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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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27 juin 2017

Le pneuma d'après saint Paul ; Lecture glosée de Rm 5, 1-5 et Rm 8, 3-30

Voici un extrait du cours de Jean-Marie Martin à l'Institut Catholique de Paris en 1983-84[1]. Le chapitre s'intitulait "Pneuma", mot qu'on peut traduire par esprit, souffle, vent, qui peut désigner ce que nous appelons l'Esprit Saint. Ce mot "pneuma"  n'est en général pas traduit et n'a jamais de majuscule dans cette transcription alors même qu'il désigne le pneuma sacré, ce que nous traduisons par Esprit Saint, voir la note 3. Le mot agapê (amour, charité…) n'est en général pas traduit non plus. Une traduction courante (TOB ou BJ) a été ajoutée à plusieurs endroits. Toutes les notes ont été ajoutées par C Marmèche.

 

Le pneuma d'après saint Paul

Lecture glosée de Rm 5, 1-5 et Rm 8, 3-30

 

L'amour de Dieu, Rm 5,5

Ce chapitre du pneuma consistera dans la lecture continue et glosée d'une page de Paul. La glose dit simultanément ce qui s'entend dans la lecture. Elle entrelace l'écoute et le dire. Notre parole, certes, n'égale pas celle du texte et cela peut se signaler, dans la transcription écrite de ce cours, par des graphies différentes pour ce qui est citation et pour ce qui est glose.

Or, à suivre le cours de la parole, à marcher le long de la parole, c'est-à-dire selon la parole (c'est le même mot en français), le risque est de ne pas en entendre les moments successifs à partir de leur unité, mais à chaque fois à partir de nous-mêmes. Une voix n'est pas un son simple ; une voix a ses harmoniques qui constituent ce qu'on appelle son timbre propre. Et de même, les mots articulés dans le temps ne s'entendent que dans un ensemble successif, et l'ensemble ne se recueille que dans le silence final. Il faut attendre ce silence final et plein sous peine de n'entendre d'autre musique que la nôtre.

Attendre, c'est pratiquer ce que j'appellerai une sorte d'apnée, de rétention du souffle, de retenue, d'épochè. C'est ne pas s'approprier hâtivement les mots. Ce qui est vrai au niveau d'une phrase ou d'un discours, est vrai aussi sur l'ensemble d'une année. Ce n'est qu'à la mesure où aurait été pratiquée cette retenue des eaux qu'un beau jour la digue se rompt et que, d'un coup, le bénéfice de mois et de mois de travail s'atteint.

Mais revenons à notre sujet de l'écoute. Une affirmation saine dans son contexte peut devenir poison pervers si elle est ingérée, absorbée, assimilée hâtivement dans un autre ensemble. Notre ensemble natif est fait de désir et de peur, dans la tentation de lire pour se rassurer le risque d'entendre dans notre crainte. Notre ensemble natif est fait aussi de structures articulées, de ce que nous appelons la grammaire. Et parce que notre "je" grammatical, ego cogito, est lui-même pris dans le souci de la sécurité, c'est-à-dire la recherche du fondement certain (fondamentum certum), assurant et rassurant, c'est tout de nous-mêmes qu'il faut retenir pour que écouter délivre de nous-mêmes cela que nous ne savions pas. Autrement rien ne bouge.

Faisons maintenant un court retour sur ce que je viens de dire. J'ai parlé de ce qu'il en est de lire. Dans quel langage ?

    dans un langage d'entendre la voix ou la musique,
    dans le langage d'absorber ou d'ingérer la nourriture des paroles,
    dans le langage de tenir la bonne respiration (apnée).

Ce sont là des mots du corps. Mais ils ne doivent pas être entendus à partir de notre usage habituel.

Avez-vous remarqué que :

    la foi : entendre une parole ;
    l'eucharistie : manger ;
    le pneuma : respirer

sont les mots de nos sources qui disent l'essentiel et que nous les avons ici mis en œuvre ?

Par parenthèse, on se heurte parfois au discours de Paul qui, à propos de l'eucharistie, dit : « que chacun s'examine et qu'ainsi il mange du pain et boive de cette coupe – c'est-à-dire qu'il ne prenne pas part indûment –; car celui qui mange et boit sans discerner le corps, mange et boit sa propre condamnation » (1 Cor 11, 28-29). Il s'agit tout simplement de ce discernement qui fait que ce qui est apte à nourrir doit être discerné comme tel, et qu'une ingestion indue ne fait que rendre la nourriture poison ou condamnation comme dit le texte. C'est à ce niveau-là qu'il faut entendre cette précaution paulinienne.

Or ces trois expressions que j'ai relevées, qui tissaient mon discours et qui sont issues des expressions mêmes de nos sources, disent la même chose, chose jamais dite en elle-même, mais à partir de quoi tout l'être et le corps prend sens nouveau, renaît d'ailleurs. Et c'est cela le fonctionnement proprement symbolique, lorsque c'est de l'intérieur que le non-vu donne sens à ce qui nous paraissait plus familier. Le signe au contraire part d'une chose bien connue pour en déduire l'existence d'une autre chose[2]. Ici c'est l'intérieur même qui donne sens à tout le langage corporel de nos Écritures.

Voilà donc ce qu'il en est d'entendre. Inutile de dire que parmi ces trois mots que nous avons commémorés, il en est un qui sera particulièrement retenu aujourd'hui, c'est celui qui dit la respiration : le pneuma[3]. En ne traduisant pas ce mot, nous respectons ce qu'a dit Jésus en saint Jean au chapitre 3 : « Le pneuma tu ne sais d'où il vient ni où il va ».

Pratiquement, notre cours sera constitué essentiellement de la lecture de :

  • Rm 5, 1-5 : lieu où on entend le premier coup d'archet qui donne le thème du chapitre 8 ;
  • Rm 8, 1-11 qui donnera le contexte du chapitre 8 ;
  • Rm 8, 12-39 qui sera notre texte principal.

 

I – Rm 5, 1-5[4].

a) Lecture glosée des versets 1-5.

« 1Ainsi donc justifiés par la foila justification (ou l'ajustement) par la foi était le thème qui occupait tout le chapitre 4 (sous la figure d'Abraham) – nous avons paix envers Dieu par Notre Seigneur Jésus Christ, 2par le moyen duquel aussi nous avons acquis l'accès, par la foi, vers cette grâce (cette donation gracieuse), en laquelle nous avons été établis, et nous avons notre suffisance[5] dans l'espérance de la gloire de Dieu (dans la présence radieuse de Dieu)[6]. – Tous les termes que j'ai soulignés sont des termes d'une extrême densité, et nous sommes invités à les entendre dans le texte de Paul et non pas dans tel ou tel sens qu'ils auraient pu prendre en fonction de leur situation dans d'autres contextes. Nous avons relevé :

    la foi : entendre ;
    la paix ;
    l'accès (pros-agogé)
    le don (charis)
    le thème de la suffisance (se rappeler ce que nous disions à propos de la suffisance : c'est un terme négatif quand il s'agit de penser que   la suffisance est en nous, mais nous avons notre suffisance en Jésus, il est notre suffisance) ;
    le thème de l'espérance (première mention de l'espérance qui sera un élément majeur du chapitre que nous lirons ensuite) : attendre.

Les termes qui indiquent la paix, le libre accès (l'approche) disent tous la même chose que la justification ou l'agrément, l'aise devant Dieu.

La foi c'est donc entendre et l'espérance c'est attendre. La langue française permet de mettre en rapport ces deux orientations, ces deux tensions constitutives de l'être chrétien.

