Le SACRÉ dans l'Évangile. Ch III : Le Temple et l'insu (Jn 2 / Jn 3)
La troisième journée de la session animée par Jean-Marie Martin est consacrée surtout à la lecture de deux textes : les vendeurs chassés du Temple (Jn 2, 14-25) et le dialogue de Jésus avec Nicodème (Jn 3, 1-10). Le thème du sacré est abordé en ce sens que le mot le plus courant pour dire sacré en grec est à la racine d'un des mots pour dire le temple. Par ailleurs le dialogue avec Nicodème concerne la nouvelle naissance à partir du Pneuma Sacré (l'Esprit Saint). C'est dans ce dialogue qu'on trouve la référence de base à la notion d'Insu qui joue un grand rôle dans l'approche du sacré dans l'Évangile.
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Chapitre III
Le Temple et l'insu
Jn 2 / Jn 3
Hier sous avons parcouru le premier chapitre de l'évangile de Jean. Notre projet ce matin est de nous mettre à l'écoute d'un dialogue au chapitre 3 entre Jésus et Nicodème. Cependant je dis un mot de l'entre-deux parce qu'il s'y trouve des choses qui intéressent aussi notre question, et pour une autre raison. Je disais en effet hier que ce n'est pas l'addition des mots qui donne le sens de la phrase, mais que c'est la phrase qui donne le sens des mots, et je dirai de la même façon que c'est le contexte qui donne le sens de la phrase. Autrement dit, l'Écriture n'est pas un texte tel qu'on pourrait sortir un mot ou une phrase de son contexte et spéculer librement dessus, ce qui serait une attitude dogmatique – parce que vous êtes dogmatiques sans le savoir, et l'Écriture ne l'est pas. J'aurai à préciser le sens de ces mots-là exactement dans leur histoire et dans leur présent.
I – Cheminement dans Jean 2
1) Les Noces de Cana.
Donc ceci pour dire qu'après le chapitre premier de saint Jean que nous avons quitté, le texte se poursuit par un récit qui met un terme à l'énumération des sept jours. Il commence par « le troisième jour », c'est après les quatre jours qui précèdent, donc par là c'est un récit eschatologique, récit de la fin.
Que veut dire « le dernier jour » ? Voilà une belle question qui est liée à la conception archaïque, johannique spécialement, du temps. Ce n'est pas le moment d'en dire plus sur ce sujet[1].
Mais j'avais noté déjà hier le caractère eschatologique des Noces de Cana[2], par le fait qu'il y a la noce, le banquet, le vin, qui sont tous des thèmes eschatologiques, des thèmes de la fin. On trouve en effet ces thèmes dans les évangiles synoptiques, et aussi dans l'Ancien Testament. Donc ce texte clôt quelque chose.
2) Les itinéraires de Jésus.
Les premières séparations d'entre les textes sont posées par Jean dans le temps et les itinéraires de Jésus. Au chapitre premier nous étions au Jourdain, et la descente de Jésus se fait ultimement en Galilée « 1Le troisième jour, fut une noce à Cana de Galilée ».
Après les Noces de Cana, nous avons : « 12Après cela, il descendit à Capharnaüm, lui et sa mère et ses frères et ses disciples et ils demeurèrent là peu de jours – ici c'est descendre à Capharnaüm – 13Et était proche la Pâque des Judéens, et Jésus monta vers Jérusalem. »
Le début de l'évangile de Jean est ponctué par les allers-retours de Jésus. On descend en Galilée et on monte à Jérusalem – je sais bien qu'on dit aussi « monter à Paris », mais ça a un autre sens. Monter à Jérusalem veut dire « aller à la mort », car Jérusalem est la ville qui tue les prophètes, comme le dit l'Écriture. Et descendre en Galilée c'est la résurrection parce que la Galilée désigne les confins, et les Judéens parlent même de "la Galilée des nations". Plus précisément, descendre en Galilée c'est la diffusion du message, non pas seulement aux juifs, mais à la totalité du monde. Cela désigne la résurrection ou la Pentecôte, étant donné que la Pentecôte est la résurrection répandue sur le monde.
Donc Jésus monte à Jérusalem. Vous verrez qu'ensuite il redescendra en Galilée, au chapitre 4 : « Jésus quitta la Judée pour retourner en Galilée, or il devait traverser la Samarie », donc l'épisode de la Samaritaine se situe là ; et l'ensemble se conclut par un miracle dans la descente à Capharnaüm, miracle de la guérison du fils de l'officier royal, petit récit très intéressant.
3) L'épisode des vendeurs chassés du Temple (Jn 2, 14-25).
Donc nous montons à Jérusalem. Il faut noter en passant des mots importants pour ce qui concerne notre projet. Ils se trouvent dans l'épisode des vendeurs chassés du Temple.
