Lecture de Romains 3 : un message de salut pour tous. Éléments rythmiques et grands thèmes de l'épitre
Ce chapitre 3 de Paul est rempli d'affirmations qui, à première écoute, sont quasi inaudibles. Heureusement Jean-Marie Martin nous aide à marcher dans le texte, et souvent il profite d'une question pour nous familiariser avec le mode d'écrire de Paul qui nous oblige à nous démarquer de notre façon occidentale de penser. Il montre que les issues qu'il apporte aux difficultés du texte, ne sont pas seulement de nos cogitations mais sont véritablement dans la pensée de Paul.
L'essentiel de ce qui est mis ici vient de la lecture qu'il a faite à Saint-Bernard-de-Montparnasse en 1994 avec des ajouts venant d'une lecture faite en janvier 2010 et d'une autre en janvier 2011. Une grande partie de la traduction mise ici est faite à la volée par J-M Martin.
Lecture de Romains 3 : un message de salut pour tous
Éléments rythmiques et grands thèmes de l'épitre
Par Jean-Marie MARTIN
Le chapitre 3 de l'épître aux Romains est un chapitre de transition, c'est-à-dire qu'il nous aide à faire le passage entre les deux premiers chapitres et puis le magnifique chapitre 4. C'est un chapitre très précieux parce que, en tant que chapitre de transition, il garde les choses essentielles qui ont été dites auparavant et il ouvre à une perspective de lecture de l'ensemble de l'épître aux Romains. Je vais le lire en m'arrêtant de temps en temps.
1) Versets 1-9.
Le refrain dans le passage précédent c'était : entre le Juif et le Grec il n'y a pas de distinction, il n'y a pas d'acception de personne. Alors il pose une question en ouvrant ce chapitre : « 1Quel est donc l'avantage du juif ou quelle est l'utilité de la circoncision ?– Vous savez que "juif" et "circoncision" sont deux façons de dire la même chose – 2grand de toute manière – ici il dit que l'avantage est grand mais plus loin il dira que cet avantage n'existe pas.
Suivent des explications : « D'abord d'une part, parce que leur ont été confiées les paroles (logia) de Dieu. 3Mais quoi ? Si certains ont été infidèles, est-ce que leur infidélité détruit la fidélité de Dieu ? 4Pas du tout, pas du tout ! – leur infidélité ne défait donc pas la confiance dont Dieu crédite l'humanité.
Nous entrons ici dans une accumulation d'objections que Paul fait et qui touchent sa pensée essentielle, objections qu'il se fait à lui-même ou qu'on lui fait de l'extérieur. Nous les énumérerons parce que tout son texte de l'épître aux Romains est structuré par des réponses à ces questions. Ce n'est pas que ce soient les thèmes essentiels, mais c'est ce qui fournit le tissu, la texture, les thèmes secondaires qui interviennent. Cela va nous permettre de mettre en place en quelque sorte l'organisation de ce texte, car nous avons lu les deux premiers chapitres sans trop nous soucier de savoir si l'épître avait un ordre, un plan, comment elle marchait.
« Dieu est véridique et "tout homme menteur" – que tout homme soit menteur, c'est une chose qui me paraît assez évidente, car même s'il ne ment pas à autrui, il se ment à lui-même, c'est-à-dire que nativement il n'est pas dans le monde de la clarté, de la vérité – selon ce qui est écrit : “en sorte que tu sois justifié dans tes propres paroles et que tu sois vainqueur quand tu es jugé” (citation du Psaume 50 (51), 6 version grecque[1]) » voilà une mise en place de Dieu et de l'homme. Et en même temps le problème : l'homme est essentiellement menteur et Dieu seul est vrai, en sorte que son jugement est juste ; d'après le psaume tu es justifié dans ses discours et dans ses sentences. Le fait que "tout homme est menteur" est une citation.
« 5Si notre injustice (notre désajustement) c'est ce qui confirme la justice de Dieu – notre injustice est nécessaire pour que soit attestée la justice de Dieu – que dirons-nous ? Dieu n'est-il pas injuste, lui qui apporte la colère ? – si on est nativement menteur, et si en plus notre faute sert la cause de Dieu, pourquoi Dieu nous punit-il ? Je parle à la façon humaine.
On a ici les mots "justice" et "injustice" que je traduis souvent par "ajustement" et "désajustement" – un autre nom du "désajustement", c'est le nom de "péché" –, et à ce désajustement correspond ce qu'on appelle la "justification" c'est-à-dire "l'acte de rendre juste", donc d'ajuster. Le mot "réajuster" ne serait pas nécessairement heureux parce qu'il suppose qu'il y a eu un état antérieur auquel il faudrait revenir, ce qui n'est pas forcément pertinent. Il y a un état dans lequel nous sommes nativement, et ce qui nous advient de par la venue du Christ, ce n'est pas simplement le fait qu'il restaure un état antérieur. En effet il est celui qui révèle l'insu de nous qui est plus profond que ce que nous savons de nous-même. L'idée de simple restauration n'est donc pas suffisante.
Ici Paul vient de poser une objection à propos de l'affirmation "notre injustice est ce qui confirme la justice de Dieu", et il fait une parenthèse : « je parle à la façon humaine », c'est-à-dire qu'il rature. Est-ce qu'il dit "J'ai fait une bévue" ? Pas du tout pour la bonne raison qu'après avoir dit ça il continue : il va redire la même chose au verset 7.
