Souvenirs divers et anecdotes autour de Jean-Marie Martin
Après le décès de Jean-Marie Martin plusieurs d'entre nous ont évoqués divers souvenirs liés à Jean-Marie. Voici des textes qui complètent ce qui a déjà été publié dans les messages précédents
Le premier souvenir est celui de Georgina qui a créé l'association la Traverse à Guervoeur où J-M Martin a longtemps animé des sessions (https://www.guervoeur.fr/).
Le dernier texte est de Pierre Jolly qui a accompagné J-M Martin aussi bien à Saint-Jacut qu'à Nevers. Il a aussi filmé Jean-Marie à Saint-Jacut (il en parle ici) et aussi à Saint-Bernard-de-Montparnasse.
- 1) Perle de langage relevée par Georgina à Guervœur
2) Souvenirs rapportés par Florence
3) Souvenirs d'Alain
4) Souvenirs de la chapelle Saint-Bernard et de Jean-Marie
5) Souvenirs du "Promeneur de Saint-Jacut" (Pierre Jolly)
Autour de Jean-Marie Martin
1) Perle de langage relevée par Georgina à Guervœur
Puisque quelques-uns de ceux qui ont rencontré Jean-Marie à Guervœur ou à Paris, dans le cadre des propositions de La Traverse, se retrouveront ce samedi 27, je me recueille un instant pour saisir sur le vif une perle de langage dont il nous a transmis l'art.
Nous sommes autour de la table ronde, avant de nous remettre à l'écoute, non pas d'une page de l'évangile de Jean, mais plutôt d'un verset, voire d'un mot. C'est la fin du repas. Jean-Marie ne prend pas de dessert, mais volontiers un café, fort et brûlant, sans sucre.
Il s'absorbe dans le silence, puis d'un regard espiègle s'adresse au café :
"Tu as bien de la chance de fumer tranquillement, et personne pour t'en faire la remarque"
Merci Jean-Marie pour ton amour du Verbe et de la chair du Verbe. Merci pour ce jour d'eucharistie sur les rochers de la presqu'île. Un jour suffit. Tu es là.
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2) Souvenirs rapportés par Florence
Merci infiniment, Jean Marie. Tu nous as souvent rappelé la mise en journée bienveillante de ta grand-mère : "Viens, mon petit Jean, que je te trace ton ouvrage". Sans doute, de même, nous as-tu sans cesse " tracé notre ouvrage ".
" La plus haute attitude de l'homme est de porter l'insu ", nous as-tu souvent rappelé à Saint Bernard. Précieux viatique pour ne jamais se décourager de ne pas entendre ... encore !
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3) Souvenirs d'Alain à bâtons rompus
… Jean-Marie me disait, "cela m'est plus facile de dialoguer avec Parménide ou Héraclite qu'avec mon voisin de palier"... Pourtant quand il m'invitait chez lui à 10h du matin, nous causions parfois encore à ...17h .... Et je n'ai rien de Parménide !!!! juste une petite teinture de Heidegger...
Un jour que j'assistais à ses conférences de St Bernard-de-Montparnasse, je m'endormis de fatigue contre un pilier... je fus réveillé par une remarque qu'il fit au groupe : "Regardez mon meilleur auditeur"...
Quand je suis allé le voir lors de son hospitalisation à Paris je lui rappelais ses textes préférés... "Ah tu te souviens de ça", fit-il...comme si on n'était pas marqué par ses paroles !
Je trouvais que ce que Jean-Marie faisait était absolument hors du commun…
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4) Souvenirs de la chapelle Saint-Bernard et de Jean-Marie
Un soir, un SDF était venu se réchauffer, à la chapelle Saint-Bernard, dans les sous-sols de la gare Montparnasse. En écoutant Jean Marie, il s’était écrié de sa grosse voix : “Oh, ce qu’il est fort le mec. YENAPAS dix qui comprennent ce qu’il dit.” Et il répétait : “Oh, ce qu’il est fort le mec !” Et tous ceux qui entendaient, riaient aux éclats. Mais Jean Marie était trop loin.
Alors, la fois suivante, il me demande pourquoi tout le monde riait. Alors, je répète : “Oh, ce qu’il est fort le mec. YENAPAS 10 qui comprennent ce qu’il dit.” Mais je n’ai pas pu finir la phrase, Jean Marie était terriblement gêné d’entendre des compliments en public.