« 14Et il trouva dans le Temple (hiéron)… » Hiéron dit le sacré, mais particulièrement dans la désignation du Temple. Dans le texte vous trouvez un autre mot pour désigner le Temple ou une partie du Temple, naos, qu'on traduit parfois par le sanctuaire ou le Saint des saints ; ce n'est pas exactement la traduction de naos, mais ce sont les termes les plus proches. Donc il y a le lieu et, quand je dis le lieu, c'est une façon de dire le Temple. En effet les hébreux appellent le Temple le Lieu, et ils appellent Dieu lui-même le Lieu (Hamaqom en hébreu).
« Il trouva… ceux qui vendent bœufs et brebis et colombes, et les changeurs de monnaie assis. 15Faisant un fouet de cordes il les chassa tous hors du temple (hiéron), les brebis et les bœufs, et il renversa l'argent des changeurs et retourna les tables 16et à ceux qui vendaient des colombes il dit : "Enlevez ça d'ici, ne faites pas de la maison de mon Père une maison de marché (marchands). »
Il y a donc la manifestation d'un zèle pour ce lieu que Jésus appelle « la maison de mon Père », une deuxième mention de cette expression se trouve au chapitre 14.
► Paul dit lui-même[3] que nous sommes le temple de Dieu, et que, si nous détruisons l'homme, en quelque sorte, nous détruisons Dieu.
J-M M : Donc nous savons qu'il y a tout un contexte préalable où se nouent un certain nombre de choses qui ne nous viennent pas à l'esprit quand nous prononçons le mot temple.
b) Une gestuelle prophétique (v.17).
La gestuelle du Christ est une gestuelle prophétique. En effet, les prophètes de l'Ancien Testament ne parlent pas simplement par la parole mais aussi par la gestuelle. Par exemple Dieu enjoint à Osée d'épouser une prostituée pour révéler qu'Israël est en train de se prostituer.
Cette gestuelle de violence ici prophétise la violence qui sera faite à Jésus : les lanières du fouet dont il se sert préfigurent la manière dont il sera flagellé par exemple.
Et cela est interprété. « 17Ses disciples se remémorèrent qu'il était écrit : "Le zèle de ta maison (oikos) – la maison est un autre nom du Temple. Et nous savons que, dans « la ferveur (le zèle) pour ta maison », il faut entendre la ferveur de Jésus pour l'humanité qui est appelée à être temple – me dévorera" – c'est la mention de la passion et de la mort. »
c) Le dialogue avec les Judéens (v. 18-21).
Alors les Judéens lui demandent un signe qui justifie cette gestuelle et cette parole. « 18Les Judéens répondirent donc et lui dirent : "Quel signe nous montres-tu de ce que tu fais ces choses ? 19 Jésus répondit et leur dit : "Détruisez ce sanctuaire (naos, temple) et en trois jours je le relèverai." – Il faut savoir que c'est le même mot qui dit éveiller (ou relever) et ressusciter – 20Les Judéens dirent donc : "C'est en 46 ans que ce sanctuaire (naos) a été construit ; et toi, en 3 jours, tu le relèveras?" 21Mais lui parlait du sanctuaire qui est son corps. »
d) La mémoire des disciples (v. 22).
« 22Quand donc il fut relevé (ressuscité) des morts, les disciples se souvinrent (emnêsthêsan) de lui, de ce qu'il avait dit cela… » Cette mention est d'une extrême précision et tous les mots mériteraient d'être médités. Il faut noter l'importance de la mémoire (mnêmê) qui n'est pas simplement le souvenir au sens de rappeler un fait passé. La mnêmê c'est tenir ensemble des choses disjointes, donc c'est la capacité de tenir ensemble le passé, le présent et le futur. Il y a une mémoire du futur. C'est ce qui fait l'importance dans le monde grec du devin qui a une signification par rapport à la temporalité, et du prophète qui n'est pas un devin mais qui a cette caractéristique semblable de lire le présent dans l'ancien et l'ancien dans le présent. C'est la même chose pour le rapport du présent et du futur. Mais le présent dont je viens de parler est à distinguer du présent au sens où nous en usons, celui-ci n'étant rien parce qu'il ne cesse d'être un passé qui s'achève et un futur qui commence. Pour nous, le présent est la présence simultanée du passé, du présent et du futur. Et quand on dit que l'éternité est un éternel présent, on dit n'importe quoi si on entend le mot "présent" dans le sens que nous lui donnons habituellement. Là nous sommes vraiment dans les problèmes majeurs de tout ce qui touche au temps. Et c'est en question à toutes les pages de l'évangile de Jean.
…et ils crurent à l'Écriture et à la parole qu'avait dite Jésus. »L'Écriture est posée ici comme le témoignage de la vérité de ce qui se passe maintenant.
e) Les signes et la foi (v. 23-25).
Nous passons à un autre épisode qui se passe également à Jérusalem, ici il n'y a pas de voyage, pas d'itinéraire.
