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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 décembre 2020

Luc 2, 1-14. La naissance de Jésus et ses entours

Voici une courte méditation de Jean-Marie Martin (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?) faite en fin d'année civile, juste avant Noël. Elle est orientée par l'idée de mettre en évidence la symbolique terre-ciel présente dans le texte. Plusieurs parenthèses élargissent le champ de la méditation !

Trois remarques :

   Ce texte a déjà été médité dans un précédent message (Luc 2, 6-14 La naissance de Jésus célébrée par les habitants du ciel et de la terre).et une autre approche est dans La double naissance de Jésus dans la première pensée chrétienne
   À un moment J-M Martin ouvre une parenthèse sur le mot archê (transcrit arkhê pour la phonétique) qui est au début de Genèse 1 et au début de l'évangile de Jean (Dans l'archê…). On trouve ce mot dans "archétype", "archevêque"… J-M Martin préfère ne pas le traduire. Dans les Bibles il est traduit par "commencement", "origine", "principe"…[1].
   La reproduction a 3° est de Didier Michault, un habitué de Ceillac où je vais souvent (Christiane Marmèche)

 

 

Luc 2, 1-14. La naissance de Jésus et ses entours

Par Jean-Marie Martin

 

Alors, si vous voulez, dans l'opportunité liturgique de Noël, je vais en quelques mots revenir sur ciel et terre en quelques mots, pour saluer, pour vous souhaiter un bon Noël à venir. Ce texte je vais le prendre chez saint Luc, parce que précisément c'est à propos de Noël.

L'épisode de la naissance de Jésus en Luc 2, 6-14 se compose de deux parties bien distinctes :

  • un récit extrêmement plat, extrêmement rapide,
  • ensuite la convocation du ciel et de la terre pour célébrer la dimension de ce qui est dans cet épisode minime.

Saint Jean n'écrit pas comme ça. Chez saint Jean, le sens profond d'une parabole travaille même le récit. Ici nous avons une sorte de juxtaposition entre le récit tout simple (v. 6-7), et la suite (v. 8-14). Vous allez voir ça, ça ne présente pas de difficulté.

 

  • Traduction de La TOB :
    1Or, en ce temps-là, parut un décret de César Auguste pour faire recenser le monde entier. 2Ce premier recensement eut lieu à l’époque où Quirinius était gouverneur de Syrie. 3Tous allaient se faire recenser, chacun dans sa propre ville ; 4Joseph aussi monta de la ville de Nazareth en Galilée à la ville de David qui s’appelle Bethléem en Judée, parce qu’il était de la famille et de la descendance de David, 5pour se faire recenser avec Marie son épouse, qui était enceinte.
    6Or, pendant qu’ils étaient là, le jour où elle devait accoucher arriva ; 7elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes.
    8Il y avait dans le même pays des bergers qui vivaient aux champs et montaient la garde pendant la nuit auprès de leur troupeau. 9Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de lumière et ils furent saisis d’une grande crainte. 10L’ange leur dit : « Soyez sans crainte, car voici, je viens vous annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : 11Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un Sauveur qui est le Christ Seigneur ; 12et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » 13Tout à coup il y eut avec l’ange l’armée céleste en masse qui chantait les louanges de Dieu et disait : 14« Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés. »

 

1) Versets 1-5.

D'après les versets 1-5 Jésus naît lors d'une période de recensement… C'est curieux qu'il naisse dans un recensement, c'est-à-dire qu'on le compte.

Je fais une parenthèse sur la façon dont nous considérons l'homme. Notre Occident a privilégié l'individu isolé, et la notion d'espèce se monnaie en individus dans l'espèce. Nous sommes dans une pensée de l'individu égal, autosuffisant, ayant des droits. Et comme on a réduit les hommes à un commun dénominateur, on peut les compter, les additionner. Voilà une anthropologie extrêmement périlleuse. Et Jésus naît précisément au moment d'un recensement où l'on compte des hommes, c'est-à-dire qu'il vient à l'extrême de la méprise au sujet de l'homme. Les bergers autrefois disaient qu'il ne fallait pas trop compter les moutons, ça les fait crever ![2]

 Le rapport fondamental des hommes n'est pas d'être des pareils dans une même espèce, c'est d'être des relatifs : ils sont constitués par leurs relations. Ils ne sont pas d'abord des êtres constitués en eux-mêmes qui ensuite nouent des relations. La relation est aussi originelle que l'être-soi, elle est la condition même de l'être-soi.

