D'après Joseph Pierron : L'esprit (pneuma, rouah), l'Esprit Saint, dans le monde grec, dans l'Ancien et le Nouveau Testaments
Joseph Pierron est décédé le 27 décembre 1999, c'est donc en hommage que nous publions cette belle étude 21 ans après. Il était prêtre; ami de Jean-Marie Martin à qui est dédié le blog La Christité. Professeur d'Écritures saintes, spécialiste de la période allant du IIe siècle avant JC au IIe siècle après, il a animé de nombreuses formations (cf. Qui est Joseph Pierron ?).
Le présent message provient de deux exposés qu'il a faits sur l'Esprit dans le cadre du cours qu'il donnait certains dimanches matins à l'église Saint-Merry près des Halles à Paris. La transcription de la séance de juin 1991 a été faite par M. Darbois, j'y ai ajouté des éléments venant de la rencontre de mai 1989, avec quelques modifications e l'ajout de certains textes cités seulement par leur référence. Le style oral a été gardé. Toutes les notes et les sous-titres ont été ajoutés. Cela n'a pas été relu par J. Pierron et contient peut-être des erreurs (en particulier de transcription)…
Du fait qu'il est très difficile de savoir s'il faut mettre une majuscule ou non à l'esprit, il ne faut pas se fier aux choix hasardeux qui ont eu lieu. De toute façon en grec comme en hébreu, dans les manuscrits d'origine il n'y a pas de majuscules…
L'esprit (pneuma, rouah)
Le thème de l'esprit est probablement un des thèmes les plus difficiles du point de vue de la révélation.
Pour l'Esprit Saint lui-même, la première difficulté vient des simplifications qui ont été apportées : on dit que l'Esprit est la troisième personne de la Trinité, et alors on suppose qu'il y a eu un magma commun qui serait la nature divine, qui se partagerait en trois où il y aurait le Père, le Fils et l'Esprit, mais on ne voit pas très bien ce que l'on met là-dedans, comment cela se sépare et à quoi cela peut répondre.
Une deuxième difficulté vient de l'ambiance actuelle où le charismatique a tendance à accaparer soi-disant l'Esprit : on est en contact immédiatement avec l'Esprit. Ce n'est pas une thèse neuve, on la retrouve à travers toute l'histoire de l'Église et en particulier à partir de Joachim de Flore (XIIe siècle) : on distingue la période du Père et la période du Fils, en pensant qu'il y aurait une troisième période qui serait celle de l'Esprit[1]. Je pense que si l'on retourne à ce que disent Paul et Jean, on n'arrivera pas à une telle conception !
Par ailleurs je pense que Paul et Jean n'ont pas inventé ce qu'ils disent sur l'Esprit, qu'il y a un lien avec la pensée de Jésus (si on admet que les synoptiques ne l'ont pas trop déformée).
Je vais procéder par contraste. Dès le point de départ, il est bon de savoir que le mot rouah (esprit) en hébreu est féminin, que pneuma (esprit) en grec est neutre et qu'en français "esprit" qui vient du latin spiritus est masculin.
- Dans un premier temps je vais essayer de voir ce que signifie le pneuma (l'esprit) dans le monde grec où est prêché l'Évangile. Si nous avions le temps, cela permettrait de repérer pourquoi on en est arrivé à des définitions comme celles des Conciles de Nicée et de Chalcédoine.
- Dans un deuxième temps, j'essaierai d'approcher la notion de rouah (esprit) dans le monde sémitique, en particulier dans l'Ancien Testament, et si nous avons le temps, dans le judaïsme à l'époque de Paul [le temps a manqué].
- Dans un troisième temps je passerai au Nouveau Testament avec quelques textes des synoptiques, puis je m'étendrai plus sur saint Paul avec quelques références à saint Jean.
1) Qu'est-ce que le pneuma (l'esprit) dans le monde grec ?
Esprit se dit pneuma d'où vient notre mot "pneumatique". En fait pneuma vient d'une racine pnu qui veut dire souffler, d'où les trois premiers sens :
- Le mot pneuma indique le souffle du vent, et cela peut être la tempête ou bien le vent favorable qui guide les bateaux ou encore la brise légère, c'est un élément constant.
- Le mot pneuma entraîne toujours l'idée de légèreté, de dynamisme, c'est quelque chose qui est intérieur et extérieur, qui est matériel et spirituel, qui est naturel mais aussi de l'ordre du divin.
- Quand on applique pneuma à l'homme c'est le souffle, la respiration, ce qui est porteur de vie.
● Le pneuma, dynamisme lié à la connaissance, à la fécondité….
Le mot pneuma a subi une évolution sémantique extrêmement importante, et le développement se fait vers ce qui est du côté de l'homme, donc de l'intérieur, plutôt que du côté de l'histoire, autrement dit, plus du côté du mouvement dans le monde que du côté des forces cosmiques.
Le mot pneuma est utilisé pour indiquer ce qui distingue l'homme de l'animal : c'est un des éléments qui avec l'eau, la terre, construit le corps humain mais en même temps le dépasse. Le pneuma indique presque toujours le dynamisme spirituel pour comprendre, et les Grecs font une distinction entre le noùs, le monde des idées qui donnent de la théorie, du savoir, et puis le pneuma qui anime le noùs et qui est en même temps un dynamisme[2].
En particulier un courant existe dans le monde de la religion grecque, par exemple dans la vieille tradition d'Homère, surtout dans l'Iliade : le pneuma est ce qui est sans origine mais qui est fécond : il faut être fructifié par le vent. Par exemple chez Homère il est lié à la jument blanche de Dardanos[3], c'est celui qui va apporter le principe de la victoire.
Par ailleurs l'Esprit apparaît lié au dieu Éros, le dieu de l'amour, du désir. Nous avons là quelque chose qui vient du monde égyptien : l'esprit comme étant le souffle du Dieu amour.
Le pneuma est aussi lié à la procréation et à la fécondité. Pour Pline : « Le vent est cet esprit qui engendre toutes les choses de la nature ici ou là comme est le fruit dans l'utérus[4]. » (Histoire naturelle, 2, 116) c'est-à-dire qu'il conçoit le vent cosmique comme ce qui permet la fécondité. Dans la pièce Les Suppliantes d'Eschyle[5], Zeus engendre dans le corps d'une femme son propre fils Epaphos en soufflant sur elle. On a donc même cette idée que le souffle du dieu peut produire une naissance merveilleuse.
● Le pneuma, lié à l'enthousiasme ou l'extase, à la divination.
Lié au thème mythologique de l'avènement du monde, le mot pneuma garde son aspect dynamique et vital, et des séries de phénomènes lui sont attribués.
1. Dans un premier courant l'esprit est enthousiastikon, il est celui qui crée l'enthousiasme, celui qui crée l'extase. C'est ce qui marque aussi bien l'ivresse dans le culte de Dionysos que la création poétique. Enthousiasme vient du verbe thuô, c'est donc l'esprit qui fait flamber, l'esprit qui fait monter, c'est celui qui fait sortir de soi. Ce courant apparaît un peu chez Paul, dans le phénomène de la glossolalie (les gens qui parlent en langues) en 1 Cor 12-14[6]. Il y a là un phénomène religieux qui est un peu semblable aux transes des derviches tourneurs et à ce qui se passait dans le culte dionysiaque. C'est un phénomène qui existe dans la communauté de Corinthe ; Paul l'apprécie moyennement, il les laisse faire mais leur demande de ne pas troubler l'ordre de la communauté.
En particulier le pneuma divin peut emporter l'homme vers ce qui est au-delà. C'est le sommet que d'être emmené par l'Esprit. Par exemple chez Paul l'Esprit est lié au thème de la révélation, c'est ce qui se produit pour lui sur le chemin de Damas (Actes 9). Mais Paul se refuse à en faire une qualité de son être.