« 23Tandis qu'ils étaient à Jérusalem pendant la fête de la Pâque, beaucoup crurent en son nom, constatant les signes qu'il faisait. »
Le mot de signe a souvent été traduit par miracle, ce qui n'est pas forcément heureux comme traduction. C'est un mot important à condition qu'on ne prenne pas le signe comme ce qui conduit vers la chose signifiée. C'est le contraire : si j'ai déjà la chose signifiée, je peux reconnaître le signe qui l'annonce. C'est la foi qui fait qu'une chose est un signe, qu'il est lu et perçu dans sa qualité de signe, et le signe n'est pas fait pour prouver la chose. C'est tout à fait à rebours de notre façon usuelle de parler.
« Beaucoup crurent en son nom, constatant les signes qu'il faisait » : nous avons ici une des rares fois chez saint Jean où le mot "croire" n'est pas pris dans son sens plénier. En effet, dans son sens plénier, le mot "croire" (ou le mot "foi") désigne la mort-résurrection du Christ et rien d'autre. Dans les synoptiques, ce serait plutôt la foi qui correspondrait au signe : « c'est ta foi qui t'a sauvé » ; cette foi-là n'est pas foncièrement autre que la foi qui dit « Jésus est mort et ressuscité ». En effet « Jésus est mort et ressuscité » est simplement la manifestation verbale de cette foi : ce n'est pas simplement ce que nous appelons la confiance. De même la foi au sens cognitif du terme n'est pas une crédulité, ce que nous appelons une sorte d'opinion ou de préférence (« ce que je préfère penser »)… Cependant, chez saint Jean, il y a quelques exemples, et nous en avons un ici, où le mot "foi" n'est pas pris dans son sens plénier, parce qu'on peut aussi croire croire et ne pas croire : dans « croire croire » le mot "croire" a deux sens : dans le premier emploi, il a notre sens usuel, c'est-à-dire avoir l'opinion ou le sentiment que nous croyons, mais cependant n'avoir pas la foi authentique… Mais que veut dire authentique dans ce cas-là, nous aurons aussi à le préciser.
« 24Lui, Jésus, ne croyait pas en eux – que serait une foi authentique telle qu'on pourrait croire en lui, mais que lui ne croirait pas en nous ? – car il les connaissait tous 25et parce qu'il n'avait pas besoin que quelqu'un témoignât au sujet de l'homme. En effet, lui connaissait (a toujours déjà connu) ce qu'il y a dans l'homme. »
Remarque finale.
Il reste des choses assez énigmatiques pour vous dans ce texte[4], et c'est le commencement de la recherche. Si quelque chose n'est pas énigmatique, vous ne cherchez pas. Évidemment, ça peut être énigmatique et que vous ne cherchiez pas non plus ! Mais c'est fait pour solliciter de la recherche, car toute connaissance est au bout d'une recherche. Je ne connais que ce que je recherche, c'est-à-dire ce que je ne connais pas encore. Ceci sera mis en évidence dans l'épisode qui suit, qui est l'épisode de Nicodème, qui, lui, a une très grande importance pour préparer des réponses aux questions que nous nous posons.
II – Le dialogue avec Nicodème (Jn 3, 1-10)
1) Nicodème et la question des signes.
a) Présentation de Nicodème (v.1-2).
«1Était un homme d'entre les Pharisiens, Nicodème son nom, archonte des Judéens. 2Il vint auprès de lui (Jésus) de nuit – il est sans doute dans la nuit de sa question, ou plus exactement dans la nuit de son non-questionnement – et lui dit : « Rabbi, nous savons – voilà son non-questionnement ; quand on vient vers Jésus, en principe, on devrait venir comme disciple auprès du rabbi qui est le didascale, c'est-à-dire le maître qui enseigne, et qui a pour corrélatif le disciple ; et être disciple c'est tout autre chose qu'être étudiant – nous savons que tu es venu d'auprès de Dieu comme didascale, car – Nicodème sait même pourquoi – personne ne peut faire les signes que tu fais si Dieu n’est pas avec lui. ». – Nous avons là une espèce de raisonnement qui prélude à ce que sera l'apologétique du XVIIIe siècle : Dieu montre en bravant les lois de la nature, par ses miracles, qu'il est au-dessus de la nature, donc ce qu'il dit est vrai. Mais ce qu'on appelle les miracles, ce n'est pas fait pour ça, ce n'est pas fait pour prouver quoi que ce soit.
b) Faire signe.
Nous naviguons autour de : « quel est ce à partir de quoi la vérité se montre ? » Des signes, des preuves, des témoignages… ? Tous ces mots-là sont distribués dans une autre configuration et désignent une autre fonction que ce qu'ils donnent spontanément à entendre à notre oreille aujourd'hui.
Je pense tout d'un coup à un vieux mot d'Héraclite, VIe siècle avant JC, présocratique dont nous n'avons que des citations fragmentaires faites par des auteurs postérieurs : « Le maître dont l'oracle est à Delphes – donc Apollon – ni ne révèle ni ne cache, il fait signe » (Fragment 93). On y trouve le rapport du caché / dévoilé qui consonne avec la structure de notre Écriture, encore qu'il n'y ait aucune dépendance.
