plus usuel pour dire "parole" est davar[24]. Seulement il y a de grandes chances que ce mot ne soit pas à la source de notre mot logos (parole) dans le cas où l'on considère que ce mot est puisé à la Genèse.

En effet « Et Dieu dit », en hébreu c'est « Vayyomer (et dit) Elohim », le substantif correspondant au verbe employé étant ma'amar. Cependant il semble probable que la source de logos soit le mot araméen memra (parole), qu'on trouve dans certains targum dont on peut penser qu'ils existaient à l'époque de Jésus[25]. Ainsi dans le Targum palestinien, et dès le verset 3, là où il y avait dans le texte hébreu : « Et il dit, Elohim... », le Targum remplace le mot Elohim (Dieu) par l'araméen "memra de YHWH". Au lieu de : « Et il dit, Dieu : “Soit lumière !” » nous avons donc dans le Targum : « Et elle dit, la Parole de YHWH : “Soit lumière !”  »

Effectivement il semble qu'il y ait une méditation juive antérieure au discours chrétien sur ce terme memra, comme il y a clairement dans la Bible une méditation du même genre sur le terme hokhma (sagesse), en particulier dans le livre des Proverbes.

c) La méditation juive sur la hokhma (la sagesse).

Qu'est-ce que cette sagesse ? Dans son discours du chapitre 8, au livre des Proverbes, elle se présente : « Dieu m'a créée, arkhê de ses voies vers ses œuvres » (v. 22), donc principe (arkhê). Elle est auprès de lui tandis qu'il cosmise le monde, qu'il établit les limites, qu'il tend les cieux, qu'il affermit la terre ; elle rit, s'amuse, se réjouit (v.27-30).

Alors les exégètes se posent gravement la question à propos de cette Sagesse : est-ce un sujet différent de Dieu, c'est-à-dire une hypostase, ou bien est-ce une façon de dire un aspect de Dieu c'est-à-dire un attribut ? Réponse : ni l'un ni l'autre. Cependant on peut se poser la question : y a-t-il pour les Juifs de ce temps-là une "personne" auprès de Dieu ?

Conclusion : « Dans l'arkhê était la parole constitutive »

Memra[26] est pensé un peu sur le mode de la Sagesse, c'est-à-dire de cette assistance de Dieu, de cette assistante de Dieu. Il s'agit d'une manifestation de Dieu, d'une parole agissante. C'est donc en ce sens qu'il faut entendre le mot logos de notre texte.

Seulement, dire que « dans l'arkhê était la parole constitutive » suppose tout un renversement pour nous chez qui la parole n'est jamais constitutive, mais disserte sur quelque chose de constitué, ou bien sort de quelqu'un qui est constitué. Donc je ne peux dénommer le logos comme parole constitutive de toutes choses conformément à la Genèse que si j'entrevois une signification de la parole tout à fait différente de celle à laquelle nous sommes habitués.

 

3) Le mot logos et la méditation juive du premier siècle.

a) Le mot logos dans le monde juif du premier siècle.

Venons-en à l'usage du mot logos dans le monde juif contemporain de Jésus. On ne sait pas exactement de quel mot logos est la traduction, et par ailleurs nous n'en savons pas exactement le sens. En outre, le mot logos a un champ sémantique absolument considérable.

Le mot est à la mode à cette époque. Tout le monde parle de logos : les médio-stoïciens en parlent ; les médio-platoniciens en parlent ; Philon d'Alexandrie, un Juif qui parle grec et qui commente la Bible, parle du Logos. Et naturellement un mot très répandu est un mot qui a une indéfinité de sens. Plus un mot est répandu, plus il est le lieu de confusions, de contre-sens…

b) La méditation sur Le Nom (HaShem) et sur la fragmentation du Nom.

Pour cette raison, on pourrait aller voir un autre lieu de la méditation juive de l'époque, et se demander – ce serait moins bien par rapport à la référence à la Genèse – si le mot logos ne correspondrait  pas à un autre mot qui est celui de shem : le "nom".

En effet dans la tradition judaïque, Dieu pose un certain nombre de grandes premières choses avant la constitution du monde : en particulier il pose le Messie, la Torah, le Nom. Le Nom de Dieu c'est Dieu lui-même puisque le nom est l'indication de ce qui identifie. Le nom, dans les cultures archaïques, mais aussi explicitement dans le monde hébraïque, dit quelque chose comme l'essence, la provenance essentielle de ce que nous appelons une personne.  Et d'ailleurs le mot hébreu HaShem (Le Nom) est utilisé par les Juifs pour désigner Dieu dans les conversations.

