2 Cor 4, 16-18. 5, 1-5. Renouvellement de l'homme intérieur ; symbolique du vêtement
« Chez saint Paul l'intériorité ne s'oppose pas à l'extériorité comme l'âme ou l'esprit s'oppose au corps. Mais l'intériorité désigne la nouveauté. C'est une intériorité qui s'ouvre à l'intérieur de notre intérieur, un espace que nous ne pouvons pas parcourir qui est la région de l'insu. Autrement dit l'homme est complètement percé. » (J-M Martin)
- Pour savoir qui est J-M Martin : Qui est Jean-Marie Martin ?
- le début de ce qui se trouve ici figure aussi dans Homme intérieur (ou homme nouveau) chez Paul. Lecture de 8 textes dans Rm 6-7, Ep 2-4, 2 Cor 4, Col 3..
- Un autre commentaire (plus long) de ce même passage figurera sur le blog en fin 2023, voir dans le tag épîtres-Corinthiens.
Le renouvellement de l'homme intérieur
2 Cor 4,16-18 - 5,1-5
Chapitre 4. 16C’est pourquoi nous ne perdons pas courage et même si, en nous, l’homme extérieur va vers sa ruine, l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. 17Car nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle qu’elles nous préparent. 18Notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel.
Chapitre 5. 1Car nous le savons, si notre demeure terrestre, qui n’est qu’une tente, se détruit, nous avons un édifice, œuvre de Dieu, une demeure éternelle dans les cieux, qui n’est pas faite de main d’homme. 2Et nous gémissons, dans le désir ardent de revêtir, par-dessus l’autre, notre habitation céleste, 3pourvu que nous soyons trouvés vêtus et non pas nus. 4Car nous qui sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés ; c’est un fait : nous ne voulons pas nous dévêtir, mais revêtir un vêtement sur l’autre afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. 5Celui qui nous a formés pour cet avenir, c’est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l’Esprit.
(Traduction de la TOB)
Qu'est-ce que l'homme intérieur chez Paul ? C'est une magnifique question que nous examinons aujourd'hui [1] . Il ne faut probablement pas entendre par là ce que ce mot suggère pour nous, ce qu'il évoque spontanément quand nous pensons à la vie intérieure.
On trouve chez Paul plusieurs courtes références où ce mot apparaît ou quelques mots équivalents. Nous avons Ep 3, 16 et Ep 4, 13-22, qui présentent une certaine proximité avec Colossiens 3, 9. Nous avons ensuite deux autres références qui n’appartiennent pas aux deux épîtres précédentes qu’on appelle les épîtres de la captivité mais aux grandes épîtres antérieures – c’est important à noter pour marquer une certaine continuité de vocabulaire chez Paul –, il s’agit de Rm 7, 22, un texte que nous avons déjà lu, et 2 Cor 4, 16.
Les exégètes se sont intéressés aussi à ces expressions. Souvent la discussion porte sur le fait de savoir si l’homme intérieur, c’est tout un chacun (l’homme) ou si c’est le Christ. Dans de nombreux cas cette question n’est pas pertinente et atteste que l’on n’est pas au texte.
Nous prenons 2 Cor 4, 16.
1) Verset 16 : homme intérieur et homme extérieur.
« C’est pourquoi nous ne nous chagrinons pas, mais si notre homme extérieur se corrompt (se défait) et que notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour…» Nous avons ici explicitement la mention homme extérieur opposée à homme intérieur. Évidemment il y a rapport entre les deux. Il faudrait se demander en quoi ces expressions nous font problème.
Qu'entendre ici par le mot homme ?
D'abord le mot homme. Chez nous l'homme, en vérité, c'est un homme, c'est un sujet qui dit je. Ici, non. Ce qui est envisagé, c'est l'être-homme et il y a un être-homme dans l'être-homme. Il y a l'homme dans l'homme. Autrement dit, homme ne désigne pas un sujet, une substance, une nature, mais quelque chose comme une posture. Nous allons trouver les mots qui vont le confirmer. Il ne s'agit pas d'une posture que pourrait prendre un homme par ailleurs déjà sujet d'une nature, bien sûr que non ! C'est une posture constitutive.