Vous avez dans nos textes les sources de quelque chose comme une anthropologie très différente de celle que nous développons aujourd'hui dans nos sociétés… avec les meilleures intentions du monde du reste.

Par ailleurs, sans doute, dans le cadre d'un recensement, Jésus fut un homme en plus des autres. Mais pour autant, il ne ressuscite pas comme un en plus. Sa résurrection, c'est la même chose que sa mort : mourant, il n'est plus un en plus ; et ressuscitant il ne ressuscite pas comme un en plus, mais comme l'unité unifiante de tous.

 

2) Versets 6-7.

« 6Et il fut, tandis qu'ils étaient là, que s'emplirent les jours où elle devait enfanter. 7Elle enfanta son fils premier né et elle le langea et le posa dans une mangeoire puisque ce n'était pas une place pour eux dans la salle commune (à l'auberge). » Une gestuelle toute simple.

On interprète souvent ce texte en s'apitoyant sur le sort de cet enfant qui n'a pas été accueilli à l'auberge. Mais le texte en fait dit que là n'était pas sa place, tout simplement !

J'ouvre une petite parenthèse. Très curieusement, à la campagne, chez nous, la mangeoire on appelle ça une écrèche sauf quand il s'agit de la crèche du petit Jésus où on dit la crèche. C'est-à-dire qu'il y a le langage savant de Monsieur le curé pour un certain nombre de choses, et puis le langage quotidien pour d'autres choses. Mais ce n'est pas ça le sujet.

 

3) Versets 8-14.

« 8Et des bergers étaient dans cette région, veillant et gardant les gardes de la nuit sur leurs troupeaux » – J'ouvre encore une petite parenthèse qui n'est pas non plus ce que je veux montrer, mais le mot "région" se présente.

Parenthèse.

Le mot de "région" ici est le mot de chôra, il se trouve aussi chez saint Jean. Ici il désigne "la pâture", chez saint Jean il désigne "les champs cultivés" : « Levez les yeux sur les régions (sur les champs) et considérez qu'ils sont blancs, prêts pour la moisson » (Jn 4,35).

Chôra, c'est un mot qui a une histoire, une histoire que je ne vais pas développer, mais, chez Platon, la chôra c'est ce qui reçoit la totalité des formes. On l'a souvent assimilée à la hulé, c'est-à-dire à la matière qui est la grande réceptrice. Il est peu probable que cette assimilation soit intéressante. Cependant ça ouvre à beaucoup de questions du fait de la différence ? En effet :

  • la hulé est essentiellement, originellement, la forêt, c'est-à-dire le dense, l'opaque, le sauvage, le non-cultivé.
  • la chôra – même dans le grec classique –, c'est la région cultivée, le champ ou le pâturage, c'est-à-dire justement ce qui est clairière par opposition à l'opaque de la hulé.

Cela pourrait être une réflexion intéressante. Je le dis simplement comme ceci en passant parce qu'il y a là de l'intelligence de quelque chose qui est le mot "colere" en latin qui est le mot qui donne "culte", et qui donne "culture", et qui donne donc l'espace vivable, ou l'espace habité par opposition à l'espace sauvage. Et ça, c'est une question très importante. Alors, fin de la parenthèse : c'est le mot chôra que je trouve ici qui m'a rappelé chôra chez Jean et chez Platon.