"Je parle selon l'homme" : cela signifie que le raisonnement qu'il vient de faire ("mon injustice confirme la justice de Dieu") est un raisonnement qui paraît s'imposer selon notre mode ordinaire de pensée, c'est-à-dire "selon l'homme faible", c'est d'ailleurs la même chose que "selon la chair". Donc Paul rature, mais ayant raturé il continue à dire ce qu'il avait dit, c'est-à-dire qu'il atteste que ce qu'il dit est indicible : on ne peut le dire que de manière approchée et suspecte, à l'humaine. On n'a pas de meilleurs mots pour le dire.
L'enjeu de cela est énorme. C'est l'équivalent de ce qui deviendra la théologie négative qui est une part capitale de la théologie. Il n'y a pas d'une part une théologie positive et d'autre part une théologie négative comme deux choses qui se seraient constituées de façon distincte. Toute théologie est à la fois l'affirmation de quelque chose et sa négation. Rien de ce que nous disons de Dieu ne peut être satisfaisant. Il faut le dire, et le dire avec la conscience que ce n'est pas ce qui est à dire !
C'est une pensée qui fait difficulté même à Paul puisqu'il dit ensuite : « 6pas du tout ! autrement, comment Dieu jugerait-il le monde ? – Voilà la contradiction. Dieu est juste puisqu'il juge – 7Si la vérité de Dieu a découlé (épérisseusen) dans mon propre mensonge en vue de sa gloire, comment suis-je moi-même encore jugé comme pécheur ?» Autrement dit Dieu est injuste s'il punit pour une chose qui confirme sa gloire.
« 8Et non pas comme certains qui nous calomnient, et disent que nous prétendons qu'il faut faire le mal pour que vienne le bien. Ces gens-là méritent une condamnation. » Donc ce ne sont pas seulement des objections que Paul se fait à lui-même, ce sont des objections qu'on lui fait : ce qu'il dit est l'invitation à faire le mal puisque c'est ce qui assure la grâce !
« 9Quoi donc ? Est-ce que nous [juifs] nous avons une primauté ? Pas du tout. Nous prétendons en effet que Juifs et aussi Grecs, tous sont sous le péché, 10selon ce qui est écrit… »
Il y a ensuite une longue série de citations jusqu'au verset 18. Elles sont toutes empruntées à l'Ancien Testament, surtout à la littérature prophétique et sapientielle, en particulier aux psaumes. Nous les verrons tout à l'heure. Pour l'instant nous allons nous arrêter là.
2) Repères à propos de l'ensemble de l'épître.
Pour moi ce chapitre est infiniment précieux parce que d'abord il nous assure que la pensée de Paul est bien que l'ajustement de l'homme ne se fait pas en vertu de ses œuvres, en fonction de ses mérites, mais par libre et gratuite donation de Dieu. C'est la thèse fondamentale de toute l'épître aux Romains que, en cela, les Juifs qui ont la loi et essaient de la pratiquer ne sont pas en meilleure posture que ceux qui n'ont pas la Loi.
Nous venons d'assurer que c'est la pensée fondamentale de Paul.
– Nous l'avions remarqué au chapitre 1 : le juste vit de la foi. C'est la foi et non la pratique de l'œuvre qui fait vivre le juste en tant que juste, donc qui ajuste l'homme et cela ouvre à la critique fondamentale de la Loi. Toute l'épître aux Romains est une critique de la Loi.
– Au chapitre 2 nous n'avions pas pris le texte tel qu'il sonnait à nos oreilles à première écoute, car il semblait dire : les païens n'ont pas de Loi et cependant s'ils pratiquent les choses de la Loi ils sont sauvés par là. Nous disions : Pas du tout. C'est une hypothèse d'école puisque la thèse fondamentale de Paul, c'est que personne ne pratique la Loi, ni les juifs ni les païens (on le trouvera clairement dit après) ! Donc la Loi ne peut pas justifier.
Nous avons là une proposition étonnante. Or Paul n'est pas quelqu'un qui, par hasard, a des idées personnelles sur ce genre de choses. Il est le premier qui annonce l'Évangile et nous avons là une chose fondamentale. Moi je suis pour qu'on prenne véritablement attention à une proposition de ce genre. Pour moi c'est capital sous peine de continuer comme on le fait trop souvent à faire de la morale, à ne pas entendre la nouvelle de l'Évangile. Il faut véritablement entendre la proclamation de Paul, mais il est vrai qu'elle nous pose beaucoup de questions et qu'elle lui pose aussi beaucoup de questions à lui-même. Tout au long de son épître il dira : “Pas du tout”. Bien sûr les raisons qu'il donne pour expliquer le "pas du tout" ne sont pas toujours convaincantes, mais nous les verrons chaque fois apparaître, et ce qui est important, c'est que le fait qu'il réfute les objections qui ont été suscitées par sa pensée ne nous permet pas de gommer sa pensée. Ce n'est pas parce que sa pensée présente ces périls-là qu'elle n'est pas la pensée de Paul. Il faut apprendre à lire ce texte et ce n'est pas facile !