Il y a deux postures constitutives, deux hommes : l'un est appelé intérieur, l'autre extérieur[2].
Ceci peut nous faire difficulté, parce que nous sommes peut-être accoutumés de penser l'intériorité sur le mode de la fermeture à tout ce qui nous entoure, à ce qui nous fait rentrer en nous-mêmes ou quelque chose de cet ordre. Il ne s'agit pas du tout de cela. Intériorité et extériorité ont l'avantage d'être des mots qui relèvent de la symbolique de l'espace, mais sur un mode qui ne nous est pas familier. Il faut donc attendre du contexte que ces deux termes se confirment. Par homme, il ne faut pas entendre ce que nous appelons un homme, et pour intérieur ou extérieur, il ne faut nous fier ni à nos représentations spatiales ni à l'investissement métaphorique qui est d'usage dans notre langage.
Intérieur et extérieur.
Il faudrait méditer aussi sur les mots intérieur et extérieur. Nous utilisons constamment ces oppositions ou ces relations. Elles appartiennent aux symboliques fondamentales et il faut se demander comment ces deux mots jouent l’un par rapport à l’autre. En certains lieux, ce sont des contraires qui s’excluent, comme lumière et ténèbre, puisque lumière et intériorité sont synonymes chez Jean. En effet, dans le Prologue, "ce qui advint en Lui", qui est vie et lumière, s’oppose à "ce qui advint hors de lui ", qui est "le rien", la ténèbre. À la mesure où la lumière vient, la ténèbre s’en va, elles ne composent pas ensemble.
En revanche, il y a un dedans et un dehors qui peuvent être, disons sommairement, complémentaires. Par exemple, la liberté, c’est d’habiter, habiter la maison du Père, et habiter est essentiellement pouvoir entrer et sortir : dedans et dehors. La prison n’est pas une habitation libre. L’absence de domicile est aussi une carence. Donc, dans ce sens-là, dedans-dehors sont de bonnes alternances. On n’est plus dans l’alternance du type lumière-ténèbre, mais éventuellement dans l’alternance du type jour et nuit, qui peut être perçue comme une belle alternance, le beau rythme des temps. Et puis dedans-dehors est intimement lié à la question du où, question première qui régit tout l’évangile de Jean.
Ceci a aussi à voir avec des appartenances. Être dedans, c’est faire partie, ce qui renvoie à la façon de dire nous : nous les francophones, nous les nivernais… Et si on médite sur je, bien sûr, il est très important de voir que je n’est pas posé le premier, je est toujours donné par tu. Et d’autre part le je se constitue dans des nous, faute de quoi il se constitue dans un on anonyme.
Ces questions concernent la simple expression : homme intérieur. Elles nous évitent de nous en tenir à ce que ce mot évoque immédiatement à notre esprit.
La nouveauté christique.
L’homme intérieur, dit Paul, se renouvelle de jour en jour, tandis que l’autre se défait, se corrompt.Le mot renouveler, le mot de nouveauté, est donc associé à la mention de l’homme intérieur. C’est en ce sens-là que le Christ est le nouvel Adam. Et ici est noté qu’il se renouvelle de jour en jour, tandis que l’homme extérieur se détruit progressivement.
Nous avons ici la traduction paulinienne de la phrase de Jean : « C'est ceci la disposition nouvelle que je vous écris, ce qui est vrai en lui et en vous : que la ténèbre est en train de partir et que la lumière, la vraie, déjà luit. » (1Jn 2, 8). C'est la situation dans laquelle nous sommes. Autrement dit, pour autant que nous naissons à l'Évangile, notre homme intérieur s'accroît et pour autant que nous mourons au péché – "mourir à", expression très importante chez Paul – notre homme extérieur se défait. Nous avons ce processus.
Rappelez-vous qu'entendre l'Évangile, c'est naître : « À ceux qui l'ont reçu, qui ont cru en son Nom, il a été donné de devenir enfants de Dieu, eux qui sont nés ni des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté d'un homme, mais de Dieu » (Jn 1, 12-13). Autrement dit, nous sommes chronologiquement, dans un premier temps, nés de la chair et du sang. Mais avoir la foi ou entendre la parole de Dieu, c’est naître de plus originaire. C’est plus originaire en un sens et, en même temps, c’est plus nouveau parce que cela vient après, conformément à cette conception du temps chez Jean, comme dit le Baptiste : « Il vient après moi parce que avant moi il était ». Nous sommes originairement voulus, séminalement posés, j’allais dire : de toute éternité séminalement posés. Ce qui apparaît d’abord dans la croissance, c’est le fruit d’une autre semence, mais la foi accomplit la germination et la croissance de la semence originelle qui est en tout homme.