Faire signe, c'est montrer à partir de ce qui se retient, c'est-à-dire garder et donner à voir, non pas comme seraient contraires le silence et la parole, mais comme si la parole et le silence étaient indissociables l'un de l'autre, comme si le silence n'était rien d'autre que la garde de la parole, une garde qui éclot, qui s'ouvre en parole.
► En quel sens peut-on dire que Dieu fait signe ?[5]
J-M M : Dieu fait signe, et ce signe est, d'une certaine façon, une signature. L'extra-ordinaire est le signe que quelque chose ou quelqu'un passe là et nous oblige à poser les yeux sur ce que cela signifie. Nous avons parlé du faire signe comme le dévoilement de quelque chose qui néanmoins reste caché. Et il est très important que Dieu se dévoile comme caché. Il n'y a pas d'abord un moment où il est caché, puis un moment où il fait coucou, où il apparaît. Non. Le Dieu se dévoile, mais il se dévoile comme voilé.
J'ai parlé de signature de Dieu. Les premiers chrétiens pensent en effet qu'il y a quelque chose comme la "manière de Dieu" : ils retrouvent dans l'Ancien Testament les mêmes façons d'agir. Et Dieu est censé faire signe maintenant parce qu'il a déjà fait signe de la même manière. Les signes du Nouveau Testament sont souvent des rappels de signes qui se trouvaient dans l'Ancien Testament, comme s'il y avait une manière de Dieu, quelque chose à quoi Dieu se reconnaît. Le passage de Dieu se reconnaît. Mais ceci ne constitue pas une preuve.
Justement, le signe montre, or le signe par excellence n'est pas un miracle, c'est la Croix qui est signe de l'activité paradoxale de Dieu. Ceci fait joindre dans la même pensée une sorte de familiarité, et au contraire quelque chose de paradoxal. L'Évangile est paradoxal même par rapport à l'Ancien Testament, et donc, les deux se conjuguent pour constituer la texture de l'écriture néotestamentaire.
Remarque.
Il ne s'agit là que de parenthèses, mais des parenthèses signifiantes qui devraient contribuer à nous former une capacité d'oreille, une oreille pour entendre autrement, dans une autre articulation du vocabulaire, d'où ressort une autre articulation du sens des mots. En effet, comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est l'articulation des mots qui détermine ultimement le sens des mots, et non pas les mots qui précisent une articulation ou une syntaxe déterminée. Ceci n'était pas immédiatement notre sujet, mais c'était bon en passant de le dire.
2) Naître d'en haut, naître du Pneuma (v. 3-7).
a) Analyse de l'échange entre Jésus et Nicodème (v. 3 et 4).
« 3Jésus répondit et lui dit: “Amen, amen, je te dis, si quelqu'un ne naît pas d’en haut, il ne peut voir le royaume de Dieu”. » C'est une façon de prendre de la distance avec l'affirmation de Nicodème. Il y a chez Nicodème un « nous savons », et Jésus va progressivement lui montrer que ça ne se sait pas. Nous verrons qu'il ne s'agit pas d'abord du baptême, cela va se préciser par la suite.
Ce qui est à remarquer aussi, c'est comment Jésus se comporte par rapport aux affirmations ou aux questions de ses interlocuteurs. Vous pourriez prendre un mois pour n'étudier rien que cela : comment il se comporte quand on lui adresse la parole. Là, il prend de la distance en prononçant une formule énigmatique. Évidemment, la formule énigmatique est ambiguë. Cela veut dire qu'en fait il ne répond pas à celui qui parle, ce qui lui arrive souvent : Jésus se tait vis-à-vis d'un certain nombre de questions parce que Jésus est au cœur de la question et qu'il ne répond qu'à la question du cœur. « Il savait ce qu'il y a chez l'interlocuteur », on vient de nous le dire. Donc il sait que la disposition de Nicodème est une disposition ambiguë : Nicodème a une certaine sympathie pour Jésus et beaucoup de prétention. Donc Jésus prend distance. Parfois c'est le silence, parfois c'est une parole énigmatique. Une parole énigmatique n'est pas nécessairement une parole de refus, parce que l'énigme a une fonction positive : l'énigme est le commencement d'un chemin de connaissance. Il y a toute une méditation sur la parole énigmatique à la fin du chapitre 16. C'est un passage merveilleux qui mériterait d'être étudié pour lui-même comme posture, comme attitude de parole[6].
Alors Nicodème évidemment ne comprend pas. Cela, nous le savons, c'est normal : Jésus vient à la méprise, au malentendu. Ce n'est pas seulement dû au fait qu'il y ait quelque forfanterie ou prétention à savoir chez Nicodème car, de toute façon, pour entendre ce qui est à entendre, il faut d'abord s'y méprendre, parce qu'entendre c'est toujours corriger un malentendu. Nous sommes nativement dans le malentendu. Le mode d'être de l'homme à l'homme est "nativement" – je ne dis pas "naturellement", nous aurons à faire la distinction tout à l'heure – dans le malentendu et entendre est toujours une victoire sur le malentendu[7].
