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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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4 juin 2017

Aspects positifs et négatifs de la doctrine du péché originel ; La lecture que saint Paul fait de Gn 3 en Rm 5

La doctrine du péché originel repose sur une certaine lecture du récit dit de la chute (Gn 3), en particulier sur la lecture qu'en fait saint Paul en Rm 5.
En 1994-95, J-M Martin a lu le chapitre 5 de l'épître aux Romains lors des soirées de Saint-Bernard-de-Montparnasse. Figurent ici des extraits qui traitent des questions : quelle est la théologie du péché originel et quel rapport avec ce que dit Paul ?
Ceux qui voudraient d'abord savoir ce qu'est la doctrine traditionnelle du péché originel peuvent aller voir ce qu'en dit le Catéchisme d'après la note 10, et aussi la doctrine traditionnelle résumée dans la présente note[1].

 

Péché originel ?

           

 Le passage de l'épître aux Romains (chapitre 5, versets 12-21) a donné lieu à ce qu'on appelle la théologie du péché originel. Nous avons vu que cette expression de péché originel ne se trouve pas chez saint Paul. Mais la théologie qui en est issue ne s'y trouve pas non plus. Il peut être intéressant de voir ce qu'on entend nous-mêmes sous ce mot de péché originel, et en quoi ce que dit Paul est différent.

 

1°) Le péché originel en théologie.

Qu'est-ce que le péché originel en théologie ?

a) Péché originel originant et péché originel originé.

Les théologiens font une distinction provisoire pour éclairer cet espèce de conflit dans l'expression elle-même, et en cela ils sont utiles : il y a le péché originel originant, et le péché originel originé[2] :

  • le péché originel originant, c'est Adam, on raconte une histoire : un jour il y avait un homme qui s'appelait Adam qui marchait etc. dans ce cas le mot de "péché originel" tire l'imaginaire vers un épisode qui est mis en première place ;
  • ensuite, on sait que le péché originel dit quelque chose sur la condition de tout homme, c'est le péché originel originé à nous, originé par Adam, et comme tel, cela dit quelque chose sur la condition humaine.

Ce sont deux choses différentes qui ont des rapports entre elles, bien sûr. Le rapport est marqué par l'actif et le passif.

b) À quelle question répond la doctrine du péché originel ?

Une autre chose à bien voir, c'est qu'on pense que la doctrine du péché originel est faite pour répondre à la question : « D'où vient le malheur ? » Et là, les historiens des religions ne nous rendent pas forcément service pour lire en vérité. Ils classent ces récits dans les "récits d'origine", ceux-ci étant censés répondre à la question : « qu'est-ce qui a causé une telle chose ? » Je crains bien que ce ne soit là une lecture moderne très occidentale de l'Écriture qui avait sans doute d'autres soucis que ceux de notre stratégie pour penser le vrai. En tout cas nous aurons à montrer que chez saint Paul, la provocation à la figure d'Adam dans ce chapitre 5 n'est pas là pour répondre à la question : quelle est l'origine du mal, de la mort et du malheur ?

C’est une chose très importante que le pourquoi d'une écriture. En effet le "pour quoi", c'est le "où va" l'écriture, et l'écriture parle à partir d'où elle va : elle parle toujours à partir de sa visée, à partir d'où elle va. Donc ce sera une différence à bien percevoir.

c) La question du péché originel chez saint Thomas d'Aquin.[3]

En réalité, dans la théologie classique, c'est une situation mixte. C'est toujours intéressant d'aller voir l'articulation d'une Somme par exemple la Somme contre les gentils ou la grande Somme théologique de saint Thomas d'Aquin, en quelle partie est traitée une question. En effet il y a une architecture, et les répartitions sont très soignées.

Je vous rappelle la structure de la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin. La première partie, c'est Dieu et ce qui en découle. Dans un premier temps, il y a Dieu, il y a la création de l'homme, et Dieu est ici la cause efficiente, mais cette cause efficiente est en même temps attractive, car tout est créé pour venir vers Dieu, et chaque chose trouve son accomplissement dans cette venue même, et vers où cela va. La seconde partie est la création en tant qu'elle remonte vers Dieu, on considère la cause finale, et cette venue-là est l'accomplissement même de l'homme : comment on va vers Dieu. C'est là qu'on trouve ce qui deviendra ensuite la morale, la morale spéciale, les vertus, les vices, tout cela sera sur le chemin de la vision béatifique qui est l'accomplissement dans la vision même de Dieu. Et puis il y a une troisième partie qui indique le chemin. Mais chez saint Thomas d'Aquin le chemin n'est pas pris au sens johannique, il signifie le moyen pour la fin, car nous sommes dans les répartitions aristotéliciennes. Et le moyen, c'est le Christ et les sacrements du Christ, donc tout ce qui est de l'ordre sacramentaire, et la christologie elle-même est ici un moyen pour…

Arbre de vie et de mort, Berthold Furtmayr, 1481Évidemment nous avons là une architecture et un ordre qui est tout à fait différent de ce qui fait les priorités de l'Évangile dans ses structures propres. Mais c'est de tout cela que nous héritons. En christologie, nous avons d'abord qu'est-ce qu'il est, puis qu'est-ce qu'il fait ? La réponse à « Qu'est-ce qu'il est ? », c'est : il vient nous sauver, nous sauver du péché, du péché originel dans lequel nous sommes plongés. Ce qui est intéressant alors, c'est que la perspective même du péché originel est située dans la perspective christologique. Seulement cette perspective christologique est située dans la troisième partie.