Voilà les structures de base du discours néo-testamentaire dans son ensemble. Elles ne sont absolument pas propres à Paul. Ici, nous les prenons dans les articulations, le langage, la syntaxe et le vocabulaire propres à Paul, mais nous avons l’équivalent dans tout le Nouveau Testament.
Nous avons relevé, comme première caractérisation de l’homme intérieur, le thème de la nouveauté. Cela ne veut pas dire que l’Évangile était nouveau pour les hommes il y a 2000 ans. Cela veut dire qu’il a encore à l’être à chaque fois, pour chacun d’entre nous
2) Verset 17-18 : Le poids de gloire.
Dans la suite saint Paul commente en termes de choses visibles et choses invisibles ce qu'il vient de dire
« 17Car la présente légèreté de nos tourments met en œuvre en nous d'abondance en abondance un poids (baros) éternel de gloire. » La destruction, considérée ici comme légère, peut être la dégradation suivie de la mort, mais aussi la souffrance, toutes choses négatives.
Elles mettent en œuvre en nous un poids de gloire. Nous avons donc une différence entre ce qui est léger et ce qui est lourd. Ceci est intéressant parce que, en hébreu, gloire est un mot qui signifie étymologiquement quelque chose comme ce qui a du poids, ce qui est lourd. Il y a une symbolique du léger et du lourd qui est favorable au lourd et il y a également l'inverse. Nous sommes ici dans une symbolique dans laquelle c'est le poids qui a du poids. Le poids est donc voué à dire à peu près la même chose que la vérité par rapport à l'illusion. Ce qui n'a pas de poids, c'est l'illusoire.
Il y a un certain nombre de mots qui sont constants chez Paul, pour dire cela : l'opposition du plein (ce qui a du poids) et du vide, qui correspond à l'opposition de la lumière et de la ténèbre et à celle de la sagesse et de la folie. Ce sont trois équivalences que l'on trouve, par exemple, dans le premier chapitre des Romains et à la fin des Éphésiens.
Donc le poids signifie la vérité par opposition à l'illusion. Cette illusion est illusion par rapport à cette vérité. Ce qu'on appelle illusion, ici, c'est tout ce que vous appelez vrai. C'est tout l'ordinaire de notre vie, de ce que nous sentons, de ce que nous savons etc. Ce qui est tout à fait légitime dans un lieu mais qui, au regard de cela, est précisément considéré comme illusoire par rapport à ce qui a du poids.
« 18Nous ne visons pas (mê skopountôn) les choses qui se voient (ta blépoména), mais celles qui ne se voient pas (mê ta blépoména), en effet ce que nous voyons est provisoire et ce que nous ne voyons pas éternel ». Sont opposées ici les visibles et les invisibles. Vous pouvez, sans doute, en déduire que l'homme intérieur est ce qui est visé, c'est lui qui a du poids, de l'importance. Il est ce que nous visons et qui est invisible.
3) Versets 1-5 du chapitre 5. Symbolique du vêtement.
« 1Nous savons, en effet, que, si cette tente – cela désigne la demeure provisoire, la demeure nomade – [qui est] notre maison sur la terre est détruite – Nous entrons là dans la symbolique de l'habitation. Être, pour l'homme, c'est habiter. Et il y a deux habitations. Pour la première, nous avons les mots : oikia, la maison, qui est caractérisée comme terrestre (épigéios, sur terre) et skênê : la tente, qui a à voir avec la symbolique de l'habitation et de la présence.
Par exemple, chez Jean, dans l'expression « le Logos fut chair et il a habité parmi nous » (Jn 1, 14), nous avons le verbe eskênosen qui signifie : il a planté sa tente ou a vécu dans sa tente parmi nous. La tente désigne un lieu de présence, d'habitation.
