Réflexions sur la Parole dans l'Évangile à partir de Marc 4 (parabole du semeur, de la graine de moutarde…)
On s'accorde à reconnaître dans le chapitre 4 de l'évangile de Marc un groupement de trois paraboles qu'on nomme couramment de la façon suivante : parabole du semeur, parabole de la semence qui pousse d'elle-même et parabole de la graine de moutarde. En rapprochant ces textes d'autres passages évangéliques, on peut découvrir d'autres aspects de ces textes.
Lorsqu'il était professeur de théologie à l'Institut Catholique de Paris en 1978-79 J-M Martin a fait un cours qu'il a intitulé "Parole" en s'appuyant sur ce chapitre 4 de Marc, ce cours se situait dans la deuxième moitié de l'année universitaire. C'est ce qui est transcrit ici.
À maintes reprises il se réfère à une lecture qu'il avait faite en début d'année mais dont nous n'avons ni enregistrement ni transcription. Des notes ont été ajoutées pour compléter ce qui est dit et/ou renvoyer à d'autres messages[1].
Parole
Nous avions ouvert l'année par un séance de sensibilisation, en prenant la lecture de l'évangile de Marc 4 qui s'ouvre par la parabole que l'on appelle "la parabole du semeur", et qui s'appellerait peut-être mieux "la parabole de la semence" : « le semeur sème la parole. ». Il s'agissait pour nous d'entendre une parole qui parlait d'entendre la Parole. Comme je vous l'avais promis, nous retrouvons cette même question, ce qui permettra de mesurer un peu déjà le chemin que vous avez parcouru.
Nous avions mis en évidence l'invitation « Entendez » qui se trouve au chapitre 3 verset 4 : « Entendez ». Dieu sème la parole, et dans la parabole la semence n'est pas mise directement en rapport avec le fruit. La question de la parabole c'est : dans quoi sème-t-il, qu'est-ce qui recueille la semence ? Autrement dit nous sommes invités à méditer sur ce qu'il en est de notre oreille, sur notre façon d'entendre la parole, car la terre est la figure de ce qui recueille. C'est pourquoi il y a un développement sur "entendre".
● Parabole du semeur (Mc 4, 3-9) et Prologue de Jean (Jn 1, 1-14)
« Voici, le semeur sortit semer et il arriva, tandis qu'il semait, que :
- Une partie tomba sur le chemin et les oiseaux vinrent et la mangèrent.
- Une autre tomba sur les endroits rocailleux où il n'y avait pas beaucoup de terre, et aussitôt elle dépérit parce qu'il n'y avait pas de profondeur de terre ; et quand le soleil se leva, elle fut brûlée : parce qu'elle n'avait pas de racine, elle sécha.
- Et une autre tomba parmi les broussailles ; les broussailles se levèrent et l'étouffèrent et elle ne porta pas de fruit.
- Et les autres tombèrent dans une terre bonne et donnèrent un fruit s'élevant et s'accroissant. Et elle porta 30 ou 60 ou 100 pour 1.
Et il dit : “Celui qui a des oreilles pour entendre, entende.” »
Rappelez-vous, de manière un peu provocante et dont il faudrait élucider les implications méthodologiques, j'avais rapproché de ce texte le début de l'évangile de Jean : « Au commencement était la parole (le logos) », une parole qui est vie et qui est lumière, lumière des hommes :
- au verset 5, « la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas détenue » ;
- au verset 10 « la lumière était dans le monde (au sens johannique) et le monde ne l'a pas connue[2] » ;
- au verset 11 : « elle vint vers les siens, et les siens ne l'ont pas accueillie[3] »
- au verset 12 « à ceux qui croient (pisteuousaï – les croyants ou les entendants) elle a été donné ce pouvoir d'être enfants de Dieu. » [4]
En quoi ce rapprochement était-il provocant ?
