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La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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23 octobre 2020

Extraits de Théodote de Clément d'Alexandrie Introduction et commentaires des 5 premiers par J-M Martin

Lire les gnostiques est difficile et nécessite quelqu'un qui  entre dans leur pensée, ce qui est le cas de J-M Martin qui a été élève du Père Antonio Orbe à la Grégorienne de Rome, et qui est spécialiste des gnostiques des premiers siècles. Il n'a jamais fait vraiment d'exposé construit sur les Extraits de Théodote sauf une séance au Forum 104 où il a consacré une partie de la séance à en lire des passages en les commentant, et en a cité des passages à d'autres reprises, souvent de mémoire. J'ai rassemblé ce qu'il a dit et je publierai encore deux autres messages sur le blog. Pour ce premier message (les numéros indiqués ne sont souvent que partiellement cités) :

  • Introduction au livre de Clément d'Alexandrie
  • Nos 1-2-3. Semence élue, étincelle
  • Nos 4-5. L'épiphanie sur le fleuve, l'épiphanie sur la montagne
  • ANNEXE sur l'étincelle et le chrisma

Le texte des Extraits de Théodote mis ici est plus large que ce que J-M Martin a cité.

Pour ce qui concerne la transcription écrite de ce que J-M Martin a dit oralement, quelques modifications ont été faites. Comme il n'a rien relu, il est possible qu'il y ait des erreurs dont il n'est pas responsable.

Ces réflexions complètent tous les messages déjà mis dans le tag gnose valentinienne, en particulier Gnose valentinienne : Lieux fondamentaux, angélologie, chambre nuptiale. Citations d'Extraits de Théodote. où se trouve déjà une partie de ce qui est mis ici. Deux autres messages suivent :

                                                                                           Christiane Marmèche

 

Extraits de Théodote

(Sources Chrétiennes n°23, édition du Cerf, 1948)

Commentaires de Jean-Marie Martin

 

INTRODUCTION

 

Extraits de ThéodoteLes Extraits de Théodote sont un carnet de notes fait par saint Clément d'Alexandrie. Théodote est un valentinien (disciple de Valentin) de la deuxième génération. Ces extraits sont un petit carnet blanc dans lequel il prend des notes. Clément les lit, ce sont des textes valentiniens, il en relève de nombreux passages, il fait parfois des réflexions personnelles. Il est souvent assez difficile de savoir déceler – on y arrive – ce qui est citation et ce qui est de son propre. Il écrit au début du IIIe siècle, donc un temps déjà loin du premier gnosticisme qui était encore dans l'Église elle-même.

Clément d'Alexandrie est, par rapport aux gnostiques, un Père respectueux. Et il est très différent d'Irénée. Irénée est toujours ironique et méchant à l'égard des gnostiques, alors que Clément d'Alexandrie discute avec eux : « Nous, nous disons plutôt que … », donc nous sommes dans une lecture plus intéressante.

Je vous signale que vous pouvez essayer de lire les gnostiques, jamais vous ne trouverez ce que je dis. Personne ne sait lire les gnostiques. C'est très difficile d'accès, j'ai passé ma vie dedans, je peux dire des choses. Il y a des gens plus savants que moi d'un point de vue érudit sur ces choses-là, mais les érudits ne se soucient pas d'entrer dans l'intelligibilité, ils racontent ce qu'ils lisent comme des choses curieuses un point c'est tout. Moi je vis de cela.

 

Quelques repères pour la lecture.

Voici le schéma fondamental des gnostiques. Il y a :

  1. le monde pneumatique, qu'ils appellent le Plérôme, l'accomplissement ou la plénitude ; et c'est dans ce Plérôme qu'est retenu l'aspect accomplissant ou mâle des âmes.
  2. ce que les gnostiques considèrent comme le monde intermédiaire, le monde psychique, animé d'une certaine source qui n'est pas la source ultime du Pneuma, et qu'ils interprètent du monde juif ;
  3. enfin le monde hylique ou matériel.

Par exemple la "chambre nuptiale" est dans le Plérôme et "le dehors de la chambre nuptiale", c'est le monde psychique où se trouve l'Ami de l'époux (Cf. N° 65).

On retrouve ici une caractéristique hétérodoxe des gnostiques chrétiens du IIe siècle, à savoir qu'il y a trois racines, trois sources, trois substances (trois ousies), trois natures (phusoï), qui sont le pneumatique, le psychique et l'hylique ; c'est-à-dire le spirituel, l'animé et le matériel[1]. Et c'est ici qu'interviendra constamment une certaine critique d'Origène.