 

Luc 2, les bergers, Didier Michault« 9Et un ange du seigneur se tint auprès d'eux, et la gloire du Seigneur les illumina et ils craignirent d'une grande crainte. 10Et l'ange leur dit : "Ne craignez pas, voici que je vous évangélise (que je vous annonce) une grande joie qui est pour tout le peuple, 11c'est que vous est né en ce jour un sauveur qui est Christos Kyrios dans la ville de David. 12Et voici le signe : vous trouverez un bébé langé et posé dans une mangeoire". 13Et alors, aussitôt, l'armée des anges du ciel se met à chanter Dieu et à dire : 14"Gloire dans les hauteurs à Dieu, et sur terre paix, aux hommes eudokia. »

Ici, ce qui est intéressant, c'est que pour marquer la véritable dimension de cet événement apparemment infime, on évoque et on convoque le ciel et la terre :

  • les habitants du ciel, les angéloï,
  • et les gardiens de la terre, les bergers ;

donc ciel et terre, l'angélique et l'humain. Voilà une belle répartition qui rappelle le quadriparti qui intervient dans la définition de "la chose"[3] par Heidegger : le ciel et la terre, les divins et les mortels.

Voyez quelle ampleur est donnée dans le texte de Luc : ciel et terre sont pris à témoin.

Le ciel, c'est l'habitation des angéloï, c'est-à-dire des fragments de la parole.

 

●   Parenthèse.

Les anges sont des paroles fragmentaires, des fragments de la parole divine. Et la parole précède l'homme dans l'arkhê (Voir la remarque sur le mot arkhê dans l'introduction…), c'est-à-dire dans ce qui ouvre l'espace. En effet arkhê, ce n'est pas simplement ce qui ouvre le temps, c'est aussi ce qui ouvre l'espace. Ceci ouvre à la fois le règne dans le temps et le royaume, mais, c'est le même mot basiléia qui dit le règne et le royaume, l'espace nouveau… L'arkhê est une parole ouvrante[4].

D'ailleurs Arkhê est une des dénominations du Christ : « Et lui est la tête du corps qui est l'Ekklêsia, lui qui est arkhê, premier-né d'entre les morts en sorte qu'il soit prééminent en toute chose. » (Col 1, 18).

Le mot arkhê, apparemment, n'est pas un mot d'espace en soi, et pourtant, il a un sens éminent dans cette perspective à la mesure où il est ce qui ouvre la plénitude. Cette plénitude c'est le Plérôme des dénominations, c'est-à-dire des dénominations vivantes, c'est-à-dire des anges…

Et l'arkhê est d'essence verbale. « Dans l'arkhê est le logos (la parole) » (Jn 1, 1). L'espace ainsi ouvert est un espace dans lequel on accède par la parole, par l'écoute. « Si quelqu'un ne naît pas de cette eau-là qui est le pneuma de Résurrection », autrement dit, si quelqu'un n'entend pas, ne reçoit pas le pneuma de Résurrection, il n'entre pas dans l'espace de Dieu, il n'entre pas dans le royaume de Dieu. C'est un texte que nous avons lu je ne sais combien de fois mais qui résonne ici d'une façon un peu nouvelle, un peu particulière, en rapport aux textes que nous venons de lire.

En effet, « ce qui est dans la parole est vie, et la vie est la lumière des hommes » (d'après Jn 1, 4). C'est la parole qui éclaire, qui donne lumière et vie à l'homme. La parole précède l'homme.

"La parole précède l'homme" : c'est une chose très étrange apparemment. C'est ce que dit Heidegger dans Acheminement vers la parole[5].

 

●   Rapprochement entre naissance de Jésus en Luc 2 et Baptême de Jésus.

La parole qui est dite ici à propos de la naissance de Jésus, très curieusement, recoupe ce qui est comme la figuration archétypique de la manifestation christique. C'est la structure du baptême du Christ :

  • le ciel s'ouvre à la terre,
  • une parole est dite,
  • le pneuma descend.

Cette figure régit tout le premier chapitre de Jean, y compris le Prologue même[6]. Et c'est seulement ensuite que Luc, après la figure archétypique fondamentale qui se trouve chez Marc aussi, met en scène les mêmes structures fondamentales pour attester la dimension, non pas de la mission du Christ ouvrant ses chemins publics, mais de sa naissance même.