Le Nom de Dieu est YHWH, le tétragramme qui est indicible, imprononçable. Lors de la lecture biblique, on substitue un mot à YHWH, c'est en général le mot hébreu Adonaï (Seigneur).

Et dans la tradition judaïque on parle aussi du morcellement ou de la fragmentation du Nom : le Nom de Dieu se fragmente en de multiples dénominations. C'est la différence entre le kurion onoma (le nom seigneurial, le nom propre) et les multiples dénominations. Or c'est ce qui se passe de fait dans notre Prologue où nous avons déjà trouvé plusieurs dénominations, en particulier la vie, la lumière, la gloire, la grâce, la vérité, qui sont pour nous des entrées, des portes, des seuils, vers ce qui est in-nommable en son plus propre.

Dans les dénominations du Je christique nous n'avons pas encore parlé du nom de Jésus. Un petit texte du IIe siècle dit par exemple : « Le nom exprimable du Sauveur, c'est-à-dire Iesoùs (Jésus), est de six lettres, mais son nom inexprimable est de vingt-quatre lettres. » (Irénée Contre les Hérésies I, 15, 1 citant Marc le Mage). Donc même le nom propre de Jésus qui nous paraît être la plus propre des dénominations, encore que ce soit un nom de sa fonction puisqu'il signifie sauveur, ce n'est pas son nom. Et je vous signale en passant, une question qu'on est en droit de se poser alors : si on n'est sauvé que dans le nom de Jésus, cela concerne-t-il le nom exprimable ou le nom inexprimable ? Vous voyez l'enjeu ?

 

4) Histoire du mot logos.

a) Logos : parole ou raison.

Il faudrait resituer maintenant le mot logos dans son histoire. Logos est un mot privilégié de très bonne heure parce qu'il entre dans la désignation de l'homme qui nous vient d'Aristote : « homo est animal rationale », où animal rationale traduit le grec : « zôon logon ekhon (l'animal qui a la parole) ». Le mot ekhon (avoir) est intéressant car il désigne pour l'homme son "être à". Cette désignation de l'homme signifie donc originairement que la posture de l'homme, son être à, c'est de parler. Cela deviendra ensuite une définition par genres ou par différences spécifiques : à la question « qu'est-ce que ? » on répond par la définition, par le "ce que c'est". À la question  « qu'est-ce que l'homme ? » on répond d'abord par : il est vivant et non pas inerte ; ensuite on précise qu'il est le vivant qui a la caractéristique de la sensibilité donc qu'il est animal et non pas plante ; ensuite il est l'animal qui est pourvu de raison et non pas une bête. Mais très tôt, dans cette expression homo est animal rationale, le mot logos n'est pas traduit par le mot "parole" mais par le mot "raison" : « l'homme est un animal doué de raison ».

Le verbe legeïn (dire) qui correspond à logos signifie originellement en grec : recueillir, cueillir, faire la récolte, choisir, sélectionner, mettre en réserve et poser dans la réserve. D'où l'idée de choix qui existe par exemple dans le mot "élection" qui appartient à la même racine. On peut se demander pourquoi "dire" est pensé à partir d'une gestuelle relativement difficile. Il y a sans doute l'idée que la parole est ce par quoi "se recueille" la multiplicité de la chose dans une vision. Notre mot "parole" ne vient pas du tout de là, il vient du mot parabolê.

Le mot "dire" serait presque plus intéressant pour traduire logos : « Dans l'Arkhê était le dire » mais nous n'entendons pas ce qui est intéressant dans le mot dire. En effet dire, dicere en latin, vient du grec deiknumi qui signifie montrer. La parole est la monstration de ce qui vient.

b) Le dire de Dieu et ses déploiements au début de la Genèse.

séparation des eauxPour entendre ce mot "dire" et le mot parole nous pourrions regarder du côté de Gn 1 où on a d'abord « Dieu dit », et où ensuite plusieurs verbes déploient ce dire de Dieu :

– « Et il vit (vayyar) ». Entendre, donc ce qui est de l'ordre de la parole, donne de voir. C'est d'abord une parole donnante.