Que signifie ici « voir le royaume de Dieu. »?Le terme de "royaume de Dieu" est difficile pour nous. Lors de la passion, Jésus explique à Pilate que son royaume n'est pas de ce monde, autrement dit qu'il ne faut pas entendre royaume de Dieu avec les acceptions que le mot royaume a chez nous ; c'est pourquoi, souvent, je traduis « royaume de Dieu » par « espace de Dieu ». Il s'agit d'un espace régi, un espace qui est déterminé par une qualité d'espace. Et ce qui détermine l'espace de Dieu, c'est qu'il est empli de pneuma.
« 4Nicodème lui dit : “Comment un homme devenu vieux peut-il naître ? Est-ce qu'il peut entrer dans le ventre de sa mère une deuxième fois et naître ?” » Bien sûr, ça paraît lourdaud comme intelligence et c'est à tel point que les gens du Moyen Âge ont fait de Nicodème, Nigaudème !
b) L'énigme du verset 5.
« 5Jésus répondit : “Amen, amen, je te dis, si quelqu'un ne naît pas d'eau et pneuma, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » La réponse de Jésus est une réitération sous une autre formule de ce qu'il a déjà dit : « naître d'en haut » devient « naître d'eau et pneuma » ; ce qui s'appelait « voir le royaume » se dit ici « entrer dans le royaume de Dieu », mais c'est la même chose car voir a le sens de connaître, de faire l'expérience de quelque chose. Cette réitération est-elle plus intelligible ? Peut-être pas. Peut-être que le chemin ne peut pas encore se faire.
Cette phrase est très difficile à entendre parce qu'on a souvent entendu : « si mon petit enfant n'est pas baptisé et qu'il vienne à mourir, il n'ira pas au ciel ». C'est véritablement une frayeur des temps anciens où, bien qu'il y eût des familles nombreuses, la moitié des enfants mourait en bas âge, il y avait une grosse mortalité infantile. On a été jusqu'à créer des chapelles de résurrection, c'était dans les bois, et on y déposait le corps de l'enfant mort, on supposait qu'un ange venait le baptiser, tellement c'était insupportable. Or la phrase ne parle pas de cela.
D'abord, pour lire cette phrase, il faut la lire en supprimant les conditionnels et les conséquents. Tout notre discours est articulé à des effets et des causes, des finalités (afin que), des conditions et des conséquences, toutes choses qui n'existent pas dans la pensée sémitique sous-jacente à notre texte. Le langage hébraïque qui est très pauvre dans ses modes d'articulation est traduit de manière approximative par des propositions grecques qui, elles, ont un sens précis et des articulations précises de pensée. Autrement dit, chez saint Jean, ce qui est traduit par "afin que" ne signifie jamais "afin que", de même le "parce que" ne désigne jamais purement une cause, le "si" n'est pas conditionnel[8].
Il faut donc entendre que "naître d'eau et pneuma" c'est la même chose que "entrer dans le royaume". Autrement dit, entrer dans le royaume, c'est une naissance. Et c'est une naissance de cette eau-là qui est le pneuma, car « eau et pneuma » est un hendiadys, ça ne désigne pas ici deux choses, mais deux façons de dire une chose : l'eau désigne le pneuma. Il ne s'agit pas de l'eau du sacrement, au sens où il sera défini au Moyen Âge comme un signe sensible d'une grâce spirituelle, eau et pneuma ne sont pas conjoints de cette façon-là.
c) Détour par Jn 7, 37-39.
Dans « naître d'eau et esprit », j'ai dit qu'il ne s'agissait pas d'eau baptismale. Au contraire, l'eau qui est ici se distingue de l'eau du Jourdain qui est une eau d'en bas, et ce qui permet d'identifier cette eau c'est le passage de Jn 7, 37[9].
C'est le dernier grand jour de la fête de Soukkot qui dure huit jours, donc c'est un jour éminemment solennel. Soukkot est une fête d'automne, la fête de l'eau. Jésus est au Temple (le lieu), il est debout (la posture) et il crie, c'est-à-dire qu'il appelle, qu'il fait une proclamation. Que dit-il ? « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein (de son ventre). » Jean fait ensuite l'exégèse de cette parole en disant : « il parlait du pneuma », autrement dit, en disant "eau", Jésus disait "pneuma". Plus précisément, « il parlait du pneuma qu'allaient recevoir ceux qui croyaient en lui. » Puis il ajoute « il n'y avait pas encore de pneuma car Jésus n'avait pas encore été glorifié », glorifié c'est-à-dire ressuscité puisque c'est la même chose.
Donc, qu'est-ce que c'est que le pneuma ? C'est la résurrection répandue (comme l'eau).