La shekinah en hébreu, dont le nom vient du verbe shakan qui signifie habiter, c'est la gloire de Dieu en tant qu'elle est habitante dans le Temple. Elle habitait d’abord sous la tente lorsqu'elle accompagnait Israël dans ses pérégrinations, et finalement elle s’est fixée dans le Temple où elle est ce qui fait poids pour constituer l'unité du peuple, le Temple étant l'habitation de Dieu.
… nous avons un édifice [qui est l'ouvrage] de Dieu, une maison éternelle (aïônion) non fabriquée de main d'homme (arkheiropoiêton) dans les cieux – c'est dans l'aïôn qui vient, c'est donc la seconde habitation – 2Car nous gémissons en ceci, désirant revêtir par-dessus, notre habitacle, celui qui vient du ciel. 3si du moins nous sommes trouvés vêtus et non pas nus. – si nous perdons notre vêtement terrestre et que nous n'ayons pas déjà le vêtement céleste, c'est là que nous sommes nus. Le nouveau vêtement est là déjà ce n'est pas pour plus tard, c'est là sur mode des arrhes, mot qui va venir par la suite – 4Et en effet, tandis que nous sommes dans cette tente, nous gémissons, accablés, du fait que nous voulons, non pas dévêtir, mais revêtir, afin que ce qui est mortel soit englouti par la vie. – c'est la même image que la lumière absorbe la ténèbre, c'est-à-dire l'évacue, ou que le fromage se forme à partir du lait et évacue l'ancien état
Il ya donc ici tout un développement autour de la demeure, de la maison, de l'habitation. L'expression « désirant revêtir l'habitation » nous paraît incohérente mais elle se retrouve à plusieurs reprises, et ce n'est pas un hasard. Il nous faut soupçonner une symbolique de l'habitation et du vêtement tout à fait décisive qui établit un rapport entre ces deux termes.
On trouve cette symbolique en de nombreux lieux et je vous signale qu'il faut changer notre idée sur ce que veulent dire habiter et revêtir. Il y a d'ailleurs dans l’évangile de Philippe, évangile apocryphe du début du IIe siècle, un petit texte à propos du vêtement, où il est dit ceci, infiniment plaisant : « En ce monde-ci, le corps est plus important que le vêtement – les vêtements, on en change, le corps dit la permanence – mais dans l'aïôn à venir, le vêtement est plus important que le corps »[3]. C'est ce qu'on trouve aussi chez Paul lorsqu'il emploie l'expression : revêtir le Christ, être vêtu du Christ[4]. Là, le vêtement est plus important que le corps, autrement l'expression n'aurait pas de sens.
« 5Et celui qui nous a préparés pour cela, c'est Dieu, qui nous a donné les arrhes de l'Esprit. » Quand on meurt de notre mort, il faut déjà être revêtu de l'Esprit, c'est pourquoi nous avons déjà les prémices de l'Esprit, nous ne sommes pas nus, nous sommes déjà revêtus du Christ d'une certaine manière. L'âge messianique est déjà la présence eschatologique mais non pleinement accomplie. Nous sommes dans le dernier jour, mais le dernier jour a un matin et un soir.
[1] Ceci est extrait d'une rencontre animée par Jean-Marie Martin à Saint-Bernard-de-Montparnasse en 2004. Ne figure ici que la lecture de 2 Cor 4-5, J-M Martin ayant poursuivi un peu ce texte jusqu'au début du chapitre 5. Sur le blog la Christité figure un autre message : L'homme intérieur chez saint Paul, Rm 7, 18-24, Ep 3, 14-19. La citation mise au début vient de ce message.
[2] Voir aussi Rm 7, 7-25. La distinction du "je" qui veut et du "je" qui fait. Les différents sens du mot loi chez Paul..
[3] Il s'agit de la sentence 24 qui dit littéralement « En ce monde ceux qui revêtent les vêtements sont supérieurs aux vêtements. Dans le Royaume des cieux, les vêtements sont supérieurs à ceux qui les ont revêtus. » (traduction Jacques Ménard). Voir aussi Symbolique du vêtement : le lavement des pieds (Jn 13) ; le Chant de la perle (poème gnostique) .
[4] « Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ : il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme… » (Galates 3, 27-28) .