Cela veut dire que, dans un premier temps, ce qui est traité c'est la question de l'émanation et du retour des choses, et c'est un vieux thème néoplatonicien. La troisième partie, elle, est proprement chrétienne ; en conséquence on n'a pas du tout le même langage. C'est lié au fait qu'au XIIIe siècle il y a eu un apport de la pensée aristotélicienne – elle arrive par les Arabes – et cela pose le problème du rapport de notre culture avec l'Évangile.

2°) Repenser la question du péché originel.

Alors pour nous, où se situe la question du péché originel ? Qu'est-ce qui la suscite ? Comment y prend-elle place ? Pourquoi a-t-elle de l'importance selon vous ?

a)  Le péché originel comme "culpabilité en théologie classique".

► Je crois que ce qui est répulsif de nos jours, c'est la justice d'une faute qu'on n'aurait pas commise et dont on serait obligé de porter indéfiniment le poids.

J-M M : Je prends occasion de ta question pour préciser des choses. La plupart des gens, je pense, sentent le péché originel comme une conséquence du péché d'Adam, mais pas comme péché proprement dit. Cela c'est ce que les théologiens appellent « les séquelles du péché originel », et c'est ce que nous appelons souvent le péché originel. En fait le péché originel est une "culpabilité" qui renvoie au péché commis en Adam, mais c'est une "culpabilité en théologie classique". Et quand je dis théologie classique, ce n'est pas rien, c'est fort, solide, costaud, et cette différence prodigieuse a des aspects positifs. Il faudra donc voir ce qu'est la culpabilité en théologie classique. Mais par ailleurs, le mot culpabilité ne sonne pas au Moyen Âge comme à notre oreille.

Le mot de culpabilité signifie chez nous "sentiment de culpabilité"[4] alors que pour les théologiens il s'agit d'une culpabilité en deçà du sentiment que l'on en a. C'est à la fois plus ou moins probablement, en tout cas c'est autre chose que ce qui sonne à nos oreilles quand nous prononçons le mot de "culpabilité".

Par ailleurs les mots faute, péché, culpabilité sont des mots qu'on assimile provisoirement, mais ce sont des mots qu'il faudra soigneusement distinguer, à la fois dans le langage même de Paul, et ensuite dans les différences de l'emploi de ces mots-là suivant les époques.

► Est-ce que le péché originel ne répond pas à la question du mal ?

J-M M : Le péché originel comme explication de l'origine du mal répond à la question plus générale : d'où vient le mal ? Et nous avions dit que le péché originel était une des réponses de la théologie à cette question. L'Évangile non, la théologie oui. Je ne veux pas entrer dans cela aujourd'hui[5].

b) Qu'est-ce que le péché d'Adam ?

Adam et Eve, la mort, enluminure de st Augustin► En quoi consiste le péché d'Adam lui-même ?

J-M M : Donc quel péché a fait Adam ? Pour cela il faut lire la Genèse[6] mais moi je ne sais pas la lire sans savoir à partir d'où je vais la lire. Il y a un grand nombre de lectures de la Genèse. Il y a la lecture simple spontanée lorsqu'on lit ce texte, qui comporte des articulations apparemment clairement affirmées ; il y a des lectures juives nombreuses, diverses (talmudique, cabalistique…) de ces textes, et toutes ces lectures sont très différentes ; il y a la lecture que peut faire un historien en essayant de restituer ce qui est vraisemblable[7].

Alors saint Paul lit ce texte et sa lecture est différente d'un certain nombre d'autres, elle est en outre différente de ce que la théologie en fera[8].

Ceux qui étaient là il y a quelques années se rappellent peut-être que saint Jean, lui, se référait à la figure de Caïn : « Car c’est ceci l’annonce que nous avons entendue dès l’arkhê, que nous ayons agapê mutuelle, non pas comme Caïn qui était du mauvais et qui a égorgé son frère. » (1 Jn 3, 11-12) L'arkhê (le principe) de la mort-meurtre est considéré comme l'accomplissement de la menace faite au jardin : « Le jour où tu en mangeras, tu mourras » et cette première mort est la mort du frère, la mort d'Abel qui est un meurtre.

Or nous entendons la parole de Dieu : « Tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal car du jour où tu en mangeras, tu mourras » (Gn 2, 17) comme une parole de loi – ce qu'elle n'est pas – et puis nous avons chez Paul la reprise : « Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et, par le péché, la mort » (Rm 5, 12).  Nous avons ici une sorte de déduction… sauf que le discours de l'Écriture n'est pas celui qu'on lui prête. Il y a bien un rapport entre le péché et la mort, mais ce rapport n'est pas un rapport de causalité punitive.