3Non seulement, mais nous avons notre suffisance même dans les pâtirs (les tourments, thlipsésin), voyant que :
  le pâtir met en œuvre la patience,
4la patience, l'éprouvement (une attitude éprouvée),
  et l'éprouvement, l'espérance…

Le raisonnement n'est pas terminé, mais je veux relever un thème qui est assez fréquent chez Paul, le thème de "souffrir avec le Christ pour être ressuscité avec lui". Il ne faut pas se méprendre sur cette thématique. Ne laissez pas dire que le christianisme valorise la souffrance. Il faut bien voir que le christianisme valorise toute la vie y compris la souffrance. Ce thème intervient ici parce que ce qui va s'insinuer, c'est la question de savoir comment la justification ne supprime pas le pâtir et la mort, ce qu'on serait en droit d'attendre puisqu'il y a une connivence, une entre-appartenance entre le pâtir et la mort.

●  Précisions sur les mots : mort, souffrance (pâtir).

Paul va développer cet intervalle qui s'appelle espérance, c'est-à-dire ce manque par rapport à l'accomplissement total et dans lequel une chose, qui avait sens comme modalité même du péché, à savoir la mort, est ressaisie dans une autre direction, reprise radicalement comme modalité possible de la résurrection.

crucifié à l'EspritN'oublions pas que nous avons lu la mort et la souffrance comme des modalités du péché et non comme des conséquences, ce qui pose un problème considérable. Or, comme nous l'avons vu chez saint Jean, dans la mort du Christ (qui est égale à sa résurrection) le mot même de "mort" est susceptible d'être ressaisi dans un autre sens. Des formules comme celle-là, nous en rencontrerons à nouveau chez saint Paul, elles demandent à être parfaitement situées dans le mouvement de sa pensée.

Quand il s'agit de la mort du Christ le mot de "mort" signifie la même chose que le mot "vie" puisque la mort du Christ est vivifiante. Ça signifie que ni la mort ni la vie de résurrection ne sont pensées sur le mode sur lequel d'habitude on les pense. Nous commençons à voir qu'il y a quatre termes (et non pas deux) :

  • mort et vie chez nous qui sommes mortels ;
  • mort et vie de résurrection.

Chez nous la mort s'oppose à la vie mortelle tandis que pour le Christ vie et mort ne s'opposent pas.

Donc il y a une reprise d'une chose qui est en même temps un travail sur le vocabulaire[7].

Paul nous a dit que la patience mettait en œuvre l'espérance et il poursuit : « 5Et l'espérance n'est pas déjouée – c'est une citation de psaume – car l'agapê de Dieu a été versée dans nos cœurs par le pneuma sacré[8] qui nous a été donné. » Ce thème du pneuma sera le thème dominant du chapitre 8. Nous entendons ici, pour la première fois, l'annonce de ce thème déjà dans son ordre et dans son mouvement.  Il est ici accompagné du verbe "donner"

Ensuite les versets 7-8 disent que le Christ est mort non pas seulement pour les justeson mourrait à la rigueur pour un justemais pour les pécheurs, et que l'agapê de Dieu consiste essentiellement à mourir pour des pécheurs. Ceci n'est pas à prendre simplement comme une petite réflexion psychologique ou oratoire : « à la rigueur on pourrait mourir pour un juste, oui, mais pour un pêcheur…»  Bien sûr cela est apparent dans le texte, mais le profond de la pensée de Paul, c'est que l'agapê est essentiellement pardon, c'est-à-dire essentiellement grâce, donc surabondance, donc essentiellement mourir pour le pécheur.

Et enfin, au verset 12, commence le passage « C'est pourquoi, de même que par un seul homme… », celui que nous lisions dans notre chapitre du péché originel[9].

●   Précisions sur foi, espérance et agapê (charité).

À propos des cinq versets que nous venons de lire vous pourriez me dire par exemple ceci : il y a clairement et successivement énoncé la foi, l'expérience et l'agapê (la charité). Mais une réflexion de ce genre peut égarer en nous laissons penser que ce sont là les trois vertus théologales, que ces mots doivent être pensés à partir de notre notion de vertu, c'est-à-dire de disposition habituelle, habitudinale de l'homme, et donnant lieu à trois actes différents : l'acte de foi, l'acte d'espérance et l'acte de charité. Or rien de tout cela ne structure notre texte.

D'une part l'espérance n'est pas ici un autre acte ni une autre vertu que la foi et l'agapê. Chez Paul l'espérance nomme le manque positif dont est affecté ce qu'il appelle foi au sens plein (et donc non-disjoint d'espérance et de charité). Autrement dit, l'espérance est une dimension de la foi. Il faudrait même voir que ces mots, d'une certaine manière, signifient à l'envers de ce qu'ils signifient chez nous. Le mot de foi signifie souvent pour nous une connaissance à laquelle il manque quelque chose, alors qu'ici le mot de foi signifie plutôt le contraire, et que le non-accomplissement plein qui est à l'intérieur même de cette foi c'est cela qui tend à s'appeler l'espérance. Autrement dit, ce qui, dans l'entendre, est encore à attendre comme in-entendu, c'est cela qui s'appelle espérance.

D'autre part l'agapê ici n'est pas une vertu. C'est, comme le plus souvent dans notre Nouveau Testament, l'agapê de Dieu, c'est-à-dire l'agapê dont Dieu nous aime et non pas l'agapê que nous éprouvons pour lui. Bien sûr ces choses sont d'une certaine manière corrélatives, mais, l'agapê est toujours pensée à partir de l'initiative divine. C'est ce que dit Jean « l'agapê ne consiste pas en ce que nous aimerions Dieu mais en ce que lui le premier nous a aimés » (d'après 1 Jn 4, 10).

Et il sera question de cette agapê de Dieu au chapitre 8 car elle sera considérée comme le diamètre qui transite depuis le « Faisons l'homme à notre image » (Gn 1) jusqu'à son accomplissement total. Ici je fais allusion à « ceux-là il les a prédéterminés à être conformes à la morphê (c'est-à-dire l'image) qui est son fils » (Rm 8, 29). Alors, qu'est-ce qui fait la teneur, le tonos, le diamètre, quel est l'inébranlable de cela de ce par quoi nous sommes engagés ? C'est l'agapê de Dieu. Or foi ou espérance prennent sens également de cet ensemble-là.

Ceci nous permet de voir ce thème qui s'ouvre dans ce début du chapitre 5 et qui courra dans tous les chapitres jusqu'à ce que nous le retrouvions tout à l'heure dans le chapitre 8.

b) Le vocabulaire du pneuma.

Dans notre lecture, en outre, nous avons relevé le mot même de "pneuma". Nous savons que ce mot reste mystérieux et ne correspond à rien de ce que nous pouvons nommer dans la répartition de notre langage usuel, d'où l'importance de voir les mots harmoniques, c'est-à-dire le vocabulaire dont ce mot s'accompagne.

résurrection répandue à la croixNous avons ici le terme "verser" (« l'agapê de Dieu a été versée dans nos cœurs »). Le pneuma se dit le plus souvent dans la symbolique du liquide, du répandu, du diffusé, du fluide.

Et à ce vocabulaire correspondra aussi un autre mot qui n'est pas employé ici mais que je vous signale, qui est le terme de "emplir" dans toutes les acceptions du terme et ceci constamment dès l'Ancien Testament : « Le pneuma a rempli l'orbe des terres » (Sg 1, 7 – Introït de la Pentecôte) ; « Étienne rempli de force et de pneuma » (Ac 6, 5) ; « La maison dans laquelle ils se tenaient fut remplie du pneuma » (Ac 2, 2 – à la Pentecôte).