► Pourquoi tu dis que, après son "Pas du tout", Paul n'explique pas?
J-M M : Je vais prendre un exemple pour bien expliquer. Si j'entends que Dieu est injuste parce qu'il me punit pour quelque chose dont finalement je ne suis pas responsable parce que c'est nativement que je suis ainsi, Paul dit : “Pas du tout”. En disant cela il dit : « je vous indique que votre conclusion n'est pas pertinente, pour l'instant tenez-vous en là. » Paul montrera plus tard en quoi ce n'est pas pertinent. Pourquoi plus tard ? Parce que par ailleurs il a un ordre du discours qui est un ordre dicté. Paul dicte et il est nécessairement dans l'embarras qui est du reste quotidiennement le mien, c'est de tenir un ordre, un ordre dans le discours. Quand on écrit on peut à la rigueur poser des jalons : premièrement, deuxièmement, troisièmement… Cependant parfois Paul s'égare, c'est la condition de la parole dictée, ça fait partie véritablement de son écriture. Autrement dit, il peut poser une objection, la refuser et partir ensuite ailleurs en oubliant de dire immédiatement pourquoi il la refuse. Et pour nous, il faut trouver là où c'est dit !
L'auditoire ne comprenait pas tout puisque dans la deuxième lettre de Pierre on lit : « Notre bien-aimé frère Paul dit des choses difficiles à comprendre et certains tordent ses raisonnements. » (d'après 2 Pierre 3, 15-16). Dans notre texte Paul lui-même dit : « certains nous calomnient en prétendant que… », c'est-à-dire « certains ne comprennent pas ce que je dis. » Donc sa parole prête à confusion, c'est pourquoi elle est porteuse d'une immense promesse mais aussi d'un risque. Je sais que la prédication ecclésiale, pour éviter le risque, a souvent effacé ce qu'il y avait de plus prometteur et de plus beau dans la parole paulinienne. C'est pour ça que je dis : le risque ne doit pas nous empêcher d'entendre, mais il faut entendre en sachant que c'est risqué.
● Six difficultés mises en lumière par Paul.
Je vais énumérer d'une façon provisoire et un peu schématique les difficultés que Paul va se faire tout au long de son épître. Elles sont annoncées ici, peut-être pas tout à fait toutes, dans un ordre approximatif. Elles vont constamment revenir pour constituer le tissu même du texte, l'attache de tous les éléments du texte. Ce ne sont pas les motifs de fond, mais c'est ce qui fait la trame de son écriture.
Il y a six difficultés en tout et ce sont en quelque sorte des éléments rythmiques.
– Il y a deux difficultés à propos de Dieu : Dieu est infidèle car il a donné la Loi aux juifs, et voilà que cette Loi n'est plus ce qui sauve, donc ce qu'il en était des promesses faites aux juifs a l'air d'être caduc, et le salut serait pour tous indépendamment de la Loi… Ou alors est-ce que Dieu est injuste puisqu'il apporte la punition alors que le péché même conduit à sa propre gloire ; de plus, si Dieu ne sauve pas en vertu des mérites, il ne peut sauver qu'en vertu de l'arbitraire : il donne sa grâce à qui il lui plaît. Vous voyez cette objection fondamentale. Dans notre chapitre le thème de l'injustice de Dieu est traitée partiellement c'est-à-dire qu'elle ne dit pas tout de la problématique, c'est simplement l'injustice qu'il y a à penser quelqu'un qui est disposé à faire quelque chose qui, finalement, sert à sa gloire. Nous reviendrons sur ce présupposé qui, à premier écoute est radicalement scandaleux. En fait, il dit quelque chose qu'il nous faudra entendre et qui est au cœur de la pensée de Paul. La justice de Dieu sera de nouveau abordée aux chapitres 9 et 11 qui touchent à la situation des juifs.
– Il y a deux difficultés à propos de la Loi : la Loi est inutile, c'est ce qui va être dit à la fin du chapitre 3. Il répond : “Pas du tout” et il va ouvrir le chapitre 4. Nous verrons apparaître le mot "loi" avec un sens légèrement différent dans les derniers versets et il faudra y être attentif. De plus la loi est mauvaise puisque Paul dira souvent que la loi est quelque chose comme l'auxiliaire du péché. Mais quand la question viendra : “alors est-ce que la loi est mauvaise ?”, il dira : “Pas du tout”.
– Enfin deux objections à propos de l'action humaine, à propos du péché. Le péché est indifférent puisque nous sommes sauvés par grâce. Cela ouvre une pensée de type libertaire : le péché est sans importance ! Ou alors même : le péché est bon (conseillé) et nous en avons un écho en Rm 5, 20 : péchons puisque c'est le péché qui fait advenir la surabondance de la grâce ; et c'est important parce que ce qui définit la grâce c'est qu'elle n'est pas selon le critère de notre justice, c'est-à-dire qu'elle est un sur-plus; elle sur-abonde, et pour qu'elle puisse surabonder largement, il faut que le péché abonde largement. C'est magnifique cela, ce n'est pas le catéchisme de mon enfance mais c'est une merveille. Très difficile, certes !
Là c'est un déballage de difficultés. Un exemple : si Dieu fait abonder le péché pour que la grâce surabonde et que, moi, je ne puisse pas faire abonder le péché, alors c'est quelque chose qui est réservé ? Pourquoi pas moi ?