Nous avons nous-mêmes reconnu que distinguer la région du refus et la région de l'accueil, était quelque chose de johannique : en tout homme il y a la semence du diable (qui correspond à la région du refus), et la semence du Père. Nous retrouvons quelque chose de ce genre.

Remarque. Il y a beaucoup de passages que j'essaie d'éviter dans cet ouvrage parce qu'ils ouvrent à un autre problème : ce sont des préoccupations du temps de Clément d'Alexandrie, donc du début du IIIe siècle qui relit ces textes du IIe siècle, et pour qui la problématique est de savoir ce qui est corporel et ce qui est incorporel. Mais c'est une problématique très différente du sens que nous donnons à ces mots-là.

 

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Nos 1-2-3. Semence élue, étincelle

 

étincelle,N°1. […] Ainsi, par la parole citée plus haut, c'est toute la semence spirituelle (la semence pneumatique), tous les élus qu'il (Jésus) remet à son Père. – La semence (sperma), c'est le mot qu'emploie Jean très souvent dans sa première lettre, pour signifier que nous sommes descendance de Dieu.

La suite du texte est probablement une note de Clément d'Alexandrie.

 « Cette semence élue, nous - sans doute la grande Église – nous l'appelons aussi "étincelle (spinthêr) ranimée par le Logos", "pupille de l'œil", "grain de sénevé", "ferment" […].

N°2. « 1Mais les valentiniens disent : lorsque le "corps psychique" eût été façonné – ici nous sommes hors du Plérôme, dans la formation de Adam du chapitre 2 de la Genèse qui est Adam façonné. Vous avez l'expression "corps psychique", ne vous étonnez pas, ce n'est pas notre langage, mais chez saint Paul on lit : « Il y a un corps psychique, il y a aussi un corps spirituel (un corps pneumatique) », ce sont des mots qui sont à entendre. – une semence mâle fut déposée par le LOGOS dans la psyché "élue" – la semence est pneumatique (spirituelle), elle est semée dans un corps psychique – qui était en sommeil - la résurrection sera l'éveil – semence qui est un effluve de l'élément angélique (aporroia tou angelicou) – ce n'est pas ce que nous appelons les anges, mais les fragments de l'Angélia, ça peut être un nom du Plérôme car les éons du Plérôme sont des fragments de la totalité. Nous sommes dans une perspective où anges et hommes ne sont pas simplement des habitants de lieux différents, mais sont dans un rapport d'échange, de proximité : l'homme devient angelicos, angélique lorsqu'il déploie pleinement sa semence authentique, son être authentique, son nom dans la pensée de Dieu, dans le Plérôme de Dieu – afin qu'il n'y eut point de déficience, husterêma – le manque dont nous parlions tout à l'heure – 2Cette semence opéra comme un ferment, unifiant ce qui apparaissait comme divisé, à savoir la psyché et la chair (...). Le sommeil, pour Adam, c'était l'oubli de l'âme que la semence pneumatique maintenait [à son insu] pour qu'elle ne se dissolve pas, semence déposée dans l'âme par le Sauveur. Cette semence était un effluve de l'élément mâle et angélique. – Le rapport masculin-féminin est l'équivalent ou l'analogue ici du rapport angélique-humain. – C'est pourquoi le Sauveur dit : "Sauve-toi, toi et ton âme".   

N°3. 1Le SAUVEUR étant donc venu, a réveillé l'âme et enflammé l'étincelle – l'effluve (aporroia), s'appelle maintenant "étincelle" – car les paroles du Seigneur sont puissance (dunamis). C'est pourquoi il a dit : « Que votre lumière brille devant les hommes – donc l'élément lumineux est insufflé et se met à vivre –. 2Et, après sa Résurrection, insufflant son esprit dans les Apôtres, de son souffle, il chassait le "limon" comme cendre – la cendre, c'est kroún, c'est-à-dire la boue, le choïque ou le hylique – et le séparait, tandis qu'il enflammait l'étincelle et la vivifiait. »

Le Pneuma, c'est ce qui, venant, insuffle, et de son souffle réveille, enflamme l'étincelle et chasse la cendre : magnifique image. Cette structure de pensée, qui est d'une merveilleuse simplicité complexe, unit un double mouvement de pensée : d'une part la pensée de la croissance du même, d'étincelle à flamme, ou de semence à fruit, qui sont deux en étant le même ; et d'autre part la pensée de l'exclusion, car lorsque précisément l'étincelle se réveille et se prend à corps de feu, la cendre s'exclut. Les deux mouvements, de la croissance d'une part et de l'exclusion d'autre part, sont simultanés. Ils s'impliquent  mutuellement.

