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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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3 juillet 2015

Comment entendre "porter sa croix" ? Lc 9, 23 ; Mt 16, 24 ; Mc 8, 34

Lors de la retraite à Sainte-Bernadette de Nevers sur le thème "Le signe de croix, signe de la foi", Jean-Marie Martin a lu le texte de Jn 5, 1-9 (la guérison du paralysé) dont la transcription figure sur le blog[1] et il a fait un pont avec le "porter sa croix" des synoptiques. Voici une partie de ce qu'il a dit concernant "porter sa croix".

 

Comment entendre "porter sa croix" ?

Lc 9, 23 ; Mt 16, 24 ; Mc 8, 34

 

« Si quelqu'un désire venir derrière moi, qu'il se renie lui-même et qu'il porte sa croix et qu'il me suive. »

J'ai pensé quant à moi que la parole de Jésus au paralysé en Jn 5, 8-9 pouvait être plus originelle que la parole donnée dans les synoptiques à propos de "porter sa croix". Ce n'est pas rare qu'il y ait chez Jean – qui est, comme chacun sait, le dernier écrit – des sources plus originelles que même dans les synoptiques :

  • « Si quelqu'un désire venir derrière moi, qu'il se renie lui-même et qu'il porte (aratô) sa croix et qu'il me suive (akolouthein, littéralement marcher avec) » (Lc 9, 23 ; Mt 16, 24 ; Mc 8, 34).
  • « 8Jésus lui dit : “Lève-toi, porte (aron) ton brancard et marche”. 9Et aussitôt l'homme devint sain – ce n'est pas “se leva” – et il portait son brancard et il marchait. »

Nous avons à peu près le même ternaire :

  • le premier terme est variable (en Jn 5 on a “se lever” v.8, mais “être guéri” v.9, dans les synoptiques on a “se renier”) ;
  • ensuite on a “porter son brancard” ou “porter sa croix” ;
  • et un troisième terme : “marcher” ou “marcher avec”.

Le point ici serait que le mot de brancard (ou de grabat) soit celui auquel se substitue le mot de croix. Il est peu plausible que Jésus ait parlé de croix de cette façon-là avant sa crucifixion. C'est pourquoi ce mot-là, tel qu'il est chez Jean, pourrait bien être l'origine de la phrase qui le commente légitimement et qui se trouve dans les synoptiques.

 

Que se passe-t-il pour le paralysé en Jn 5 ?

Guérison du paralytique par JésusJésus le voit gisant et lui pose la question : « Veux-tu devenir sain ? (ou veux-tu guérir ?) » La question est étrange parce qu'à première vue on serait tenté de dire : tout le monde désire guérir. Nous verrons que ce n'est pas si simple. L'homme lui répond : « Je n'ai pas d'homme – la signification johannique implicite c'est que je n'ai pas l'homme nouveau qui libère – qui me jette dans l'eau quand elle se met à bouillonner. » Il est gisant, il faut qu'un homme le porte : il est gisant et il est passif ; et enfin il est attardé dans son parcours parce qu'il ne marche pas.

Peut-être vous demandez-vous pourquoi je fais toutes ces précisions ? C'est pour préparer les mots qui vont dire le contraire de ces caractéristiques-là :

  • il est gisant, à l'horizontal. Jésus lui dit  « Lève-toi » : ceci ouvre la verticalité
  • il faut qu'on le porte, il est passif. Et la parole lui dit « Porte ce qui te portait » : nous sommes invités à assumer.
  • et enfin il est immobile. « Marche. »

Donc la verticalité, l'activité par rapport à ce qui était passif et la libre marche pour ce qui était cloué. On dit « cloué au lit », mais pourquoi je dis cloué ? Parce qu'on est cloué à la croix, c'est un clin d'œil. Il était donc immobile, il n'était pas dans l'espace de la libre marche.

Or ce sont les énormes carences de notre humanité native :

  • nous ne sommes pas spirituellement debout, nous sommes gisants ;
  • nous ne sommes pas spontanément porteurs, il faut qu'on nous porte ;
  • nous ne sommes pas spontanément marchant dans le libre espace car nous sommes dans un espace de servitude.

C'est pourquoi Jésus lui dit :

  • Lève-toi – donc mets-toi debout ;
  • porte ton grabat – il a dit “Je n'ai pas d'homme pour me porter”, c'est le même verbe ; le grabat le portait ;
  • et marche

Et aussitôt l'homme devint sain et il portait son brancard et il marchait. »

 

Comment entendre la parole du Christ « porter sa croix » ?

Pour revenir rapidement à notre texte, que veut dire « porter sa croix » ? Ce n'est pas chercher des croix, ce n'est pas souhaiter des croix, car nous sommes en croix nativement plus ou moins : nous sommes dans la servitude, nous sommes gisants, nous ne sommes pas porteurs.

Sainte Bernadette SoubirousIl y a une phrase de Bernadette là-dessus que je vais citer de mémoire[2]. On lui demandait : « Sœur, est-ce que vous lisez quelquefois votre saint patron saint Bernard ? » « Oh oui, je le lis quelquefois, mais je ne l'imite guère car lui cherche la souffrance et moi je la fuis. » C'est merveilleux, c'est sain en même temps, et il y a même une pointe d'ironie j'imagine.

Il ne s'agit pas de chercher des croix, elles sont là, soyez tranquilles. Ce à quoi la Parole m'invite, c'est de ne pas les subir passivement mais de les assumer. C'est pourquoi en Jn 5, 6 Jésus demande au paralytique : « Veux-tu être guéri ? » parce que c'est aussi une facilité de se laisser aller à souffrir ; c'est à la limite, mais vous savez, la psyché humaine est complexe.

Donc c'est une invitation, mais le mot n'est pas suffisant. La parole du Christ n'est pas une parole d'invitation, c'est une parole qui donne ce qu'elle dit. C'est pourquoi, lorsqu'il lui dit : « Lève-toi, marche » ce n'est pas un commandement, ce n'est pas un ordre, c'est une parole donnante, c'est une parole qui fait qu'il se lève et qu'il porte son antique passivité et qu'il marche librement. C'est une parole qui donne ce qu'elle dit – quand elle le donne, à l'heure où elle le donne. Entendre la parole, ce n'est pas être documenté sur la marche. Entendre la parole, c'est se mettre debout. La parole du Christ est une parole donnante, elle est effectivement donnante pour la totalité de l'humanité. Elle est effectivement donnante c'est-à-dire que mon écoute de l'Écriture est authentique à l'heure où cette écoute met en œuvre mon être profond, où cette écoute me change.



[2] La retraite avait lieu à l'espace Bernadette de Nevers.

 

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