D'abord en ce que ces deux textes ne parlent pas, à première lecture, de la même chose. Si on trouve le mot logos dans le Prologue de l'évangile de Jean, pensons-nous, il s'agit de la personne du Verbe éternel auprès du Père, d'abord, qui ensuite crée, alors que, en Marc 4 le mot logos désigne la parole de prédication de l'Évangile. Il s'agit donc apparemment de deux sens différents du terme logos.
Ensuite, ce n'est pas le même genre littéraire. Vous pouvez être tentés de dire que Jean donne une théologie "sur" le Logos (sur le Christ), alors que Marc rapporte une parabole, un récit imagé, ce qui n'est pas de la théologie ; de plus c'est une parabole qu'a racontée Jésus – et qui donc n'est pas "sur Jésus" – et c'est le Jésus de l'histoire qui l'a racontée... Si vous aviez déjà fréquenté les exégètes, vous seriez peut-être même tentés de discerner dans cette page ce qui, d'une part, a été sans doute dit par le Jésus de l'histoire et d'autre part ce qui a été raconté dans la prédication de l'Évangile puisque celle-ci rapporte ses paroles et les interprète.
En début d'année je vous avais prévenus que toutes ces idées n'étaient que préjugés qui s'interposaient entre le texte et nous, et qui nous empêchaient précisément d'entendre ! Je vous avais même dit que pour le moins, toutes ces réflexions, ces différences, relevaient d'une "terre broussailleuse" ! C'était aussi une provocation parce que vous auriez pu me dire que, lisant ainsi, je perds ce que les exégètes appellent une accommodation à un cas particulier d'un texte évangélique. En effet, il est clair, dans ce texte, que les broussailles désignent soit le désir soit des volontés de richesse, en tout cas des choses de la morale qui font que le cœur n'est pas apte à entendre la parole d'Évangile et que, en tout cas, cela ne désigne pas les préjugés d'ordre plutôt intellectuel que j'évoque en ce moment.
Et je me rappelle avoir dit que cette distinction même entre préjugés intellectuels et empêchements moraux était peut-être une des plus grandes broussailles, c'est-à-dire une parole de l'Occident, et non pas du tout une distinction qui structure le texte lui-même.
Nous avions pensé dès lors qu'entendre serait pour nous quelque chose d'éprouvant, et précisément la constante épreuve de ce que nous sommes nativement.
Après cette introduction, j'avais entrepris de relever dans le chapitre de Marc, quelques traits de la parole, et j'avais groupé ces réflexions sous trois chefs :
- la symbolique du végétal
- une parole efficace
- une parole parabolique.
1°) La symbolique du végétal
On s'accorde à reconnaître dans ce chapitre 4 un groupement de trois paraboles, et ces trois paraboles ont pour trait commun de s'exprimer dans le langage végétal.
– La première, du verset 3 au verset 23, celle à laquelle nous venons de faire allusion : la parole semée par rapport à la terre et à l'oreille qui accueille.
– La seconde, des versets 26 à 30, une courte parabole qui a l'air de marquer la puissance auto-germinative de cette parole. Nous trouvions là l'expression « la terre fructifie de façon automatique (automatê) ».
– Enfin, des versets 30 à 34, ce que nous appelons "le grain de sénevé" ou "la graine de moutarde", s'installe la symbolique de la plus petite graine et de la plus grande plante (ou du plus grand arbre), donc le petit et le grand.
Je vous avais invités à réfléchir sur ce qu'implique le fait de parler de la parole dans la symbolique du végétal. Nous prenions acte ici, d'une différence d'avec ce qui nous est spontané, pensant bien que la prétendue image choisie pour parler de quelque chose n'est pas du tout sans importance sur ce qu'elle est sensée illustrer, mais nous avons appris depuis que la différence entre le concept et l'image n'est pas du tout une différence qui joue un rôle ici. Donc le thème du végétal est de toute première importance.