Donc ici nous avons les choses les plus précieuses peut-être. Elles nous reconduisent premièrement à deux choses essentielles.
1. La première c'est la pensée du "afin que". Nous avons dit souvent à propos de Paul et de Jean que les "afin que" n'introduisent pas des propositions finales, de même que le "parce que" n'est pas causal, de même que le "si" n'est pas conditionnel. À première lecture nous lisons ces textes dans la grammaire qui est issue de la logique d'Aristote et qui contribue à ce que nous lisions même notre propre langue à partir de cette logique : des propositions finales, des propositions causales, des propositions conditionnelles. Alors comment penser ces "afin que" d'une façon qui ne soit pas finale ?
En théologie classique on sait très bien que Dieu n'est pas conduit par des fins. Il y a un adage à savoir que Dieu ne fait pas ceci propter hoc (à cause de cela), mais il fait que ceci soit à cause de cela : il n'est pas mû par une fin mais il constitue un ordre. Or ceci n'est pas du tout suffisant.
2. La deuxième chose qui est importante à méditer, c'est que la pensée de l'Évangile n'est pas une pensée de type stratégique. Cela redit d'ailleurs la même chose !
Pour dire les choses simplement : ces textes sont ce qui peut détruire en nous l'idée de Dieu qui calcule des moyens pour des fins. Le jour où vous aurez aperçu ça, si en plus vous avez vu que Dieu n'est pas une cause qui fabrique des effets, vous aurez détruit les deux idées dominantes de Dieu qui régissent pratiquement tout homme quand il prononce le nom de Dieu qu'il soit pour ou qu'il soit contre. C'est le non-dit implicite qui régit le mot Dieu que ce soit chez le croyant ou chez l'incroyant. En d'autres lieux et à d'autres moments nous avons travaillé cette idée qu'il ne fallait pas penser Dieu à partir de "celui qui a fait tout ça", c'est-à-dire Dieu comme cause efficiente. Dans notre texte c'est la cause finale qui est envisagée. La méditation de cela nous conduira à une véritable redécouverte de ce que veut dire le mot Dieu. C'est en ce sens-là que ce texte est infiniment précieux. Là ce sont des chemins que j'indique, ils ne sont pas parcourus mais seulement indiqués.
3) Lecture des versets 10-31.
● Versets 10-19.
À vous de lire le passage suivant.
Il n'y a point de juste, pas même un seul;
11 Il n'y a pas d'homme sensé, pas un qui cherche Dieu;
Ils sont tous dévoyés, ensemble pervertis;
12 pas un qui fasse le bien, pas même un seul; (Ps 13, 1b, 2, 3)
13 Leur gosier est un sépulcre béant; (Ps 6, 10)
de leurs langues ils sèment la tromperie;
un venin d'aspic est sous leurs lèvres;
14 leur bouche est pleine de malédiction et d'amertume;(Ps 139)
15 leurs pieds sont prompts à verser le sang;
16 La ruine et le malheur sont leurs chemins ;
17 et le chemin de la paix ils ne le connaissent pas ; (Is 59, 7-8b)
18 Nulle crainte de Dieu devant leurs yeux. (Ps 35 (36), 2)
Ici vous avez une accumulation de citations[2]. C'est un procédé d'écriture qui est assez fréquent dans le premier christianisme : il consiste à prendre des paroles de l'Écriture, et notamment des vitupérations des prophètes à l'égard du peuple. En plus, le fait d'accumuler est dans la méthode de Paul : sa parole abonde… ça ruisselle.
Dans cette accumulation nous retrouvons le thème fondamental que tout est enclos, enfermé dans la culpabilité. C'est en fonction d'une argumentation qui est donnée au verset 19.
19Or, nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi – autrement dit, nous sommes dans la suite du chapitre 2 pour montrer que ceux qui possèdent la Loi ne sont pas pour autant ajustés, et le raisonnement se fait à partir de ceux à qui s'adressent ces paroles, mais le texte ajoute – afin que toute bouche soit fermée – c'est-à-dire que nul n'a pas de défense, de justification. Ça rejoint le thème : on ne s'acquitte pas devant Dieu, on est acquitté – et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu – au sens de "tout est enfermé dans la culpabilité". Ici nous retrouvons un thème qui a déjà été dit tout à l'heure dans une terminologie que nous n'avons pas relevée dans les six difficultés fondamentales, à savoir que Dieu est la vérité et tout le reste mensonge.
● D'où vient notre difficulté à entendre certaines phrases de Paul ?
On trouve encore un "afin que" : “afin que toute bouche soit fermée”, et c'est un "afin que" que nous aurons à penser. Il est question d'une relation de Dieu à l'homme telle que l'homme se tait, il est déclaré condamné, coupable, et c'est cela qui assure la justice de Dieu. C'est donc une autre affirmation qui, à première écoute, est parfaitement scandaleuse. Je ne vais pas la traiter dans le détail mais je ne veux pas vous laisser sur des phrases comme celle-ci sans l'indication d'un chemin de pensée.