Car oui, avec toute son érudition, avec toutes ses années d’enseignement, Jean Marie était timide, incroyablement timide, pudique et modeste, il ne parlait jamais de lui et les compliments le mettaient mal à l’aise.
Et puis Jean Marie aimait le bon pain et la bonne cuisine et le Saint Nicolas de Bourgueil. Et il aimait rire et les bonnes histoires. Et il aimait les mots. Il aimait la littérature, la poésie et beaucoup d’autres choses.
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5) Souvenirs du "Promeneur de Saint-Jacut" (Pierre Jolly)
Assis sur un rocher à l’abri du vent, il profitait du soleil. […]
Il venait d’apprendre que Jean-Marie n’avait pas attendu que le jour se lève pour quitter ce monde et n’être plus que pneuma né du beau et grand Pneuma originel qui a volonté d’être Notre Père. Ce départ qu’il vivait comme la libération de celui que son corps épuisé retenait en ce monde, faisait remonter des flots de souvenirs chargés de ces vérités essentielles que les mots ne savent dire sans les abîmer.
Jean-Marie était peu démonstratif et d’une pudeur extrême. Aux yeux de certains, il frôlait l’autisme. Il fallait simplement respecter la distance qui protégeait son intimité si sensible et savoir patienter. Partager ses silences, lui laisser la liberté de faire le premier pas, de s’ouvrir ou plutôt de s’entrouvrir l’espace d’un partage, alors ne restait qu’à recueillir à cœur la pertinence des petites phrases concises qu’il ponctuait d’un regard appuyé pour donner à leur vérité une puissance infiniment précieuse.
Marcher côte à côte en silence dans les bois de sa campagne nivernaise était des temps privilégiés. Et puis il y avait ces traits d’affection tirés à bout portant en retour d’une parole qui se voulait légère et gaie. Ils vous traversaient l’âme par la soudaine gravité dont il les entourait. Répondre à un badinage taquin, un rien provocateur par un propos sérieux et inattendu avait chaque fois laissé le promeneur muet et profondément troublé.
Un jour, pendant un déjeuner à Saint Jacut, alors qu’il lui servait un verre de vin en l’appelant « mon révérend », Jean-Marie avait levé la tête, posé son regard dans le sien et en pesant chaque mot, lui avait dit : « Merci mon fils ». Le promeneur qui depuis bien des années, ne donnait plus jamais le titre de père à personne, n’était pas passé du rire aux larmes, mais du sourire à l’émotion profonde, car leur échange de regards n’avait pas eu besoin de mots pour en vérité s’entendre.
Une autre fois, lors d’un tournage dans le verger de Saint Jacut, alors que Jean-Marie bourrait sa pipe, le promeneur soucieux qu’il ne pense plus à la caméra, lui avait dit : « Oublie-moi ». La réplique était tombée sans attendre « Ça jamais ». Un peu plus loin, passant sous un pommier, Jean-Marie avait cueilli une pomme, l’avait coupée en deux avec son inséparable couteau de poche, avant de la tendre à la caméra en disant : « Tiens ». C’était une pomme de concorde.
Les anecdotes refluaient, racontant des connivences et des rires. Jean-Marie n’aimait pas les contacts physiques alors quand de retour de Nevers, à l’instant de se quitter, devant chez lui, rue de la Grande Chaumière, il avait gardé la main du promeneur dans la sienne et les yeux dans les yeux, multiplié des « Merci » venus du fond du cœur, ce geste si rare chez lui, avait dépasser la politesse pour exprimer le mystérieux plus-plus de ceux dont l’entre-nous est celui du Vivant.
Avec dans l’âme la douceur mélancolique des beaux matins d’automne, le promeneur souriait dans cette lumière dorée, en pensant que celui qui lui avait appris à lire dans les blancs du Texte de la Vérité-Vie, avait tout simplement enjambé l’horizon de ce monde. Disparaître aux yeux d’ici, n’est bien évidemment pas se perdre mais, comme les bateaux le font, apparaître ailleurs et pour d’autres. Ceux qu’il laissait en ce monde, avaient de lui beaucoup entendu et reçu de ce qui en lui foisonnait. Sauraient-ils à leur tour, donner à entendre un peu de ce qu’ils avaient reçu ? Il était de ceux-là. Mais si son esprit n’avait pas d’âge, son corps en avait un et chaque jour cela se confirmait davantage. À qui pourrait-il donner à entendre la joie de connaître les reflets parfumés des éclats de la Vérité-Vie qui l’habitaient ? Quelle oreille accueillerait ce qui n’a place qu’en un poème ?