Nous avions dit que, dans notre compréhension spontanée de "la parole" (de ce qui se passe quand on parle à quelqu'un), s'installait un regard affecté par le présupposé implicite de la technologie. C'est-à-dire que, quelqu'un ayant pensé, il lui reste la tâche de communiquer sa pensée à une autre personne, c'est-à-dire à exprimer et à émettre. Autrement dit celui qui pense est considéré comme un émetteur qui doit atteindre un récepteur. Certes le terme d'émetteur et le terme de récepteur en eux-mêmes ne désignent pas nécessairement des appareils, mais le fait que, prioritairement, ils en sont devenus à les désigner n'est pas du tout neutre dans la façon dont nous entendons et dont nous entendrons davantage encore ce processus. Il s'agissait donc, à l'image des émissions dont nous avons l'usage, de coder le message, de le transmettre, message qui devait ensuite être décodé par le récepteur.
Ce que je veux dire ici, c'est que si l'on parle de la parole à partir du végétal ou à partir de ces présupposés plus ou moins explicites, plus ou moins conscients, on ne parle pas de la même chose.
Vous me direz : Bon ! Alors essayons de penser la parole à partir du végétal. Mais ce n'est pas si simple ! En effet le végétal lui-même est sous la lecture dominante de la technologie que je viens d'évoquer. Pour nous, la plante a un code génétique, elle est programmée, et le mot "automatique" est toujours déjà pris chez nous dans ce sens, un sens qui apparaît seulement à partir du XVIIIe siècle, le siècle dans lequel on a la passion des automates aussi bien que des horloges du reste, et qui prélude d'une certaine façon à la machine. Vous me direz : Mais le mot "automatique" était dans le texte. Mais oui, justement, et c'est le bon exemple pour montrer qu'un mot ne fait rien à l'affaire, et que automatê ici ne doit pas du tout s'entendre comme étant ce que nous entendons, nous, dans le mot "automatique" !
Est-ce que je raffine indûment ici ? Non, et voici pourquoi. Les Grecs, pour ne parler que d'eux, avaient le sens émerveillé de la germination et de la croissance. Le maître mot phusis qui a donné au bout du chemin la "physique", ce mot désigne très précisément le phueïn c'est-à-dire le germer et le croître[5]. C'est un mot fondamentalement végétal.
En revanche, dans la suite des temps, l'Occident a été conduit à être au monde non pas comme devant la croissance, mais comme devant le "fabriqué". La dominance du verbe "faire" est ici très importante, qu'il s'agisse de la "fiction" ou de "l'effectivité" ou de "l'efficacité", tout cela c'est le verbe "faire".
Vous me direz : d'où cela est-il parvenu à l'Occident, sinon de la révélation judéo-chrétienne et de l'idée de création, c'est-à-dire d'un monde qui a été fait ? .... Je vous dirai : Et si l'idée de création entendue en ce sens-là était moins issue du judéo-christianisme que de l'évolution de l'Occident ?... Que reste-t-il du christianisme dans l'idée résiduelle de Dieu qui est justement "celui qui a fait tout ça" ? Et si l'idée de Dieu créateur n'avait été que la projection anticipée dans laquelle l'homme occidental par Dieu interposé pensait sa propre destinée de technologie ?... Que faudrait-il penser alors de cette idée de création ?
J'ai évoqué cela à plusieurs reprises au cours de cette année, car c'est pour nous un enjeu très important, puisqu'il s'agit de savoir qui est le Dieu de Jésus-Christ et quelle est la part de l'Occident dans notre idée diffuse de Dieu. C'est désormais dans cette direction que nous allons poursuivre.
Si j'ai soupçonné que le caractère dominant et structurant d'une certaine idée de création était à mettre au compte de l'Occident et pas de la Bible, il fallait marquer premièrement qu'elle n'est pas présente dans le Nouveau Testament et, secondement, il nous faudra essayer de la voir paraître au cours de l'histoire de la pensée chrétienne. Donc dans les différentes étapes de christo-théologie que nous allons examiner je choisirai particulièrement ce qui concerne cette question pour nous conduire à la fin de l'année à repenser pour nous-mêmes cette question : qu'est-ce que Dieu signifie, ce Dieu créateur de l'Occident ou ce Dieu de Jésus-Christ, où se diriger, où penser ?
