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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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7 avril 2016

Jn 17, 20-26 La fin de la grande prière du Christ

Le chapitre 17 de saint Jean est celui de la grande prière du Christ au Père. Il est difficile de déceler sa structure, et pourtant il est composé avec beaucoup de précision. Lors de plusieurs sessions Jean-Marie Martin, qui est un spécialiste de saint Jean (cf Qui est Jean-Marie Martin ?), a permis aux participants de s'en approcher. Voilà ici la fin de cette étude. Il peut être bon d'avoir lu ce qui précède. Pour cela lire les messages : Jn 17, 1-11a : Le début de la grande prière de Jésus et Jn 17, 11b-19. Un passage de la grande prière du Christ pour l'humanité.

 

Jn 17, 20-26

La fin de la grande prière du Christ

 

Nous prenons maintenant la fin du chapitre 17[1].

Pour éclairer ce chapitre on pourrait dire de façon fort approximative, que le Christ se charge de l'humanité. Il faudrait réfléchir sur ce qui fait qu'un homme se charge de quelque chose pour, qu'il meurt pour. En effet le Christ est chargé de ceux qui lui sont donnés : premièrement ceux qui lui sont donnés et qui l'ont reçu (« je prie pour eux » v. 8), et secondement ceux qui croiront par la parole de ceux-là (« je ne prie pas seulement pour eux – pour ceux-ci – mais aussi pour ceux qui croient en moi par leur parole » v. 20). Autrement dit cette prière est ce par quoi le Christ se charge de toute l'humanité. La mention du verset 20 « je prie pour ceux qui croiront » est un petit élément structurant, peut-être pas décisif car il est très difficile de déceler la structure de ce chapitre. Néanmoins ce serait un peu sot de dire : le Christ prie d'abord pour les apôtres et donc pour les évêques, et puis ensuite il prie pour ceux qui croiront par eux c'est-à-dire les fidèles de son époque, et puis les fidèles d'aujourd'hui. On entend des choses comme ça parfois.

Nous allons nous laisser conduire par le texte tel qu'il se déroule, l'habiter, ne pas chercher à prouver quoi que ce soit. S'en approcher, voilà ce qu'il faut faire.

 

 

Christ orant, cathédrale Saint-Trophime d'Arles« 20Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi : 21que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé ; 22et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un, 23moi en eux comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé. 24Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde. 25Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé. 26Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux. » (TOB)

 

Il n'y a aucune bonne traduction, donc je me contente de décalquer pour aider, afin que nous nous traduisions au texte plutôt que de tirer le texte vers nous. On peut se permettre ça dans un groupe où on travaille.

 

1) Verset 20.

Il avait été dit au verset 18 : « De même que tu m'as envoyé vers le monde, moi je les envoie vers le monde ». Dans la mention de cet envoi s'ouvre l'espace qui se développe à partir du verset 20.

les-douze-apotres« 20Je ne prie pas seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole (leur logos) : d'une certaine manière, cette prière véhicule l'humanité, elle prend une dimension qui n'est pas limitée à la situation de proximité dans laquelle elle est énoncée.

Il serait important de méditer la signification et la part de la parole (du logos) transmis par les envoyés. Jean a médité cela très profondément aussi. Ils ne sont pas des intermédiaires, ils propagent la parole. Mais la parole entendue ne met pas l'auditeur en proximité simplement avec celui qui l'annonce, elle met en proximité avec ce qui est annoncé, elle met en proximité immédiate avec Dieu. Ce développement-là se trouve plus particulièrement dans la première lettre de Jean à propos du chrisma (de l'onction) : « vous n'avez pas besoin que quelqu’un vous enseigne. Mais le chrisma vous enseigne au sujet de tout » (1 Jn 2, 27). De même dans l'introduction de cette lettre « 3Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, afin que vous aussi ayez koïnônia avec nous. Et notre koïnônia est avec le Père et avec son Fils Jésus le Christos.» Autrement dit l'écho de la parole ne met pas en communion essentiellement ou premièrement avec celui qui la porte, mais avec la Parole elle-même. « 4 Et nous vous écrivons ces choses en sorte que notre joie soit pleinement accomplie. » [2]

 

2) Versets 21-22.

La question qui est traitée maintenant est celle de l'unité, elle était déjà apparue au verset 10 sans être développée : « garde-les en ton nom que tu m'as donné pour qu'ils soient un, comme nous ». À partir d'où se pense l'unité, c'est-à-dire l'être-ensemble chrétien ? Il se pense à partir de ce qui est le plus impensé et le plus impensable qui est l'unité du Père et du Fils.

