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La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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17 mai 2020

Jn 15,26 - 16,11 : La venue de l'Esprit-Paraclet et sa fonction de discernement

Jésus nous dit : « Il vous est bon que je m'en aille car si je ne m'en vais, je n'enverrai pas ma présence de résurrection » (Jn 16, 7), c'est-à-dire que son absence a autant de vertu que sa présence, ce qui n'est pas facile à entendre pour nous ! Ce n'est donc pas "ou une absence, ou une présence", mais c'est une présence qui est attestée dans sa grande dimension (la dimension de résurrection) par cela que la petite dimension s'est absentée. Tout le mystère pascal est là... et ce passage de l'évangile de Jean est là pour nous aider à "faire le passage"…

Ceci est un commentaire de Jean-Marie Martin, spécialiste de saint Jean. Il réunit deux extraits d'interventions orales. Notez que J-M Martin préfère souvent garder le mot pneuma (esprit, souffle, Esprit Saint) sans le traduire.

 Traduction de la TOB :

  • 26Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi; 27et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.
    Ch 16 1Je vous ai dit tout cela afin que vous ne succombiez pas à l'épreuve. 2On vous exclura des synagogues. Bien plus, l'heure vient où celui qui vous fera périr croira présenter un sacrifice à Dieu. 3Ils agiront ainsi pour n'avoir connu ni le Père ni moi. 4Mais je vous ai dit cela afin que, leur heure venue, vous vous rappeliez que je vous l'avais dit. Je ne vous l'ai pas dit dès le début car j'étais avec vous.
    5Mais maintenant je vais à celui qui m'a envoyé et aucun d'entre vous ne me pose la question: "Où vas-tu"?.6Mais parce que je vous ai dit cela, l'affliction a rempli votre cœur.7Cependant je vous ai dit la vérité: c'est votre avantage que je m'en aille; en effet, si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous; si, au contraire, je pars, je vous l'enverrai.8Et lui, par sa venue, il confondra le monde en matière de péché, de justice et de jugement;9en matière de péché: ils ne croient pas en moi;10en matière de justice: je vais au Père et que vous ne me verrez plus;11en matière de jugement: le prince de ce monde a été jugé.

 

Jean 15,26 - 16,11

 

La coupure mise entre les chapitres 15 et 16 de l'évangile de Jean n'est pas bonne. Elle a été décidée autrefois par les éditeurs, mais il y a d'autres façons éventuelles de couper.

 

Introduction

Le texte que nous examinons maintenant est très marqué par les circonstances de persécution, et donc de témoignage de la foi en période de persécution. Il se lit à deux niveaux :

  • · d'une part, il fait référence à la crise entre Jésus et les juifs, crise qui aboutit au procès et à la mort de Jésus ;
  • · d'autre part, du point de vue du récitant (de l'auteur), il fait allusion à la situation critique des premiers chrétiens en période de persécution.

Les deux choses sont traitées simultanément dans ce texte. Qu'il y ait allusion à la seconde, c'est assez clair, puisqu'il est dit : « Ils vous rejetteront hors des synagogues » (Jn 16, 1), ce qui se vérifie en fait, non pas dans la situation critique de Jésus, mais dans la situation critique des premiers chrétiens qui, à certains moments des relations entre juifs et chrétiens, se sont vus rejetés de la synagogue. Jouent donc ici à la fois la situation du Christ et la situation du chrétien.