Le péché et la mort sont deux noms pour la même chose : c'est la même chose qui se manifeste dans la modalité du péché et dans la modalité de la mort. Il n'y a pas de cause entre les deux. La première mort est un meurtre, et corrélativement, le fait que Jésus soit ressuscité, c'est-à-dire soit vainqueur de la mort, dit la même chose que le fait qu'il est celui qui apporte une capacité d'agapê ou de paix.

c) Mise en question de la façon de considérer l'humanité.

●   La transmission du péché originel par génération.

► Pourquoi a-t-on pensé que le péché originel se transmettait ?

J-M M : On a quelquefois, à la fin du siècle surtout, pensé que le péché originel était un péché sexuel. Mais rien dans le texte de Genèse ne pousse à cela sinon que c'est dans un contexte d'homme et de femme et de nudité ; et l'expression de la pomme a pris, du coup, un certain sens, mais le mot pomme n'est pas dans le texte[9]. Il faut donc savoir de quoi on parle.

Je pense que ce qui a tourné l'esprit vers cela, ce n'est pas l'idée de plaisir, mais celle de génération. En effet, le péché originel sera considéré comme transmis par génération[10]. Ce sera d'abord le fait d'Augustin, et ensuite ce sera entériné par le Concile de Trente à la cinquième session. Il y a là la méprise la plus totale.

D'abord chez nous la première méprise serait de penser le péché originel comme une tare physiologique ou psychologique héritée par génération comme une tare héréditaire. Le mot de génération n'est pas pris en ce sens-là dans un monde qui n'a pas fait de génétique, c'est clair.

Cependant, en même temps, c'est une affirmation de la première importance, non pas du tout en ce sens que nous devrions la reprendre, mais parce qu'elle évite une dégradation qui serait de penser seulement Adam comme un bonhomme qui avait la chance d'être le premier mais qui a donné le mauvais exemple, et alors nous faisons comme lui, nous donnons le mauvais exemple ! C'est tout réduire à l'extériorité de l'exemplarité.

●   Sur quoi l'image de la génération met-elle le doigt ?

Cela veut donc dire qu'il est bon de garder l'idée de génération qui se trouve chez les Anciens, quoi qu'elle soit sans doute pour nous une formule à bien mettre en question.

sein d'Abraham et enfer, psautier de Blanche de Castille, 13e, BNFCe qui est intéressant ici c'est de voir comment un texte de concile, qui est non proférable pour nous, est cependant le gardien de quelque chose d'important : il nous pointe un aspect du texte que nous risquerions d'omettre. Notre moralisme d'aujourd'hui se contente très facilement du mauvais exemple. Et ce n'est pas simplement saint Thomas puisque c'est Pélage qui au IVe siècle, traduisant cela, oblige Augustin à entrer dans cette image de la génération.

Mais alors, cela nous met le doigt sur quoi positivement ? Sur ce que nous indiquions l'autre jour, à savoir que l'humanité n'est pas une juxtaposition d'individus clos, mais qu'elle est un découlement. Nous avons dit qu'il y avait une appartenance secrète en Christ telle que justement Paul dit que "nous" régnerons – Christ qui est le roi, n'est pas "le roi sur nous" –, nous régnerons par cette appartenance qui, à l'inverse, se manifeste dans une complicité qui n'est pas simplement une complicité d'ordre exemplaire (celle du mauvais exemple) ou de l'enseignement, mais qui est quelque chose de plus radical, de plus constitutif. C'est cela que le concept de génération veut dire – du moins tel que je l'interprète, parce que tout le monde ne serait pas d'accord – mais ce faisant, je rends justice à un concile (qui n'est pas répétable matériellement) d'avoir gardé quelque chose de très important dans cette direction, c'est-à-dire la direction d'une entre-appartenance de cet ordre.

Cela nous ramène à l’obligation de repenser l'humanité d'une autre manière qu'une collection de "je" clos, individuels. […] En effet l'essentiel du texte de Rm 5 est dans cette similitude inversée entre le Christ et Adam qui nous invite à penser l'unité de l'humanité autrement que comme une simple addition d'individus, d'une façon purement négative. C'est quelque chose d'essentiel. C'est d'ailleurs la même chose que fait saint Jean dans un tout autre langage quand il entend Dieu dire : « Tu es mon fils » lors du Baptême du Christ : c'est dit au Fils un et unifiant mais en même temps c'est dit à l'humanité, et cela constitue les enfants de Dieu rassemblés, réconciliés par cette unité. C'est le rapport du Monogène et des multiples enfants dispersés et réconciliés, et là il y a autre chose qu'une simple collection d'individus. Et cela demanderait à nouveau qu'on fasse le retour sur les pré-conceptions par lesquelles nous identifions l'homme[11].

3) Écarter les méprises à propos du péché.

a) La parole du Christ n'est ni morale ni culpabilisante.