 « 21En sorte que tous soient un selon que toi, Père [tu es] en moi, et moi en toi, en sorte qu'eux aussi soient en nous, et que le monde croit que toi tu m'as envoyé. – l'“être dans” est énoncé de façon réversible : « tu es en moi, et moi en toi ». Et s'il est dit ici que nous sommes en Dieu, ailleurs il est dit que Dieu est en nous.

L'“être dans”. Cette préposition infiniment précieuse demande à être méditée parce qu'elle pose un problème : notre image du “dans” est régie par l'idée d'emboîtement, et pour nous c'est ou l'un ou l'autre. Ici ce n'est pas le cas. Alors comment faut-il la penser ? Cette petite préposition est très fondamentale parce qu'elle se réfère à une symbolique du lieu mais pas seulement. La symbolique de l'habitation est très importante, je pense même que l'espace doit être pensé à partir de l'habitation, et l'être dans n'est pas à comprendre comme un emboîtement, car celui-ci n'est pas réversible, mais comme une des façons de dire la plus haute proximité.

22Et la gloire – on renoue avec le terme  de gloire : ce mot était au début de la prière, il a donné place à d'autres mots, et il revient à la fin –(la gloire) que tu m'as donnée moi je leur ai donnée la gloire désigne la présence, et quand Jésus prie pour sa présence au Père, il prie pour notre présence au Père, et tout cela est à nouveau dans l'unité de donation – pour qu'ils soient un comme nous [sommes] un 23moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient achevés (accomplis) en un (éis hen) – c'est-à-dire "pour constituer un", c'est le éis hen (vers un, pour un) des multiples. En effet il y a le hen (un) dans le deux de la génération « le Père et moi nous sommes un », il y a le éis hen (vers un) dans le deux de la nuptialité : « Et ils seront deux pour être une seule chair (éis mian sarka)[3] » (Ep 5, 31), et ici il est demandé que les multiples soient éis hen (vers un)[4].

L'être-un dit la plus haute proximité du prochain. Le mot proximité est extrêmement important parce que dans le Nouveau Testament autrui s'appelle le “prochain”. La véritable unité est la proximité, ce n'est pas la solitude. La véritable unité est l'unité de deux ou trois, c'est une unité plus haute que celle de l'isolé, parce que l'essence de l'être humain est d'être en relation, d'être “rapporté à”[5].  

 

3) Verset 23b.

Unité dans l'EspritDeux verbes vont intervenir jusqu'à la fin du chapitre, connaître et aimer.

«En sorte que le monde connaisse que toi tu m'as envoyé – en général chez Jean le monde ne peut pas connaître au sens positif du mot, mais parfois il signifie "les siens qui sont dans le monde", cela pourrait être le cas ici – et que tu les as aimés selon que tu m'as aimé.

Voilà le verbe aimer qui n'était pas présent et qui est amené à dire la même chose que ce que disait la donation, la consécration ou la garde des versets précédents. Ici il a "tu" comme sujet :

« 23tu les as aimés selon que tu m'as aimé.  24tu m'as aimé avant le lancement du monde… 26Je leur ai fait connaître ton nom et je le ferai connaître en sorte que l'agapê dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux. »

Le verbe connaître avait fait une première apparition en début de chapitre, il revient avec "ils" puis "je" comme sujets :

« 3Car c'est ceci la vie éternelle qu'ils te connaissent toi, le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus Christ… 7Maintenant ils ont connu que tous ceux que tu m'as donnés sont près de toi, 8… et ils ont connu véritablement que je suis sorti de toi… 

23… En sorte que le monde connaisse que… et que… 25Père juste le monde ne t'a pas connu, mais moi je t'ai connu et eux ont connu que c'est toi qui m'as envoyé. 26Je leur ai fait connaître ton nom et je le ferai connaître. »

Ici le verbe connaître a la signification bien connue qui est désignée par l'expression « connaître au sens biblique ». Le verbe yadah (connaître) en hébreu est utilisé pour Adam et Ève : «  Adam connut Ève. Elle conçut et enfanta Caïn. » (Gn 4, 1). Connaître est un pénétrer, un pénétrer dans l'espace de Dieu, en Dieu. C'est un nom de la proximité. Et ultimement connaître et aimer sont deux dénominations de la proximité à Dieu, et ce n'est pas à partir de notre idée de connaître ou de notre idée d'aimer qu'il faut penser, mais à partir de la proximité, à partir de l'intimité.