– « Il sépara (vayyavdel) la lumière de la ténèbre » : le dire de Dieu trie, il sépare. La distinction, la krisis, le discernement est une fonction majeure du voir. La parole articule un visible indistinct dans ce qui serait à voir dans sa distinction, dans sa différence. Ainsi la tâche du parler se déploie en distinctions, en discernements, en mise en ordre de quelque chose qui était confus, entre autres la distinction de la ténèbre et de la lumière. Et nous lisons dans l'épître aux Hébreux : « La parole (logos) de Dieu, est vivante (zôn), énergique et plus tranchante (tomôteros) qu'aucun glaive à double tranchant (distomon), et pénétrant (diïknoumenos) jusqu'à la séparation  (merismou) de la psychê et du pneuma, des articulations et des moelles, et discernant les mouvements et les pensées du cœur. Il n’est pas de créature qui échappe à sa vue ; tout est nu à ses yeux, tout est subjugué par son regard. Et c’est à elle que nous devons rendre compte. » (He 4, 12-13) Il y a là quelque chose de judiciaire, mais judiciaire dans le grand sens du terme parce que le judiciaire est considéré dans ce cas-là comme le sauveur, c'est-à-dire comme ce qui sauve la chose de la confusion. On pourrait dire que le récit de la Genèse est un récit de jugement, de jugement qui est salut.

– ensuite : « Il appela (vayyikra) la lumière "jour" et la ténèbre" nuit". » Dieu appelle, il nomme, seulement c'est un mot curieux qui est employé puisque dans la traduction il semble que Dieu dise simplement le nom, or le mot employé c'est yikra qui signifie qu'il "crie".

c) La lecture de Justin au IIe siècle.

Il est intéressant de voir comment l'entendent ensuite les premiers écrivains du IIe siècle. Il faut savoir que ces mots-là entrent primitivement dans des énumérations de dénominations de Dieu qui pour nous sont étranges.

Par exemple Justin dit ceci :

«  Comme principe (arkhê) avant toutes les créatures, Dieu a, de lui-même, engendré une certaine ‘puissance verbale’ (dunamin logikên) que l’Esprit Saint – c'est-à-dire l'Écriture – appelle également gloire du Seigneur, et aussi Fils, ou sagesse, ou ange, ou Dieu, ou Seigneur ou Verbe, et cette dunamis elle-même s'est appelée archi-stratège (chef d'armée) lorsqu'elle parut sous la forme d'homme à Josué. Elle peut recevoir tous ces noms, parce qu’elle exécute le vouloir du Père et qu'elle est née du Père par volonté » (Dialogue avec Tryphon 61,1).

Dans ce texte vous voyez que le même est nommé gloire, Fils, sagesse, ange, Dieu, Verbe… Pour nous cette énumération est insoutenable parce qu'elle mêle ce que nous appelons les trois personnes avec une série indéfinie d'attributs, et tout ça sur le même plan. Et progressivement on va distinguer des dénominations qui sont les dénominations d'hypostases différentes (Père, Fils, Esprit), et les dénominations qui sont des attributs[27].

Il y a de nombreuses méditations sur la polyonimie, sur le caractère polyonime du divin est, à savoir qu'il supporte une multiplicité de noms. Notre distinction claire entre Trinité et attributs d'une seule substance divine n'est pas développée alors, elle se développera au long du IIe siècle.

Le texte que nous avons lu montre aussi que, pour Justin, il n'y a pas seulement des mots de l'Ancien Testament qui sont perçus comme désignant le Logos, il y a aussi des personnages, et même des épiphanies de Dieu comme les visiteurs d'Abraham, qui sont considérées comme des présences partielles du Logos. En particulier la désignation des différents pneumata (esprits de force, esprit de sagesse…) qui caractérisent tel ou tel prophète est considérée par Justin comme la venue de certaines parties du Logos, et que lors du baptême de Jésus, la totalité de ces pneumata se ramasse, repose et demeure sur Jésus. C'est pour cela que la prophétie vétéro-testamentaire cesse, et qu'elle est toute entière contenue et saisie dans la réalité christique.

Chez Justin il y a aussi cette fameuse idée de logos spermatikos (logos séminal), très difficile à interpréter, mais selon laquelle, chez les non-juifs aussi, Dieu, par son Logos, s'est donné à connaître partiellement. Et même parfois Justin donne l'impression de privilégier ces théophanies partielles dans le monde des païens, en prétendant que les Juifs ont eu besoin de théophanies plus explicites simplement parce qu'ils avaient la tête plus dure. C'est une attitude assez courante de Justin et du IIe siècle dans la polémique contre le judaïsme de l'époque. Et Justin se réfère surtout à l'endroit où le mot logos a été prononcé : Héraclite, Socrate, Platon etc. D'après lui, ceux-ci ont reçu des révélations partielles de ce logos qui culmine dans le Logos qui est Jésus.

Je pense quant à moi qu'il faut rapprocher ce logos séminal de ce que je disais des pneumata dispersés dans l'Ancien Testament, et que cela fournit une certaine unité à la pensée de Justin. En effet, pour un certain nombre de théologiens un peu hâtifs, le logos c'est la raison naturelle qui, par ses propres ressources, trouve Dieu, mais on retombe alors dans une conception de la philosophie qui n'a aucun sens à cette époque. C'était d'ailleurs la problématique de Vatican 1 dont je vous ai parlé hier.