Que pensons-nous quand nous prononçons le mot de péché ? De façon générale et sommaire, ces choses sont pensées par nous dans un registre éthique (ou moral) et psychologique :

  • D'une part le péché est pensé comme la transgression d'une loi, ce qui appelle réparation ;
  • d'autre part, le mot de péché évoque pour nous quelque chose de la culpabilité. Mais quand nous disons "culpabilité", nous entendons "sentiment de culpabilité", et nous sommes en fait dans un registre non plus éthique mais psychologique, et ce registre nous est très familier.

Et ce qu'il faut dire, c'est que le mot de péché dans le registre scripturaire originel n'est ni un mot éthique ni un mot psychologique. Ceci est purement négatif et n'apporte rien positivement, mais écarte d'entrée des méprises qui sont courantes. Et cela n’interdit pas de mettre en rapport ce qu'évoque le mot de péché dans l'Écriture avec quelque chose à entendre, à écouter, à obéir dans le grand sens du terme, ou à l'inverse avec un sentiment de malaise. D'abord il ne faut pas se hâter d'harmoniser ces choses, elles ne sont pas simultanées : la construction biblique est dans un lieu ; la construction éthique est dominante jusqu'aux environs du XIVe siècle ; et la conception psychologique naît avec la psychologie au sens moderne du terme. Il ne s'agit pas de faire une synthèse, mais il s'agit de débrouiller les sciences.

Nous aurions pu examiner les mots, leur disposition : parler de faute, parler de chute, parler de dette, parler d'offense… et il y en a d'autres. Un certain nombre de mots prennent au cours du temps un certain nombre d'équivalences approximatives, et pourtant chacun a un sens dans un domaine qu'il faut que nous essayons de mettre au jour, de faire apparaître.

La dette et l'offense, voilà ce que nous sommes tentés de mettre en évidence en premier. L'offense en particulier. Cela suppose une personne à l'honneur de qui on manque. On manque à l'honneur dû : c'est donc un rapport de dette. Mais cette conception porte avec elle tout un imaginaire. On fait justement glorification à l'Évangile d'avoir transporté au plan des relations personnelles la conception du péché, de l'avoir sorti de l'imaginaire des impuretés plus ou moins rituelles pour le conduire jusqu'à cette hauteur qu'est la conception d'une offense personnelle. Je suis persuadé, pour ma part, que c'est là une belle dégradation.

 De même, certains disent qu'on est passé d'une conception sacrale à une conception éthique, et qu'il y a là un considérable progrès, et on l'a écrit : Du sacré au saint c'est le titre d'un livre de Levinas. Mais c'est l'inverse : la moralisation est une dégradation du sacré. Évidemment cela suppose que je ne prenne pas le sacré au sens psychosociologique, à la façon dont on peut l'envisager aujourd'hui. Ce chemin qui va de l'origine à une moralisation, et de la moralisation à une psychologisation, est une dégradation par rapport au concept biblique de péché. Voilà bien des affirmations : il faudrait vérifier.

Pourquoi s'obstine-t-on à parler constamment du péché et de la mort ? C'est ce que j'ai déjà expliqué par le rapport qui est mis entre les deux mots : coulpe et peine. En outre, pourquoi toujours parler de mort ? Ceci est très étrange, car l'Évangile est vitupéré tous les 20 ans pour des raisons inverses. Dans un premier temps on a considéré qu'il valorisait la souffrance, le négatif, et ne reconnaissait pas les vertus positives de la vie. De nos jours, on considère que parler continuellement de la résurrection court-circuite la dure et véritable expérience du manque, de la mort qui a droit à sa place. Voilà deux choses exactement inverses !

Quant à l'autre chose à laquelle j'ai fait allusion, en quoi l'Évangile serait le grand générateur de culpabilité, j'ai lu jadis les histoires d'Oreste, le matricide, et je pense que la Mimésis et les Érinyes qui le poursuivent de façon irréductiblement punitive, représentent quelque chose qui n'est pas seulement psychologique mais qui oblige à prendre radicalement en compte une culpabilité. Sans compter qu'on se rapporte aujourd'hui plutôt à Œdipe, et c'est très bien, ceci montre que ces figures sont fort bien prises. Ce qui vit en nous dans ce domaine, ce n'est jamais l'Évangile, c'est toujours notre natif, et notre natif c'est l'Occident, et ce sont les sources occidentales.

Vanité, Philippe de ChampaigneJe relisais la deuxième partie de Être et temps de Heidegger[12] sous le titre « l'homme comme être pour la mort » et le chapitre suivant qui est le chapitre sur la dette – du moins est-ce la façon dont un des traducteurs traduit schuld car d'autres traduisent par "faute", mais je pense que la bonne traduction c'est "dette" –. Ce sont deux choses qui sont co-originaires, l'être-pour-la-mort et la dette.

Ceci c'est simplement pour écarter les accusations faciles, insignifiantes et insupportables sur l'Évangile ou le judéo-christianisme comme porteurs de culpabilité. En revanche, il nous faut ici regarder positivement les données de cet héritage, et voir d'où cela vient.

b) La parole du Christ fait apparaître le manque.