 

4) Verset 24-26.

« 24Père ceux[6] que tu m'as donnés je veux que, là où je suis, eux aussi soient avec moi – c'est la vieille question qui est ouverte depuis le chapitre 14 : « Là où je vais vous ne pouvez venir », et donc maintenant voilà qu'ils peuvent venir : « là où je suis, qu'ils soient aussi ». La symbolique du "où" est très présente. Je rappelle que la question essentielle de l'homme est la question« Où ? », c'est la question du désorienté : « Où suis-je ?» C'est une question beaucoup plus importante que la question :« Que suis-je ?» qui est la question de l'Occident.

… afin qu'ils voient ma gloire (ma présence) que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant le lancement du monde. – le mot katabolê (lancement) est formé de ballein (lancer) et kata (vers le bas). Cela se dit aussi de la semaille, mais si je dis "l'ensemencement du monde" ce n'est pas bien car on croit que c'est le monde qui est ensemencé, or c'est le monde qui est l'objet de l'ensemencement, donc du lancement. On interprète souvent ce mot au sens de la création du monde mais ce n'est pas bon, katabolê ne dit rien qui ressemble à la création.

Le thème de la gloire qui était au début de la prière se retrouve à la fin. Nous avons souvent, chez Jean, cette structure d'une tête qui boucle : elle ouvre à un découlement puis à une remontée. Vous avez une structure comme ça pour beaucoup de chapitres.

Par ailleurs la circularité de cette prière a été présentée dans les premiers versets comme : « glorifie-moi de la gloire que j'ai eue auprès de toi avant que le monde fût » (v. 5), qui est ici sous la forme « qu'ils voient la gloire que tu m'as donnée avant le lancement du monde ».

 25Père juste (dikaié)le juste, le bien ajusté. On traduit le mot dikaïos par "justification" ou "justice", mais il faut le traduire par "ajustement", c'est le bon ajustement des choses – le monde ne t'a pas connu, mais moi je t'ai connu, – le verbe connaître revient avec insistance et eux ont connu que c'est toi qui m'as envoyé. 26Je leur ai fait connaître ton nom et je le ferai connaître en sorte que l'agapê dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux. »

En final on a ce mot agapê qui a beaucoup d'importance dans l'évangile de Jean. Les verbes "connaître" et "aimer" viennent donc commenter le verbe dominant du chapitre qui est le verbe "donner". Ce sont à nouveau deux verbes que nous serions tentés de distinguer : chez nous ou on aime ou on connaît – deux champs bien distincts – alors qu'ici ils sont radicalement synonymes[7].

 

Conclusion.

Voilà un déchiffrement rapide des articulations les plus perceptibles. Ça reste un chapitre difficile. Quand vous serez tous seuls aux prises avec lui, vous aurez sans doute du mal. Ce n'est pas parce qu'on a entendu une fois un commentaire rapide qu'on est dans le texte. Mais ça reste un texte assez extraordinaire.



[1] L'essentiel des commentaires qui figurent ici vient de la lecture qui a eu lieu à Versailles en mars 1997, le chapitre 17 avait été lu en entier.

[3] « Ce n'est pas “ils seront un seul, de deux qu'ils étaient”, ils restent deux, et ils peuvent précisément être un parce qu'ils sont deux. En effet l'unité dans le Nouveau Testament n'est pas la solité mais l'intimité ou la proximité. Autrement dit l'unité suppose une dualité. » (J-M Martin, Ep 5, 21-33 (subordination homme/femme) ; 1Cor 11, 7-11 (voile sur la tête de la femme))

[4] On le trouve aussi à la fin du chapitre 11 : « en sorte que les enfants de Dieu dispersés (ta dieskorpisména, les déchirés) il les rassemble (synagagê) pour être un (éis hen).» (v. 52)

[5] Sur ce thème on peut lire le cycle de cinq conférences Plus on est deux, plus on est un (tag PLUS 2 PLUS 1).

[6] Dans le grec c'est "ce" au neutre : ce (ho) que tu m'as donné, mais ensuite il y a " eux aussi" (kakéinoï) au masculin pluriel, ça désigne les mêmes d'où la traduction.

[7] Les verbes connaître et aimer sont très présents dans la première lettre de Jean, et on trouvera beaucoup de réflexions sur ces verbes dans la session 1 Jean Connaître-aimer (tag  1JEAN)

 

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