Cependant je pense que la prise en compte d'une doctrine comme celle de Justin, bien sûr sans concordisme, serait une source importante d'émulation pour inviter aujourd'hui les chrétiens à lire et à reconnaître les parutions du Logos (les parutions authentiques du Christ) dans des lieux assez inattendus, qu'il s'agisse des grandes formes traditionnelles de l'humanité, ou éventuellement de certains grands mouvements de l'histoire. Je pense qu'il y a plus à apprendre dans une bonne lecture de ces théologiens ou de ces pères archaïques que dans les théologies bien accomplies et bien ficelées des théologiens postérieurs.

d) Traduction de logos en latin au IIe siècle : ratio, sermo, jussio.

Voyons comment le mot logos est traduit en latin. Tertullien (160-220) est le premier écrivain chrétien à parler latin, car il est en Afrique, à Carthage, alors qu'à Rome on parle grec au IIe siècle. En latin le mot parole se dit verbum, mais pour traduire le mot logos attribué à Dieu, Tertullien se sert de trois dénominations : ratio, sermo et dans une moindre mesure, jussio.

– Pour ratio, nous comprenons, puisque dans la définition de l'homme, nous avons vu que logos correspondait à rationale.

Sermodit la parole prononcée, la parole discursive. Théophile, évêque d’Antioche, vers 180 donc avant Tertullien, s'était servi d'une distinction[28] qui venait de Platon et du stoïcisme : il y a le logos intérieur (logos endiathétos) et le logos proféré (logos prophorikos) qui est le sermo. Le logos endiathétos correspond au verbum mentale, c'est le discours interne ; et quand il est proféré il s'appelle sermo.

Jussio est un mot que Tertullien emploie pour indiquer l'aspect effectif de la parole prononcée, c'est ce qui correspond à l'acte d'ordonner. C'est une des caractéristiques du logos que d'être un impératif suivi d'effet : « “Que la lumière soit”… Et la lumière est. »

Mais tout ceci se passe dans un contexte de sophiologie (de méditation sur la sagesse) et souvent Tertullien considère le mot de sophia. Pour lui le Logos correspond à la Sophia de l'Ancien Testament, mais certains mettent cette Sophia de l'Ancien Testament (Pv 8 en particulier) au compte de l'Esprit Saint. C'est le cas de Théophile, évêque d'Antioche. Tertullien, lui, le met donc au compte du Logos (du Fils).

Seulement Tertullien ajoute les noms (sermo, ratio, sophia) les uns aux autres : de toujours Dieu a en lui sa sophia (sa sagesse, sa connaissance), mais lorsqu'il commence à l'agiter, c'est-à-dire lorsqu'il se met à co-giter, elle s'appelle ratio ; et quand la cogitation intérieure est prononcée à l'extérieur, elle s'appelle sermo. Sermo désigne en premier le : “Fiat lux”. Et le moment où Dieu profère le “Fiat lux” est aussi le moment de la naissance du Logos (du Verbe) : « “Dieu dit : 'Fiat lux', et la lumière fut, c'est-à-dire le Verbe » (Adversus Praxeas XII). Celui-ci ne naît pas de rien, il naît de la Sophia et de la ratio, donc il participe à la divinité, et le titre de Fils lui appartient dans le moment où il est proféré comme sermo, donc dans le « Fiat lux ». Dieu est donc considéré ici comme Père. 

Nous avons donc Dieu, qui a toujours en lui sa sophia (sa connaissance), celle-ci se co-agite en vue de la création du monde et, tout en restant à l'intérieur de lui-même, elle peut s'appeler ratio. Cela est proféré à l'extérieur comme sermo. Enfin par le sermo il y a production du cosmos. Vous avez ici une espèce de narration, d'histoire à l'intérieur de Dieu, une sorte de théogonie pourrait-on dire. Dans cette considération il y a :

  • d'un côté, le Dieu immobile dans son éternité ;
  • de l'autre : sophia, ratio, sermo, cosmos constituent un tout qui s'appelle "économie", au sens originel de gestion de la maison : l'Éternel se fait une maison.

Donc il y a Dieu qui est le Père seulement ; et cela qui est en Dieu et qui commence à bouger puis à être proféré à l'extérieur comme sermo, ce qu'on appelle l'économie.

Le même Tertullien est par ailleurs l'instigateur de la distinction du créé et de l'incréé. La césure, au lieu d'être mise entre le Père et le reste, est mise entre l'incréé (Dieu qui n'est pas seulement le Père) et le créé qui prend la place de l'économie. On a alors : Dieu et le cosmos.