► Le plus dur pour moi, dans ce qui est dit à propos du péché originel, c'est d'être originellement mauvaise, donc condamnée à pécher quoi que je fasse. Je caricature un peu, mais c'est un peu cela, je suis née mauvaise, et je ne peux pas m'en sortir.

J-M M : Il y a plusieurs choses à dire là-dessus. Peut-être la plus importante c'est que le dévoilement du péché radical ne se fait, et n'a de sens, que dans l'annonce qu'il est enfin déraciné – j'ai dit "radical", c'est pourquoi je dis "déraciné" –, et que le discours sur le péché n'a de signification que dans cette parole qui le lève en le révélant. Tout autre discours sur le péché ne fait que redoubler l'enfermement du péché. Alors cette parole qui révèle en levant est de soi une parole qui exclut deux risques : le premier, c'est le risque d'un certain sentiment d'irrémédiable ; et le second, c'est le risque de recouvrir hâtivement le soupçon de péché, et de l'occulter pour une bonne conscience. La parole du Christ ne dit pas que « tout est bien ». La parole du Christ a pour trait caractéristique de faire apparaître le manque, mais dans le geste même qui le comble. Un exemple classique s'en trouve dans le récit de la Samaritaine. Je ne le reprends pas en détail puisqu'on l'a déjà développé. Mais c'est significatif, et la première chose à faire, c'est de ne pas vouloir entendre les paroles que nous avons lues cette année avant de les situer dans leur tonalité de fond.

Pour répondre à ta question je dirais aussi une autre chose qui est tout à fait capitale. C'est que le « je suis née mauvaise », cela peut être dit et je peux le refuser, je peux y acquiescer dans le dépit et dans l'enfermement. Mais cela peut aussi s'entendre autrement. Pourquoi ? Parce que le "je" qui l'entend délivre en moi quelque chose que je savais déjà de "Je". La capacité de me dénoncer, c'est la grandeur d'un "Je" qui est en moi, la bonne capacité de me dénoncer.

c) De quoi l'Évangile nous libère-t-il ?

Par ailleurs je redis ce que je disais tout à l'heure, c'est que cela s'entend dans un discours qui règle la situation : l'Évangile est un discours qui libère. Il libère de quoi ? Il libère d'une situation d'esclavage, de servitude. Quelle servitude ? Eh bien en voilà une : je suis esclave de la mort. Souvent on me dit : « Mais je suis propriétaire de mon corps, Monsieur. » D'accord si vous voulez dire que le propriétaire, ce n'est pas le législateur. Mais le mot de "propriétaire" est faible, parce que c'est plutôt précaire : vous n'êtes propriétaire que jusqu'à ce qu'on vous l'enlève. Rien n'est si peu approprié de façon définitive que mon corps, je suis dans le précaire. C'est un terme juridique, precario, qui conviendrait mieux que proprietas. Ce n'est pas moi qui décide du tout de ma santé, de ma vie, ce n'est pas moi qui décide du tout de mes pulsions et de mes impulsions. Je dis bien "je" de mon corps, et néanmoins, pour une bonne part, en tant que je suis mon corps, je suis soumis, subordonné, je suis lié à nombre de choses.

Nous avons là le grand passage de la fin du chapitre 8 de saint Jean qui commence par « Si vous demeurez dans ma parole, vous serez véritablement mes disciples, vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera. » Ce mot de "libérer" fait bondir les Judéens qui entendent ces mots car ils prétendent bien être libres. Or nous sommes tout sauf libres.

La liberté n'est pas une chose acquise, la liberté n'est pas la capacité de faire le bien ou le mal, il ne faudrait surtout pas dire en plus que la capacité de faire le mal est ce qui atteste la liberté. Oh non ! Le concept de liberté d'indifférence est une liberté absolument impensable parce que de deux choses l'une : ou bien je choisis en fonction d'un penchant, ou bien je choisis sans penchant. Si je choisis en fonction d'un penchant, apparemment c'est le penchant qui choisit ; et si je choisis sans penchant, ce n'est pas moi qui choisis cela, c'est n'importe quoi !

d) Le bien et le mal d'après l'Évangile.

Par ailleurs il faut bien voir que les concepts de bien et de mal dont nous parlons dans des tas de lieu sont bien autre chose que le bien et le mal au sens biblique.

Le bien, ce n'est surtout pas le concept de bien que je peux définir, et c’est en toutes lettres dans l'Écriture. Le bien ce sont les choses préparées depuis la constitution du monde, ce que l'œil de l'homme n'a jamais vu, que son oreille n'a jamais entendu, ce qui n’est jamais monté à son cœur. Ce n'est pas un bien défini. De même, pour nous, bien et mal c'est du contraire. Or le rapport entre le bien et le mal au sens biblique n'est pas un rapport de contrariété, c'est un rapport de pardon. En effet le pardon précède la signification même du mot de bien. Autrement dit notre concept de bien est un concept non réaliste, c'est un concept idéel, idéel et en même temps illusoire, parce qu'il suppose l'existence possible d'un bien qui serait sans aucun mal. Or le mot bien n'est même pas pensable sans le concept de mal. En effet, je n'aurais pas besoin de parler du bien s'il n'y avait pas le mal. Et quand nous posons la question : pourquoi Dieu a-t-il permis (ou voulu) qu'il y ait de la vie mais aussi de la mort, nous ne savons absolument pas ce que nous disons, parce que nous ne connaissons de vie que mortelle. Notre concept même de vie comporte l'idée de mort, mais nous sélectionnons de façon abstraite, nous extrayons un concept vide de vie. C'est un autre aspect de la question difficile des rapports entre bien et mal dont nous parlions tout à l'heure[13].