(N B : ce passage est commenté en annexe en lien avec le chrisma chez saint Jean)

 

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Transfiguration, bibli de Fels, ICPNos 4-5. L'épiphanie sur le fleuve, l'épiphanie sur la montagne

 

N°4. « À cause de sa grande humilité, le Seigneur n'est pas apparu comme un ange, mais comme un homme. Et lorsque "sur la montagne", il est apparu à ses apôtres, dans la gloire, ce n'est pas à cause de lui-même qu'il a agi en se manifestant ainsi, mais à cause de l'Église qui est "la race élue", afin qu'elle apprît "l'avancement" obtenu par le Seigneur après sa sortie de la chair. […] D'ailleurs il fallait que fut également accomplie cette parole du Sauveur : « Il en est plusieurs, parmi ceux qui se tiennent ici, qui ne goûteront pas la mort avant d'avoir vu le Fils de l'homme dans sa gloire. » C'est ainsi que l'on vu Pierre, Jacques et Jean, puis ils sont morts. »

N°5. « Comment se fait-il donc qu'ils ne furent pas effrayés en apercevant la vision lumineuse et qu'ils tombèrent sur le sol en entendant la voix ? […]

Et encore : la Voix sur la Montagne arriva aux élus déjà initiés ; c'est pourquoi ils furent frappés par le témoignage donné à l'objet de leur foi ; tandis que la Voix sur le Fleuve était pour ce qui est croire ; c'est pourquoi cette voix fut négligée par eux, asservis qu'ils étaient aux directives des docteurs de la loi. »

Ici Clément énumère les deux premières épiphanies : l'épiphanie sur le fleuve, l'épiphanie sur la montagne, donc : le Baptême, la Transfiguration. Il y a par ailleurs l'épiphanie au jardin [avec M-Madeleine en Jn 20] qui est la Résurrection.

 

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ANNEXE sur l'étincelle et le chrisma

 

1) La notion de chrisma chez saint Jean.

Saint Jean nous dit au chapitre 2 de sa première lettre : « 20Et vous, vous avez un chrisma à partir du sacré. » Ce chrisma vous est donné par le sacré, et le sacré est un des noms du Christ, c'est ce que dit explicitement Simon-Pierre : «Nous avons cru et nous avons connu que tu es le consacré de Dieu » (Jn 6, 69). Le mot chrisma lui-même est de la même racine que le mot Christos, et le Christos (Messiah en hébreu) désigne celui qui est oint, qui est oint du Pneuma de Dieu. C'est le Pneuma qui oint et qui consacre, c'est pourquoi on l'appelle "Pneuma Sacré" que nous traduisons en général par "Esprit Saint", mais “saint” n'est pas une bonne traduction. C'est le Pneuma Sacré, le Pneuma de Consécration[2].

Autrement dit, si le Christos est plein de Pneuma, la consécration est faite pour être répandue sur la totalité de l'humanité. C'est pourquoi l'expression de "Pneuma" (ce qu'on traduit par Esprit) est à symbolique fluide : le Pneuma se répand, il est versé, il emplit.

Le chrisma vient du sacré, du Christ sans doute, et de l'Esprit Sacré sans doute.

« 27Vous avez reçu le chrisma de lui. Il demeure en vous, et vous n'avez pas besoin qu'on vous enseigne.» Vous avez en vous de quoi entendre la nouveauté christique. C'est ce que le texte nous dit ici : vous avez reçu l'onction intérieure, l'onction du Pneuma Sacré, du Pneuma de consécration. Voilà le mot majeur.

Qui donc lit ça ? Je sais bien qu'il ne faut pas prendre appui là-dessus pour dire que nous n'avons plus besoin de suivre de session ! L'enseignement ne relève pas du besoin. Ce qui est du besoin essentiel est révélé : c'est avoir le chrisma. L'enseignement aide éventuellement au développement de cet essentiel-là. C'est quand même une phrase assez étonnante, je ne l'ai jamais entendue commenter dans une homélie !