J'esquisse ici d'une certaine manière la suite de notre parcours qui, bien qu'il soit différent de ce que nous avons fait jusqu'à présent – à la mesure où il ne s'appuie plus sur une lecture de l'Écriture comme point de départ – n'en poursuit pas moins la même question fondamentale qui est une question pour nous aujourd'hui, et une question que nous arriverons à poser en clair, pour nous, dans notre dernier chapitre de l'année.
Toute la réflexion que je viens de faire portait en particulier sur les deux premières paraboles de Marc 4 puisqu'il y est parlé de la germination, du végétal lui-même, et particulièrement à partir de l'ambiguïté du mot automatê (automatique).
● La parabole de la graine de moutarde (ou du grain de sénevé) en Mc 4, 30-32
J'ajoute maintenant une autre réflexion que j'annonçais déjà du reste de façon explicite en début d'année, à propos particulièrement de la troisième parabole, qui est la parabole du petit et du grand.
- « Il disait encore : “À quoi allons-nous comparer le règne de Dieu ? Par quelle parabole pouvons-nous le présenter ? Il est comme une graine de moutarde : quand on la sème en terre, il est la plus petite de toutes les semences sur la terre. Mais quand on l’a semée, elle monte et devient plus grande que toutes les plantes potagères ; et elle fait de longues branches si bien que les oiseaux du ciel peuvent faire leur nid sous son ombre.” »
On serait tenté de dire, à première lecture, que c'est une parabole de la croissance. J'avais pris occasion de cette parabole pour indiquer une méprise qui est familière au lecteur occidental moderne, et qui a été mise en question à bien des reprises par nous-même ici au cours de ces derniers mois.
On imagine assez volontiers que la signification de cette parabole est que l'Évangile à l'origine est historiquement tout petit mais qu'il est appelé à s'accroître d'une croissance historique qui est perceptible dans l'histoire du christianisme jusqu'à l'accomplissement terminal du royaume qui sera la totalité additionnelle des éléments de cette croissance… Ou bien alors, si l'on prend la lecture non pas de "royaume" mais de "parole", on est enclin à penser que l'Évangile est une parole minimale qui n'a pas encore pris sa structure et que le cours des siècles de pensée chrétienne développera de façon continue et progressive et harmonieuse cette structure de discours, jusqu'à ce qu'on en arrive à une doctrine plus complète et plus parfaite que celle qui était énoncée dans les balbutiements du commencement. Autrement dit, dans les deux cas, dans l'idée de croissance, nous avons interjeté notre idée d'histoire.
Or il n'y a pas de croissance organique du discours chrétien qui irait du "moins formé" au "plus formé", ce n'est pas cela l'histoire de la pensée chrétienne bien que certaines époques se soient posé cette question, notamment le XIXe siècle avec l'idée de croissance, d'évolution du dogme. En effet l'évolution du dogme a été conçue de manière croissante sous l'imagerie même du végétal, puisque le terme crescit (du verbe croître) a été employé en passant par le Concile de Vatican I. Or l'histoire de la pensée chrétienne ne se laisse pas lire de cette façon.
Ce qui est dans cette parabole, c'est autre chose, c'est le rapport du petit et du grand, l'identité du petit et du grand, c'est-à-dire de la semence et de l'arbre. Et cette notion appartient tout à fait à la symbolique végétale, et elle recoupe un autre aspect que nous allons apercevoir bientôt dans l'identité du caché et du manifesté.[6]
Voilà donc pour la symbolique végétale.