Tertullien tient les deux de façon tout à fait incohérente. Il est l'initiateur de ce qui va devenir dominant : il y a un Dieu éternel trinitaire (Dieu éternel n'est pas seulement Dieu Père) et ensuite, il y a ce qui advient à partir de la création, le cosmos. Voici la distinction qui va régner et qui règne toujours. Elle rendra possible la question du début du IVe siècle : le Logos est-il une grande première créature ou est-il incréé ? C'est la question d'Arius à laquelle le concile de Nicée en 325 répond : « Il est Dieu né de Dieu, lumière née de la lumière…. engendré non pas créé, de même nature que le Père… »

On est tenté de considérer en général que ce sont là des tâtonnements confus alors que c'est une sophiologie. En effet les mots qui dominent dans toute cette spéculation ce sont les mots de Sophia et aussi de Logos. La méditation sur Dieu n'utilise presque pas, au cours du IIe siècle, le nom de Fils. Elle le connaît certes. Mais la raison en est qu'il est très difficile de faire entendre aux Grecs que Dieu a un Fils, sinon dans un langage qui serait purement mythologique. Mais nous savons que le premier christianisme a choisi de réfuter la mythologie pour se confier complètement à la philosophie grecque. Or pour celle-ci, que Dieu ait un Fils paraît aberrant, en revanche que Dieu soit Logos convient parfaitement. C'est donc la raison apologétique, la raison d'adaptation qui a prévalu.

C'est pourquoi adapter l'Évangile est la chose inévitable et c'est la chose mortelle. Je veux dire par là que, si on adapte, il faut le faire avec infiniment de précautions. Il s'agit de savoir à partir d'où on parle. Si je parle à partir d'une foi complète du Nouveau Testament et que je prononce le mot de logos, cela n'a pas d'importance car le mot logos, je le pense à partir du Fils. Mais mon auditeur, avant qu'il n'ait la foi, entend logos dans la région de la philosophie. Le risque est qu'il n'entende pas ce à partir de quoi cela est dit et qui est l'essentiel. C'est la raison pour laquelle l'Église tient de multiples discours au cours des siècles, mais elle tient aussi dans la main le Livre. Il faut entendre la parole de l'Église, mais elle nous dit elle-même qu'il faut recourir à l'Écriture originelle. C'est ce que nous essayons de faire.

 

5) Variations sur le mot logos et sur les autres dénominations.

À propos de ce mot logos j'insiste sur le fait que c'est une dénomination parmi d'autres qui n'est pas prioritaire et qu'elle ne bénéficie d'aucune primauté. En effet ce mot est prononcé quatre fois dans le Prologue et il n'est pas récurrent dans la suite de l'évangile, alors que les mots de vie, de lumière, sont très employés tout au long. Par exemple Jésus dit : « Je suis la vie »,  « Je suis la lumière » et il n'y a pas de lieu où il dise « Je suis le logos. » Ceci pour vous inviter à décrisper la question du logos. Ce mot a eu ensuite beaucoup de succès parce qu'il se trouve quand même dans les débuts de Jean, mais surtout je l'ai dit, parce qu'il était un terrain de débat avec un vocabulaire connu par la philosophie de l'époque. C'est la raison pour laquelle hier je ne me suis pas étendu sur le mot logos.

Le mot arkhê me paraît infiniment plus important que logos. D'ailleurs Jésus dit presque « Je suis arkhê » en Jn 8, 25 : « Ils lui dirent donc : “Toi, qui es-tu ?” Jésus leur dit : "L'arkhê (c'est à l'accusatif), ce que je vous dis aussi” (Elégon oun autô su tis ei ; eipen autois o iêsous : tên arkhên o ti kai lalô umin) »

De toute façon tout commence par la parole en un sens. Et par ailleurs, ce qui fait qu'il est nommé Logos répond à un autre souci de Jean, à savoir que c'est la parole qui donne de voir, rappelez-vous le déploiement du verbe "dire" en Gn 1.

► En fait j'ai le mot "verbe" et non pas le mot "parole" dans ma Bible pour la traduction de logos. Le mot verbum c'est saint Jérôme qui l'a introduit ?

J-M M : Oui, mais verbum en latin signifie parole, et en vieux français, verbe signifie parole. Aujourd'hui on a l'habitude de répartir, et d'entendre le mot "verbe" au sens grammatical du terme, mais la grammaire n'est pas le meilleur mode d'habiter la langue. De plus il faut bien entendre que le mot logos ici est bien plus large que ce qui signifie notre mot "parole".

a) Transformer les substantifs en infinitifs.