2. Le deuxième courant est celui de la mantique[7], de la divination. Le pneuma est celui qui peut faire comprendre là où est le destin, il est alors liée au daïmon (au génie). Celui qui est pris par le pneuma, a le souffle coupé, la respiration saccadée, des mouvements désordonnés. Les caractéristiques qu'on en donne dans les textes grecs c'est que, dans l'état d'extase, on a la chevelure hérissée, une respiration saccadée, des mouvements désordonnés.
À l'inverse, dans le cas de la prophétie hébraïque, il y a une intériorisation, une concentration qui amène l'homme en tant qu'instrument divin, à un état de communication avec son Dieu. Dans l'Ancien Testament ce qui serait le plus proche du point de vue mantique, c'est certains états comme ce que connaît Ézéchiel[8]. Mais l'esprit prophétique dans l'Ancien Testament ne répond pas à ce qu'il en est dans la Pythie par exemple. En effet, ce que la Pythie apporte, ce n'est pas une parole qui crée l'histoire, ce n'est pas une parole qui oriente vers un nouveau déroulement du monde ; au travers d'énigmes la Pythie dit simplement le destin individuel contre lequel on ne peut pas renacler. Notez que la Pythie parle toujours en vers[9], c'est lié à l'inspiration des poètes.
Ce thème se trouve en effet dans les religions à mystères sous la forme de l'inspiration, il concerne le surgissement de la poétique[10]. L'Esprit est derrière les poètes, par exemple dans Hésiode, Euripide, Démocrite, cet aspect-là est très marqué. Il s'agit toujours ici d'inspiration poétique mais cela n'a rien à voir avec l'inspiration prophétique de l'Ancien Testament.
Voilà en gros au départ ce qui concerne le pneuma dans le monde grec.
● Le pneuma chez les philosophes, en particulier les stoïciens.
Cela évolue rapidement avec les philosophes. Ils mettent la raison (le logos) en première ligne, la considérant comme la plus profonde réalité, celle qui ne peut pas être possédée mais qui existe déjà dans l'au-delà, celle dont on ne peut voir que les apparences. Il y a quand même des idées, et ce qui permet d'entrer en contact avec ces idées, c'est le logos. Si bien que le penuma ici est opposé à ce qu'il en est de la matière.
Ils distinguent deux principes :
- le premier est un principe immatériel qui est plongé dans le monde : ce principe c'est le pneuma ;
- l'autre principe, c'est la matière, c'est le principe non dynamique, c'est ce qui tend vers la disparition et vers le néant. Et cette matière doit être animée.
Si bien qu'on a un dualisme, avec d'un côté le pneuma qui commande au noùs (à l'intellect) et de l'autre côté la matière.
Les stoïciens poussent cette division au degré maximum, car pour eux le monde entier tel que nous le vivons est un monde éclaté, un monde qui a une âme[11] qui est le pneuma – le pneuma devient l'âme du monde – et à côté de cela il y a la matière. Le pneuma qui est l'âme du monde était un feu – il est véritablement considéré comme le principe d'énergie –, malheureusement il a éclaté, explosé, et chacun des êtres et des hommes vit parce qu'il a simplement une étincelle de ce pneuma. Le but de la vie humaine, le but de tout ce qui vit, c'est de rassembler ces étincelles de pneuma pour que le pneuma du monde soit réuni en totalité. Au début il y a la catastase qui est une explosion primitive et une descente ; il faut faire à l'inverse, une apocatastase, à savoir la remontée, la réintégration. Par exemple Sénèque dit que dans le corps humain la raison n'est rien d'autre que la partie de l'esprit divin qui lui est donné, et qui est donc immergé dans la matière. Il dit aussi qu'il y a un esprit sacré qui est l'observateur et le gardien de toutes nos bonnes actions et de toutes nos mauvaises actions.
Dans la pensée stoïcienne, ce qui permet d'entrer en contact avec la réalité c'est d'abord le logos qui est le produit du noùs, c'est ce qui donne des idées, du savoir, donc ce qui donne une certaine maitrise. Chez les stoïciens le terme d' "idée" désigne quelque chose qui est harmonieux, c'est une loi que l'on doit établir, tant dans les lois physiques que dans les lois de la cité. Mais l'inspirateur de cette parole et de cette loi c'est le pneuma, l'étincelle de divin que chacun porte en soi.
Voilà donc grossièrement la façon dont les Grecs comprennent le pneuma (l'esprit). On voit tout de suite que pour eux le pneuma n'est pas un rapport, n'est pas une communion, n'est pas dans l'entre-deux, mais qu'il est une substance, quelque chose qui tient par soi, quelque chose qui a vie en lui-même et qui peut intervenir dans le monde pour le faire bouger. Ils sont donc tentés par un certain dualisme en mettant d'un côté la chair animée par le pneuma (donc une partie matérielle), et de l'autre côté une partie qui est spirituelle, éternelle, immortelle, etc.
2) Dans le monde sémitique.
Le système de pensée grec n'a pas que des défauts, il a conduit à la rationalité moderne, à la science et à la technique. Mais ce n'est pas du tout le modèle du monde qu'on trouve dans la révélation sémitique. En effet, dans l'Ancien Testament, jamais la rouah (l'esprit, le souffle, le vent) n'est conçue comme une substance, elle est toujours conçue comme une potentialité de rapport et de parole.
● La rouah est liée à l'odeur, à la vie, à la communication…
Le mot rouah n'a pas pour racine le verbe souffler, mais le verbe sentir, respirer au sens de "respirer une odeur"[12]. Cette racine, on la trouve en phénicien dans les textes d'Ougarit découverts par l'école française du Liban.
Le mot rouah indique donc d'abord le souffle en tant que l'odeur se répand. Et ce mot est attribué à l'homme : la rouah est le témoignage et l'attestation de la vie, par exemple en Gn 6, 17 et 7, 15. Si bien que pour les sémites et pour Paul en particulier, l'Esprit est toujours du côté du vivifiant. On ne se pose pas la question de savoir si c'est une substance, quelque chose qu'on peut définir, mais on considère que c'est ce qui permet de repérer qu'il y a la vie.
La rouah est quelque chose qui est tourné vers, orienté vers, si bien que, lorsque le mot est utilisé pour indiquer "le vent", c'est le vent en tant qu'il oriente. Ça peut être la brise légère qui conduit, mais ça peut être aussi le vent fort, la tempête et là ça conduit vers la ruine. Donc la rouah n'est pas considérée comme un principe substantivé mais comme un événement, comme quelque chose qui arrive. Quand Paul parle de "l'esprit de néant" (de vanité, de mensonge) en Rm 6, 26 par exemple, c'est le vent qui conduit à la mort. Voilà le sens originel du mot.
La rouah va du côté de l'odeur, c'est donc déjà un élément qui indique le contact, le rapport, et ce n'est pas quelque chose qui est immédiatement reporté sur un principe d'extériorité. Si bien que l'esprit que reçoit l'homme le met immédiatement en rapport avec Dieu. Pour autant, l'esprit n'est pas exactement quelque chose que Dieu donne, mais c'est le moyen que Dieu se donne pour être à l'homme, c'est le moyen que Dieu donne à l'homme pour être à Lui.
Tout de suite, dès le point de départ, l'esprit est considéré non pas comme une chose, non pas comme une entité, mais comme une réalité de communication, si bien que cette puissance de Dieu va être évidemment efficace en particulier dans la prophétie. La prophétie n'est pas une concentration de l'homme, n'est pas un resserrement dans le divin, n'est pas une sortie dans l'extase mais c'est la communication avec son Dieu. Par exemple dans Osée 9, 7 le prophète sera appelé ish rouah (l'homme de l'esprit), c'est-à-dire celui qui a la possibilité de communier avec Dieu.