Cela nous acheminera vers le substantif "plérôme" qui signifie à la fois la plénitude, l'emplissement et l'accomplissement. En effet "emplir" a toujours la signification d'accomplir comme dans "remplir son devoir", "remplir sa tâche" en français ; la plénitude des temps c'est l'accomplissement des temps. Il y a un rapport entre emplir et accomplir qui est très important parce qu'il a à voir avec le mouvement qui va de la graine au fruit, de la semence au corps.

Le terme "emplir" sera employé par Paul surtout dans les épîtres de la captivité[10] où il a un sens ambigu puisque il désigne aussi bien l'Esprit (le pneuma) que l'Église dans la mesure où il est synonyme de panta (la totalité). Le rapport entre Église et Christ y est comparé au rapport du corps et de la tête, autrement dit l'Ekklêsia (l'Église)[11] – c'est-à-dire l'humanité convoquée – est l'emplissement ou l'accomplissement de ce qu'est le Christ.

Un autre mot qui appartient aussi très étroitement au vocabulaire du pneuma, c'est le terme "donner" (« le pneuma sacré qui nous a été donné »). Le verbe "donner" se trouve ici, mais nous savons aussi que dans le vocabulaire essentiel de Paul c'est le terme de "grâce" qui signifie le don, la faveur.

Je rapproche volontiers ces mots parce que dans notre langage il y a de grandes différences entre verser (acte matériel) et donner (acte de la générosité du cœur). Mais justement cette distinction n'est pas intéressante. La répartition que nous mettons entre des mots qui relèvent de la réalité intellectuelle, intelligible et d'autres de la réalité sensible ne fonctionne pas dans cet ensemble. C'est pourquoi il faut rapprocher ce verbe du reste : il y a à vivre le don dans le fait de verser, verser n'est pas seulement un geste matériel.

Je vous signale que d'autres mots du vocabulaire du pneuma vont apparaître dans les autres textes que nous avons à lire. Je les indique simplement maintenant :

    habiter,
    être dans,
    être marqué parsphragis étant la marque – avec aussi la thématique particulière du gage ou de la prémice ou de la primeur du pneuma qui déjà nous marque et qui n'est pas pleinement accompli en nous,
    être oint par – et il est intéressant de voir comment le thème du roi oint dans lequel se lit le Christ a à voir avec la thématique vétéro-testamentaire du pneuma : le roi est oint du pneuma,
    être mû par (être mis en mouvement par),
    et enfin être fils.

Mais ces mots, nous attendrons de les rencontrer. J'ai voulu ici rassembler par avance les harmoniques principales qui sonnent à propos du pneuma. Ceci ne nous permet pas encore d'accueillir ce mot dans le clair de notre discours, mais cela nous prépare une écoute.

 

II – Rm 8, 3-31.

Nous verrons que le terme de pneuma en Rm 8, 12 sq est introduit par l'opposition selon la chair / selon le pneuma. De la chair il a été question au chapitre 7, texte que nous avons lu, et du pneuma, il sera question en Rm 8, 12 sq. Donc c'est à travers une situation d'opposition antagoniste de deux régions que s'introduit le terme de pneuma : il est assumé pour dire une région alors que le terme de chair est assumé pour dire l'autre.

1) Versets 5-9. L'opposition chair / pneuma.

Les versets les plus importants dans ce domaine ce sont les versets 5 à 9.

« 5En effet, ceux qui vivent selon la chair désirent ce qui est charnel ; ceux qui vivent selon l'esprit, ce qui est spirituel. 6Car le désir de la chair, c'est la mort, tandis que le désir de l'esprit, c'est la vie et la paix, 7puisque le désir de la chair est inimitié contre Dieu : il ne se soumet pas à la loi de Dieu, il ne le peut même pas, 8et ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu. 9Vous, vous n'êtes pas dans la chair mais dans l'esprit, puisque l'Esprit de Dieu habite en vous. Qui n'a pas l'Esprit ne lui appartient pas. » (Bible de Jérusalem)

« 5Ceux qui sont selon la chair, visent les choses de la chair, mais ceux qui sont selon le pneuma, les choses du pneuma. – Ces formules indiquent les deux régions en ce qu'elles ont d'incommunicable : « ou bien… ou bien… » Encore une fois, n'entendez pas trop vite : ou bien je suis dans la chair ou bien je suis dans le pneuma. En fait, il s'agit de la répartition des deux racines, des deux "en tant que" (pour parler approximativement).

Nous avons rencontré cela également l'année dernière chez saint Jean : « car ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né du pneuma est pneuma » (Jn 3), mais on peut penser que le rédacteur de ce passage de Jean est influencé par la terminologie proprement paulinienne. Ce qui correspond à chair et pneuma chez Jean, c'est ténèbre et lumière alors que ciel et terre sont deux pôles constitutifs dans une imagerie verticale et non pas deux termes qui s'opposent. En revanche on peut dire par exemple que le rapport agréé, le rapport pacifique des deux pôles constitutifs de toute chose, c'est-à-dire du ciel et de la terre, c'est cela qui est lumière ; et que le rapport disjoint ou excluant des deux pôles constitutifs c'est cela la ténèbre ou le meurtre etc. Ne pas confondre toutes les dualités car il y a une indéfinité d'être deux ; deux sont pointées ici mais il y en a beaucoup d'autres.

Nous avons donc ici dans ce "selon" un certain développement du pneuma comme caractérisant un régime (ou une région), et qui a ses racines et ses fruits : les fruits du pneuma sont vie et paix. La même structure se trouve dans la région antagoniste, et les deux semences, les deux graines ont leur propre croissance, leur propre tendance. On sait qu'un mauvais arbre ne produit que le mauvais fruit et un bon arbre le bon fruit et il n'y a pas passage entre les deux. Cependant les deux "selon" (selon la chair / selon le pneuma) ne s'identifient pas à des sujets. C'est que, sans doute, le sujet concret qui chez nous est le référent, le point d'ancrage de toute phrase et de toute pensée, n'est pas ici l'individu mais le régime (la région). C'est ainsi que saint Paul peut dire « je suis charnel » ou « je parle selon l'homme » ce qui est la même chose, mais il dit ensuite : « mais vous, vous n'êtes pas dans la chair, vous êtes dans le pneuma » (Rm 8, 9). Ils sont mieux que lui ? Mais non, ce n'est jamais le sujet individuel qui est en question dans ces textes !

 « 6Car la visée (phronêma) de la chair est mortla mortest son fruit, son terme, ce à partir de quoi nous entendons le mot même de "chair" car c'est à partir du fruit que l'on sait si c'est un bon arbre ou un mauvais arbre – mais la visée du pneuma est vie et paixle caractère antagoniste des deux est marqué après – 7c'est pourquoi la visée de la chair (c'est-à-dire de l'humanité dans sa condition faible, mortelle et meurtrière) est ennemie de Dieu, car elle ne se soumet pas à la loi de Dieu – c'est-à-dire qu'elle n'est pas soumise à la loi entendue dans son bon sens, en effet le mot Torah peut être entendu dans un sens qui n'est pas celui de la loi-législation même elle ne le peut pasce n'est pas une affaire de bonne ou de mauvaise volonté. – 8Ceux qui sont dans la chair ne peuvent plaire à Dieu.

