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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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5 janvier 2018

Le thème de la mémoire dans l'évangile de Jean

Dans l'évangile de Jean se souvenir n’est pas garder le passé. Pour approcher ce qu'il en est de la mémoire, il est bon de relire les textes qui parlent explicitement  de remémoration, de non-compréhension immédiate. C'est ce qui est proposé ici. A noter que J-M Martin préfère en général ne pas traduire le mot "pneuma" qui désigne aussi bien l'esprit que le souffle, que l'Esprit Saint.

 

Le thème de la mémoire dans l'évangile de Jean

 

Par Jean-Marie Martin[1]

 

Le thème de la mémoire a une ampleur importante chez Jean. Il est évoqué dans quatre lieux stratégiques de cet évangile : 2, 17-22 ; 12, 16 ; 20, 6-9 et 14, 25-26

 

Premier texte : Jean 2, 17-22

 

Jesus purifie le TempleOn est dans la thématique des vendeurs chassés du Temple. Il y a le geste de Jésus, un geste de violence, c’est-à-dire un geste révélateur de l’espace de violence, un mime pour faire comprendre la violence qui réside dans le fait de vendre dans "la maison de mon Père". Jésus reprend là une gestuelle, une attitude prophétique : on voit tel prophète épouser une prostituée pour révéler qu’Israël s’est prostitué aux faux dieux[2]. C’est un geste à la fois prophétique et anticipant – les termes mêmes sont choisis – puisqu’il préfigure la flagellation : il prend un fouet, renverse les tables, chasse...

« 17Ses disciples se souvinrent qu'il est écrit : "La ferveur de ta maison me dévorera". 18Mais les Judéens répondirent donc et lui dirent : " Quel signe nous montreras-tu, pour agir de la sorte ? " 19Jésus leur répondit : " Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai. " 20Alors les Judéens dirent : " Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple et toi, tu le relèverais en trois jours ? " 21Mais lui parlait du temple de son corps. 22Aussi, lorsque Jésus se releva d'entre les morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait parlé ainsi, et ils crurent à l’Écriture ainsi qu'à la parole qu'il avait dite. »  

●   Le corps du Christ est le temple.

Le verset 19 anticipe la résurrection. Cette parole de Jésus sur le Temple donne lieu à méprise dans un premier temps, mais on trouve l’explication au verset 21 : « le temple de son corps » c'est-à-dire "le temple qui est son corps". Le corps du Christ est un temple. C’est un thème fréquent qu’on retrouve chez Paul. C'est un thème qui ressortit à l'espace.

Et nous avons l'inversion de la préposition caractéristique "dans". « Nous sommes le Temple dans lequel Dieu réside » mais aussi « nous résidons en Dieu » : « être dans » avec cette inversion caractéristique de cette préposition. Il faut être très attentif à la préposition « dans », chez Jean.: « La vie était en lui » et il dit « Je suis la Vie ». En un certain sens être dans une chose, c’est être cette chose  car l’unité qui permet de dire « Je suis » est toujours duelle (en effet l’unité la plus haute n’est pas la solité mais l’intimité ou la proximité). « Être dans » dit la proximité et cela peut être dit de façon inversée.  Ici, il s’agit d’être dans son propre. Car, chez Jean, il existe aussi un autre « être dans » qui est d’être en exil ou être à l’étranger, être dans ce qui n’est pas son propre. La phrase qui dit cela de façon majeure est « vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde ».

Le propre est celui dont je suis, d’où je suis. C’est pour nous difficile car "dans" pour nous correspond à notre image de l’emboîtement, qui n’est donc pas réversible.  Il y a une  différence entre « être de » et « être dans ». Il y a un « être dans » qui est un « être de » et c'est être dans son propre mais il y a un « être dans » qui est d’être étranger et là il faut en sortir. La christité[3] qui est en nous n’est pas de ce monde !

  • La mémoire comme présence simultanée d'un déploiement.