Conclusion : Pécheurs parce que pardonnés.

Nous avons vu que c'est ce qui apparaît dans la résurrection du Christ qui, rétrospectivement, donne sens à ce qu'il en est de l'adamologie même dans son manque. Cela veut dire quelque chose de très simple, à savoir que vouloir commencer par le péché, vouloir commencer en en se disant premièrement pécheur, c'est nul, ce n'est pas intéressant. C'est la morale qui fait cela et c'est le juge. Dans l'Évangile, c'est la donation même qui me fait, confessant le Christ, confesser ma distance d'avec lui, et d'une façon qui ne soit pas accusatrice mais qui soit dans la dimension ultime du "pardon" qui est un mot difficile à exprimer. Tout est dans le pardon, tout est cimenté de pardon. Rien ne subsiste que dans le pardon[14]. Vous me direz : c'est l'agapê[15]. Oui, mais nous avons déjà aperçu dans la première partie du texte[16] que l'agapê se dévoile dans son plus propre en ce qu'elle est pardon.

► Je ne sais pas si j'ai bien compris : confesser ce qui me sépare du Christ, est-ce que c'est cette confession-là qui est la reconnaissance d'être pécheur ?

J-M M : C'est cela. C'est le mot hexhomologèse de hex-homo-logie. Il se trouve dans deux circonstances : confesser que Jésus est Seigneur, et confesser mon péché. Donc il y a ici quelque chose de très important, à savoir qu'il n'y a pas ultimement lui et moi, il y a radicalement deux "je". Quand je dis "il" du Christ, je dis quelque chose de moi. Par ailleurs « de moi » est une expression qui pourrait être entendue de façon très suspecte et très négative ; voyez la signification des deux "je" dont il est question dans le chapitre 7[17].



[1] « On connaît la doctrine du catéchisme qui a formé des générations de chrétiens avant le concile Vatican II et qui remonte pour l'essentiel au Concile de Trente (XVIe s.). Rappelons-en brièvement l'essentiel. Dieu avait créé Adam et Êve, les premiers parents du genre humain, dans un état de grâce et de bonheur selon l'âme et selon le corps et les avait placés dans le paradis terrestre. Il leur avait donné la grâce sanctifiante, en vertu de laquelle ils étaient enfants de Dieu, destinés à le voir et à le posséder éternellement dans le ciel, et des dons extraordinaires qui les préservaient de l'ignorance, de l'inclination au mal, de la souffrance et de la mort. Ils devaient transmettre cet état à tous leurs descendants. Mais Adam transgressa un ordre sévère de Dieu : il commit un péché mortel de désobéissance et d'orgueil. En conséquence, il perdit la grâce sanctifiante et les dons préternaturels et transmit cette nouvelle situation aux générations issues de lui. On appelle cet état le péché originel, parce qu'il ne provient pas d'un acte de notre volonté personnelle, mais de notre origine et qu'il nous est transmis avec la nature humaine. Mais, par ses souffrances et sa mort sur la croix, Jésus-Christ a obtenu satisfaction pour nous et nous a mérité le salut. Le baptême nous applique ses mérites et nous délivre de notre situation de péché. Nous restons cependant encore tous marqués par la concupiscence qui nous incline au mal.» (P. BACQ, "Thèmes maudits en catéchèse", revue Lumen vitae vol XLV, 1990, n°4, p. 376-388

[2] Pierre GRELOT fait lui aussi cette distinction : «En distinguant ici «péché originaire» et «péché originel», je rejoindrai exactement la distinction médiévale entre le peccatum originale originans et le peccatum originale originatum. Faute de tenir compte de cette distinction, plus d'un moderne s'empêtre les pieds dans les spéculations absurdes, comme si, par exemple, le péché originel résultait de l'héritage d'une "culpabilité" venue d'Adam. Et cela, ou bien pour élaborer faussement la doctrine elle-même, ou bien pour la refuser au nom d'un rationalisme sûr de soi. » (Note 3 de l'article de la revue NRT : " Pour une lecture de Romains 5,12-21")

[4] Dans Les péchés, que peut-on en dire ?, éd Salvator 1987, Xavier Thévenot au chapitre III définit d'abord ce qu'il faut entendre par "sentiment de culpabilité" puis montre que le péché en diffère.