9Or vous, vous n'êtes pas dans la chair, mais dans le pneuma, si du moins (eiper) le pneuma de Dieu habite en vous. – Nous recueillons ici le verbe "habiter" pour la première fois. Mais ici il faut être attentif à la signification de "si du moins", ce n'est pas un "si" conditionnel dans notre sens, c'est le mot eiper qui est souvent traduit par "puisque" et qui se donne à entendre chez nous dans le registre de "l'en tant que". Je dis ceci pour que nous évitions les injonctions conditionnelles que nous entendons souvent dans le texte. La tâche de Paul est de marquer la cohérence du statut chrétien, depuis la justification jusqu'à la plénitude de la gloire, et c'est cet "en tant que" chrétien qui est en question ici Si quelqu'un n'a pas le pneuma de Christ, celui-ci n'est pas de lui (ne lui appartient pas). »

 

2) Rm 8, 3-4 et 10-11. Le pneuma en référence à la christologie.

Il y a émergence du thème christologique à deux moments, au verset 3 et aux versets 10-11 que je veux réunir maintenant pour mettre en évidence la signification du pneuma en référence à la christologie.

Dans nos traités de théologie, les répartitions se font en distinguant le Christ, l'homme, le pneuma (christologie, anthropologie, pneumatologie). Mais ces répartitions qui sont devenues nécessaires à notre mode de pensée sont tout à fait étrangères au texte de Paul. Il y est partout question du Christ, et chaque fois qu'il est question du Christ, il est question du pneuma puisque le pneuma c'est Jésus ressuscité. Et partout où il est question de l'homme, il est question du Christ et du pneuma parce que l'homme accompli c'est Jésus ressuscité, accompli dans le pneuma répandu. L'homme à l'image, c'est Jésus ressuscité. Autrement dit il n'est jamais question que d'une chose : « Faisons l'homme à notre image ».

a) Versets 3-4. Le Christ s'approche de la chair de péché.

Regardons les versets 3 et 4.

« 3De fait, chose impossible à la Loi, impuissante du fait de la chair, Dieu, en envoyant son propre Fils avec une chair semblable à celle du péché et en vue du péché, a condamné le péché dans la chair, 4afin que le précepte de la Loi fût accompli en nous dont la conduite n'obéit pas à la chair mais à l'esprit. » (BJ)

Le mot de "chair" se trouve abondamment au verset 3 et il est à lire très soigneusement : il est à lire non comme une mention de l'incarnation mais comme concernant "la chair de péché".

« 3Car ce qui était impossible à la loi en ce qu'elle était affaiblie du fait de la chairla parole de Dieu est affaiblie à travers la chair (l'humanité dans son aspect de faiblesse), elle ne règne pas. Et la phrase s'arrête là…

Esprit sur le monde,Dieu en envoyant son propre Fils dans une similitude de la chair de péché, au périmètre du péché, le Fils s'approche de la chair de péché c'est-à-dire s'approche de qui a la posture d'Adam de Gn 3, une posture marquée par le péché et le meurtre a condamné le péché dans la chair ce péché qui règne dans l'humanité faible est condamné : par sa mort la chaîne de meurtre et de mort, d'être mortel et meurtrier, est rompue 4afin que la justice de la loi la justice qu'est la loi, c'est-à-dire la parole de Dieu entendue non comme loi, la parole non affaiblie fût accomplie en nous, qui ne marchons pas selon la chair (sous l'empire de la chair), mais selon le pneuma autrement dit "en nous" en tant ou pour autant que nous marchons selon le pneuma.

Nous sommes encore dans la suite du chapitre 7 qui traitait de la notion de chair. Il est ici question des rapports du Christ et de la chair. Prenons quelques instants pour marquer la signification de cette christologie.

Nous disons, assez souvent, qu'il n'y a pas dans le Nouveau Testament de théologie de l'incarnation. Cela signifie, dans notre esprit, que ce qui s'est psychologiquement développé comme union d'une nature divine et d'une nature humaine pour rendre compte du Christ ne structure pas le Nouveau Testament –  c'est précisément cela que nous avons dit –, c'est-à-dire que ce qui est premier, c'est la passion/résurrection. Et d'autre part, lorsqu'il est question de la venue du fils de Dieu auprès de nous, ce n'est pas lu dans la structure de l'incarnation au sens théologique.

Nous avons ici une dimension de cette venue : le Père envoie le Fils. Or, ce qui fait la différence entre ce que dit la théologie et ce que nous disons, c'est que la question posée dans la théologie est : « comment s'unissent l'élément divin et l'élément humain en Christ ? » alors que dans le Nouveau Testament il n'y a pas un élément qui vient vers un autre élément, il y a simplement le Fils qui vient vers les hommes.

Le Fils vient vers les hommes, c'est ce que dit le verset 3 : il vient dans une "similitude approchée" de la chair de péché car le mot homoiôma signifie "similitude approchée". La chair de péché n'est pas la chair du Christ, il n'est pas question de la chair du Christ. Il est question de la chair de l'humanité qui est sous le pouvoir du péché, le Fils s'en approche et il vient précisément au sujet du péché c'est-à-dire au sujet du meurtre. Il vient essentiellement au sujet du meurtre, c'est la passion, ce n'est pas l'incarnation. Il vient "au périmètre du" péché – on a ici le mot péri qui garde sans doute la signification de "autour" – il vient jusqu'au périmètre de la mortalité meurtrière en ce sens qu'il subit d'une certaine façon, semble-t-il, le meurtre. En fait il ne le subit pas, c'est la phrase de Jésus en  saint Jean : « Ma vie personne ne la prend parce que je l'ai déjà donnée » (d'après Jn 10, 18). Il vient vers le péché pour « condamner le péché dans la chair ». Est-ce sa chair ? Mais non ! Chez Paul le mot "chair" n'est jamais employé à propos du Christ, ici il s'agit du péché qui règne dans la chair des hommes[12].

Vous voyez comment notre théologie de l'incarnation qui est juste en son lieu pour les questions posées à l'époque, ne rend pas compte de ce qui structure fondamentalement le Nouveau Testament[13].

b) Versets 10-11.

« 10Mais si le Christ est en vous, bien que le corps soit mort déjà en raison du péché, l'Esprit est vie en raison de la justice. 11Et si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (BJ)

Puisque le corps de péché a été condamné, il s'ensuit que « 10pour autant que le Christ est en vous, d'une part le corps est mort le mot corps est à prendre dans la structure semence / fruit et non corps / âme. Le corps qui est celui de l'accomplissement de la chair (ou du péché) est mort. C'est Luther qui faisait remarquer que le mot mort ici est le mot nékron, alors que quand il parlera du corps mortel au verset suivant ce sera thnétos, un autre mot – d'autre part le pneuma est vie à cause de la justice.  11Et si le pneuma de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels ici "vos corps mortels" sont vos corps soumis à la mort christique c'est-à-dire à  une mort qui est pour la vie[14], ce sont des corps spirituelsà cause de son pneuma qui habite en vous. »

Ultimement, quel est le dernier fait du pneuma qui est marqué ? C'est qu'il est principe de vie, qu'il est vivificateur, qu'il est ce qui tient en vie. C'est le souffle qui tient en vie, le grand souffle vivificateur. Ceci correspond bien sûr aux origines mêmes du mot : pneuma signifie le vent, le souffle, mais ce n'est ni le vent et le souffle au sens courant du terme, cela indique la relation originaire constitutive de toute vie. Et nous lisons du reste chez saint Paul en 1 Cor 15 : « le pneuma vivifie ».

« Le pneuma qui a vivifié Jésus d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels » : à partir d'où le pneuma se pense-t-il ? À partir de la résurrection, voilà la source. Quand nous aurons étudié toutes les significations, toutes les harmoniques du vocabulaire du pneuma, pour ce qui concerne le pneuma ultimement tout est à entendre à partir de la résurrection, de telle sorte que le pneuma c'est Jésus ressuscité.