D'où vient la difficulté que nous avons à entendre ce genre de phrase ? C'est que l'homme, c'est nous et que Dieu c'est l'autre. L'autre est vrai, juste ; et nous nous sommes menteurs etc. Oui, mais peut-être bien que, pour l'Évangile, Dieu ça n'est pas l'autre au sens où nous l'entendons. Cela nous incitera à réfléchir sur l'altérité de Dieu. En effet nous ne sommes pas Dieu, mais Dieu n'est pas autre de cette altérité-là que je connais dans mes relations à autrui. Mes relations à autrui sont sous le signe d'Abel et Caïn, c'est-à-dire sous le signe de la compétition et du meurtre fraternel. C'est l'expérience fondamentale que nous avons de l'altérité. Or Dieu est autre, mais pas d'une altérité compétitive, il est autre d'une altérité qui réveille en moi de la mêmeté. Autrement dit je ne suis pas totalement contenu dans le "nous" des hommes en face de Dieu. La révélation de Dieu est quelque chose qui révèle et réveille en moi de l'Insu, qui élargit mon "je" au-delà de l'expérience que j'ai de "je", parce que dans mon "je" il y a de l'altérité. Je ne me sens pas comme une chose opaque, c'est-à-dire qu'il y a déjà de la différence en moi, et toute la question est : quelle est la qualité de cette différence ?
Très souvent le rapport de moi à moi est meurtrier, aussi meurtrier que mon rapport à autrui. D'ailleurs c'est le même fondamentalement. Et ici, il faut que je cesse de mettre Dieu là-haut. La façon dont nous pensons que Dieu est autre est terrible. Par exemple on dit qu'il est le Tout Autre : c'est l'autre mais il est tout puissant et puis il nous aime… Dans la façon même de dire le mot Dieu il y a très souvent l'indication de quelque chose de meurtrier. Je peux toujours dire : “Dieu est agapê”, ma structure de pensée dément ce que je suis en train de dire.
Et il n'est pas étonnant que l'histoire de l'Occident soit l'impitoyable conflit de Dieu et de l'homme. L'idée de Dieu a meurtri pas mal d'hommes de notre histoire, et aujourd'hui nous nous targuons d'avoir mis Dieu à mort. Ce n'est pas par hasard que ces mots s'emploient et se disent…
Alors voyez : ce sont les aspérités du texte, ce sont les choses les plus scandaleuses à première écoute qui peuvent se révéler les seules choses qui puissent nous déloger de nos certitudes sur Dieu pour aller plus loin, et là dans notre texte, on est servi ! C'est un texte plein de choses qui, à première écoute, sont quasi inaudibles. Ce qu'il nous faut montrer, c'est que les issues que nous pouvons apporter, ne sont pas seulement de nos cogitations mais sont véritablement dans la pensée de Paul que nous sommes en train de lire.
● Versets 20-31.
20C'est pourquoi par les œuvres de la loi nul ne sera justifié devant lui – c'est un thème fondamental : la pratique de la loi ne justifie pas – car par la loi [ne vient que] la connaissance du péché – la loi donne une connaissance du péché, elle fait expérimenter le péché comme péché, mais elle ne le guérit pas, elle ne sauve pas du péché.
De toute façon nul n'a la capacité de pratiquer la loi puisqu'elle est devenue une parole désœuvrée comme Paul le dit au chapitre 7.
21Mais maintenant, en dehors de la loi, l'ajustement (la justification, la justice) de Dieu a été manifesté, témoigné [dans le passé] par la loi et les prophètes – ici le mot "loi" est employé dans l'expression "la loi et les prophètes" qui désigne l'Écriture c'est-à-dire l'Ancien Testament. Ce que dit Paul c'est que la loi et les prophètes sont simplement des témoins du fait que l'ajustement de Dieu se réalise ; leur fonction est d'être un témoignage anticipé de la grâce. En effet la loi comme Écriture (comme Torah) témoigne du Christ, témoigne donc de la donation d'une justification qui ne vient pas d'elle-même. Ceci appartient au tout premier foyer de l'Évangile qu'on trouve en 1 Cor 15 : « Jésus est mort pour nos péchés selon les Écritures, il a été enseveli, il es ressuscité le troisième jour selon les Écritures. » Et quand Jean dit : « Moïse a écrit de moi » c'est le même thème. Le mot "loi" ici désigne la Torah et n'est pas à entendre au sens de la législation. Il ne faut pas oublier que Paul est tout entier contre la loi au sens de législation, mais qu'il n'écrit rien qui ne soit selon la Loi entendue comme désignant l'Écriture –
… 22ajustement de Dieu [qui vient] par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient. Car il n'y a point de différence.– Le thème de l'ajustement (de la justification) par la foi n'est pas un thème que Paul aurait dit en passant une fois, il le répète dans toutes ses épîtres. Et comme "croire" c'est "entendre", la justification se fait par l'écoute de la parole, et elle tombe sur tout homme qui entend la parole, qu'il soit juif ou qu'il soit païen. Et je pense que cela relève de l'expérience paulinienne de l'écoute de sa prédication : les païens entendent, et ils entendent parfois mieux que les juifs !
23Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu – c'est-à-dire de la présence accomplissante de Dieu – 24et ils sont ajustés (justifiés) gratuitement par sa grâce – cela relève d'une donation et non pas d'un mérite – par le moyen de la délivrance (apolutrosis) qui est en Jésus-Christ. – Le mot apolutrosis qui signifie rachat, rédemption, délivrance prend son sens ici. Nous sommes les siens, or nous sommes aliénés de lui par première naissance et il vient nous rechercher. Cette fonction du Christ est appelée un peu plus loin "propitiation" avec la mention du sang.
Au verset 25 on a un langage sacrificiel qui réclamerait beaucoup d'explications[3]. [cf. Jésus et l'Arche d'Alliance d'Ex 25. Lecture de Rm 3, 25 et Jn 20, 12]
… 25lui que Dieu a placé [comme] propitiation[4] – nous mettant sous un regard propice – par la foi dans son sang en vue de la monstration (endéixin) de sa justice – montrer qu'il est toujours juste – par la parésis (le fait de laisser aller) les péchés d'autrefois, 26au temps de sa patience – il s'agit des péchés de l'humanité depuis que Dieu a pris la résolution de ne plus punir l'ensemble de l'humanité comme il l'a fait aux jours de Noé – en vue de (pros) la monstration de sa justice dans le temps présent, en vue de ce qu'il soit lui-même juste et justifiant celui [qui vit] de la foi en Jésus. – C'est Jésus-Christ qui nous ajuste, il nous ajuste par le fait de se donner à reconnaître, donc à entendre. Mais attention, le mot Évangile désigne à la fois l'événement christique et l'annonce de l'événement, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'événement s'il n'y a pas d'annonce. C'est pourquoi l'accès à l'événement est l'écoute de la parole qui dit originellement l'événement et en témoigne. Notre foi est fondée sur le témoignage de ceux qui ont été choisis comme témoins et qui en annoncent le sens. Ce n'est pas comme s'il y avait un fait brut dont nous devrions découvrir le sens. Non, le sens fait partie de l'événement.
27Où donc est la suffisance de l'homme ? – y a-t-il lieu d'être dans une attitude de suffisance ? Le mot "suffisance", kauchésis ou kauchêma, revient très souvent chez Paul. Il concerne la façon dont on se tient devant Dieu. Paul reprendra ça : « Homme qui es-tu donc ô toi qui juges Dieu ? » (Rm 9, 20). On peut l'entendre sur le mode : c'est indécent, toi, petit, peux-tu prétendre … mais en fait ce n'est pas la question… mais en fait ce n'est pas la question. C'est plutôt : « Interroge-toi sur qui tu es toi qui es en train de juger Dieu. » Autrement dit cela renvoie au "qui" de celui qui questionne.
C'est exclu – la suffisance a disparu – Par quelle loi ? – au nom de quoi – [Celle] des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi – au nom de la foi. Le mot "loi" a ici un sens fonctionnel, celui qu'on a dans l'expression "avoir la loi sur quelqu'un" c'est-à-dire "avoir puissance sur lui". C'est une façon de dire l'articulation mutuelle, et d'ailleurs il y a un mot que Paul emploie beaucoup, le mot "subordination" qu'on traduit souvent par "soumission" avec une connotation morale alors que c'est une structure grammaticale.
28 Car nous pensons que l'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi.
29 Ou bien Dieu est-il seulement [celui] des Juifs? [Ne l'est-il] pas aussi des païens? Oui, [il l'est] aussi des païens, 30puisqu'il y a un seul Dieu, qui justifiera les circoncis par (ek, à partir de) la foi, et les incirconcis par (dia, par le moyen de) la foi. – Vous voyez le rapport très étroit qu'il y a entre la thématique juifs/païens, donc l'universalité du salut, et puis la justification par la foi.
31 Supprimons-nous donc la loi par la foi ? – c'est-à-dire :enlevons-nous par la foi toute valeur à la loi ? – Bien au contraire, nous confirmons la loi. – en effet "loi" ici a le sens double de parole de loi (nomos) et de Torah qui serait plutôt traduite par Graphè que par nomos[5]. Paul a le souci constant d'affirmer l'insuffisance de la loi pour le salut mais il a aussi le souci de montrer que pour autant la loi n'est pas sans signification, sans fonction.
● La tonalité fondamentale du texte et trois thèmes fondamentaux.
La lecture de ce chapitre 3 nous a conduits à découvrir les six éléments qui mettent en marche l'ensemble de l'épître et qui sont des objections que Paul se fait ou qu'on lui fait par rapport à l'essentiel de sa pensée. À ce titre-là c'est très intéressant puisque c'est aussi une façon de confirmer l'essentiel de sa pensée. Ces six thèmes qui font se mouvoir le texte et qui reviennent constamment tout au long de son épître constituent ce que j'appellerais la rythmique du texte.
Mais nous avons entendu également quelque chose que j'appellerais la tonalité fondamentale du texte. C'est plus qu'un thème. On pourrait dire que l'épître aux Romains est une pièce en "foi majeure" : c'est la tonalité.
Ce que j'appelle tonalité c'est la disposition fondamentale qui constitue l'essence d'une parole et aussi corrélativement l'essence de l'écoutant s'il veut être en accord avec la parole (ici de Paul). Or c'est bien la question fondamentale de Paul parce que si nous lui posons, nous, par exemple des questions sur la liberté humaine, sur l'initiative divine dans la grâce, ce n'est pas son sujet. Son sujet c'est comment entendre la qualité propre de la parole de l'Évangile.