[6] Lire la Genèse c'est l'interpréter. La référence est ici essentiellement Gn 3, 1-7 : « 1Le serpent était rusé, plus que tout vivant du champ qu’avait fait YHWH-Elohim. Il dit à la femme : « Ainsi donc, Elohim a dit : ‘‘Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin’’ ? » 2La femme dit au serpent : « Nous mangerons le fruit des arbres du jardin, 3mais du fruit de l’arbre au milieu du jardin, Elohim a dit : ‘‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, afin de ne pas mourir.’’ » 4Le serpent dit à la femme : « Mourir ! Vous ne mourrez pas, 5car Elohim sait que du jour où vous en mangerez, vos yeux seront ouverts ; et vous serez comme Elohim, connaissant le bien-et-mal. » 6La femme voit que l’arbre est bon à manger, désirable pour les yeux et convoitable pour l’intelligence. Elle prend de son fruit et mange ; elle en donne aussi à son homme avec elle. Il mange. 7Leurs yeux à eux deux s’ouvrent. Ils connaissent que, eux [sont] nus. Ils cousent des feuilles de figuiers et se font des ceintures. » L'interdit avait été énoncé par YHWH-Elohim en Gn 2, 16-17 : « De tout arbre du jardin tu mangeras. De l'arbre à connaître bon et mauvais, tu n'en mangeras pas, car du jour où tu en mangeras, de mort tu mourras

[7] « Le récit de la faute dans le jardin d'Eden annonce le schéma narratif qui conduit l'Histoire deutéronomiste, construit sur la séquence "don du jardin / de la terre ; commandement(s) à observer ; transgression ; châtiments ; expulsion du jardin / de la terre". Ainsi, le récit place aux origines de l'humanité le schéma transgression-sanction qui, selon les théologiens deutéronomistes, annonce et explique la conduite des Israélites depuis leur installation en Canaan, cette "terre ruisselant de lait et de miel" associée au Paradis. Un tel procédé relève pour une part d'une conception mythique du temps, selon laquelle les événements originels fondent la réalité présente et lui servent de paradigme. Mais il suppose aussi une cohérence absolue de l'histoire, dans laquelle les êtres et les événements sont reliés entre eux par de multiples correspondances cachées. L'écrivain inspiré se donne précisément pour tâche d'identifier ces correspondances et de les signaler par divers moyens stylistiques, de manière à expliciter le sens profond des réalités dont il parle. Cette exégèse de l'histoire suppose également une cohérence littéraire et théologique du corpus scripturaire, au sein duquel elle fonctionne en intertextualité. » (D'après "L'approche historique des documents fondateurs, la Bible", article de Jean-Marie Husser sur http://eduscol.education.fr).

P. Bacq précise (Cf. note 1) : « La critique interne de notre récit et la comparaison avec Ézéquiel 28,11-19 et 31,1-18 font penser que le Yahviste utilise un ancien mythe royal surtout en 2, 1-17 et 3,20-24. Adam figurerait alors le roi d'Israël, et l'arbre de la connaissance du bien et du mal le pouvoir royal (Cf. 2 Sam 14,17 et 1Rois 3,9). Par ailleurs, expression "être l'os et la chair" est souvent utilisée pour désigner l'union du roi et de son peuple. »

Et dans Le peuple de la Bible, éd de l’atelier 1994, Gérard Sindt, dit lui aussi : « C’est au début de la royauté que se met en place le récit des origines, avec Adam-le-terreux et Eve-la-vivante. Ce n’est pas d’abord un récit de création comme Gn 1 qui a été écrit bien plus tard, mais l’histoire de l’homme et du couple. C’est d’autant plus urgent que la famille connaît bien des turbulences aux débuts de la royauté. C’est le début de la société esclavagiste. Les clans sont disloqués (1 Sam 8,13), les pauvres sont soumis aux corvées. Ils mangent leur pain à la sueur de leur front (Gn 3,19). Le peuple se passerait volontiers de roi ! Et pourtant c’est lui qui tend le fruit défendu de la royauté à Adam, figure du roi, pour son malheur. »

[8] Saint Augustin au IVe siècle est le premier à parler de "péché originel". Il s'appuie, entre autres, sur Rm 5,12-21 et 1 Co 15, 22. On sait que sa lecture du premier est tributaire d'une mauvaise traduction (cf. Rm 5,12-21 : texte qui parle de l'entrée du péché dans le monde révélée par la Résurrection, et ne dit rien du péché originel). Le 17 juin 1546, le dogme du péché originel a été réaffirmé lors de la Ve session du Concile de Trente en opposition aux promoteurs de la Réforme ou aux Jansénistes.

[9] Le texte de Genèse ne parle que de "fruit" pas de pomme (« La femme vit que l'arbre était bon à mangerelle prit de son fruit, et en mangea; elle en donna aussi à son homme, qui était auprès d'elle, et il en mangea. » Assez vite, le fruit a été identifié à la figue, puisque Adam et Eve couvrent leur nudité avec des feuilles de figuier. Il y a eu d'autres hypothèses. Aujourd'hui, on parle de pomme et cela provient peut-être d'une confusion entre malum (le mal), et malum (la pomme) qui se prononcent de la même manière en latin vulgaire alors qu'en latin classique les "a" sont différents comme en témoigne l'hexamètre dactylique : mālă mă|lī mā|lō mălă | cōntŭlĭt | ōmnĭă | mūndō (la mâchoire d'un méchant, à cause d'une pomme, apporta au monde tous les malheurs). C'est à partir du IIIe siècle qu'on note la disparition progressive de la distinction entre syllabes longues et brèves. (Pour les autres fruits évoqués Cf. l'article de Hilário Franco Júnior dans https://rhr.revues.org/4621).