L'Esprit est aussi, dans l'homme, ce qui indique son caractère, son désir, son humilité ou son orgueil, son désir de Dieu. En effet l'homme a le pouvoir d'utiliser ce qui ne vient pas de lui. Un sémite ne peut pas penser qu'il est vivant s'il n'a pas conscience qu'il a l'Esprit de Dieu. Ils vivent dans un monde qui n'est pas encore désenchanté. Leur monde est encore habité, et le souffle qui est le leur les relie à Dieu. C'est le Dieu des esprits (des souffles) sur toute chair (Cf. Is 42, 5 ; Ez 37, 6). Le mot "esprit de Dieu" est ce qui domine dans la Bible.
Le souffle est d'abord l'ouverture de la bouche et des lèvres, et on trouve souvent l'expression "souffle de sa bouche (ou de ses lèvres)"[13] : « Par la parole de Dieu, les cieux se sont formés, et par le souffle de Sa bouche (rouah pive), toutes ses légions » (Ps 33, 6). Et il sera dit : « Toute l'Écriture est "soufflée par Dieu" (théopneustos) » (2 Ti 3,16).
● Les hébreux distinguent la chair et l'esprit (basar et rouah, ou sarx et pneuma).
La chair et l'esprit ne sont pas deux composantes de l'être humain, ce ne sont pas deux éléments qui se combinent, mais ce sont deux modes d'être, deux façons d'exister :
- la chair c'est l'homme quand il est enclos sur lui-même, quand il est enfermé sur lui-même,
- l'esprit c'est l'homme aussi, mais en tant qu'il est ouvert à Dieu, qu'il est pénétré par Dieu, qu'il laisse la gloire de Dieu le pénétrer.
● D'où vient l'esprit mauvais ?
On a tellement conscience de ce rapport entre Dieu et l'homme qu'on refuse qu'il y ait un dieu bon comme origine de l'esprit bon, et un dieu mauvais comme origine de l'esprit mauvais. On trouve cela même dans les textes juifs les plus radicaux du point de vue du dualisme, donc dans les textes de Qumran. En particulier dans le Livre de la Règle, il y a la dualité des deux esprits, l'esprit de lumière et l'esprit des ténèbres, deux esprits radicalement opposés qui constituent chacun une nature, chaque homme étant prédestiné à un esprit bon ou à un esprit mauvais[14]. Cependant ces hommes de Qumran qui ont sans doute été influencés par la pensée perse n'ont jamais considéré un dieu bon et un dieu mauvais : jamais il n'y aura un dieu du bien et un dieu du mal. Et pour eux, même celui qui a reçu le bon esprit (l'esprit de lumière) peut commettre des fautes au moins par ignorance, d'où, dans les psaumes de Qumran, on s'adresse à Dieu pour avoir l'Esprit Saint et se convertir. Donc à côté d'un dualisme très marqué concernant ceux qui sont de la secte (ceux du peuple élu), il y a quand même le recours par la prière vers l'Esprit Saint de Dieu.
Donc dans la pensée authentique judéo-chrétienne il n'y a pas de source du mal. C'est pour cela que certains textes attribuent à l'Esprit de Dieu la création du démoniaque en l'homme. Ce sont des textes difficiles à interpréter. Par exemple Jg 9, 23 où il est question de la révolte d'Abimélek : « Puis Dieu envoya un esprit de discorde entre Abimélek et les notables de Sichem…. » Donc c'est Dieu qui envoie l'esprit de discorde, l'esprit du mal.
Il y a encore un autre texte fameux, 1 Samuel 19, 9 dont le récit a fait l'objet de plusieurs rédactions, celle du livre de Samuel et du livre des Rois étant reprise dans le livre des Chroniques. Il est dit que Dieu envoya un esprit mauvais pour tenter David, et que David qui a un royaume énorme se met alors à opérer le recensement[15] ; mais quand il a opéré le recensement et s'est enorgueilli, Dieu envoie la peste : Dieu envoie donc et l'esprit de tentation et la peste ! Cela choquera tellement les théologiens dans le déroulement de la révélation, que dans le Livre des Chroniques, on n'attribuera à Dieu ni la tentation ni la punition, on les attribuera au Satan (Satan qui est le lieutenant de Dieu) : on commence à faire intervenir un autre personnage que Dieu pour expliquer le mal. Pourtant, ce qui est bien maintenu – et ce qu'il faudra maintenir et que maintiendront Paul et Jean –, c'est qu'il n'y a qu'un seul Dieu, il n'y a pas de principe du mal en dehors de Dieu. Il faudra bien essayer de penser ce rapport qui est le rapport même de la création.
Dans cette période-là on sent bien qu'il y a des forces du mal (des forces de division, des forces de tension) qui conduisent au meurtre ou à la mort (dans le cas du recensement de David, ce sont des milliers d'hommes qui meurent de la peste). Ce qui est profond dans cette révélation, c'est qu'on se refuse à mettre un concurrent à Dieu, on se refuse aussi à expliquer le mal uniquement par le péché de l'homme. On ne s'intéresse pas à la cause, on s'intéresse uniquement à ce qui se produit et à ce qui advient. C'est dans cette période relativement tardive que Dieu apparaît comme le diviseur, et l'esprit comme force de division.
Dans la pensée juive de l'époque, rares sont les textes qui manifestent un universalisme (il y a quand même Tobie et Jonas). Pour les rabbins, tous les juifs seront sauvés à la fin des temps à cause des mérites d'Isaac, tandis que pour les hommes de Qumran, ne sont sauvés que les fidèles de la secte. On combat les païens mais aussi les autres juifs qui se plient aux coutumes grecques et romaines. Le dualisme passera dans l'Église, on le retrouve par exemple dans le Pasteur d'Hermas, un texte écrit à Rome dans les années 135 après JC, et dans les Homélies clémentines (début du IVe siècle) qui opposent le mauvais roi qui domine le monde présent et le bon roi qui gouverne le monde à venir. La Didaché (début du IIe siècle), elle, parle de deux voies : « Il y a deux voies dans le monde, celle de la vie et celle de la mort, celle de la lumière et celle des ténèbres. »
● Isaïe 31, 1-3 : deux modes de présence au monde.
Comment apparaît l'Esprit de Dieu, celui qui crée les prophètes, qui anime les prêtres, qui opère dans le charisme des chefs, du roi en particulier ? Ceci est très bien indiqué dans un beau texte d'Isaïe 31, 1-3 : c'est une prophétie contre l'Égypte. C'est écrit dans le milieu où l'on cherche à trouver une protection auprès des Égyptiens, et le prophète dit :
- « Malheur à ceux qui descendent en Égypte chercher protection, qui mettent leur espoir en des chevaux, qui mettent leur confiance dans des chars qui seraient nombreux, dans une cavalerie importante, mais qui n'ont aucun espoir dans le Saint d'Israël et qui ne consultent pas Yahvé (…) – et voici le texte qui nous intéresse – l'Égyptien est un homme et non un dieu, ses chevaux sont chair et non esprit. Quand YHWH tendra la main pour faire trébucher, le protecteur trébuchera et le protégé tombera et tous ensemble ils périront. »
La chair c'est le fragile, l'éphémère, le mortel. L'homme est issu de la terre alors que l'Esprit c'est la dynamique, la vie, ce qui fait tenir. Et ça, on doit le reconnaître à ses fruits (Is 32, 15 sq).
On a donc deux oppositions parallèles qui nous permettent de saisir comment ils pensent ce qu'est l'Esprit de Dieu :
– d'un côté il y a ceux qui mettent leur confiance dans des alliés, dans un rapport humain, en quelqu'un dont les chevaux sont chair, or la chair c'est ce qui est fragile, éphémère, mortel ; ça peut être bon, harmonieux, impressionnant, mais ça laisse l'homme seul. C'est l'homme, Adam, l'homme véritablement seul et fermé sur lui.