2°) Parole efficace
Chez nous la parole est de façon prioritaire quelque chose de dissertant qui ne fait que commenter ou attester un fait. Tel n'est pas le sens de la parole au sens évangélique. Il m'a paru important de grouper ici un certain nombre de réflexions qui vont dans le sens de l'efficacité de cette parole.
● La parole de Jésus en Mc 1, 27 et Mc 4, 39-41
J'ai relevé :
- « Ils étaient tous étonnés : qu'est-ce que cela, un enseignement nouveau, selon le pouvoir – cela concerne la parole, donc c'est une parole qui a pouvoir et qui commande même aux esprits impurs et ils lui obéissent. » (Mc 1, 27).
Cette idée de parole qui commande se retrouve plus loin :
- « 36Ils (les disciples) laissent la foule et prennent Jésus avec eux dans la barque… 38Lui était à la poupe sur le coussin, il dormait… 39Et s'étant réveillé (diégerthéis) – c'est un verbe composé avec égeireïn qui signifie "réveiller" mais aussi "ressusciter"[7] – il commanda au vent et dit à la mer : “Tais-toi, réfrène toi”, et le vent cessa et il advint une grande sérénité. 40Et il leur dit : “Pourquoi êtes-vous effrayés ? N'avez-vous pas encore foi ?” 41Et ils craignirent d'une grande crainte[8], et ils se disaient les uns aux autres : “Qui donc est-il celui-ci, car le vent et la mer lui obéissent ?” » (D'après Mc 4, 39-41).
Nous sommes tentés de mettre à part des exorcismes aux esprits impurs et des commandements adressés aux éléments matériels. Ce qui joue alors, c'est encore notre différence du spirituel et du physique qui n'a aucune fonction dans ces textes. Dans tous les cas il s'agit de la même chose : il s'agit de l'efficace d'une parole.
Le Nouveau Testament ne distingue pas fondamentalement une parole d'enseignement et une parole constituante, créatrice.
● La Parole qu'est le Christ au début de la Genèse.
Cette réflexion nous conduit au prologue de Jean en tant qu'il est un commentaire de la Genèse : « Au commencement était la parole (le logos) ». Cette parole c'est celle qui est énoncée au début de la Genèse : « Dieu dit : “Lumière soit” » (Gn 1, 3). Or qu'y a-t-il ? Il y a un préalable chaotique qui est fait de ténèbres, d'esprits ténébreux et d'eaux tumultueuses, de terres chaotiques et informes. C'est sur ce préalable que jaillit la parole qui fait de la ténèbre lumière, du chaos cosmos (c'est-à-dire "ordre") : c'est là la tempête apaisée.
Dans la Genèse il n'y a pas de doctrine de création ex nihilo, il y a l'apaisement archétypique du désordre préalable, et cette guérison se fait par la Parole.
De même c'est la parole qui survient sur le silence de mort, et c'est en ce sens que le premier christianisme lit la résurrection dans les premiers versets de la Genèse.
C'est en ce sens que le texte de Genèse est commenté par saint Paul lui-même : « 6 Car le Dieu qui a dit : "De la ténèbre luira la lumière", c'est lui qui a fait luire dans nos cœurs pour (en vue de) l'illumination de la connaissance (gnôsis) de la gloire (de la présence) de Dieu dans le visage du Christ. » (2 Cor 4, 6). De quoi est-il question ici ? Du « Fiat lux (Que la lumière soit) » du troisième verset de la Genèse. Comment Paul l'interprète-t-il ? « Que le Christ soit ». En effet Jésus dit « Je suis la lumière ». Nous avons ici une lecture qui est très loin des représentations créationnistes qui se sont développées ensuite au cours des siècles. Et où a lieu la Genèse ? Dans nos cœurs. ». Le mot "cœur" (lev en hébreu) ici est à prendre avec ses résonances hébraïques où il désigne, non pas ce que nous appelons le cœur par opposition à l'intelligence, c'est-à-dire le sentiment, mais la source même de l'intelligence, le fond de l'être.[9]
Tout le IIe siècle commente de la même façon le texte de Genèse, mais au début du IIIe siècle apparaît la notion stricte théologique de création. Dans le premier christianisme, ce qui est articulant pour la parole chrétienne c'est la résurrection, mais ensuite ce sera la création.