[10] Le Catéchisme de l'Église Catholique dit que « Par son péché, Adam, en tant que premier homme, a perdu la sainteté et la justice originelles qu’il avait reçues de Dieu non seulement pour lui, mais pour tous les humains. À leur descendance, Adam et Ève ont transmis la nature humaine blessée par leur premier péché, donc privée de la sainteté et de la justice originelles. Cette privation est appelée “péché originel”. » (CEC 416-417). « Quoique propre à chacun, le péché originel n’a, en aucun descendant d’Adam, un caractère de faute personnelle. C’est la privation de la sainteté et de la justice originelles, mais la nature humaine n’est pas totalement corrompue : elle est blessée dans ses propres forces naturelles, soumise à l’ignorance, à la souffrance et à l’empire de la mort, et inclinée au péché (cette inclination au mal est appelée “concupiscence”). Le Baptême, en donnant la vie de la grâce du Christ, efface le péché originel et retourne l’homme vers Dieu, mais les conséquences pour la nature, affaiblie et inclinée au mal, persistent dans l’homme et l’appellent au combat spirituel. » (CEC 405) La position des Églises protestantes est parfois différente, certaines disent que la nature humaine est totalement corrompue.

[12] J-M Martin est lecteur de Heidegger, voir le tag Heidegger.

[14] Dans le Credo on ne croit pas aux péchés mais à "la rémission des péchés". Comme le dit Xavier Thévenot : « Dans l'Évangile, les quelques rencontres avec les pécheurs où Jésus donne son pardon montrent à l'évidence que l'aveu détaillé de la faute n'intéresse pas beaucoup le Christ. […] Ce qui importe à Jésus ce n'est pas le détail de l'aveu mais c'est que le cœur du pécheur le découvre, Lui, comme Celui qui aime, comme Celui dont l'amour peut libérer. » (Les péchés, que peut-on en dire ?, éd Salvator 1987, p. 64)

[15] Le texte de Genèse dit cela à sa façon. « En plaçant les récits de Gn 2-11 sous le signe de la progression constante du péché et de l’autonomie des hommes, l’auteur yahviste a entendu mettre en évidence non seulement la détérioration progressive des relations entre Dieu et les hommes, mais également la persistance de la volonté salvifique de Dieu. Malgré l’abîme croissant qui le sépare des hommes, Yahvé n’extermine pas l’humanité, mais, au contraire, il oriente l’histoire vers l’accomplissement d’un plan de salut, c’est-à-dire vers l’élection d’Abraham (et du peuple d’Israël à travers lui), et, au-delà de cette élection, vers la bénédiction de toutes les nations (Gn 12, 1-3). Von Rad a été le premier à signaler que les 5 malédictions qui ponctuent l’histoire des origines trouvent leur écho véritable dans le quintuple emploi du verbe brk (bénir) en 12, 1-3. Pour le Yahviste, l’histoire du salut atteint son point culminant dans l’institution de la royauté davidique. Les 5 récits se conforment au même schéma : 1/ l’homme commet un délit, 2/ Dieu prononce un châtiment (mais plutôt une malédiction), 3/ Il y a exécution. Les 5 récits sont : la création et la chute (2-3) ; Caïn et Abel (4,1-16) ; l’union des fils de Dieu avec les files des hommes (6,1-4) ; le déluge (6,5 – 9,17) ; la tour de Babel (11, 1-9) » (Albert DE PURY, Promesse divine et légende cultuelle dans le cycle de Jacob, éd Gabalda 1975, p.108-112)

[16]  J-M Martin, ici, est en train de lire Rm 5. À noter que le récit des pèlerins d'Emmaüs est un accomplissement du récit de Gn 2-3 : « Il me semble possible de lire Lc 24, 13-35 comme un récit de re-création, comme un récit qui a une structure inverse de celle du récit de Gn 3. […] Dans le jardin d’Eden il y a passage du registre de la foi au registre du voir. Sur la route d’Emmaüs, comme plus tard sur celle de Gaza (Ac 8, 26-40), il y a passage de la volonté de voir à la joie d’écouter et de croire. […] Désormais l’acte, pourtant très ancré dans nos tendances archaïques, de manger le Corps de Celui qui est Dieu, loin de traduire une volonté de "devenir comme des dieux", exprimera un agir de grâces (eucharistie) où Dieu est pleinement reconnu dans sa différence. » (Article de X. Thevenot : EMMAÜS, UNE NOUVELLE GENÈSE ? Une lecture psychanalytique de Genèse 2-3 et Luc 24, 13-35)

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