– tandis que de l'autre côté il y a la rouah, c'est la dynamique, la vie, c'est ce qui fait tenir.
Donc l'opposition n'est pas entre deux principes, elle est entre deux modes de communication, deux modes de présence au monde.
● Isaïe 32, 15-17 : l'Esprit reconnu à ses fruits.
On reconnaît l'Esprit à ses fruits, et Isaïe le dit en 32, 15-17, on a ici le début de la conception du salut : « …jusqu'à ce que soit répandu sur nous l'Esprit qui vient d'en haut. – on voit tout de suite le thème, non pas d'une chose qu'on possède, mais de quelque chose qui est un intermédiaire, quelque chose qui est répandu, semé – Alors le désert deviendra un verger, le verger se changera en forêt. Dans le désert demeurera le droit, et la justice habitera le verger ; la justice produira la paix et le droit une sécurité perpétuelle. »
Donc on ne peut pas savoir d'où vient l'esprit dès le point de départ, mais on peut toujours le reconnaître à ses fruits.
L'Esprit de Dieu c'est ce qui est semé, ce qui doit se développer ; c'est ce qui met en accord avec Dieu, ce qui est la force créatrice de renouvellement. On trouve cela par exemple en Ps 51, 12-13, dans les grandes promesses messianiques (Is 11, 2), dans les promesses de l'accomplissement (Ez 36, 26-27).
● Où est l'Esprit ?
Mais l'Esprit de Dieu n'opère pas simplement dans l'individu, il opère dans l'histoire, et c'est ici une des dimensions essentielles de l'Esprit de Dieu. Ce qui est visé, ce n'est plus la divinisation de l'homme comme c'était le cas dans la religion et la philosophie grecques, ce n'est pas non plus la divinisation telle qu'elle se jouait dans la religion égyptienne. Ce qui est en cause c'est une communion et une participation entre Dieu et l'homme, c'est une rencontre entre deux libertés, et cela donne un autre aspect au monde, en établissant la justice, le droit, la paix.
Donc l'Esprit va être dans la rencontre, et c'est pour cela que les questions les plus importantes vont être : où ? et quand ?
Où et quand, ce ne sont pas des accidents[16], mais cela est donné comme essentiel, comme le lieu où l'on rencontre Dieu. L'Esprit est dans les grands leaders, les grands chefs charismatiques, aussi bien avec Déborah que dans Saül au début, et que dans David en particulier. L'Esprit apparaît toujours comme une invitation, et une invitation pressante.
Par exemple l'Esprit est présenté comme celui qui saute sur Saül : il s'empare de lui parce qu'il veut faire la rencontre (1 Sam 10, 6-10).
On dit aussi que Dieu partage son Esprit (Nb 11, 24).
Si bien que le peuple d'Israël, comme l'individu, saura qu'il est en communion et en rapport avec son Dieu comme le dit Job : « C'est le Souffle de Dieu qui m'a fait, c'est l'haleine de Shaddaï qui m'anime » (Jb 33,4).
Mais ce qui concerne l'Esprit va encore plus loin, et c'est ce magnifique passage du début de la Genèse (Gn 1, 1-2) quand il y a l'entre-deux qui est établi : l'Esprit de Dieu est sur l'abîme, il couvre la terre. Certains ont pensé au mythe de l'œuf du monde, mais je ne suis pas certain que l'auteur ait pensé à cela. Ce qui est certain, c'est que l'Esprit est à la fois ce qui sépare et ce qui unit : l'Esprit qui plane sur les eaux, c'est ce qui sépare Dieu des hommes, mais c'est aussi ce qui met en communion les hommes et Dieu. Il y a ici l'idée qu'il ne peut pas y avoir de fusion et de confusion entre Dieu et l'homme, mais qu'il peut y avoir le rapport de deux libertés.
C'est donc un rôle vaste qui est attribué à l'Esprit : l'Esprit est dans la parole qui crée, dans la parole qui sépare (qui trie) et dans la parole qui renouvelle.
On voit tout de suite que je ne peux pas réduire cette réalité de l'Esprit dans une formule comme celle de la troisième Personne de la Trinité ! Il s'agit bien de ce Dieu qui ne cesse de venir, de ce Dieu qui advient continuellement en lui-même, qui ne fait pas que se reproduire dans son Fils qui sera un homme, mais c'est un Dieu qui se communique et qui est donné aux hommes. C'est ce qui est répandu pour faire l'unité, si bien que Paul pourra dire : « Le Seigneur c'est l'Esprit » (2 Cor 3, 17). Pour lui, il y a une telle communion entre l'Esprit et le Ressuscité qu'on ne peut pas matériellement, ni d'un point de vue plus haut, les distinguer. Simplement ce qui est différent, c'est la communication qui n'est pas la même pour le Père, le Fils et l'Esprit.
3) Le thème de l'Esprit dans le Nouveau Testament.
Je saute finalement le judaïsme au temps de Paul pour arriver à l'Esprit dans le Nouveau Testament.
a) Le thème de l'Esprit dans les synoptiques.
● Mc 3, 28-30, le péché contre l'Esprit.
Je vais prendre d'abord un texte qui fait vraiment difficulté : Mc 3, 28-30. Jésus vient de parler du royaume divisé contre lui-même. Il vient donc d'essayer de traiter d'un très gros problème sur, celui de l'exclusion et de l'intrusion, celui du dehors et de l'intérieur. C'est un problème lourd puisque dans l'Église il a été appliqué par l'excommunication, il a conduit aux croisades, il a conduit aux guerres de religion. Jésus conclut par ces versets que je lis :
- « En vérité je vous le dis, tout sera pardonné aux enfants des hommes, les péchés et les blasphèmes, tant qu'ils en auront proféré, mais quiconque aura blasphémé contre l'Esprit Saint n'aura jamais de pardon, il est coupable d'une faute éternelle. C'est parce qu'ils disaient : “il est possédé d'un esprit impur”. »
La question, on la pose généralement en disant : quel est le blasphème contre l'Esprit pour lequel il n'y aurait pas de rémission ? et on essaie de trouver une faute spécifique, une faute particulière qui serait la plus grave, celle qu'on ne remettrait pas. On a tendance à chercher un péché qui serait vraiment contre l'Esprit.
Je remarque d'abord que ce texte de Marc est très dépendant du langage de Paul et c'est assez étonnant :
- Vous avez "les fils de l'homme" qu'on a traduit par "les enfants des hommes". En grec c'est huioï anthrôpôn, les fils des hommes, une expression qu'on trouve en Ep 3, 5 («Ce mystère, Dieu ne l'a pas fait connaître aux enfants des hommes comme maintenant »), donc dans la pensée paulinienne. Il s'agit de l'opposition entre les fils des hommes et le fils de l'homme je crois qu'il n'y a pas de difficulté là-dessus.
- Vous avez le fait qu'il n'y a pas de rémission (de remise), une formule qu'on a traduite par "n'aura jamais de pardon", mais littéralement c'est "n'a pas de rémission (pas d'effacement)", et c'est encore une formule paulinienne (Rm 1,27 et 4,7 ; 1Cor 7,11-13)
- De même il est dit "une faute pour l'éternité", ce qu'on a traduit par "une faute éternelle" mais c'est eis ton aiôna, "pour l'éternité" (et non pas "pour les siècles des siècles"). On trouve cette formule chez Paul.
- Enfin on ne trouve pas le mot hamartia (péchés, faute) mais amartêma qu'on ne retrouve que chez Paul (Rm 3, 25 ; 1Cor 6, 18).
Donc, à mon avis, pour essayer de comprendre ce texte, il est de bonne méthode de le rapprocher de la pensée de Paul.