Le Nouveau Testament ne distingue pas fondamentalement une parole d'enseignement et une parole constituante, créatrice. C'est pour cela que la parole est importante : c'est la parole qui fait vivre.
● La structure de Mc 4 rapprochée de la structure baptême/eucharistie
À propos d'efficacité, j'ai noté également comment ces paraboles du grain étaient encadrées dans un site maritime : Jésus enseigne au bord de la mer (v. 1) et après les trois paraboles il y a l'épisode de la tempête apaisée (v. 35-42). Or c'est une structure constante qu'on trouve aussi au chapitre 4 de Jean où l'eau de la Samaritaine et la nourriture et la moisson dont il est question ensuite vont de pair ; et au chapitre 6 où la multiplication des pains est précédée par le passage sur l'eau et suivie par deux épisodes maritimes.
Chez les Synoptiques, il faut voir également que le Baptême du Christ est conjoint au thème du désert comme lieu de la manne. C'est donc une chose que nous rencontrons bien des fois, trouvant là une sorte de structure qui est celle du rapport baptême/eucharistie : une symbolique profonde de ces choses se trouve dans notre Nouveau Testament.
3°) Une parole parabolique, réflexions à partir de Mc 4, 10-13 et 21-25[10]
En plus de la situation maritime du chapitre, en plus du choix des trois paraboles à symbolique végétale que nous avons relevées, se trouve explicitement dans ce chapitre 4 de saint Marc un discours sur les paraboles. Quelques passages du chapitre ne sont pas là par hasard.
Après la parabole du semeur on trouve un discours de Jésus sur les paraboles :
- « 10Et lorsqu'ils furent seuls, ceux qui étaient autour de lui avec les Douze l'interrogeaient sur les paraboles, 11et il leur disait : “À vous a été donné le mystère du royaume de Dieu, mais pour ceux en dehors, toutes choses adviennent en paraboles, 12afin que, observant, ils observent et ne voient pas, écoutant, ils écoutent et ils n'intelligent pas, de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il leur soit pardonné”. 13Et il leur disait : “Ne comprenez-vous pas cette parabole ? Alors comment connaîtrez-vous toutes les paraboles ?” »[11]
Ensuite commence ce qu'on appelle l'explication : le semeur sème la parole… À cela il faut ajouter les versets 21-25 où Marc introduit des paroles du Christ qui se réfèrent à la question du caché et du manifesté, et qui se réfèrent donc à ce qui est en question dans la parole parabolique :
- « 21Il leur disait : “La lampe vient-elle pour être placée sous le boisseau ou sous le lit ? N'est-ce pas pour être placée sur le lampadaire ? 22Car rien de caché qui ne doive être manifesté, rien n'arrive de secret que pour venir se manifester. 23Si quelqu'un a oreilles pour entendre, qu'il entende” ! 24Et il leur disait : “Prenez garde à ce que vous entendez ! De la mesure dont vous mesurez, il sera pour vous mesuré, et il vous sera ajouté. 25Car celui qui a, il lui sera donné. Et celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé ” ! »
● Les idées communes à propos de la parabole.
À propos de la notion de parabole, j'indique deux lectures insuffisantes : d'abord l'idée vulgaire de parabole, qui en fait essentiellement une mise à la portée à l'usage des simples. C'est ainsi par exemple que l'on oppose souvent d'une part le langage de Jésus qui se sert des choses usuelles et bien connues, et d'autre part les absconses spéculations théologiques. C'est ainsi également que l'on accentue le Jésus simple des évangiles synoptiques et le Jésus théologien de Jean. Nous avons travaillé à rendre insignifiante cette opposition-là.