De toute manière, même d'un point de vue profane, la fonction du récitant par rapport à ce qu'il récite, joue un certain rôle. C'est de façon tout à fait arbitraire que nous pensons qu'il existe quelque part un récit objectif que d'autres ensuite peuvent reprendre et retraiter. Il n'y a nulle part de récit qui soit l'objectivité. Cela vient de ce que nous pensons plus ou moins le récit à partir de la caméra de télévision, de même que nous pensons la pensée à partir de l'ordinateur, c'est-à-dire que nos propres produits se donnent ensuite comme modèles de notre propre compréhension. En réalité, ce qui se passe, c'est toujours dans la lecture de quelqu'un. Par exemple pour un même événement, c'est dit dans la lecture de Pilate, c'est dit dans la lecture des juifs qui n'est pas la même, et c'est dans la lecture de la Parole (du pneuma) qui lit cela déjà. Vous vous rappelez la double lecture de la Passion chez Jean. Or, cela qui est vrai déjà à un certain niveau plus exigeant d'analyse – ce que c'est que réciter – se retrouve à plus forte raison ici à la mesure où le récitant accomplit la mise en œuvre du Paraclet, la mise en œuvre de la présence pour maintenant de Jésus, de Jésus qui parle. C'est pourquoi ce n'est pas simplement pour une raison de genre littéraire qu'il y a des différences entre les évangiles – le dialogue de Jean, le dialogue de Marc, etc. – c'est beaucoup plus radical, beaucoup plus profond. Et ce dont nous parlons ici, nous ne l'énonçons pas simplement à partir d'une critique d'une conception naïve de ce qu'est un récit ou un texte de récit, mais à partir de ce que la résurrection et la présence de résurrection impliquent comme compréhension même de la présence du Christ.

*   *   *

Ce qui est mis en évidence ici, c'est ce que nous appellerons la structure de krisis. Cette structure de jugement – qui se situe très bien par rapport à la situation à laquelle nous venons de faire allusion –, cette structure nous l'avons rencontrée déjà à propos de Jn 3, 18 sq ; c'est un très bon lieu pour analyser le rapport du sauvé et jugé dans la pensée johannique[1]. C'était même pour nous une excellente définition du symbole.

Par ailleurs cela se trouve en Jn 9, 39 à la fin de la guérison de l'aveugle de naissance : « Je suis venu vers ce monde pour le krima (le jugement). » Ailleurs le Christ dit « Je suis venu non pas juger mais sauver » (Jn 3, 17). Qu'est-ce que le krima ? Le krima c'est le renversement des choses, c'est que les voyants deviennent aveugles et que les aveugles voient.

 

Lecture suivie

 

 

Icône du Paraclet●   Jn 15, 26-27. Première mention de la venue de l'Esprit

« 26Quand donc viendra le paraclet que je vous enverrai d'auprès du Pèrej'ai souvent dit que le paraclet n'était pas un nom propre de l'Esprit Saint, mais un nom du Christ en tant que ressuscité, donc de l'Esprit. Que le mot de paraclet se dise également du Fils, vous l'avez dans la première lettre de Jean, au début du chapitre 2 : « Si nous péchons, nous avons un paraklêtos auprès du Père, Jésus Christ le juste (donc le bien ajusté au Père). » Cet autre paraclet est un autre mode de paraclèse, c'est le même et l'autre au sens où celui qui est oint de l'Esprit, et l'Esprit qui le oint, sont autres et sont le même. Le mot "paraclet" lui-même se traduit le plus couramment soit par "défenseur" (ou "avocat"), soit par "consolateur". Un bon mot qui nous traduit au texte, c'est celui d' "assistance".

Le paraclet …celui qui procède du Père Cette phrase est très importante : le Fils naît du Père, alors que l'Esprit Saint (le pneuma) n'est pas un enfant, n'est pas un frère de Jésus, il procèdedu Père. Nous avons donc ici un mode d'émanation qui n'est pas pensé dans la figure du générationnel (père/fils). C'est un terme qui nous paraît vague, et qui a été l'objet de beaucoup de débats à prpos du filioque (mot qui n'est pas dans le texte de Jean) avec la différence de lecture entre l'Occident et l'Orient : « qui procède du Père » est puisé au texte de Jean et a été mis dans les premiers Credo, mais, en Occident, on a ajouté le Fils : « patre filioque procedit (il procède du Père et du Fils) ».

 Celui-ci témoignera de moi. 27Et vous, vous témoignerez, puisque vous êtes avec moi dès l'arkhê (dès le principe). – Voici un autre verbe. Il est intéressant de reprendre tous les verbes qui parlent du pneuma. À chaque fois, ils ont leur raison d'être dans le lieu où ils se trouvent. Ici, c'est l'activité de témoignage. Ce mot renvoie peut-être à l'aspect explicitement judiciaire du contexte, puisque la persécution consiste souvent à être, à la fois rejeté de la synagogue, mais aussi porté devant les tribunaux. Et ceci n'a pas eu lieu du temps des apôtres mais après.