Quelle est donc cette qualité propre ? Négativement, ce n'est pas une parole de loi, ce n'est pas une parole de violence – ce n'est pas une parole de chantage, ce n'est pas une parole de menace, donc les multiples formes de violence. Mais alors, comment entendre, comment être bien ajusté à l'écoute de cette parole qui nous ajuste – puisque entendre c'est être justifié, et ça c'est ce que Paul annonce très clairement.
Il est bien évident que nous sommes loin de nous être expliqués avec cette affaire-là car nous avons hérité de cette parole dans des tonalités qui probablement ne sont pas la sienne. Peut-être la nôtre était-elle celle de la peur, je ne sais pas.
Or ce qu'il annonce maintenant c'est qu'en dehors de la loi, l'ajustement de Dieu a été manifesté, l'ajustement par la foi au Christ pour tous ceux qui croient (v. 22).
Au verset 23 on trouve le « tous ont péché » qui était le thème des deux premiers chapitres. En effet, d'après le chapitre 1 les nations ont péché, et d'après le chapitre 2 ce sont les juifs : tous ont péché et sont de fait nativement dans le péché. Ce n'est pas exactement le péché d'exister mais c'est qu'ils sont privés de la gloire de Dieu, de la présence accomplissante de Dieu. Mais ils sont désormais justifiés par sa propre grâce (v. 24).
Aux versets 24-25 interviennent des mots que nous ne pouvons que recenser parce que si nous prétendions les entendre, ils nous égareraient. Ce sont les termes par lesquels l'activité salvifique du Christ a été généralement annoncée mais, dans la suite ils ont donné lieu à bien des interprétations, à savoir : rédemption, sacrifice, expiation dans son sang, levée des péchés (absolution des péchés), etc.
Ne nous arrêtons pas sur ces mots-là, ils restent énigmatiques mais ils me donnent l'occasion d'indiquer ce qui pour serait probablement des thèmes. J'ai parlé de la rythmique avec les six difficultés, j'ai parlé de la tonalité essentielle, et maintenant je parle de trois thèmes fondamentaux :
- L'entrée du péché dans le monde intervient au moins 4 fois dans l'épître dans des langages un peu différents : trois se font par médiation de la figure d'Adam et un autre se fait tout-à-fait en dehors. Les pronoms sont eux-mêmes différents : en Rm 1 c'est "ils", en Rm 5 c'est "il", en Rm 7 c'est "je" ; et en Rm 8 c'est de nouveau "il".
- La référence à la mort-résurrection du Christ est très importante, et là nous avons un exemple de dénomination, même si pour l'instant cette dénomination ne nous parle pas. "En quoi le Christ sauve-t-il ?" est une question qui pour nous reste posée.
- L'allusion au pneuma (à l'Esprit) est lui aussi un thème très important, il est annoncé au chapitre 5 et développé dans tout le chapitre 8 essentiellement.
Pour l'instant je ne pointe que trois thèmes, il y en aurait peut-être un autre. Je ne suis d'ailleurs pas sûr qu'on puisse faire un compte exact des éléments rythmiques et des éléments thématiques, d'autant plus qu'ils passent l'un dans l'autre comme il arrive dans la musique elle-même. Par exemple le début du deuxième mouvement du septième quatuor en fa de Beethoven est un élément rythmique au départ et devient ensuite mélodique. De même ici vous avez des éléments rythmiques qui prennent tout à coup la place de quelque chose de totalement thématique. On les entend encore énoncés dans un moment et puis tout à coup ils prennent leur place plus loin.
Je viens donc de vous donner une indication sur la façon de lire l'épître aux Romains. Bien sûr vous trouverez des tentatives faites par les exégètes pour donner un plan de l'épître aux Romains. Le plan n'est jamais exactement le même selon les auteurs, et c'est une bonne attestation de ce que c'est une entreprise tout à fait vaine de s'enquérir du plan de cette épître ! Cela ne veut pas dire qu'elle est écrite dans le désordre. Elle est écrite comme est écrit un poème ou un morceau de musique, c'est-à-dire que cela a une cohérence propre. Cependant cette cohérence n'est pas susceptible d'être perçue d'un point de vue de survol comme on peut faire un plan au sol, mais c'est au contraire ce qui permet de suivre le décours du texte. Un texte est fait pour qu'on le suive : il faut suivre son cours, être au long du texte. C'est le long du texte qu'on marche, tout au long. Et c'est ici que progressivement on découvre les rappels, les cohérences, les nouveautés. Il y a tout un jeu qui fait que ce texte est un et que cependant il n'est pas un sur le mode sur lequel la dissertation conseillée est une.
Il faut surtout bien percevoir que l'écriture du Nouveau Testament et singulièrement l'écriture de Paul n'est pas l'écriture d'une pensée de type stratégique. J'ai déjà donné des exemples à propos du "pour que" (ina) qu'il ne faut pas entendre au sens d'une finalité c'est-à-dire la répartition d'un moyen et d'une fin. Pour autant il ne s'agit pas de gommer le ina mais il s'agit de l'interpréter. Notre oreille occidentale a une structure d'écoute qui est foncièrement stratégique, c'est-à-dire qu'elle est dominée par cette connexion du rapport entre le moyen et la fin, entre la cause et l'effet, entre le fond et la forme. Je viens d'énumérer les quatre causes d'Aristote.