« Le pneuma… vivifiera aussi vos corps mortels » : il ne s'agit pas d'une thématique selon laquelle l'âme est immortelle et il reviendra au pneuma, au dernier jour, d'ajouter aux âmes des bienheureux immortels l'appendice d'un corps ressuscité ! La signification du mot de corps n'est pas à entendre dans le rapport âme corps, il est à entendre, comme le plus souvent chez saint Paul, dans le rapport semence / accomplissement : le corps c'est l'accomplissement ultime, ce vers quoi on va. Nous avons vu que la semence du pneuma est donnée, fructifie, le fruit se développe, prend élan – selon le vocabulaire stoïcien – jusqu'à l'accomplissement du corps.

●  Le rapport Christ / pneuma dans l'Écriture.

Christ EspritDire que le pneuma c'est Jésus ressuscité, c'est dire que Jésus dénomme en plein et en un (Plérôme et Monogenês) ce qui se diffuse mais ce qui, en se diffusant, accomplit le plein et le un. Il y a une symbolique du liquide et du solide entre le Christ et le pneuma.

Alors on va me dire : cela n'est pas possible, il y a trois personnes, le Père, le Fils et le Pneuma. Oui, mais ce n'est pas la question. Cette donnée théologique répond à une autre question et elle est à conserver précieusement, non pas du tout pour structurer notre intelligence de l'Écriture, mais pour corriger utilement des méprises. En effet, quand on dit que le Christ ressuscité c'est le pneuma, l'unité qui est en question dans le "est" n'est pas l'unité inerte que nous évoquons dans notre emploi grippé, crispé du verbe "être". L'unité au fond, dès qu'il y a du multiple, il faut la penser à partir de l'un ; mais l'un, il faut que nous le pensions à partir du deux[15].

Et quand je dis que, dans le Nouveau Testament, le pneuma est l'aspect répandu de Jésus ressuscité, ce n'est pas nocif à une doctrine trinitaire, c'est une formulation qui a sans doute l'avantage d'être plus originaire. Simplement je prendrai la formule trinitaire comme une formule qui gère les risques de méprise d'une écoute qui est mue par nos questions à nous.

J'ai parlé ici du rapport du Christ et du pneuma, il en est de même pour le rapport du Père et du Fils.

Pour nous la seule source c'est l'Écriture, c'est la source prochaine et la source lointaine, peut-être même la plus proche. La tradition n'est pas autre chose, ce n'est pas quelque chose qui s'ajoute, c'est l'Écriture en tant que la donation, la transmission. Il y a une grosse ambiguïté sur le mot "tradition". Il faudrait voir comment il a glissé de sens. En particulier au moment des problématiques liées au protestantisme, il a perdu son sens originel – chez les protestants mais aussi chez les catholiques –, d'où tous les problèmes que cela pose aujourd'hui par exemple avec les intégristes. Ce n'est pas forcément bien situé de part et d'autre.

Je rappelle donc que le pneuma s'entend à partir de la résurrection, que la résurrection ne se recueille que dans le pneuma. « Personne ne peut dire Jésus est Seigneur (c'est-à-dire ressuscité) sinon dans le pneuma » (1 Cor 12, 3). Il y a une entre-appartenance multiple entre pneuma et résurrection qui se trouve aussi bien chez saint Paul que chez saint Jean. Par exemple en Jn 7, 37-39 il s'agit de la fête de l'eau et saint Jean précise : « 39Il dit ceci à propos du pneuma que devraient recevoir ceux qui croiraient en lui, car il n'y avait pas encore de pneuma puisque Jésus n'avait pas encore été glorifié. » Il y a identité de la résurrection et du don du pneuma.

3) Rm 8, 12-31[16].
a) Versets 12-19.

«12Ainsi donc, mes frères, nous sommes débiteurs, mais non point envers la chair pour devoir vivre selon la chair. 13Car si vous vivez selon la chair vous mourrez. Mais si par l'Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez. 14En effet, tous ceux qu'anime l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. 15Aussi bien n'avez-vous pas reçu un esprit d'esclaves pour retomber dans la crainte ; vous avez reçu un esprit de fils adoptifs qui nous fait nous écrier : Abba ! Père ! 16L'Esprit en personne se joint à notre esprit pour attester que nous sommes enfants de Dieu. 17Enfants, et donc héritiers ; héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui. 18J'estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. 19Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu. »

« 12Ainsi donc, frères, nous sommes redevables non pas à la chairle terme "redevables" est une des multiples façons de désigner la fonction d'hypotaxe (de dépendance) : nous n'appartenons pas à la chair – pour vivre selon la chair,  13car si vous vivez selon la chair, vous devez mourir – ceci ne fait que reprendre la thématique de la visée de la chair mais si en pneuma vous mettez à mort (si vous rompez avec) les pratiques du corps, vous vivrezun certain nombre de manuscrits portent « si vous mettez à mort les pratiques de la chair » ce qui en un certain sens serait préférable, mais le terme de "corps" peut aussi s'accepter ici à condition qu'on l'entende, non pas de ce que nous appelons le corps, mais de ce qui est "le corps de péché", c'est-à-dire l'accomplissement même du règne du péché.

14Car tous ceux qui sont mus par le pneuma de Dieu sont fils de Dieu. – On voit ici que le pneuma est cette force active qui meut et qui accomplit l'être fils. Nous avons vu que le pneuma est le pneuma de celui qui a ressuscité Jésus, le constituant Fils par sa résurrection. Nous avons également vu que Ressuscité et Fils de Dieu c'est la même chose. Le thème de "fils" ici prend importance en référence à la résurrection.

15Car vous n'avez pas reçu un pneuma de servitude qui vous ramènerait à la craintelefils se pense ici en opposition à l'esclave. L'esclavage dit une qualité d'appartenance, la filiation dit une autre qualité d'appartenance. Le mot de "servitude" est employé ici non pas comme terme de fonction mais comme terme de région. Voyez l'importance de la distinction que nous avons faite. La servitude est commentée par le terme de crainte et il sera en effet question de la gestion de ce manque (désir et crainte) qui nous constitue. Mais dans le pneuma, désir et crainte ne disent plus ce qu'ils disaient dans la chair. C'est cela qui va se développer dans la dénomination du manque, dans le nom de l'espérance – mais vous avez reçu un pneuma de filiationcertains insistent sur la notion d'adoption pour distinguer notre filiation de la filiation du Christ qui est naturelle. Cette distinction-là n'existe pas chez Paul. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de différence entre le statut du Christ et le nôtre, mais il est pensé autrement. Et de toute façon, dans la perspective des Anciens, ce qui est majeur dans la filiation ce n'est pas ce que nous appelons des affaires génétiques, mais c'est le père qui par la parole reconnaît son fils comme fils et qui donne le nom et l'héritage. C'est cela qui est essentiel et nous avons ici, à l'horizon de ce texte, me semble-t-il, l'ouverture même de nos évangiles c'est-à-dire la première façon dont la résurrection est annoncée, à savoir l'ouverture du ciel à la terre et le fait que Dieu dise au Christ – c'est-à-dire à l'humanité en lui – « Tu es mon fils ». Nous allons voir que c'est le fils de l'agrément (eudokia) et c'est le fils bien-aimé (agapêtos). Le pneuma est ici une parole, une parole qui est une déclaration active d'agapê qui constitue la région d'agapê.

Et dans ce pneuma – parce que Dieu nous a dit « Tu es mon fils », nous crions : Abba! Père!Si vous n'aviez qu'une chose à dire de l'Évangile, c'est cela : l'Évangile est la déclaration de l'agapê mutuelle de Dieu et des hommes par quoi l'homme est fondé à dire « Père ».