Comment notre oreille distraite (et même attentive) est loin d'entendre ce qui se cache dans ces textes ! C'est une langue étrangère. Elle n'est pas seulement étrangère parce qu'elle est écrite en grec, elle est étrangère parce qu'elle est écrite dans le grec à partir d'ailleurs que des ressources du grec. Et je ne l'entends que s'il m'est donné de l'entendre. Il est mieux aussi que je cherche un peu, mais ultimement, cela s'entend au jour où il m'est donné d'entendre, le jour où il m'est donné que j'entende.
d) Chair et pneuma (v. 6).
Dans ce que dit Jésus à Nicodème, ce qui suit est également intéressant. Toute page de Jean nous aide à lire les autres.
« 6Ce qui est né de la chair est chair; ce qui est né du pneuma est pneuma. » L'opposition est entre chair et pneuma (esprit). Ce ne sont pas deux parties composantes de l'homme, ce sont deux activités adverses : la chair se réfère au natif, c'est-à-dire à ce que je suis nativement ; et le pneuma est la vie qui est mise au jour par la naissance dont on vient de parler.
La proclamation évangélique n'est pas quelque chose qui vient s'ajouter paisiblement à ce que je sais déjà, c'est quelque chose qui reprend la totalité par en-dessous, c'est une naissance de plus originel. Ma naissance civile, celle qui est attestée par ma carte d'identité, mon nom, ma fonction, mon lieu de naissance, le nom de mon père…, tous les indices dont on se sert pour caractériser un individu, tout cela est repris par une naissance qui me fait naître de plus originaire, et qui d'une certaine façon entre en conflit avec mon natif.
Je dis « mon natif » parce que je veux éviter « ma nature » qui est autre chose. Le mot nature est le mot basique de l'Occident, il sert à tout suivant le terme auquel on l'oppose : nature / surnature ; nature / personne ; nature et liberté etc. Il sert de repère à quoi affronter les autres mots qui viennent. Or il n'est pas une seule fois dans l'Écriture.
● À propos de nature, de naissance et de natif.
► Dans le Credo on dit "de même nature".
J-M M : Oui mais ce n'est pas une très bonne traduction, il s'agit du mot homoousios (de même substance).
Le mot natura en latin, originellement, veut plutôt dire naissance. Le grand poème de Lucrèce, De Natura Rerum, ce n'est pas « de la nature des choses » comme on traduit habituellement, mais c'est « de la naissance des choses ». Le mot nature vient du mot naître alors qu'en grec le mot ousia ne vient pas du tout de cette étymologie-là.
Les mots continuent à apporter beaucoup de non-dits avec eux et pourtant, quand on prend l'un pour le traduire par un autre dans une autre langue, on n'apporte pas avec le mot tout le complexe qui l'entourait, et alors le mot correspondant se trouve posé dans un autre complexe. Or, du fait d'être posé dans un autre complexe, il prend un autre sens. C'est l'impossibilité de la traduction. À cette impossibilité-là, qui vaut pour toute dissertation, s'ajoute pour le poème des impossibilités supplémentaires.
Le mot de nature sera emprunté par la théologie à la pensée occidentale. Le terme de natif tel que je l'emploie ne désigne pas ce qu'est un homme par nature. Disons, pour aider à penser, que le natif dit à la fois la nature et la condition concrète.
Le mot chair ici désigne tout l'homme dans sa faiblesse, l'homme tout entier en tant qu'assujetti à la mort ; donc ça ne désigne pas du tout ce que nous appelons la chair. On prend souvent le mot de corps pour désigner la même chose, mais il désigne encore tout autre chose.
Le pneuma. Il ne s'agit pas du pneuma au sens simplement grec du terme. Par exemple chez les stoïciens le pneuma c'est la partie animatrice de l'homme, qui fait qu'il n'est pas inerte, qui le rend vivant, qui insuffle la chair ou le corps – la chair plutôt, car le corps a aussi un autre sens chez les stoïciens. Les stoïciens ont une importance assez grande dans cet hellénisme contemporain de Paul. Paul est originaire de Tarse en Cilicie, et là, deux siècles avant lui, il y avait une école de stoïciens[10].
« Ce qui est né de la chair est chair, ce qui est né du pneuma est pneuma. » Le fils (ce qui est né de) est l'attestation de ce qui était secrètement dans le père. On naît à l'image du père. Le rapport père / fils n'est surtout pas à penser à partir de ce que ces mots évoquent dans la modernité, surtout pas psychologiquement ni juridiquement (l'héritage est important mais a une autre signification). Ça fait partie des déplacements à opérer pour aborder quelque peu à ce texte.
e) Naître d'en haut (v. 7).
« 7Ne t'étonne pas que je te dise : il vous faut naître d'en haut. » Donc c'est une naissance d'en haut. Ceci va introduire la symbolique du haut et du bas dans la suite du texte après les quelques versets que nous allons encore lire.
3) Le pneuma, tu ne sais (v. 8-10).
Voici le passage pour lequel nous avons ouvert le livre.
a) Le verset 8.