Qu'est-ce qui est dit ? Il est dit que l'essence même de l'homme c'est d'être pardonné, c'est d'être continuellement celui qui a besoin de recevoir ce qui le dépasse, le don qui est par-delà. L'essence de l'homme c'est d'être continuellement réconcilié, c'est de se retrouver dans la mouvance de la gratuité et d'être appelé au-delà même de ce qu'il désire. À plus forte raison, il est bien certain que ce n'est pas à cause de ses mérites que l'homme peut être pardonné, si bien que la faute contre l'Esprit, c'est tout simplement l'homme qui n'accepte pas de s'ouvrir, c'est l'homme qui n'accepte pas que le pardon lui soit donné, c'est l'homme qui n'accepte pas qu'il y ait communion avec son Dieu, soit qu'il le nie, soit qu'il prétende se justifier.
Ce texte est confirmé par Mt 12, 24-32 : « Aussi, je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas remis. Et si quelqu'un dit une parole contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis ; mais s'il parle contre l'Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l'autre. » C'est exactement le même sens : si quelqu'un dit quelque chose contre le Fils de l'homme, contre Jésus de Nazareth, contre celui qui parle peut-être mal, contre celui qui a l'accent rocailleux d'un Galiléen, peut-être s'il dit quelque chose, cela lui sera pardonné ; mais celui qui parle contre l'Esprit, c'est-à-dire qui ne reconnaît pas la grâce dans le Christ ressuscité, celui qui ne reconnaît pas l'événement du salut et ce qui est donné, ne peut pas être sous le pardon. Il y a donc ici, l'opposition de deux modes d'être : ou bien simplement être avec le Fils de l'homme dans une vie humaine limitée aux hommes, ou bien être dans la foi et être vraiment dans la résurrection.
C'est aussi l'opposition entre deux modes d'être au Christ : le Christ comme Fils de l'homme vivant comme un homme, en tant qu'il apparaît comme un prophète ; et il y a le Christ comme ressuscité, celui qui a fait le passage, celui qui est devenu Esprit (« car le Seigneur est Esprit » dira saint Paul).
Nous on a tendance à penser le Père / le Verbe / l'Esprit comme trois individus. Je ne pense pas que ce soit ainsi que pense Paul. De même qu'il voit Jésus révélé Fils de Dieu par la résurrection d'entre les morts (Rm 1, 4), il le voit comme l'origine de tout pardon, de toute rémission des péchés, et pour lui c'est ça l'Esprit (le pneuma). L'Esprit c'est donc admettre que le salut m'est nécessaire pour vivre authentiquement, c'est reconnaître que ce salut me vient par le pardon, le don qui est par-delà. Ce don qui est par-delà, c'est l'amour de Dieu qui est dévoilé par la résurrection d'entre les morts. Il n'y a pas d'autre révélation de l'être de Dieu que dans le Christ Jésus. Or l'être de Dieu qui est révélé, c'est le Dieu qui pardonne et non pas celui qui juge. Si je blasphème contre l'Esprit, si je n'accepte pas que le pardon vienne de Dieu qui me le donne, si je mets le pardon en dépendance de mes bonnes actions, de mes mérites, alors je ne reconnais pas l'Esprit et je ne suis pas dans le pardon.
On voit :
– que l'Esprit apparaît bien comme étant quelque chose dont on ne sait d'où il vient ni où il va, puisqu'on ne peut pas le posséder, puisqu'on ne peut que le rencontrer dans la foi ;
– et que l'Esprit est forcément quelque chose de dynamique, non pas celui qui ne fait qu'effacer le passé, mais celui qui conduit jusqu'au bout la création nouvelle, celui qui était à l'origine du monde et qui, maintenant, se trouve être le Christ ressuscité : l'Esprit Saint n'est pas autre chose que le Seigneur ressuscité. On pourrait retrouver la même affirmation sur l'Esprit de Dieu dans les récits de miracles. L'Esprit apparaît comme celui qui est la force, comme celui qui est communiqué, et là les synoptiques poussent à bout ce qu'il en est de l'Esprit de l'Ancien Testament : c'est ce qui apporte la délivrance et le salut.
● L'Esprit au Baptême de Jésus
Dans les synoptiques on voit aussi l'Esprit apparaître dans un rôle assez étonnant, c'est dans le monde de la révélation : l'Esprit apparaît dans le Baptême de Jésus. Le Baptême de Jésus, on sent bien que ce n'est plus simplement l'appel d'un prophète. Certes, l'Esprit était communiqué aux prophètes, certes ils avaient reçu l'onction de l'Esprit, mais ici, c'est une consécration qui entame un processus de renouvellement et de présence de Dieu différent. Dans le Baptême de Jésus, non seulement il y a l'ouverture des cieux – les cieux qui se déchirent comme dit saint Marc –, non seulement il y a l'appel de la terre représenté par Jésus qui se fait baptiser par Jean-Baptiste dont il est devenu le disciple, mais il y a surtout entre les deux, dans l'entre-deux, l'Esprit de Dieu qui se manifeste.
Dans l'événement chrétien, il y aura toujours la présence de l'Esprit, et on sera dans l'entre-deux, ce sera dans la rencontre et dans la communication. On ne possède pas l'Esprit, il est ce qui met en communication. Au Baptême il est signifié par l'apparition de la colombe – la colombe c'est le symbole du peuple tout entier en marche vers la plénitude dernière. L'Esprit apparaît de nouveau comme la barrière, comme la séparation entre le ciel et la terre, mais aussi comme l'élément de communication.
Il y a beaucoup d'autres textes, par exemple dans l'envoi en mission (Mt 28, 19).
● L'Esprit dans les récits de l'enfance.
Je voudrais rappeler simplement aussi le fait de la présence de l'Esprit dans les récits de l'enfance. Ce qui apparaît de neuf dans les récits de l'enfance, c'est que l'Esprit n'est plus une force divine extérieure. Même si elle est autre, même si elle ne se confond pas, elle est au cœur de l'acte et de la personne (par exemple Lc 4, 1 ; Lc 1, 35) si bien que ce qui se joue, c'est le fait que la distance entre Dieu et les hommes n'est pas dans l'opposition entre un ciel perdu et une terre dans laquelle nous habitons ; la distance est entre l'être de Dieu et nous-mêmes, mais Dieu qui se fait tout proche, si bien que Jésus ressuscité va être celui qui répand l'Esprit (cf Lc 24, 49 ; Ac 2, 37).
Si bien que, même pour les synoptiques, le kaïros, le temps de l'Esprit, n'est pas à concevoir comme un instant ni comme une époque, mais le temps de l'Esprit (le lieu où il se révèle) c'est évidemment l'Église.
Par exemple dans la version du Notre Père (Lc 11, 2) qui se trouve dans le codex de Bèze[17] qui se trouve à Lyon, on a non pas « que ton règne arrive » mais « que ton Esprit vienne sur nous et qu'il nous purifie ». Le thème du règne est donc interprété comme la présence de l'Esprit sur nous.
Voilà donc, pour les synoptiques l'Esprit n'est pas d'abord défini comme une personne – je ne crois pas que dans le Nouveau Testament il y ait une allusion à la troisième personne de la Trinité même s'il y a quelques formules trinitaires.
L'Esprit est toujours un don reçu non seulement dans la proclamation mais dans ce qui fait advenir l'élément originel (l'élément fondateur) : il est là à la naissance de Jésus, dans son Baptême, dans la résurrection où il répand l'Esprit.
b) Le thème de l'Esprit dans saint Paul.
Le problème est de savoir à qui saint Paul se réfère : se réfère-t-il au courant grec dont il possède la culture, c'est-à-dire est-il dans la lignée des gnostiques et des stoïciens et donc tributaire de la pensée grecque, ou bien au contraire, reste-t-il profondément juif mais en poussant jusqu'à l'extrême ce qu'il en était de l'Esprit ? Je pense que, alors même qu'il semble parler selon la pensée grecque, il reste dans la lignée juive.