La parole qui est dite, je l'ai traduite ainsi : « Gloire à Dieu dans le plus haut, et paix sur la terre, aux hommes eudokia ». Alors, vous connaissez cette phrase : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (ou aux hommes que Dieu aime). ». C'est que le mot eudokia signifie en effet le bon vouloir entendu du reste au sens de l'agrément, au sens fort du mot agrément « Jésus est le fils de mon agrément ». J'agrée. Le mot gré est un mot très intéressant en français. Et dans le texte il n'est pas précisé l'eudokia de qui, il y a des traductions qui ont pensé que c'était la bonne volonté de Dieu – donc "que Dieu aime" –, et d'autres qui ont pensé que c'était plutôt la bonne volonté des hommes – donc "aux hommes de bonne volonté". On comprend très bien la double traduction.

En fait, plutôt qu'un binaire (le ciel et la terre sur laquelle sont les hommes), nous avons un ternaire plus probablement.

  • ce qui est la gloire de Dieu dans le ciel,
  • c'est la paix sur la terre,
  • et l'homme est l'agrément du ciel et de la terre, c'est-à-dire est la bonne entente entre ciel et terre.

Je vous ai déjà dit – de façon pas heureuse mais vous comprendrez –, que ciel et terre étaient des complémentaires, et pas des contraires comme lumières et ténèbres sont des contraires le plus souvent, et en particulier chez saint Jean. Ici, ciel et terre ne sont pas des contraires, ce sont des éléments qui sont dans la dépendance du mi-lieu – parce que nous avons réfléchi sur le lieu, mais tout lieu est un mi-lieu, et dans plusieurs sens d'ailleurs, au sens que c'est un intervalle, (intervallum c'est un des mots qui sont choisis pour traduire le mot de rouah, de pneuma dans le dictionnaire de Jastrow), mais c'est aussi un milieu au sens de l'ambiance ou de la qualité de milieu, j'ai toujours essayé de traiter ces choses-là ensemble.

L'espace n'est pas simplement une question de quantité plus ou moins grande, plus ou moins loin, plus ou moins proche. Il y a une qualité d'espace. Par exemple, pour le royaume de Dieu, c'est ce qui s'appelle, l'agapê.

Et justement, une qualité qui est notée souvent dans les Synoptiques, et ici explicitement chez Luc – car c'est un mot qui est propre à désigner la qualité de Noël –, c'est la joie : « Réjouissez-vous d'une grande joie. » La nouvelle ouvre une grande joie.

Le terme de "joie" chez saint Jean, en particulier à partir du chapitre 16, est très important, et réclame beaucoup de soin. Ce n'est pas aussi banal et simple qu'il y pourrait paraître. De toute façon, la joie est agréable à vivre sans doute, mais difficile à méditer.

L'homme est, en lui-même, agrément du ciel et de la terre… "l'homme accompli", car cette parole est dite, dans le témoignage de ciel et terre lors du Baptême de Jésus lui-même : « Celui-ci est le fils de mon eudokia » : il est le fils de mon agrément, il est mon agrément, il est la manifestation de l'agrément du ciel et de terre.

Eudokia est un mot qui n'est jamais bien traduit puisque, du reste, je vous le disais tout à l'heure, on ne sait pas c'est l'agrément de qui.

Donc, nous avons ici, à nouveau, une invitation à lire la parole comme ouvrant à chaque fois un espace dans lequel nous sommes invités à entrer. Et il ne s'agit pas seulement de spéculer sur l'habitation, il s'agit d'habiter. Et, comme ce qui s'annonce dans l'Évangile est tout entier dépendant d'entendre, notre première habitation, c'est la fréquentation assidue et constante, jamais achevée, de la parole.

Voilà deux points qui résument à peu près ce que nous essayons de faire.



[1] Le grec arkhê est un mot qui n'a pas d'équivalent dans notre langue, et il faut juxtaposer au moins deux mots pour pouvoir faire entendre ce que serait l'unité de ces deux mots. Tertullien, un auteur du début du IIIe siècle, dans son commentaire sur ce texte, dit : « pour dire initium (commencement) – il a écrit en latin mais il connaît le grec, seulement ses traités grecs sont perdus – les Grecs ont le mot arkhê qui dit à la fois commencement et commandement. » Nous trouvons ici le premier sens, commencement (l'en tête), et le deuxième sens : « être à la tête de ».