« Quand Jésus se releva d'entre les morts ses disciples se souvinrent… » : le lieu de la résurrection en nous est l’éveil de la mémoire. La mémoire n’est pas à prendre comme notre capacité de se ressouvenir[4]. La mémoire est la présence simultanée de ce que nous appelons le passé, le présent et le futur ; c’est ce qui tient ensemble, dans une simultanéité heureuse, des choses qui, dans un autre sens, se déploient dans une succession, selon l’avant et l’après[5].

Cet aspect de la temporalité serait bien illustré par le thème du semeur et du moissonneur dans l’épisode de la Samaritaine : « Ne dites-vous pas vous-mêmes : “Encore quatre mois et viendra la moisson” ? Mais moi je vous dis : “Levez les yeux et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson !” » (Jn 4, 35-38). Il y a une vue basse et une vue haute. "Levez les yeux" : cette expression revient quatre fois chez Jean : cela dessine le trajet de la prière trois fois, et une fois c'est voir la foule. Il y a une façon de voir qui est de voir le fruit dans la semence. Car le fruit est dans la semence, mais la semence est dans le fruit.

  • Le point de résurrection.

« Ses disciples se souvinrent qu'il avait parlé ainsi, et ils crurent à l’Écriture ainsi qu'à la parole qu'il avait dite ». Le point de résurrection, c’est le point qui permet de relire l’Écriture et la parole de Jésus : c’est ce à partir de quoi se lisent l’Ancien Testament et les épisodes vécus avec Jésus. C’est le point focal de tout l’Évangile, à ce titre là aussi. L’Évangile est tout entier lecture de l’Ancien Testament : dénonciation de la Loi comme loi et accomplissement[6] de la Torah comme torah (pas comme législation). La résurrection est le site d’où tout se voit[7].

 

Deuxième texte : Jean 12, 16

 

Jn 12, les RameauxLe verset 16 se trouve dans un épisode qui fait référence pour nous à la fête des Rameaux. Il fait référence aussi à notre liturgie, au « Sanctus » : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur »

« 12Le lendemain, la foule nombreuse venue pour la fête apprit que Jésus venait à Jérusalem. 13Ils prirent les rameaux des palmiers et sortirent à sa rencontre et ils criaient : “Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur et le roi d'Israël !” 14Jésus, trouvant un petit âne, s'assit dessus selon qu'il est écrit : “15Sois sans crainte, fille de Sion : voici que ton roi vient, monté sur un petit d'ânesse.”

Le récit est minime : il s’agit d’une gestuelle de la foule et de deux citations[8]. Jean en fait une double lecture : ce qui se passe et ce qu’il lit dans l’épisode.

« 16Au premier moment, ses disciples ne comprirent pas ce qui arrivait, mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se souvinrent que cela avait été écrit à son sujet, et que c'était cela même qu'on avait fait pour lui. »

 

Verset 16a : « Ses disciples ne comprirent pas ces choses d’abord »

Ils sont donc en train de raconter des choses qu’ils n’ont pas connues, dont ils n’ont pas trouvé le sens. Le récit des évangiles n'est pas d'abord le récit de ce que les disciples ont vécu, c'est le récit de ce qu'ils ont manqué à vivre, c'est-à-dire de ce qu'ils n'ont pas vu dans ce qui était à voir. 

 

Verset 16b : « Mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent (emnêsthêsan) que ces choses étaient écrites à son sujet et qu’elles eurent lieu. »

La glorification, c’est la résurrection[9], l’effusion du pneuma : « Le Paraclet, l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. » (Jn 14,26). C’est à partir de là que sont écrits les évangiles.

Les disciples se souviennent simultanément de l’Écriture et du geste qui a été fait par la foule qui l’acclame (avec des branches de palmier).

Le but n’est pas de raconter une anecdote mais de remémorer des choses vécues et surtout des choses ratées, et d’annoncer la nouveauté de l’expérience de Résurrection. La Parole n’est pas la répétition de ce que Jésus a dit, puisque sur le moment, les disciples ne comprenaient rien. La Parole est celle que l’évangéliste a écrite à la lumière de la Résurrection, quand il comprend, enfin !