« 8Le pneuma souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d'où il vient ni où il va : ainsi en est-il de tout ce qui est né du pneuma”. »
Le mot "pneuma" est un mot qui appartient au grec courant, et dans les traductions d'aujourd'hui, il est confondu avec le mot psychê (âme). Nous vivons sur une distinction binaire des composants humains (l'âme et le corps), bien que cela puisse être remis en question, par la philosophie analytique par exemple. Pour nous le mot "esprit" est plus ou moins synonyme d'âme, et le mot "corps" est plus ou moins synonyme de chair. Alors qu'ici nous avons dit que chair et esprit n'étaient pas des parties composantes mais des principes opposés, qu'ils disaient l'un et l'autre deux conditions humaines : "selon la chair" c'est selon la faiblesse native ; "selon le pneuma" c'est autre chose : le pneuma est la révélation de quelque chose de plus originaire, qui naît de plus loin, qui me reprend en sous-œuvre.
L'opposition est nette surtout quand il s'agit des adjectifs : pneumatikos (pneumatique) et sarkikos (charnel). Les adjectifs, dans ce cas-là, tendent à être une façon de dire l'essence même des choses : entre le pneumatique et le charnel il n'y a pas de communion, il n'y a pas de composition. Ce sont deux principes opposés qui œuvrent l'un contre l'autre, et ça désigne du même coup deux conditions de vie : vivre selon le pneuma ou vivre selon la chair. Le "selon" ici est aussi important que la forme adjectivale pour bien caractériser le propre de chacun.
« Le pneuma souffle où il veut. » Vous pourriez traduire le mot pneuma par le vent, puisqu'on traduit souvent « le vent souffle où il veut », mais on fait alors une espèce d'allégorie. Dans le grec c'est le pneuma pneï. C'est dommage de traduire par deux mots français différents parce que l'idée de ce dont le vent est l'image, elle est déjà à l'intérieur de l'image, c'est pour cela que je garde le mot de pneuma parce que nous n'avons pas de mot pour dire cela.
« Il souffle où il veut», ça ne veut pas dire « comme ça lui chante », mais : « il souffle où il est de son être secret de souffler ». La volonté est le moment séminal, le moment non-développé de ce qui va se développer dans la mise en exercice. Toute œuvre est selon une volonté, comme toute plante est selon une semence. Chez saint Paul c'est constant, mais c'est la même chose ici. Nous avons presque un langage paulinien.
« Et tu entends sa voix. » Le verbe entendre nomme le rapport premier que je peux avoir avec ce qui est en question quand je dis "pneuma". Nous savons que c'est de l'ordre de ce qui se reçoit en premier par l'oreille, entendre. Entendre la parole du pneuma c'est précisément la foi. Mais ce n'est pas le sens usuel du mot "foi" (ou du mot "croire").
« Tu entends sa voix (phonê). » En grec classique le mot phonê peut signifier à la fois le son et l'appel, choses que nous distinguons très clairement : la part signifiante du mot et la part signifiée, le son serait un signe de ce qui est signifié. Mais ici cela ne marche pas selon ce processus. La voix appelle et induit un recevoir dans ce que nous appellerions la pensée.
« Mais tu ne sais… » C'est le mot majeur d'où je puise l'expression "l'insu" qui n'est qu'une traduction. Dans le vocabulaire de Jean, lorsque le mot "savoir" est mis en rapport avec le mot "connaître" par exemple, c'est pour s'en distinguer, ils ne disent pas exactement la même chose. Le mot "connaître" est toujours pris en bonne part chez saint Jean, et le mot "savoir" est pris en mauvaise part pour autant que le savoir est vécu comme une prise de possession de ce que je sais, une maîtrise sur la chose[11]. Chez nous aussi, ils ont une ampleur différente, il y a une nuance importante entre les deux, mais là, peut-être plus encore.
« Tu ne sais mais tu entends sa voix » c'est-à-dire : « Ton mode de rapport à cela est un non-savoir, mais c'est un entendre », et entendre est plus grand que savoir, car entendre garde la relation entre le parlant et l'entendant, alors que le savoir (entendu au sens négatif) coupe la relation. C'est pourquoi toute prière est prière à l'insu.
« Tu entends sa voix » Le pneuma est un souffle parlant dans cet espace de parole, c'est-à-dire un espace constitué par la proximité de l'oreille et de la bouche. C'est aussi l'espace propre à la prière, précisément parce que, dans la prière, je m'adresse à l'insu.
Où est-ce que j'entends la voix du pneuma ? Dans l'Écriture… D'où un espace de parole dans lequel je me meus à mon tour, répondant dans la prière, qu'il s'agisse de prière de demande ou d'action de grâces, toutes les formes possibles de prières. C'est donc un espace d'échange verbal. Nous savons que l'insu met son oreille à distance de notre appel.
« Tu ne sais d'où il vient ni où il va. » L'objet de mon ignorance ne se pose pas sous la forme « qu'est-ce que c'est ? » qui est la forme socratique qui ouvre la pensée occidentale, la philosophie, la logique. Ici la question première n'est pas la question « Qu'est-ce que ? », mais la question « D'où ? ». La question « D'où viens-tu ? » identifie quelqu'un, et c'est aussi « De qui es-tu fils ? ».