►  Ce que nous avons dit hier sur le fait que ça parle en nous m'a beaucoup intéressé. Est-ce que pour éviter de personnifier cette parole, on pourrait considérer l'acte de parler ou même l'acte d'entendre ?

J-M M : C'est cela, tout à fait. Cela rejoint des choses que je dis souvent, à savoir que les substantifs qui sont plus ou moins abstraits comme parole ou vie, la bonne façon de les entendre pour pénétrer dans le texte c'est de les transformer en infinitifs. Et cela parce que, comme son nom l'indique dans notre grammaire, c'est l'infinitif qui a le moins de détermination. Nous souffrons certainement de penser par priorité le substantif, il faudrait étudier pourquoi. Mais ces substantifs-là, qu'on les considère comme des substantifs abstraits c'est-à-dire comme des concepts, ou comme des hypostases (ou des personnes), il faudrait voir ce que cela veut dire. Par exemple le mot hypostase est du côté de la substance. Or il y a une certaine précompréhension des choses sous le mode prioritaire de la substance qui interdit l'intelligence de ce qui est en question dans le texte parce que la substance, en un certain sens, est ce qui subsiste en soi et non pas en autre chose.

b) Chez Jean les substantifs sont mis en gestes.

C'est la définition de la substantiation et la fermeture en soi qui est mise en péril par l'anthropologie sous-jacente au texte. Or si nous ne substantifions pas dans notre sens les substantifs qui sont ici, nous les comprenons sans doute comme saint Jean les comprend. Pourquoi ? Parce que ces mots-là, il ne fait pas que les prononcer, il les met en gestes. J'ai déjà dit que la lumière s'entend à partir du chapitre 9 de saint Jean qui concerne la guérison de l'aveugle-né auquel Jésus dit « Je suis la lumière ». Et c'est dans l'acte même de faire venir au jour (ou à jour ou à lumière), c'est-à-dire du plus originaire, que ça parle : il y a du parler à partir du plus indistinct. Et il est bon de commencer par là.

C'est pour dire que les choses que nous apercevons ici à travers quelques substantifs comme parole, vie, lumière, il faut progressivement apprendre à les entendre dans la mise en œuvre active de ces mots, sous forme de verbes et de récits, c'est-à-dire de verbes activement gestués.

Le problème est de ne pas se fier à nos répartitions. Nous sommes peut-être bien loin du compte mais ceci est aussi un moyen de nous éviter une substantification trop hâtive, une attribution trop hâtive, ce que nous faisons, par exemple, quand nous disons que le Logos est une personne. Je pense que rien n'est pire que de dire : c'est une personne. Et quand la théologie classique dit que le Logos est la deuxième personne de la Trinité, c'est juste en son lieu, mais son lieu n'est pas celui du texte. Donc si nous nous servons de cela pour lire le texte, je crois que nous le manquons. Naturellement nous attendons du texte qu'il nous dise quelque chose de neuf sur l'homme. Or si nous savons ce que c'est que l'homme et ce que c'est qu'une personne, et si pour nous Dieu est une autre personne que l'homme, nous n'apprenons rien. Nous attendons de ce texte qu'il ne fasse pas qu'entériner nos prises, mais qu'il nous ouvre un espace nouveau.

c) Pour nommer Dieu il faut qu'il y ait homme.

L'ordre dans lequel le mot Dieu arrive est intéressant : « La Parole était tournée vers Dieu ». Que Dieu ne soit pas le premier nommé est aussi important peut-être que, pour un kabbaliste, que la première lettre de la Bible soit beth et non aleph[29]. Pourquoi ? Parce que pour que Dieu soit nommé, il faut qu'il y ait un qui nomme. Je pense que ces deux choses vont ensemble.

Apprendre des choses nouvelles sur Dieu sans que cela mette en péril ce que nous croyons être nous-mêmes, c'est tout à fait vain. Et prétendre s'avancer sur l'homme dans la région de ce qui est énoncé ici sans que bouge l'emprise de Dieu, c'est également vain. Cela va ensemble, cela se fait ensemble et ça se dévoile ici précisément dans un logos.

d) La Parole désigne l'espace d'ouverture, l'espace d'écoute.

Le premier trait de la Parole dans le Prologue c'est d'être auprès : « Et la Parole était auprès de Dieu (ou tournée vers Dieu) » et c'est une parole adressée : il pourrait se faire qu'avant d'être signifiante, elle soit désignante. Du reste nous savons l'importance de la désignation parce que cette parole elle-même a besoin que l'on témoigne à son sujet, et le premier témoin, qui est nommé après, c'est le Baptiste, et vous savez qu'en iconographie un des attributs du Baptiste c'est de lever l'index : il indique, il désigne, il montre.