 

Troisième texte : Jean 20, 6-9

 

Jn 20, le tombeau videC’est le chapitre de la Résurrection. C’est aussi le premier épisode de la course entre Pierre et Jean (la rapidité est un signe du pneuma : "le  pneuma est prompt") qui sera reprise au chapitre 21 (où on trouve des traces de négociations entre les églises pétrines et johanniques).

« 6Arrive, à son tour, Simon-Pierre qui le suivait ; il entre dans le tombeau et considère les bandelettes posées là 7et le suaire qui avait recouvert sa tête ; celui-ci n'avait pas été déposé avec les bandelettes, mais il était roulé à part, en un seul  lieu. 8C'est alors que l'autre disciple entra à son tour, celui qui était arrivé le premier au tombeau ; il vit et il crut. 9En effet, ils n'avaient pas encore compris l'Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d'entre les morts.»

« Il vit et il crut » ; c’est un hendyadis, c’est à dire deux mots pour dire la même chose. Voir et croire disent la même chose. C’est le grand verbe « voir » qui dit la foi.

Dans ce chapitre, il y aura aussi une comparaison implicite entre Jean et Thomas. Il est dit à Thomas « Parce que tu as vu, tu as cru ; Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ».

Au verset 8 Jean n’a pas vu pour croire car « Il vit et il crut » est un hendyadis : il a vu parce qu’il a entendu. En effet, d'après le verset 9, il a entendu l’Écriture qui lui donne de voir.

Entendre donne de voir mais voir ne donne pas de croire puisque le voir du signe n’est pas ce qui conduit à la foi. Ici Jean entend l’Écriture du fait même de ne rien voir : son voir, c’est de voir le rien, le vide.

 

Quatrième texte : Jean 14, 25-26

 

Jn 14, 25-26 paraclet enseignantC’est le lieu le plus éminent de tous. C’est un des textes qui traitent du pneuma. C'est le tissage de quatre thèmes en un seul : agapê, garde de la parole, prière, venue du pneuma (de l’Esprit)[10]. Ici, Jean traite du quatrième de ces thèmes.

« 25Je vous ai dit ces choses tandis que je demeurais auprès de vous ; 26le Paraclet, l'Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera la totalité et vous fera ressouvenir de tout ce que je vous ai dit. »

Ici, nous avons de nouveau le pneuma. Il est ici sous son aspect de "pneuma de la vérité". On trouve en effet le mot au verset 17 : « C'est lui l'Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d'accueillir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas ». Le monde n’a pas capacité à le connaître car, chez Jean, le même connaît le même. « Nous savons que lorsqu’il se manifestera, nous serons semblables à lui et nous le verrons comme il est. » (1 Jn 3, 2).

Il y a eu auparavant un autre paraclet. En effet le Christ est aussi un paraclet (« quand quelqu'un pèche, nous avons un paraclet auprès du Père, Jésus Christ, le juste » (1 Jn 2, 1). Il y a donc un rapport d’identité duelle entre l’Esprit Saint et le Christ comme entre le Père et le Fils. Ce rapport d’identité est précisé dans le fait que « le Père l’enverra dans mon nom ». Le nom, dans le monde sémitique, c’est l’identité profonde, ce qui n’est pas notre usage (notre usage c'est "faire quelque chose au nom de quelqu’un").

  • L'enseignement du pneuma.

«  Le Paraclet, l'Esprit Saint… vous enseignera la totalité » : le pneuma enseigne, non pas qu'il dise d'autres choses, mais il révèle la plénitude de ce qui était contenu dans les paroles qu'on croyait avoir entendues.

Sur l’enseignement du pneuma, on trouve des textes magnifiques dans la 1ère lettre de Jean. En particulier, sur ce qu’il appelle le chrisma (onction). Pour Jean, on est enduit de vérité. Le pneuma enduit de vérité notre propre pneuma. La connaissance infuse c’est cela, quelque chose qui est versé (infuse signifie versée) :

« Mais vous, le chrisma que vous avez reçu de lui, qu’il demeure en vous. Et vous n'avez pas besoin que quelqu’un vous enseigne. Mais comme le chrisma vous enseigne au sujet de tout, qu'il est vrai et qu'il n'est pas falsificateur (pseudos), et selon qu'il vous a enseignés, demeurez en lui. » (1 Jn 2, 27)

Le prédicateur parle mais c’est le chrisma lui-même qui enduit l’esprit de celui qui écoute. Le prédicateur est un serviteur inutile, c'est ce que dit à peu près Paul dans ses lettres (par exemple 2 Co 4).