« Où il vient, où il va. » Aller et venir : nous sommes donc dans une question d'espace dans lequel on se meut. Les verbes d'allure (aller, venir, monter…) sont autant de choses qui ont une signification profonde dans l'espace verbal, dans le mode de parole que manifestent nos Écritures. Et ce qui est dit du pneuma, c'est que tu n'as prise ni sur sa source ni sur sa fin, ni sur son départ ni sur son arrivée.
● Deux choses qu'on ne sait pas à propos de ce qui est pneumatique (spirituel).
Il y a deux choses qu'on ne sait pas d'après les synoptiques : « Vous ne savez ni le jour ni l'heure » (Mt 25, 13), c'est le temps ; et « On ne dira pas : il est ici ou il est là » (Lc 17, 21), c'est le lieu. De la chose en question tu ne sais ni le temps ni le lieu, il n'est pas posé dans le temps et il n'est pas posé dans un lieu, mais il est le temps puisqu'il est le jour[12], et il est le lieu (le Lieu est un nom de Dieu lui-même).
Ceci caractérise le pneuma mais aussi « tout ce qui est né du pneuma ». Il vous faut naître du pneuma : naître… c'est naître de cette eau-là qui est le pneuma, c'est ce qui est précisé en cours de route.
Autrement dit, pour ce qui concerne le pneumatique au sens de la nouveauté christique, « tu ne sais ni où ni quand ».
b) Versets 9-10.
« 9Nicodème répondit et lui dit : “Comment cela peut-il se faire ? ” – en soi, ce n'est pas une mauvaise réponse puisque c'est la réponse de la vierge Marie. Mais, ce n'est peut-être pas dans son cœur tout à fait la même chose, car, avec une ironie plutôt gentille : 10Jésus répondit et lui dit : “Tu es didascale en Israël et tu ne connais pas ces choses ?” »
c) Les deux espaces.
► Est-ce qu'à propos de l'Insu on peut parler de chemin, quelque chose vers lequel on va dans la nuit ?
J-M M : La notion de chemin est infiniment riche parce que c'est une façon peut-être de méditer l'énigme du double espace[13]. Les deux espaces sont provisoirement l'un dans l'autre, mais pas l'un dans l'autre comme un heureux mélange, l'un dans l'autre comme une émulsion, comme la mayonnaise. Une émulsion est quelque chose qui peut se dégrader, c'est-à-dire que les parties composantes peuvent revenir avec le temps à ce qu'elles étaient quand elles étaient disjointes. Et c'est l'état dans lequel nous sommes. Nous sommes dans l'émulsion des deux mondes, des deux qualités d'espace, mais ces deux espaces sont appelés à se disjoindre et à retrouver leur pureté.
Parce qu'ici, l'une des façons d'être deux, c'est le bien et le mal. Et le bien et le mal, c'est quelque chose qui est appelé à se juger, c'est-à-dire à se discerner. Le mot krisis qu'on traduit par jugement désigne la nécessité d'un discernement, d'une séparation. Autrement dit, l'idéal de la krisis est la séparation : c'est que la ténèbre soit définitivement jetée dehors. Mais nous sommes dans un monde d'émulsion.
[2] Sur ce texte voir la session JEAN 2. CANA.
[3] En 1 Cor 3, 16 : « Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu'un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint, et ce temple, c'est vous. »
[4] Le texte est plus longuement commenté dans Jn 2, 13-25 Purification du temple et annonce de la mort-résurrection. Signes et foi,message qui reprend en partie ce qui est dit ici.
[5] La réponse vient de la session de Nevers sur le sacré (mai 2014).
[8] Cf. Syntaxe hébraïque : y a-t-il de la causalité en notre sens ? Conséquences pour la lecture du NT.
[9] Voir aussi Jn 7, 37-39 : fleuves d'eau vive.
[10] Il s'agit probablement de Chrysippe.
[11] Au ch. V, dans l'étude de 1 Jn 2, 19, Jean-Marie Martin dira : « parfois le mot savoir est positif quand il a la signification de "savoir que ça ne se sait pas" : on sait qu'on ne sait. » En grec oida est un temps du passé du verbe "voir" pour dire "savoir" au présent, c'est-à-dire qu'en grec savoir c'est avoir vu : « je sais », c'est « j'ai vu ». Ça correspond chez nous cependant à ce que les Grecs vont appeler l'épistêmê c'est-à-dire la connaissance scientifique, à condition de ne pas prendre "scientifique" au sens moderne du terme.
[12] J-M M fait probablement allusion à « Abraham votre père a frémi dans l'idée de voir mon jour, et il vit et il se réjouit. » (Jn 8, 56).
[13] Pour les deux espaces voir ch II, I fin du b) et aussi "Ce monde-ci" / "le monde qui vient" : espace régi par mort et meurtre / espace régi par vie et agapê.