Pour saint Paul il n'y a pas beaucoup de différence entre l'Esprit Saint, la liberté, l'agapê et la communion. Quand il utilise l'un de ces quatre mots c'est toujours pour viser la réalité dernière, ce qui est essentiel dans la foi mais qui n'est pas réservé à la fin des temps, qui est déjà maintenant actif profondément dans les croyants.
Je vais essayer d'approcher cette réalité qui est l'Esprit pour saint Paul, c'est différent de ce qui est dit dans les Conciles…
● Selon la chair / selon l'Esprit.
Pour Paul le pneuma (l'Esprit) c'est ce qui relie l'homme à Dieu, c'est l'homme ouvert sur Dieu, c'est Dieu communiqué à l'homme.
Et il distingue deux modes d'être :
- kata sarka (selon la chair) ;
- kata pneuma (selon l'Esprit).
Pour Paul il s'agit de deux régions (deux mondes, deux modes d'être).
● 1 Tim 3, 14-16
Un des plus beaux textes à ce sujet se trouve dans la première lettre à Timothée qui fait partie des épîtres pastorales, et celle-ci a des chances d'avoir été écrite en partie par Paul ou par des disciples qui le connaissaient bien. En particulier on y trouve une sorte d'hymne[18].
« En t'écrivant cela j'espère te rejoindre bientôt. Si toutefois je tardais, il faut que tu saches comment te comporter dans la maison de Dieu (comment vivre en chrétien), je veux dire l'Église de Dieu vivant – une notion extrêmement importante pour Paul (qui sera reprise par les synoptiques), c'est que Dieu n'est pas simplement le vivant lui-même, mais il est le vivifiant, et ce sera une des caractéristiques de l'Esprit – colonne et support de la vérité. Ah oui, on peut le dire, il est grand le mystère de la piété – la traduction n'est pas bonne, ici la piété (eusébéia) n'est pas la dévotion personnelle, la piété c'est ce qui fait le pont, ce qui met en communication, ce qui fait le lien.
Et vient ici ce grand passage –: il a été manifesté dans la chair, il a été justifié dans l'Esprit, il a été vu des anges, il a été proclamé chez les païens, il a été cru dans le monde, il a été enlevé dans la gloire. »
Ce texte est bâti avec des chiasmes c'est-à-dire avec des rapports des mots deux à deux. Je vais insister sur ceux qui nous importent ici :
- la chair est opposée à l'Esprit ;
- les anges sont opposés aux païens ;
- le monde est opposé à la gloire.
Vous avez donc
- une première série de trois réalités sur le même plan : la chair, les païens, le monde ;
- une deuxième série de trois réalités sur le même plan : l'esprit, les anges, la gloire.
Et c'est très bien bâti : A, B, B', A', A'', B'' :
A il a été manifesté dans la chair,
B il a été justifié dans l'Esprit,
B' il a été vu des anges,
A' il a été proclamé chez les païens,
A'' il a été cru dans le monde,
B'' il a été enlevé dans la gloire
Qu'est-ce que Paul veut dire dans ce texte ? Il s'agit de l'événement total de salut, il s'agit vraiment de l'épiphanie de Dieu qui produit l'événement du salut et donc la paix et la joie. Le mystère de la relation à Dieu a été manifesté à ceux qui ont été des inutiles, à ceux qui ont manqué le travail, et il apparaît aux anges, même s'ils sont dans le domaine du divin. Et cela a été évidemment annoncé, proclamé chez les païens (dans la non-foi). Cela a été cru dans le monde – c'est la foi qui lève dans le monde –, mais alors il a été enlevé dans la gloire.
Ce qu'est l'Esprit dont parle Paul c'est à la fois ce qui, au cœur même de la mort et de la résurrection du Christ est la justice de Dieu. La justice de Dieu, cette puissance de Dieu qui sauve, c'est l'Esprit lui-même. On est kata pneuma (selon l'Esprit) si on reçoit l'événement du salut, si on sait en tirer toutes les espérances, si on sait en garder toute la joie.
- d'une part l'Esprit est donc ce qui met en communication avec l'au-delà, exprimé ici par les anges, exprimé aussi par la gloire de Yahvé, gloire qui est l'être même de Dieu, le poids de Dieu.
- d'autre part l'Esprit est formellement opposé à ce qui est mortel, à la chair, à ce qui est du monde du refus, aux païens et à ce qui est du monde du néant.
Voilà comment Paul définit cela, et ce n'est pas de structure grecque du tout. C'est l'événement qui se produit, cela ne se produit pas par un état, cela se réalise dans un mystère qui est vécu.
Donc essentiellement pour Paul l'Esprit est un mode d'être et pas un élément constituant de l'homme. Il n'y a pas de division tripartite chair / âme / esprit mais il y a l'homme tout entier qui peut être ou bien clos sur lui-même (enclos sur l'éphémère) et donc voué à la mort, ou au contraire celui qui est ouvert, qui est dans le monde du dynamisme, le monde de la nouvelle orientation si bien que Paul parlera de « la puissance de l'Esprit » (Rm 15, 19).
● Ph 2, 6-11
Cela commence par une descente a lieu dans les versets précédents : « Lui qui était de forme divine, il n'a pas tenu comme un "harpagon" (jalousement) son égalité à lui (le fait d'être égal à lui) mais il s'est anéanti lui-même, prenant la condition d'esclave et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'abaissa plus encore, obéissant jusqu'à la mort et à la mort sur une croix – c'est ici que l'on voit très bien les oppositions – aussi Dieu l'a-t-il exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout – or il n'y a pas d'autre nom au-dessus de tout nom, que celui de Dieu, celui du Père, l'Esprit ; le Dieu nommé, c'est l'Esprit – pour que tout, au nom de Jésus, s'agenouille au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu'il est Seigneur à la gloire du Dieu le Père. » Voilà un des grands textes qui situe bien là où est l'Esprit de Dieu.
Dans Rm 8, 11 on a le rapport à la résurrection du Christ, le rapport au Dieu qui ressuscite, l'Esprit comme événement : « Si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité le Christ d'entre les morts vivifiera aussi vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » Il n'y a pas de différence entre le Christ et l'Esprit de Dieu : être dans le Christ c'est être dans l'Esprit ; demeurer dans le Christ, c'est demeurer dans l'Esprit.
Le nouveau mode d'être qui est égal au Seigneur exalté et ressuscité, Paul le conçoit comme ce qui est envoyé par le Christ, ce qui est sa pensée, sa parole, son action, l'événement fondateur qu'il a posé en nous.
● L'Esprit et le dévoilement du mystère.
Je pense que l'Esprit est conçu comme une force qui n'est ni magique ni éthique, mais qui est un contact, une rencontre, quelqu'un de vivant qui nous saisit et que nous rencontrons, et qui vient du Christ ressuscité. L'Esprit n'est jamais vu comme quelque chose qui est possédé, détenu. Il n'est vu qu'au travers d'un événement, au travers de ce qui nous advient.
Il ne faut pas oublier que pour Paul c'est dans l'origine – c'est-à-dire dans le maintenant – qu'il y a le mystère (mystêrion). Le mystère, il ne le rejette pas en 33 après Jésus-Christ, et il le dit : le mystère (le sacramentum) c'est ce qui se vit dans la communauté assemblée, c'est là qu'on célèbre la manifestation du Christ dans la chair, c'est là qu'on peut voir la justice qui vient de l'Esprit, etc.
Ce qui compte pour Paul c'est l'événement, le fait que l'Esprit va être répandu et que c'est par la communion à l'événement que s'établit une unité d'existence avec le Christ (1 Cor 6, 14-17). L'idée c'est : on est des hommes dispersés (des enfants de Dieu dispersés), le seul qui rassemble c'est celui qui est répandu, c'est l'Esprit. Il faut que l'Esprit soit répandu pour qu'il puisse reconstituer une unité.