Le cri ici, est le cœur sans doute ce qui va se développer comme prière. L'essence de cette prière est de dire « Père », et c'est dit dans le pneuma. Nous verrons que c'est le pneuma qui le pré-articule (v. 26). Cela rejoint ce que nous avons esquissé l'autre jour : le Christ ressuscité est le Pater vivant, le "Notre Père" vivant[17]. Tout tient en ce que le Père dise « Tu es mon fils » ce qui est la même chose que le fils dit « Père ».

L'Esprit Saint, calligraphie Annonciades de Thiais16Le pneuma lui-même co-témoigne à notre pneuma que nous sommes enfants de Dieu. – Qu'est-ce que ce témoignage ?Je pense, quant à moi qu'il s'agit du pneuma de résurrection qui se manifeste au Baptême du Christ où la parole « tu es mon fils » se dit : c'est cette parole-là qui est le grand témoignage. Et recevoir ce pneuma dans notre pneuma, c'est entendre cette parole.

Je vous signale que Luther, dès son premier commentaire de 1515-1516, entend cette phrase dans le sens d'une préoccupation caractéristique de son temps et peut-être aussi du nôtre. Je ne l'entends pas ainsi, mais ce qui est intéressant c'est de noter comment il est introduit à entendre cela. Il y va pour lui de la certitude de la foi, et le pneuma (qui met en moi la conviction) met en moi le salut. Ce qui est remarquable, c'est que dans cette scolie qu'il a écrite à propos de ce verset 16, il a noté simplement « À l'encontre d'Ecclésiaste 9, 1, l'homme ne sait s'il est digne de haine ou d'amour[18] » ; il reprendra à nouveau la même citation dans la scolie 43  (p. 125 du tome 11 des Œuvres choisies dans la grande édition Labor et fides) d'une façon qui est néanmoins atténuée par rapport à la lecture de type psychologique que nous voyons poindre ici. Je veux noter cela, non parce que cela me paraît une bonne lecture de ce texte, mais parce que l'on voit poindre là une préoccupation caractéristique des temps modernes, à savoir qu'il y ait rapport d'égalité entre la justification et la certitude psychologiquement entendue de la justification.

Ceci est à mettre en rapport avec ce que j'évoquais comme émergence du moi, qui est le moi grammatical de l'ego cogito, mais qui s'auto-fonde et qui s'auto-justifie. En effet la question qui se pose est celle de la recherche du fondement certain. Je ne maîtrise pas cette question, seulement il nous est peut-être donné de pouvoir prendre distance par rapport à elle, donc de ne pas introduire dans le texte une lecture immédiatement psychologique.

Ceci serait néanmoins à mettre en rapport non pas dans un sens purement psychologique mais dans un sens qui s'appuierait sur le terme de conscience (suneidêsis) qu'emploie parfois saint Paul. Et anthropologiquement cela serait intéressant dans la mesure où nous parlons aussi de "la voix de la conscience", ce qui parle en moi et qui n'est pas purement et simplement moi… Mais il ne faudrait pas aller hâtivement du côté du sur-moi, ce qui dans son lieu est valable. Dans ce que nous évoquons en ce moment il y aurait à voir quelque chose dans la direction de ce que j'appelle la bipolarisation de tout être : nous pouvons dialoguer en nous-même parce que nous sommes infiniment dialogue (ciel et terre, ou mâle et femelle etc.), c'est ce qui ouvre à notre capacité de relation[19]. Là je ne fais qu'indiquer une direction de pensée. Cela ne suffit pas de prendre distance, il faut voir en quoi quelque chose de positif néanmoins est à entendre.

17Si [nous sommes] enfants, [nous sommes] aussi héritiers, d'une part héritiers de Dieu, et d'autre part cohéritiers de Christ – nous verrons dans notre étude sur Israël que le thème de l'héritage est un des grands thèmes de la mystique juive – si du moins nous co-souffrons (co-pâtissons) avec [lui], afin d'être co-glorifiés avec [lui] – il s'agit de la gloire c'est-à-dire de la présence pleine, radieuse et accomplie. Nous sommes bien dans le mouvement de la recherche qui va de notre situation de justifiés jusqu'à l'accomplissement plein à travers le manque.

Ce qui s'introduit ici, c'est cette conversion du manque, une lecture du manque qui a été annoncée lors de la lecture du chapitre 5.

Pâtir est un beau mot qui dit peut-être l'essence même de l'homme, il n'est pas simplement négatif car je pâtis la joie aussi. Nous trouvons donc à nouveau le thème du co-pâtir pour être co-glorifier. Il faut faire réintervenir ici fortement nos réflexions sur "l'afin que" ou le "pour que"[20]. Le terme grec hina ne correspond pas simplement à une proposition finale, il y a identité entre le co-pâtir et l'être co-glorifié, mais sous un aspect d'abord puis sous l'autre. Et ceci (le rapport entre le pâtir et la glorification) n'est pas à entendre dans un rapport de mérite ou de rétribution. Il n'y a pas de mérite ou de rétribution de la souffrance par la gloire, c'est explicitement ce que dit le texte au verset suivant.

18Car je pense que le pâtir (pathêmata, les souffrances) du maintenant (du kaïros présent) n'est pas digne (n'a pas valeur égale) comparé à la gloire à venir qui doit se dévoiler en nous. – Il n'y a pas de valeur égale de la souffrance en tant que souffrance par rapport à la gloire.

19Car l'impatience de la ktisis – mot habituellement traduit par "création" – attend le dévoilement des enfants de Dieu. – Le mot ktisis désigne à mon sens les hommes, tous les hommes. Quand nous prononçons le mot de "création" aujourd'hui, nous pensons en priorité au monde comme création matérielle et éventuellement à l'homme. Ici, il s'agit essentiellement des hommes, ce qui n'exclut pas le monde pour la raison que l'homme est toujours pensé comme être-au-monde, ce qui exclut la création matérielle à part comme un objet.

b) Versets 20-25.

« 20Si elle (la création) fut assujettie à la vanité - non qu'elle l'eût voulu, mais à cause de celui qui l'y a soumise - c'est avec l'espérance 21d'être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. 22Nous le savons en effet, toute la création jusqu'à ce jour gémit en travail d'enfantement. 23Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l'attente de la rédemption de notre corps. 24Car notre salut est objet d'espérance ; et voir ce qu'on espère, ce n'est plus l'espérer : ce qu'on voit, comment pourrait-on l'espérer encore ? 25Mais espérer ce que nous ne voyons pas, c'est l'attendre avec constance. »

20Car la ktisis (l'humanité) a été subordonnée à la vanitéil s'agit ici non pas de la vanité au sens de vanité des vanités, mais du vide meurtrier et mortel. Voici que notre texte, une fois encore, revient au thème de l'entrée du péché puisque ténèbre, vanité (vide), folie, sont des mots qui désignent habituellement la région antagoniste dans le langage de Paul et dans le langage du Nouveau Testament en général. C'est bien cette prise, cette emprise du péché sur la ktisis. C'est bien à nouveau, un retour à la thématique du péché sans que le nom d'Adam soit prononcé[21]non de son plein gré, mais à cause de celui qui l'y a subordonnée pour l'espérancequi est-ce ? On pourrait penser que c'est le péché, le Satan. Je pense plutôt - et les exégètes aujourd'hui disent la même chose à juste titre - que c'est Dieu qui subordonne la ktisis à la vanité:cette soumission est une soumission pour l'espérance, donc ce n'est pas le prince de ce monde qui soumet la création mais Dieu lui-même qui la subordonne à la vacuité en fonction de la plénitude – (il l'y a subordonnée pour l'espérance) 21de ce que la ktisis (l'humanité) elle-même soit libérée de la servitude de la corruption, pour la liberté de la gloire des enfants de Dieu. – "Corruption" nomme ici la région de la mort, et "gloire (doxa)" signifie l'autre présence, la nomme en antithèse comme la résurrection.