 

2) La notion d'étincelle chez Théodote.

À propos de ce chrisma, il me vient à l'esprit un rapport que nous avons déjà aperçu : le rapport de la semence au fruit qui est le rapport d'une latence à une manifestation, à un accomplissement. Le chrisma indique ce point qui est présent, au moins de façon latente, en tout homme.

Je voudrais vous citer un petit texte de saint Clément d'Alexandrie. Les Extraits de Théodote sont un carnet de ses notes de lectures et de ses réflexions. Théodote, qui est gnostique, vient de dire qu'il y a ce point au cœur de l'homme que l'Écriture appelle semence : sinapi, le grain de sénevé qui est la plus petite des semences. Il donne d'autres noms encore et il écrit ceci en substance :

  • « Ils appellent cela la semence. Nous [ceux de la grande Église], nous disons aussi l'étincelle. Il y a une étincelle de christité en quiconque, le pneuma vient et souffle sur l’étincelle, il l’embrase et chasse la cendre.»

Cette structure de pensée, qui est d'une merveilleuse simplicité complexe, unit un double mouvement de pensée : d'une part la pensée de la croissance du même, d'étincelle à flamme, ou de semence à fruit, qui sont deux en étant le même ; et d'autre part la pensée de l'exclusion, car lorsque précisément l'étincelle se réveille et se prend à corps de feu, la cendre s'exclut. Les deux mouvements, de la croissance d'une part et de l'exclusion d'autre part, sont simultanés. Ils s'impliquent  mutuellement.

  •  « Cette semence élue, nous l’appelons aussi : “étincelle ranimée par le Logos” [---]  N°3. « 1Le SAUVEUR étant donc venu, a réveillé l'âme et enflammé l'étincelle car les paroles du Seigneur sont puissance (dunamis). C'est pourquoi il a dit : « Que votre lumière brille devant les hommes – donc l'élément lumineux est insufflé et se met à vivre –. 2Et, après sa Résurrection, insufflant son esprit dans les Apôtres, de son souffle, il chassait le "limon" comme cendre et le séparait, tandis qu'il enflammait l'étincelle et la vivifiait. » Le Pneuma, c'est ce qui, venant, insuffle, et de son souffle réveille, enflamme l'étincelle et chasse la cendre : magnifique image.

 

Il y a là pour nous un support de méditation : ce double mouvement, pour constituer quelque chose, qui consiste à amplifier et séparer. C'est un schéma qui est constant partout dans le premier christianisme. C'est même la symbolique première de la croix : « La croix conforte et sépare. » C'est un lieu judiciaire.

Et l'imagerie, qui n'est pas tellement attestée chez les gnostiques occidentaux mais qui est la meilleure, est celle du fromage[3]. En effet, le fromage vient quand le lait caille, prend forma (formage) et laisse écouler le petit lait. C'est à la fois une confirmation et une séparation. Voilà encore une image qui peut aider et plus qu'une image : ce sont des symboles très profonds.

Ce point, ce chrisma, je proposerai qu'on puisse l'appeler par exemple christité. Cette étincelle de christité est recouverte nativement, c'est comme une semence dans son état hivernal. D'autres gnostiques  disent : ce monde-ci est l'hiver, le monde qui est en train de venir est l'été[4]. Et ceci donnerait lieu à une rénovation de notre regard sur la situation de l'Évangile dans le monde. L'Évangile s'est pensé et vécu d'abord en chrétienté. La chrétienté révolue, il s'est pensé et continue de se penser comme christianisme. Je dis que les temps sont peut-être venus qu'il se pense comme christité, c'est-à-dire comme cette présence non comptée, non calculée, répandue dans les hommes, cette possibilité de bon et de bien, d'ouverture. Voilà ce qui est à viser, plutôt qu'une prolongation du christianisme sur le mode des "ismes." Je crois qu'il y a là quelque chose d'important comme proposition de regard.

 



[4] « (7) 25 Ceux qui sèment en hiver récoltent en été. L’hiver, c’est le monde, l’été, c’est l’autre éon. Semons dans le monde afin de récolter en été ! C’est pourquoi il ne convient pas que nous priions en hiver. Ce qui est issu 30 de l’hiver, c’est l’été. Si quelqu’un récolte en hiver, il ne récoltera pas, mais il arrachera. (8) Parce que celui qui est de cette espèce ne peut pas porter fruit....»  (Évangile de Philippe, début).

 

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