Et l'Esprit c'est le Dieu qui se communique. Je ne vais pas le penser comme une individualité que je rabouterai avec le Fils et le Père qui seraient deux autres ! Dans l'épiphanie de Dieu, il y a le Fils qui se dévoile, il n'y a pas d'autre connaissance de Dieu qui celle qui vient dans sa mort et sa résurrection, et il n'y a pas de Dieu agissant sinon par l'Esprit de Dieu qui est communiqué, qui est aussi l'Esprit du Christ ressuscité.
On retrouve chez saint Paul le même critère que dans l'Ancien Testament : l'Esprit de Dieu est reconnu à ses fruits. Or les fruits, c'est le corps du Christ, le sôma Christou. Il n'y a pas d'autre corps du Christ ressuscité que l'Église qu'il se donne. Le mode d'être de ce Jésus, c'est d'être dans l'Église et d'y être efficace et vivant. On a cela dans 1 Cor 12, 13 : « Nous avons tous été baptisés en un seul corps, juifs ou grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d'un seul Esprit. »
Il y a aussi 2 Cor 3, 17-18, un des textes majeurs de Paul. Il s'agit de la comparaison avec Moïse : « C'est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe. Car le Seigneur c'est l'Esprit, et où est l'Esprit du Seigneur là est la liberté. Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, toujours plus glorieuse, comme il convient à l'action du Seigneur qui est Esprit. »
Il n'y a pas de distinction formelle entre Jésus ressuscité et l'Esprit. Il n'y a qu'un mode de présence : l'Esprit c'est le Ressuscité tel qu'il nous est présent.
● Père, Fils, Esprit en 2 Cor 13, 13.
On trouve dans ce texte une formule trinitaire… mais Paul ne pense pas ici aux trois Personnes : « La grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu le Père, la communion du Saint Esprit soit avec vous tous. »
Paul a le sens de l'unité et de l'unicité de Dieu ici, mais en même temps il a bien conscience que ce Dieu un est "avec vous tous", il n'est pas à chercher dans n'importe quelle doctrine, quelle philosophie ou théologie, ce Dieu un, on peut le rencontrer dans un acte.
Originellement :
- il y a le principe, donc le Père,
- Jésus Christ l'égal du Père, il a la grâce : il est celui qui a traversé la mort, ce qui l'a fait devenir Seigneur à cause de la résurrection ;
- puis il y a l'Esprit de sainteté, c'est à dire la puissance de Dieu qui est à l'œuvre, elle est dans l'unité de ceux qui croient,
si bien que cette annonce trinitaire parle d'un Dieu un qui, pour être unique, n'en est pas moins trois, et les trois sont identiques, égaux, pas confusibles. Je ne peux mettre Jésus-Christ sans la mort et la résurrection, donc sans la grâce ; je ne peux mettre l'Esprit s'il n'y a pas la résurrection du Christ et le surgissement de l'Église. C'est beaucoup plus dans un dynamisme qui se réalise la Trinité chez Paul.
c) Le thème de l'Esprit dans l'évangile de Jean[19]
● Chez Jean l'Esprit Paraclet.
Saint Paul dit : « L'Esprit lui-même rend témoignage avec notre esprit... » (Rm 8, 16). Mais "témoignage" ne veut pas dire qu'on apporte de l'extérieur une attestation au Christ. Le témoignage c'est là où se dévoile la vérité. Or il n'y a pas d'autre témoignage de Dieu – c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'autre lieu pour trouver Dieu – que le Christ qui meurt en croix et qui ressuscite. D'après Paul il n'y a pas d'autre lieu pour recevoir l'Esprit que de se tourner vers le Mort-Ressuscité et il n'y a pas d'autre lieu pour le retrouver que dans son Église.
C'est cet Esprit qui est appelé "Paraclet" chez Jean, mais qu'est-ce que c'est ?
1. C'est la parole qui dit « Lève-toi… et marche » (Jn 5, 8), la parole qui me met debout ; l'Esprit est là chaque fois que je lis une parole et qu'elle me fait me tenir debout, qu'elle me met en marche : le Paraclet c'est d'abord la parole qui invite. C'est la même chose que « Réveille-toi, toi qui dors, Relève-toi d'entre les morts, Et Christ t'éclairera » (Ep 5, 14), toutes ces formules.
2. C'est aussi la parole qui console, qui intercède, une parole d'avocat : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donne » (Jn 15, 16) : "tout", non pas les petites choses, vos petits désirs, il n'en a que faire, mais c'est la totalité de ce que vous demandez, la totalité du désir qui vous porte, la totalité de ce que vous désirez être. Cela sera réalisé, ça viendra à maturité et à moisson.
3. Enfin c'est la parole qui envoie.
Voilà ce qu'est le témoignage pour Jean, et c'est la même chose pour Paul : il faut que l'Esprit soit répandu.
● Trois symboles de l'Esprit chez Jean :
Et ce qui est intéressant c'est que dans Jean, l'Esprit est répandu comme trois réalités : le souffle, l'eau, le sang.
1. Il est répandu comme le souffle dont on ne sait ni d'où il vient ni où il va[20] (Jn 3, 8), c'est-à-dire qu'il est répandu comme le mystère qui conduit de l'inconnu de Dieu vers l'insu de la résurrection. L'Esprit est celui qui nous pousse de l'être même de Dieu à l'être qu'on formera avec lui dans le Christ.
2. Il est répandu comme l'eau, et c'est l'allusion à l'eau qui purifie et qui constitue. L'eau est répandue à partir du croyant d'après Jn 7, 35-39 : « 37Dans le dernier jour qui est le grand jour de la fête Jésus se tint debout et cria disant : “Si quelqu'un a soif, qu'il vienne près de moi, et qu'il boive, 38celui qui croit en moi, selon que le dit l'Écriture, des fleuves d'eau vivante couleront de son sein” » 39Il dit ceci à propos de l'Esprit que devraient recevoir ceux qui croiraient en lui car il n'y avait pas encore d'Esprit puisque Jésus n'avait pas encore été glorifié.»
3. Il est répandu comme le sang c'est-à-dire qu'il est répandu comme la justice de Dieu. Il est répandu non plus comme le sang qui expie mais comme le sang qui est transformé en la moisson éternelle. C'est pour cela que Paul lie étroitement l'Esprit à la foi : on ne peut pas vivre selon la sagesse humaine, on ne peut que vivre selon la sagesse qui est cachée dans le mystère de Dieu, le mystère des profondeurs de Dieu qui se dé-couvre : c'est ce qui a été donné gratuitement dans la croix du Christ.
On pourrait voir aussi :
- À la croix, il y a le fameux coup de lance qui fait que de son côté sortent sang et eau qu'on peut mettre en rapport avec l'Esprit comme le suggère saint Jean en 1Jn 5, 6-8.
- Après la résurrection, Jésus ressuscité souffle sur les apôtres : « Recevez l'Esprit Saint, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez… » (Jn 20, 22-23). Évidemment, si vous savez que le pardon est donné, vous n'avez qu'à leur annoncer la foi et le pardon est arrivé. Et ceci s'adresse non pas à des prêtres qui vont faire la bénédiction, mais à toute la communauté qui transmet.