De même que le péché abondait pour que la grâce surabonde, ici la création est subordonnée au manque pour qu'il y ait place à l'espérance. Mais attention, ce "pour que" est dans la pensée de Paul mais c'est aussi la pensée dangereuse, car il ne s'agit pas d'entendre Dieu comme quelqu'un qui calcule des moyens pour des fins. C'est à prendre comme l'analyse d'une situation telle qu'elle est. C'est une relecture inversée, une ressaisie proposée de ce qu'il en est du manque, un sens redonné au manque, une direction indiquant ce vers quoi cela peut aller.

Il importe justement de voir ce qu'implique le rapport à Dieu tel que spontanément nous le pensons : Dieu comme posant des moyens pour des fins. C'est sans doute un point majeur de notre projet que de mettre ceci en question. Arriverons-nous à le faire ? Il importe en effet de ne pas pervertir la pensée essentielle de l'Évangile qui est la pensée de la grâce comme surabondance, c'est-à-dire comme plénitude par rapport au manque.

22Car, nous savons que la ktisis (l'humanité) tout entière co-gémit et est en gésine (souffre les douleurs de l'enfantement) jusqu'à maintenant –– le terme de "gémir" qui reviendra à plusieurs reprises dans ce texte est susceptible d'abord d'être mis en rapport avec la thématique de la parole, du cri (nous crions) en référence au pneuma, et aussi avec la thématique de la gésine c'est-à-dire de l'enfantement d'une humanité, ce qui nous ramène au thème que nous rencontrions chez Jn 16, 20 avec la parabole de la femme qui enfante. Et cela peut aussi être mis en rapport avec un thème qui appartient à la mystique juive, celui du gémissement de la colombe. Il est vrai que dans la mystique d'Israël la colombe est plutôt Israël lui-même que le pneuma, mais ceci n’est pas exclu comme nous aurons peut-être l'occasion de le voir lorsque nous traiterons de l'Église.

  23non pas seulement[elle, la totalité de l'humanité qui est dans ce gémissement, dans ce manque], mais encore nous aussi nous gémissons en nous-mêmes, [nous] qui avons la prémice (la primeur) du pneuma, attendant la filiation c'est-à-dire l'accomplissement de la filiation – [qui est] le rachat de notre corps – attention c'est le corps au sens que nous avons vu tout à l'heure, il est à penser dans le rapport semence-corps et non dans le rapport âme-corps. Paul dit que lorsque nous ne serons  plus soumis à la puissance de mort, mais que nous serons dans le déploiement de la semence du pneuma dont nous avons la prémice, le corps de gloire viendra.

24Car nous avons été sauvés en espérancevoilà le terme qui s'était annoncé dès le début du chapitre 5 et qui nomme précisément ce qui reste de distance à l'intérieur même de la foi – car l'espérance vue n'est pas espérance – ici le mot "espérance" ne désigne pas l'attitude de l'homme qui espère, il désigne la chose espérée –  en effet ce que quelqu'un voit, l'espère-t-il ?  25Si ce que nous ne voyons pas, nous l'espérons, nous l'attendons par le moyen de la patiencehupomonê est un terme qu'il faudrait traduire autrement que par "patience" lors de la proclamation (par exemple par "persistance") étant donné que ce mot a pris une signification suspecte, en tout cas dévaluée. Je le garde provisoirement ici à cause de son rapport au "pâtir". Paul dit ici qu'il y a du non-voir dans l'espérance, ce qui rejoint le fait que la résurrection elle-même est la présence par excellence, mais c'est la présence de quelqu'un qui est absent par rapport à ce que nous cherchons et attendons.

c) Versets 26-28. Pneuma et prière.

« 26Pareillement l'Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables, 27et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond aux vues de Dieu. 28Et nous savons qu'avec ceux qui l'aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu'il a appelés selon son dessein. » (BJ)

26De même aussi le pneuma co-pourvoit à notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il fautle terme de "prier" ici est une autre façon de dire la conscience de la distance, de l'attente et de l'espérance –  mais le pneuma lui-même sur-intervient par des gémissements indiciblesils sont "indicibles" mais on peut traduire par "inarticulés", c'est-à-dire qu'ils s'entendent en deçà de ce que nous appelons la parole articulée, du plus profond de la source de la parole. C'est ce qui va être développé par la suite27et celui qui scrute les cœurs sait quelle est la visée du pneuma c'est-à-dire que Dieu entend cet appel inarticulé – parce que c'est selon Dieu qu'il intercède en faveur des consacrés. – Notre "Notre Père" est l'articulation du gémissement inarticulé qui est au fond du cœur de l'homme parce que le pneuma intervient, intercède. Ce qu'il y a d'assez étonnant ici c'est que ce dialogue qui est le dialogue du Fils au Père, nous sommes pris dedans (Cf. Jn 17[22]), c'est-à-dire que Dieu n'est pas en face de nous, il va d'en-deçà à au-delà de nous. Nous sommes pris dans la parole de Dieu vers Dieu.

Ceci me paraît très johannique puisque le Christ va vers le Père en tant qu'il a l'accomplissement de la totalité de l'humanité (« tu lui as donné le pouvoir sur toute chair »[23]). Ici, dans le langage paulinien du pneuma de la résurrection qui est l'identité profonde de Jésus, la même chose est redite.

28Nous savons d'autre part que pour ceux qui l'aiment, Dieu œuvre de façon concertée toute chose pour le bien, à ceux qui ont été appelés selon la pré-disposition.

d) Versets 29-31.

C'est ici que se trouve le fameux texte du verset 29 que nous avons déjà lu.

« 29Car ceux que d'avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l'image de son Fils, afin qu'il soit l'aîné d'une multitude de frères ; 30et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. 31Que dire après cela ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? »

« 29Car ceux qu'il a pré-connus, il les a aussi prédéterminés à être conformes à l'image qui est son Fils, de sorte que lui fût premier-né parmi beaucoup de frères premier-né ici ne se lit pas dans la ligne de l'aînesse, mais comme le plus originaire parmi beaucoup de frères – 30ceux qu'il a pré-déterminés, ceux-là il les a aussi appelés ; ceux qu'il a appelés, ceux-là il les a aussi justifiés; et ceux qu'il a justifiés, ceux-là il les a aussi glorifiés. 31Que dirons-nous donc à l'égard de cela ? Si Dieu [est] pour nous, qui [est] contre nous ?

Il faut bien voir comment cela se situe. Il s'agit de ce qui va de la pré-connaissance (pré-gnose) de Dieu par la pré-détermination jusqu'à l'appel et à la justification, et finalement jusqu'à la gloire, l'ultime présence. Ce qui se marque ici, c'est ce que j'ai appelé le diamètre depuis « Faisons l'homme à notre image » jusqu'à l'accomplissement total de la présence, de la gloire (doxa). J'ai parlé de « Faisons l'homme à notre image », et ce n'est pas par hasard, parce qu'en effet tous ces termes en pro (prédisposition, préconnu, prédéterminé…) sont référés à ce moment de la Genèse.