●   Le thème de la mémoire.

Le pneuma nous conduit aussi au site d’où se voit le maintenant. « L’heure vient ». Tout vient chez Jean : c'est le Christ, c'est "mon heure". C'est l'heure qui n'est pas une heure parmi les heures, mais l’Heure, qui est celle de l’ouverture de la retenue des temps qui se déploient.

La mémoire, c’est cela : la retenue des temps qui se déploient. C’est un déploiement ! La temporalité est un des modes de déploiement. Nous le vivons, non pas sur le mode du déploiement mais sur le mode du déchirement : une heure chasse l’autre, tue l’autre ; et la dernière nous tue ! C’est le temps mortel ! Le temps du Christ est le temps de résurrection ; c'est un temps qui retient en lui la présence simultanée (non pas contemporaine). C’est un maintenant, mais pas un maintenant du temps.

L’éternité est la chose la plus difficile à penser. Notre idée d’éternité est faible : quand on la pense, on la pense sur le mode de l’intemporalité du concept. Tout ceci nous ouvrirait à une étude de la temporalité chez Jean



[2] Il s'agit d'Osée.

[3] Sur le mot "christité" voir les messages du tag christité.

[4] « Il y a des choses magnifiques qui sont dites sur la mémoire par Heidegger, non pas dans Être et temps, mais dans un cours de l'année 52 qui a été publié sous le titre Qu'appelle-t-on penser ? Dans la deuxième partie du semestre de l'été 52, Heidegger fait une étude sur Parménide, mais il y a une grande première méditation sur la mémoire. Pour autant il ne s'agit pas de prendre le texte pour s'en servir. Et la problématique dans laquelle se trouve Heidegger n'est pas celle dans laquelle nous sommes maintenant. Cependant il y a des choses à entendre qui peuvent être précieuses pour nous. » (J-M Martin à Saint-Bernard).

[5] «Tenir en mémoire au sens johannique c'est une autre façon d'être au temps. On pourrait dire qu'il y a une mémoire du passé, du présent et du futur : la mémoire c'est ce qui retient les choses qui se déploient dans nos étapes temporelles. Il y a une mémoire du futur. C'est ce qui fait l'importance dans le monde grec du devin qui a une signification par rapport à la temporalité, et du prophète qui n'est pas un devin mais qui lit le présent dans l'ancien et l'ancien dans le présent. Cependant le présent dont je viens de parler est différent du présent au sens usuel. » (J-M Martin, Jn 2, 13-25 Purification du temple et annonce de la mort-résurrection. Signes et foi).

[6] « La remémoration faite par l'Écriture néotestamentaire, c'est la remémoration des gestes et des paroles de Jésus, mais c'est aussi la relecture de toute la Graphê, c'est-à-dire de toute l'Écriture de l'Ancien Testament. L'Ancien Testament est semence, c'est-à-dire qu'il contient tout l'Évangile, mais séminalement. Il est semence, mais c'est au fruit qu'on reconnaît la semence, et l'Évangile est le dévoilement accomplissant de ce qui est tenu secrètement dans la semence de l'Écrit vétérotestamentaire. » (J-M Martin, Jn 2, 13-22 : vendeurs chassés du Temple, Jésus révélateur de violence cachée )

[7] « La résurrection est le site (ou l'expérience, on pourrait dire "la lumière") à partir de quoi s'entend rétrospectivement le sens caché de l'Écriture et le sens des paroles prononcées par Jésus. » (J-M Martin, ibid.)

[8] Psaume 118, 25-26 et Zacharie 9, 9.

[9] « Entendre la présence de l'absent, c'est l'attestation de la résurrection. Il est absent du point de vue de notre sensorialité native. Ce n'est pas, non plus, une présence imaginaire. » (J-M Martin, Jn 12, 1- 19 : Odeur et mémoire. Perles glanées pendant le week-end animé par J-M Martin)

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