Une signification de la Parole ici est de désigner l'espace d'ouverture, l'espace mutuel.

Par ailleurs vous avez parlé d'entendre à propos de la parole. Or l'écoute est comprise dans la parole : la parole n'est accomplie que dans l'écoute, mais entendre c'est parler. C'est cet ensemble-là qui premièrement est en question ici, et là je pense au mot de Heidegger : « Nous imaginons que nous entendons parce que nous avons des oreilles, alors que nous avons des oreilles parce que nous entendons. » C'est une belle provocation que cela. C'est une phrase qui n'est audible que pour autant que l'on déplace ce que vise l'usage ordinaire du mot entendre, et c'est cela qui est intéressant. Cela veut dire qu'entendre n'est pas considéré comme une activité éventuelle de quelqu'un qui est déjà constitué et qui a déjà l'organe pour cela. Ce qui est visé par là c'est l'être même de l'homme en tant qu'entendre est une façon, et une façon première, de dénommer l'être à, la relation constitutive. Être, c'est toujours être à, être près.

 

Proposition de lecture pour la rencontre suivante.

Nous avons parlé plusieurs fois des dénominations du "Je christique" et, si vous en êtes d'accord, j'aimerais vous donner une petite information sur la façon dont les premiers lecteurs de l'évangile de Jean que sont les Valentiniens lisent le Prologue. En particulier j'aimerais vous donner la constitution de leur table des dénominations, et si on avait le temps on pourrait la comparer avec la table séphirothique des dénominations de Dieu faite par les Juifs.[30]



[1] Ce qui figure ici est extrait de deux chapitres de la transcription de la session sur le Prologue de Jean : Chapitre VII : Etude du mot arkhê, et premières lectures des versets 1-5  ;  Chapitre IX : Le mot logos.

[2] La Genèse est écrite en hébreu, il s'agit ici de la traduction de la Septante, voir note 9.

[3] Dans Essais et conférences, Gallimard, 1958, p.224.

[4] D'après Mt 7, 24.

[5] Ce chemin est médité par saint Jean. J-M Martin en a parlé dans une des rencontres sur le thème de la Prière : 4ème rencontre. Jn 14, 1- 14 : Le chemin qui va du trouble à la prière.

[7] Ici il y a une courte introduction qui est complétée au III 1) et 5) de ce fichier, ensuite c'est vraiment traité au Chapitre X : Lecture valentinienne de Jn 1, 1-5 et 14-16.(qui n'est pas repris dans ce message).

[8] Si on suit la nouvelle translittération du grec, on écrit "en arkhêi" : il y a un iota souscrit car arkhê est au datif.

[9] La Septante est la traduction en grec faite au IIe siècle avant JC. Voici le début de la Genèse : « En arkhêi epoiêsen ho theos ton ouranon kaï tên gên : au commencement Dieu créa le ciel et la terre)

[10] En hébreu on lit de droite à gauche et les voyelles sont écrites dessous ou dessus. Un exemple de commentaire rabbinique à propos de cette lettre beth est celui-ci que cite parfois J-M Martin. Question : Pourquoi le monde fut-il créé avec la lettre "Beth" ? Réponse : « Pour t’apprendre qu’il y a deux mondes : ce monde-ci et le monde à venir » En effet, en tant que deuxième lettre de l'alphabet, le "Beth" est signe de dualité.

[11] « Un traducteur juif du deuxième siècle de notre ère, Aquila, a fait une traduction littéraliste de la Bible hébraïque, ce qui fait que l'on peut reconstituer son modèle hébreu par rétroversion. Or, ici, sa traduction est très intéressante. Il commence par en kephalaiôi, c'est-à-dire " en somme ", mais aussi " en principe ", avec un rapport entre le substantif kephalaion et le nom grec de la tête, kephalê, comme il y a un rapport en hébreu entre reshit et rosh.» (Gilles Dorival, https://dafip.ac-aix-marseille.fr/actes_colloque/actes_2004_06.htm )

[12] Un des témoins de cette lecture est Irénée (mort en 201) comme le dit Antonio Orbe, dans Introduction à la théologie des IIe et IIIe siècles Cerf 2012. p. 180 : « Irénée se référait à la lecture  de Gn 1, 1 en hébreu. Il l'interprétait ainsi : “Au commencement Dieu créa [= fit] un Fils et ensuite le ciel et la terre”  (Démonstration 43, SC 406, p. 145-147). »

[13] Le mot grec ἀρχή a pour transcription classique archê, mais en transcription phonétique il s'écrit arkhê.