Justement j'étais la semaine dernière à prêcher une retraite à des religieuses et je me suis aperçu qu'une lecture d'Écriture comme je le fais ici entrait en un certain conflit avec des habitudes de pensée de type ignacien. C'est assez intéressant puisque "moyen et fin" sont des mots majeurs qu'on trouve à toutes les pages d'Ignace, et il y a une stratégie ignatienne. Ce n'est d'ailleurs pas étonnant puisqu'Ignace était un soldat, un militaire. Cela m'a fait penser à l'autre militaire, Descartes c'est-à-dire que le Discours de la méthode est une stratégie de la pensée. Ces choses-là sont les articulations modernes de quelque chose qui est profondément occidental. Autrement dit, une des tâches majeures à la fois pour entendre la pensée de Paul mais aussi son écriture nous reconduit à une investigation sur les "parce que", les "afin que", les conditionnelles, autant de choses que nous sommes habitués à manœuvrer.
C'est pourquoi j'ai essayé d'orienter notre écoute dans un langage qui n'incline pas à l'écoute stratégique, c'est-à-dire je n'ai pas pris comme exemple la dissertation composée mais j'ai pris la composition musicale et cela aurait pu être la composition poétique… Les mots que j'ai employés, qu'il s'agisse d'harmonie ou de rythmique, et je les ai pris dans un sens très rigoureux, au sens même où ils s'emploient dans la musique proprement dite. Il va sans dire que leur application à un texte écrit donne lieu à des approximations d'ordre un peu métaphorique, cependant ils ne sont pas utilisés au hasard.
Ce chapitre 3 – qui est donc un chapitre de transit comme nous disions – nous permettra d'aborder le chapitre 4 qui est vraiment fondamental. Celui-là est centré sur Abraham comme figure de la foi.
[1] « C'est contre toi seul que j'ai péché, et devant toi que j'ai fait le mal ; tu l'as permis, afin que tu sois reconnu juste dans tes paroles et que tu triomphes dans tes jugements.»
[2] « Nous avons une longue suite de citations faites très librement. Paul abrège ou modifie le texte sans se préoccuper de savoir si le texte s'applique, dans l'original, aux péchés des païens ou des juifs. […] On remarque la structure tripartite du morceau : la première strophe serait relative au péché en tant que corruption des rapports de l'homme avec Dieu (v. 10-12) ; la seconde évoquerait la corruption de la personne elle-même, qui se manifeste dans le mauvais usage de la parole par laquelle s'exprime le cœur (v. 13-14) ; la troisième, la corruption des relations humaines (v. 15-17). » (Franz J. Leenhardt, L'épitre de Saint Paul aux Romains)
[3] « En Rm 3, 25 Paul dit que le Christ a été établi notre propitiation. Certains traduisent mal en mettant "instrument de propitiation". Or le propitiatoire est le lieu où la révélation de Dieu se fait. Rappelez-vous toujours que la grande question n'est pas “Qui est Dieu ? ” mais “Où est Dieu, où peut-on le rencontrer ? ”. C'est donc une très belle lecture que saint Paul fait de la puissance de Dieu révélée dans l'Évangile. » (Joseph Pierron)
Le propitiatoire était le couvercle d'or massif qui recouvrait l’Arche d’Alliance. C'était le lieu où Dieu communiquait avec Moïse (Ex 25, 22), et d'après le Lévitique c'était le lieu des aspersions (Lv 16, 13-15). Le mot hébreu kapporet (propitiatoire) est un dérivé du verbe kapar traduit, bien souvent à tort, par "expier", mais le sens littéral est "couvrir", ce verbe ayant toujours Dieu comme sujet. C'est l'un des mots utilisé pour dire "pardonner" dans le sens de couvrir, recouvrir, cacher la faute. C'est entre autres de ce verbe kapar (couvrir) que vient le Yom Kippour, le jour du Grand Pardon.
[4] Traductions de Rm 3, 25 «Dieu l'a exposé, instrument de propitiation, moyennant la foi, par son propre sang» (BJ) ;«Car le projet de Dieu était que le Christ soit instrument de pardon, en son sang, par le moyen de la foi» (Bible de la liturgie) ; «C’est lui que Dieu a destiné à servir d’expiation par son sang, par le moyen de la foi» (TOB) ; «C'est lui que Dieu a destiné, par son sang, à être, pour ceux qui croiraient, victime propitiatoire» (Bible Segond) ; «C'est lui que Dieu s'est proposé de constituer en expiation, au moyen de la foi, par son sang» (Nouvelle Bible Segond) ; «Lequel (c'est lui que) Dieu a présenté pour propitiatoire, par la foi en son sang» (Darby). Le mot hilastérion de Rm 3, 25 est le même que celui qui se trouve en He 9, 5 «Au-dessus de l'arche étaient les chérubins de la gloire, couvrant de leur ombre le propitiatoire (hilastérion).»
[5] Le mot "loi" apparaît 11 fois dans les versets 19-31. En grec on ne le trouve que trois fois avec l'article : deux fois v. 19 (la loi dit ; ceux sous la loi) et une fois v. 21 (la loi et les prophètes) !