 

●   Jn 16, 1-6. Détresse annoncée.

« 1Je vous ai dit ces choses pour que vous ne soyez pas scandalisés. 2Ils vous chasseront des synagogues, mais vient l'heure où tout homme vous tuera et pensera rendre gloire à Dieu. 4Je ne vous ai pas dit cela dès le début – ici on a le mot arkhê qui désigne le début de la vie avec les disciples – puisque j'étais avec vous – allusion ici à une présence de proximité, selon laquelle il a vécu de façon conviviale avec les disciples, ce qui va cesser avec son départ – 5Mais maintenant, je vais vers celui qui m'a envoyé, et personne d'entre vous ne me demande : "Où vas-tu ?" – La tristesse suscitée par l'annonce du départ ne leur laisse pas poser la question pertinente, qui, comme toujours chez Jean est une question en "Où… ?"[2]6Mais parce que je vous ai dit ces choses, la tristesse a empli votre cœur. » Vous vous en tenez à la tristesse, c'est-à-dire à éprouver cette situation sans chercher à l'élucider et sans chercher à poser la bonne question. Le mot de "tristesse" intervient ici, il est important. Il reprend le thème du trouble, et il sera repris de façon explicite dans l'épisode de la femme qui accouche (v. 20sq).

 

●   Jn 16, 7a. Deuxième mention de la venue de l'Esprit.

« 7Mais je vous dis la vérité : il vous est bon que je m'en aille, – voici un mot majeur – car si je ne m'en vais le paraclet ne viendra pas auprès de vous, mais si je m'en vais, je l'envoie auprès de vous. » La phrase majeure, c'est celle-ci : « Il vous est bon que je m'en aille. » Nous avons ici une tristesse, mais qui n'est pas pour la tristesse, c'est une tristesse qui est semence de joie. « Il vous est bon que je m'en aille », autrement dit une absence, mais une absence qui est la condition même d'une plus authentique présence. Je dis : "qui est la condition même" ; je pourrais dire mieux : "une absence qui est l'autre face d'une présence". C'est ce point-là qui se décidera au verset 16. La venue véritable qui est l'autre face de l'absence, est mise ici au compte du Paraclet, de l'Esprit. Mais n'oublions pas que Père, Fils et Esprit ne sont jamais disjoints. L'Esprit sera le présentificateur de la dimension ressuscitée de Jésus, donc de la dimension authentique de Jésus. Le Père envoie le Fils, ils ne sont jamais disjoints. Le Fils envoie l'Esprit, ils ne sont jamais disjoints.

Voilà donc la phrase majeure : « Je vous dis la vérité : il vous est bon que je m'en aille, car si je ne m'en vais, je n'enverrai pas ma présence de résurrection. » Est noté ici le rapport entre le départ donc l'absence, et le retour qui est un autre mode de présence ; c'est-à-dire que le mode de départ n'est que l'envers d'un autre mode de présence, car c'est bien cela qui est en cause dans le « je pars et je viens » qui disent le même. La mort de Jésus, c'est sa résurrection. Son absentement n'est pas simplement la condition, mais la vérité de son authentique présence.

 

●   Jn 16, 7b-11. La fonction critique du Christ ressuscité (de  l'Esprit).

Christ roiLe Paraclet ici – c'est-à-dire la présence du Christ – joue une fonction critique qui est fortement marquée dans le passage  que nous lisons maintenant.

« 8Alors celui-ci venant – nouvelle petite précision sur l'Esprit, il y en a une troisième dans les versets 13-15 puisque ces trois mentions de l'Esprit dominent ces versets – il réfutera le monde – on a ici le verbe élegkhô (réfuter, confondre) qui se trouve également chez saint Paul en 1 Cor 14, 3. Autrement dit, l'assistant a en même temps un rôle de procureur, un rôle de dénonciateur ou d'accusateur : ce qui révèle fait se déceler, et dénonce, rejette, mais il le fait de bonne manière. Même si le texte de Paul semble mettre en scène des individus différents, cela s'adresse à chacune de nous dans lequel il y a une part qui doit être dénoncée (c'est-à-dire reconnue comme telle) et une part à conforter.