Dans ces versets il est question de "ceux qui", un mot que nous avons déjà rencontré et dont nous avons dit qu'il n'était pas partitif. Il se trouve ici situé dans son mouvement. Ce n'est pas « il y en a des qu'il a choisis et d'autres qu'il n'a pas choisis », mais ce n'est pas le contraire non plus. Ça ne parle pas partitivement. Autrement dit, « les hommes que Dieu a choisis » c'est tous probablement, au moins si on continue le chemin de "l'en tant que".

e) Versets 35-39. L'agapê.

« 35Qui nous séparera de l'agapê du Christ ? Est-ce que ce sera la détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? 36selon qu'il est écrit: “À cause de toi nous sommes mis à mort tout le jour, nous avons été considérés comme des brebis destinées à la boucherie”. 37Mais en tout cela nous "sommes plus que vainqueurs" (hupernikomen) par celui qui nous a aimés.

Baptême du Christ, baptistère de Parme, ItalieCela signifie que ce qui fait le lien cohésif des étapes qui ont été mentionnées, ce qui fait la tension[24] de ce diamètre, ce n'est rien moins que l'agapê de Dieu. Et c'est bien cela que disait le chapitre 5, c'est à ce propos que le thème de l'agapê était survenu sur le thème de l'espérance. Nous avons aperçu l'agapê comme diamètre qui va de la détermination originaire jusqu'à l'accomplissement, c'est-à-dire du même au même. D'autre part il y a cette réalité axiale du pneuma[25] qui dit « Tu es mon fils » en deçà de nous, jusqu'au pneuma qui est déjà là, gémit et crie. Nous sommes traversés par ce colloque interne à Dieu sans doute.

C'est tout à fait à la fin que tout se résume lorsque saint Paul dit que « rien ne pourra nous séparer de l'agapê de Dieu [qui est] le Christ Jésus notre Seigneur » (v. 39).



[1] J-M Martin était professeur de dogmatique à l'Institut Catholique de Paris. Certains passages ont été actualisés avec le cours de 1989. 

[3] Dans les Bibles le mot grec pneuma est souvent traduit par "Esprit" mais parfois par "souffle" ou "vent". Nous verrons qu'il y a deux pneuma : un pneuma de servitude et un pneuma de filiation, et qu'en plus il y a le pneuma de Dieu et notre propre pneuma. On pourrait mettre une majuscule au pneuma de Dieu (pneuma de filiation) pour le distinguer, mais nous avons préféré ne pas faire de distinction puisque dans le texte grec il n'y a pas de majuscule.

[4] J-M Martin traduit au plus près du texte. Voici une traduction courante : «1Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ ; 2par lui nous avons accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous mettons notre fierté dans l’espérance de la gloire de Dieu. 3Bien plus, nous mettons notre fierté dans nos détresses mêmes, sachant que la détresse produit la persévérance, 4la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l’espérance ; 5et l’espérance ne trompe pas, car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné.» (TOB)

[5] La TOB traduit : « Par lui nous avons accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous mettons notre fierté dans l’espérance de la gloire de Dieu.» J-M Martin traduit par "suffisance" le mot kaukhêma qui est souvent traduit par "orgueil" ou "fierté". J-M Martin a précisé une fois : « C'est est un mot très fréquent dans la deuxième épître aux Corinthiens, et il se trouve dans l'épître aux Romains. Là aussi il y a l'oreille pour entendre. Le mot "suffisant" est une assez bonne traduction car elle a à la fois le sens moral d'être suffisant et aussi d'avoir en soi de quoi suffire à. C'est l'invitation à penser que, si le mot Dieu a un sens, il est le décèlement bienheureux que ce n'est pas au titre de mes propres ressources, mais au titre de la donation qu'il donne à moi-même, que je peux me tenir devant lui. »

[7] Lors d'une lecture de Rm 8, 15-27 J-M Martin disait le même genre de chose : « Pâtir, c'est un terme qu'il faut bien entendre, qui est plein de péril. Comme si par exemple il nous fallait rechercher avec insistance de quoi pâtir, et pâtir tant et plus pour pouvoir participer à la gloire ! Ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Le pâtir c'est la recon-naissance de l'état affecté de notre natif : nous sommes nativement dans du pâtir (pâtir la peine et même pâtir la joie), nous sommes des êtres affectés. Souvent nous avons une espèce d'idée idéale d'un homme qui devrait être sain et à qui il arrive tout d'un coup d'être malade. Non, nous sommes nativement dans du pâtir, inégalement dans du pâtir. Or il y a un mode de pâtir qui enferme encore plus dans le pâtir, et il y a une façon de tourner le pâtir vers l'issue du pâtir, celle qu'opère le Christ quand il subit apparemment la mort. J'ai dit "apparemment" car il dit : « Ma vie, personne ne la prend – pourtant on la lui prend, mais on ne la lui prend pas vraiment parce que : je la dépose de moi-même » (Jn 10, 18), c'est-à-dire que ce qui est donné d'avance n'est pas prenable. C'est pourquoi dans le mode de mourir du Christ est inscrite la résurrection. Ce n'est pas une mort pour la mort, une mort dans la chaîne des prendre et reprendre, c'est une mort qui est changée intérieurement de sens. » (Rm 8, 15-27 : Prière et pneuma)

[8] Il est fait mention du "pneuma sacré", expression qui dans nos Bibles est traduite par "Esprit Saint".

[10] Ce sera surtout le cas dans l'épître aux Colossiens et l'épître aux Éphésiens.

[13] J-M Martin est dogmaticien de métier. Cf. Du bon usage des dogmes.

[14] Voir la distinction des quatre sens des mots mort et vie à la fin de la lecture du verset 4 au I.

[15] Voir le cycle de conférence sur le thème "Pus on est deux, plus on est un" (tag PLUS 2 PLUS 1)

[17] J-M Martin l'a également dit lors des séances sur le Notre Père dont la transcription figure sur le blog (tag NOTRE PÈRE).

[18] « Oui, j'ai appliqué mon cœur à tout cela, j'ai fait de tout cela l'objet de mon examen, et j'ai vu que les justes et les sages, et leurs travaux, sont dans la main de Dieu, et l'amour aussi bien que la haine; les hommes ne savent rien: tout est devant eux  » (Ecclésiaste 9, 1)

[19] J-M Martin parle de cette bi-polarisation dans un article : Masculin féminin chez saint Paul (Thèmes d'une symbolique).    

[21] J-M Martin note ce passage comme étant une des entrées du péché dans le monde, la quatrième, les autres se trouvant en Rm 1, Rm 5 et Rm 7.

[23] Il s'agit du verset 2 de Jn 17 selon la traduction courante, mais dans son commentaire de Jn 17, 1-11a, J-M Martin montre que "pouvoir sur toute chair" peut être traduit par "accomplissement de l'humanité", le mot "toute chair" désignant l'humanité (voir note précédente).

[24] Le mot "tension" se réfère peut-être au langage stoïcien. Dans une autre lecture de Rm 8, J-M Martin en parlait à propos du mot pathêmata employé au verset 18 : «Nous sommes à une époque où le vocabulaire de Paul a rapport avec l'héritage des stoïciens, et ce que les stoïciens appellent les pathê c'est ce qui, en l'homme, n'est pas dans sa juste tension. Pour eux l'homme est constitué par ce qu'ils appellent le logos orthos, c'est-à-dire une rectitude, une tension juste et, dès qu'il y a excès ou défaut, c'est du pâtir, donc ce qui est en plus ou en manque par rapport à une juste tension.»

[25] C'est la voix du Père qui dit cela lors du Baptême du Christ, mais nous savons aussi que Dieu est pneuma.

 

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