[1] « Il y aura un temps où on vivra en esprit. Il durera jusqu'à la fin du monde, et a commencé avec le bienheureux Benoît. Dans l'un on a été sous la loi [l’âge du Père va de la création à la naissance du Christ], dans l'autre nous sommes dans la grâce, dans le troisième, que nous attendons prochainement, nous serons sous une grâce plus abondante. Le premier est l'âge de la servitude servile, le second de l'obéissance filiale, le troisième de la liberté. Le premier est l'âge de la crainte, le second de la foi, le troisième de la charité. Le premier est l'âge des vieillards, le second celui des jeunes gens, le troisième celui des enfants. » (Joachim de Flore, Exposition de l'Apocalypse)
[2] Le pneuma n'est donc pas exactement le noùs, mais le problème c'est qu'en traduction française on a souvent le même mot esprit pour noùs et pneuma. Par exemple en Lc 24, 45 ou trouve « Il leur ouvrit l'esprit (noùn) à l'intelligence (suniénaï) des Écritures », et il faudrait traduire : « Il leur ouvrit l'intelligence à la compréhension des Écritures. » Paul distingue clairement les deux en 1Cor 14, 14 : « Si je prie en langues, mon esprit (pneuma) prie, mais mon intelligence (noùs) est stérile. »
[3] Dans l'Iliade, Homère identifie le cheval aux nuages et au vent, véhicules de l'Esprit. Dardanosest fils de Zeus et d'Electra, il est considéré comme l'ancêtre légendaire des Troyens. Il semble avoir eu 12 juments aussi rapides que le vent du Nord.
[4] « Mais il importe beaucoup de distinguer le souffle et le vent. Ces vents réglés et durables qui se font sentir, non à une localité, mais à de vastes contrées; qui ne sont ni une brise ni une tempête, mais qui se montrent mâles jusque dans leur nom, soit qu'ils naissent du mouvement continuel du monde et du mouvement contraire des astres, soit qu'ils émanent de ce souffle fécond qui anime la nature entière, et qui s'agite çà et là comme dans une espèce de matrice (hic est ille generabilis rerum naturae spiritus, huc illuc tamquam in utero aliquo vagus). » (Traduction Remacle)
[5] C'est l'unique cas où un Dieu engendre un fils divin dans une femme mortelle (Io, la fille du roi d'Argos), et cela par son souffle. Epaphos est décrit comme « fruit de l'attouchement de l'haleine de Zeus ».
[6] «Celui qui parle en langue ne parle pas aux hommes, mais à Dieu, car personne ne le comprend, et c'est en esprit qu'il dit des mystères. Celui qui prophétise, au contraire, parle aux hommes, les édifie, les exhorte, les console. Celui qui parle en langue s'édifie lui-même; celui qui prophétise édifie l'Eglise. Je désire que vous parliez tous en langues, mais encore plus que vous prophétisiez. Celui qui prophétise est plus grand que celui qui parle en langues, à moins que ce dernier n'interprète, pour que l'Eglise en reçoive de l'édification. » (1 Cor 14, 2-5)
[7] Dans l'oracle de Delphes le souffle mantique était censé pénétré dans le corps de la Pythie et produire dans le pneuma psychique de l'âme des visions et des révélations prophétiques en stimulant non pas la raison, mais la faculté intuitive qui existe à l'état latent en tout homme. Il ne s'agit pas d'une inspiration venue d'une divinité, même si le terme d'enthousiasme a parfois été employé pour décrire l'état d'excitation de la Pythie. Ce pneuma mantique a pour effet de mettre en sommeil l'activité intellectuelle au profit d'une forme d'instinct spontané dont l'origine est purement naturelle.
[8] Cf. par exemple : « L'Esprit m'enleva, et me transporta en Chaldée auprès des captifs, en vision par l'Esprit de Dieu; et la vision que j'avais eue disparut au-dessus de moi…» (Ez 11, 24).
[9] La pythie était la porte-parole d'Apollon qui parlait par sa bouche. Pour ses oracles, elle se tenait dans le temple au-dessus d'un gouffre duquel s'échappaient des exhalaisons. « On dit que le manteion est un antre, une excavation profonde avec une ouverture étroite ; c'est de lui que s'élève le souffle inspirateur ; sur l'ouverture est placé un trépied élevé, sur lequel monte la Pythie pour recevoir le souffle et prononcer les oracles en vers ou en prose.» (Strabon, IX, 3, 5), Cachée aux yeux des consultants, elle tombe en état de transe, comme possédée par le dieu. Ses oracles sont incompréhensibles et des prêtres présents à la consultation les interprètent puis remettent au consultant une réponse écrite.
[10] La "poétique" chez Aristote est l’art de la composition des récits.
[11] Dans la conception traditionnelle de l'Antiquité, le principe d'analogie entre le microcosme humain et le macrocosme (l'univers) est une donnée de base. Ainsi, de même que l'homme est considéré comme un vivant animé par une âme, de même le monde tout entier est animé par une âme. Par le terme d'âme du monde, les Anciens désignaient une force qui animait et vivifiait tout. Les Pythagoriciens et Platon dans le Timée définissent cette âme du monde comme intermédiaire entre le Dieu suprême et l'univers ; les stoïciens la substituaient à Dieu lui-même.
[12] Le mot rouah רוח est proche de reyah ריח (odeur, odorat)
[13] «L’un des éléments constitutifs de l’inspiration prophétique – celui de la mise de l’oracle sur la "bouche" (peh) du prophète – fournit comme un fil rouge à l’ensemble du cycle mosaïque. En Ex 4, écartant l’objection de Moïse – “J’ai la bouche pesante et la langue pesante” (v. 10) –, Dieu lui répond qu’il est celui qui donne à l’homme “une bouche” (v. 11), et il lui promet d’être « avec [sa] bouche » (v. 12). […] on la retrouve au terme de sa vie : “Moïse mourut là […] sur la bouche de Yhwh” (Dt 34,5).» (J-P Sonnet, op. cité)
[14] « Dans la main du Prince des lumières est l’empire sur tous les fils de justice : dans des voies de lumière ils marchent ; et dans la main de l’Ange des ténèbres est tout l’empire sur les fils de perversion : et dans des voies de ténèbres ils marchent. » (Régle de Qumran)
[15] Recenser n'est pas bien, ici il engendre la peste… et justement Jésus naît lors d'un recensement, Jean-Marie Martin en parle dans Luc 2, 1-14. La naissance de Jésus et ses entours.
[16] Joseph Pierron fait allusion ici aux catégories d'Aristote : substance et accidents. Cf. La question « Où ? » chez Jean. La distinction intelligible/sensible interdit une vraie symbolique.
[17] Dans les manuscrits 162 et 700 du codex de Bèze, on a : “Que vienne ton Esprit Saint sur nous et qu'il nous purifie”, une formulation attestée par Grégoire de Nysse et par Marcion ; (à comparer avec Lc 3,21 et 17, 21). Jésus durant son ministère ne parlait pas tant de l'Esprit Saint (deux fois seulement en D05), mais de la Royauté de Dieu (près d'une trentaine de fois) ; les deux expressions étaient synonymes pour Luc qui dans les Actes s'est surtout servi de la première. (http://oncial.d.free.fr/cb/lk/lk.php?chapter=11&lang=b)
[18] On n'a pas d'attestation sur l'hymnique chrétienne avant la Didachè des apôtres qui est écrite au plus tôt vers 80 après J-C. On trouve quelques textes hymniques dans le Pasteur d'Hermas ou dans les Odes de Salomon, vers 150. Je n'ai pas la possibilité de dire que 1 Timothée est de Paul. Peu importe, il était certainement chanté dans les communautés paulinienne. C'est un texte écrit vers 60-70, peut-être plus tôt.
[19] Ici Joseph Pierron n'a pas eu le temps d'en parler beaucoup. On peut se reporter aussi à Le Pneuma (l'Esprit Saint) chez saint Jean : repères ; symboliques (eau, feu, amour, connaissance, onction, parfum...).
[20] « Amen, amen, je te dis, si quelqu'un ne naît pas de cette eau-là qui est l'Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. 6Ce qui est né de la chair est chair; ce qui est né de l'Esprit est Esprit. 7 Ne t'étonne pas que je te dise : il vous faut naître d'en haut. 8L'Esprit souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais d'où il vient ni où il va : ainsi en est-il de tout ce qui est né de l'Esprit. » (Jn 3)