... au sujet du péché et au sujet de la justice et au sujet du jugement. – Voilà des mots bien mystérieux dans une accumulation qui nous paraît peu intelligible. Heureusement le texte poursuit : « 9à propos du péché parce que… 10à propos de la justice parce que… 11à propos du jugement parce que…» Nous avons là un élément d'explication qu'il nous faut essayer de pénétrer car il n'est pas forcément très simple. Vous pouvez apercevoir ici, tout de même, un rapport logique entre ces trois choses :

  • le péché qui est le désajustement fondamental ;
  • la justice qui est l'ajustement (il faut traduire : le bon ajustement fondamental) ;
  • et la krisis, c'est-à-dire le discernement entre l'un et l'autre.

Donc, pour ce qui est du sens, il vous faut entendre le péché comme désajustement, la justice comme ajustement, le jugement comme discernement entre l'un et l'autre. Comprenez-vous cette logique ? Parce que les mots à l'oreille ne le disent pas nécessairement. Néanmoins vous avez une explication à propos de chacun.  

– à propos de péché, à savoir que ils ne croient pas en moi – chez saint Jean le péché signifie rigoureusement le non-croire c'est-à-dire le non-entendre, il ne se pense pas à partir du commandement, pas à partir de l'obligation, pas à partir de la morale… La présence du Christ décèle, dénonce le non-croire.

– à propos de la justice en ce que je vais vers le Père et que vous ne me constaterez plus – le mot justice c'est dikaiosunê qu'on a appelé techniquement "la justification" c'est-à-dire "la sainteté". Car il y a un certain rapport entre hagios et dikaios Mais en quoi consiste cette sainteté ? Il s'agit de la sainteté du Christ c'est-à-dire de sa consécration, autrement dit de cet aller près du Père dont il est question au chapitre 17 comme consécration (sanctification). Et du reste le mot dikaios est employé à la fin du chapitre 17. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que cette fonction d'assistance dénonce le non-croire du monde (le monde comme non-croire) et la consécration du Christ (le Christ comme consacré, comme près du Père)

– et à propos du jugement (krisis) parce que le prince de ce monde a été jugé – cela ne fait que reprendre ce qui est dit avant puisque la crise consiste premièrement en ce que les non-voyants voient : « Vous ne me constaterez plus, mais je suis près du Père comme vous le savez, c'est-à-dire que vous me voyez en tant que près du Père. Autrement dit les aveugles voient et à l'inverse le monde n'entend pas, c'est cela la krisis, je suis venu pour ce krima. » Et de fait il s'agit de krisis puisque "l'archonte du kosmos" (le prince de ce monde) est (en cela) jugé.

Petite explication ici à propos du monde. Le kosmos n'est pas un monde neutre, sujet des sciences physiques, etc.. Le kosmos est précisément toujours qualifié comme ce qui refuse, et personnalisé comme royaume d'un prince (le prince de ce monde) ou d'un principe qualificateur. Et cette qualification, c'est-à-dire cette considération du prince de ce monde, se retrouve à d'autres égards dans les princes de ce monde c'est-à-dire dans Caïphe, dans Pilate, qui sont jugés, eux. Car c'est en cela que consiste le krima, c'est que Jésus (qui est jugé) n'est pas jugé, et que ceux qui ne l'entendent pas sont jugés. C'est cela le renversement, le krima. Alors l'archonte du monde (le prince de ce monde) en tant qu'il est précisément les puissances ou influences à l'œuvre dans les princes qui condamnent Jésus et qui condamnent les chrétiens, il est jugé. C'est en cela que consiste la krisis. Et ce qui accomplit tout cela, c'est la présence de Jésus ressuscité, c'est en cela que consiste l'assistance, le paraclet.

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