[14] « Quand nous employons le mot principe dans le sens d'origine et non d'ordre, nous ne manquons pas de mentionner particulièrement la chose que nous regardons comme le principe de l'autre. Par exemple, si nous disons: Dans le principe (in principio), le potier fit un plat, ou bien une amphore, principe ici ne signifiera point matière, car je n'ai point pris la matière dans le sens d'origine, mais d'ordre par rapport au reste de l'ouvrage, parce que le potier commença par un plat et une amphore, avant de faire autre chose. Le mot principe désignera donc l'ordre que l'artisan suit dans son œuvre, mais non l'origine de toutes les autres substances. Je puis encore donner au mot principe une explication qui n'est pas hors de propos. Dans la langue grecque, archê, qui répond à notre mot principe, indique non-seulement le rang, mais la primauté et la puissance (sed et potestatiuum capit principatum). Voilà pourquoi l'on appelle archontes les princes et les magistrats. » (Tertullien, Contre Hermogène, chapitre 19, http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/tertullien_contre_herm/lecture/1.htm ). Sur le sens de arkhê en Gn 1, 1 version de la Septante, voir aussi Monique Alexandre, Le commencement du livre Genèse I-V, éd. Beauchesne p. 68.

[15] C'est quelque chose qui existe déjà en hébreu : à la fin de Bereshit Rabba 1,4 il est dit : « Par "commencement" l'on entend premiers fruits, selon les mots : “Prémices (reshit) des premiers fruits de la terre ” (Ex 23, 19) » (édition Verdier p.38).

[16] La traduction de la Vulgate est celle que fait Jérôme vers 400 : « in principio creavit deus caelum et terram » (à noter que le latin ne possède pas d'article). « In principio erat Sermo » (Vetus Latina et Érasme).

[17] On a ce genre de chose, par exemple Mt 5, 2 ou Ac 8, 35. Mais les traducteurs ne le traduisent pas toujours littéralement.

[18] Cette lettre א, aleph, qui est la première lettre, ne donne pas lieu à un son.

[22] Cf. dans les rencontres sur la prière : 3ème rencontre. Jn 17, 1-5 : la prière de Jésus.

[24] Le mot hébreu davar, désigne la parole active qui fait événement. Pour les gens du Proche-Orient ancien, la parole n'est pas la simple expression verbale d'une pensée ou d'une volonté, mais la réalité elle-même qu'elle désigne. Dans la Bible davar signifie parole, chose, objet, événement, révélation, commandement. Ce que nous appelons les "dix commandements" est en réalité "les dix paroles".Le livre des Chroniques s'appelle en hébreu  Divré Hayamîm (= Parole des jours). À noter que davar est la transcription phonétique de dabar où la lettre beth qui correspond à notre "b" ne contient pas de point diacritique, et donc se prononce "v".

[25] Un targum est une traduction araméenne d'une partie de l'Ancien Testament, pouvant comporter d’importantes amplifications. Ces traductions se font après la captivité babylonienne au VIe siècle avant J-C, lorsque l'araméen remplace l'hébreu comme langue généralement parlée.

126 Le Memra (la Parole) est utilisé par le Targum pour désigner Dieu, ou sa présence créatrice ou libératrice : le mot Dieu est remplacé par "memra de Dieu". On peut citer par exemple le passage du targum Néofiti que Joseph Pierron citait souvent : « Quatre nuits ont été inscrites au Livre des Mémoriaux. La première nuit (fut) celle où YHVH se manifesta sur le monde pour le créer : le monde était désert et vide et la ténèbre était répandue sur la surface de l’abîme (Gn 1, 2). La parole (memra) de YHVH était la lumière et illuminait. Et il l’appela nuit première. » (Roger Le Déaut, La Nuit Pascale: essai sur la signification de la Pâque juive à partir du Targum d’Exode XII 42, Institut Biblique Pontifical, Rome, 1963).

[28] « [...] Le Verbe existe toujours immanent (Logos endiathétos) dans le cœur de Dieu. Avant que rien ne fût, il tenait conseil avec lui qui est son intelligence (nous) et sa sagesse. Et quand Dieu décida de faire tout ce qu’il avait délibéré, il engendra ce Verbe au-dehors (Logos prophorikos), Premier-né de toute créature (Col. 1,15), sans être privé lui-même de Verbe, mais ayant engendré le Verbe et s’entretenant toujours avec son Verbe » (Théophile d’Antioche, Trois Livres à Autolycus, II, 22 ; SC 20, p. 155 ; cf. II, 10, p. 123).

[29] Aleph est la première lettre de l'alphabet hébraïque et beth est la deuxième.

[30] Cf. Chapitre X : Lecture valentinienne de Jn 1, 1-5 et 14-16 mais J-M Martin n'a pas eu le temps de comparer avec la table séphirotique.

 

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