 [2] J-M Martin précise que cela vaut aussi pour les hommes de foi. S'il est vrai qu'on peut compter les chrétiens d'après les registres de baptême, dans l'ordre du christique on ne peut compter, tout est d'ailleurs de l'ordre du non-su. En chaque homme il y a une semence de christité et « il est à présumer que le Dieu donne largement la croissance. Mais il faut bien savoir qu'il la donne à qui il veut, et à l'heure où il veut. Et "tu ne sais" l'heure ni le jour. Et non seulement tu ne sais de science certaine si tu as en toi la semence active, si ce que tu mets en œuvre est activité de Dieu. Ceci est très important parce que ça interdit de compter ceux qui relèvent du Christ. Comme le dit Augustin : “Certains se croient dehors (de l'Église) et sont dedans, et certains se croient dedans mais sont dehors.”». Et ceci n'est pas d'ordre psychologique mais d'ordre méta-psychologique, c'est de l'ordre de "tu ne sais". » (Extrait du cycle de conférences sur la Nouveauté christique)

[3] La Chose (ou Das Ding) est la conférence initiale qui ouvre un cycle de quatre conférences. Elles ont été traduites et publiées en français en 1958 par André Préau, dans Essais et conférences et en 1980 dans la collection TEL. Heidegger prend comme exemple la cruche. J-M Martin et son ami Joseph Pierron (aujourd'hui décédé), en ont parlé, et cela a donné lieu à un message sur le blog. Ce message se termine sur ces phrases de Joseph Pierron : « Il y a une liaison dans cette cruche entre la terre dont elle est faite, entre le festin sacré qui est le ciel, entre le Dieu qui accueille, et les mortels que nous sommes. […] Vous en avez un magnifique exemple à la fête de Noël : il y a les cieux qui sont déchirés, la voix des anges, les hommes de la terre qui sont concernés, et il y a la terre elle-même qui est là en attente. Donc vous retrouvez les quatre éléments. Noël c'est un mystère à vivre, ce n'est plus une anecdote. » ("La cruche" de Heidegger : approches de J-M Martin et J. Pierron. Enigme, parabole, symbole)

[4] Dans un autre endroit, J-M Martin donnait un exemple : « Un jour j'avais donné une homélie lors d'un mariage de jeunes qui avaient choisi pour texte, comme il est très courant, le passage de saint Matthieu où il s'agit de la maison solidement construite sur le roc. Il est intéressant de remarquer que ce qui fait la solidité de la maison, c'est d'être construite sur la parole entendue, effectivement entendue : « celui qui entend cette parole est semblable à celui qui a construit sa maison sur le roc. » (D'après Mt 7, 24). Une parole est en effet le fondement, l'inauguration d'un couple. Il s'agit de cette maison au sens ancien du français qui appelait une famille "une maison". Autrement dit la fondation est verbale. "La fondation est verbale" c'est une façon de traduire « Au commencement était le Logos (le Verbe). » C'est-à-dire que, fort de cette expérience qu'une parole de dialogue fonde l'espace de relation, les Anciens entendaient qu'une parole de dialogue fonde le monde. […]C'est curieux, ce qui pour nous est le plus fluant, le plus labile, le plus éventuel, le plus maigre, la parole, c'est ce qui, pour les anciens est posé, paradoxalement, comme constituant la fondation de toutes choses. » (Prologue de Jean. Chapitre VII : Etude du mot arkhê, et premières lectures des versets 1-5)

[5] J-M Martin précise. « Ne pensez pas qu'en lisant saint Jean, je récite Heidegger. Pour penser ça, il faudrait n'avoir jamais rien lu de Heidegger. Ce n'est pas du tout pareil. Du reste, Heidegger ne connaît rien à saint Jean… mais il y a des échos. Heidegger ne connaît rien à saint Jean parce qu'il lit saint Jean à partir du commentaire d'Augustin sur l'évangile de Jean. Et nous sommes loin, dans notre lecture de Jean, du commentaire d'Augustin n'est-ce pas ? »

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