Il n'est pas sans doute inintéressant de voir que ce type de parole se réfère à un genre littéraire attesté par ailleurs et qu'on nomme le mashal, un mot qui indique ce que nous appelons aujourd'hui "parabole", mais aussi l'énigme, éventuellement un jeu de mots, une forme littéraire à quoi se référerait ce type de discours. Les théologiens distinguent soigneusement le mashal, parabole de type sémitique, d'avec la lecture allégorique qui est, elle, un trait de la lecture hellénistique, attesté par exemple dans le stoïcisme, et qui aura grand succès dans la première patristique. La différence retenue en général réside en ceci : l'ensemble de la visée de l'histoire parabolique est à mettre en rapport avec ce qu'elle veut dire, alors que les allégories essaient de percevoir des rapports pièce à pièce entre les éléments du signifiant et les éléments du signifié.
Tout, dans les tentatives de lecture de ce genre, n'est pas absolument faux, bien sûr ! Je prends occasion là d'une question qu'on m'a posée tout à l'heure à propos de la parabole du semeur : qui est le semeur ? Un exégète classique serait tout à fait à l'aise pour répondre : ce n'est pas la question, tout l'intérêt de la parabole porte sur la façon dont la Parole de Dieu comme semence est reçue : cette parole tombe, elle tombe de la part du semeur, mais il n'est pas question du semeur, il n'a pas sens ici. Alors qu'en lecture allégorique, il faudrait trouver une signification pièce à pièce, c'est-à-dire qu'au semeur correspondrait quelqu'un.
● Une lecture valentinienne de la parabole du semeur.
Je vais vous donner un exemple amusant de lecture allégorique, qui, dans le cas présent, s'en va jusqu'à l'hétérodoxie ; c'est la lecture que les Valentiniens font de cette parabole. Les Valentiniens sont des gnostiques du second siècle. Ils sont d'abord dans la grande Église, mais ensuite ils sont mis dehors, et on connaît leurs écrits par les Pères de l'Église qui les ont réfutés. Ils lisent attentivement les textes selon un certain mode de lecture qui est le leur. Ces gnostiques se posent la question qui m'a été posée et y répondent de la façon suivante qui va très bien dans le sens de leur doctrine.
En effet, un des éléments de leur doctrine qui est réfuté par les Pères de l'Église, consiste en ce qu'il faut distinguer le Père de Notre Seigneur Jésus Christ, et le démiurge ou créateur qui est un dieu inférieur[12].
Pour eux le semeur, c'est le dieu qui disperse la parole, et ce dieu-là, disent-ils, est un bien mauvais semeur, c'est un semeur qui ne prend pas soin de sa semence : il en laisse tomber sur le chemin, il en laisse tomber sur la pierraille, il en laisse tomber parmi les ronces etc. c'est donc bien le dieu démiurge qui disperse au hasard les semences divines dans ce monde.
Ce qui est intéressant ici, c'est que vous avez à la fois une méthode de type allégorique qui se trouve, dans le cas présent, utilisée en fonction d'une doctrine préétablie sur la divinité.[13]
J'ai mentionné ici cette différence retenue par les exégètes entre la parabole et l'allégorie. Cependant je voudrais dire qu'il faut se garder de l'accentuer, parce qu'en fait, si on accentue la différence – disons la similitude – entre la parabole de type juif et l'allégorie de type hellénistique, on oublie totalement une distance plus importante qui est la distance entre ce qu'il y a de commun à cela et nous.
Et c'est cela qui nous préoccupe beaucoup, qui consiste à voir la différence fondamentale de notre présupposé de pensée et de parole par rapport à ce qu'il y a de commun à l'époque de la naissance du christianisme, dans ce monde judéo-hellénistique qui est le lieu de naissance de notre Nouveau Testament.
● Parenthèse : Qu'est-ce qui est Parole de Dieu ?
Je tiens à préciser les présupposés de notre lecture de l'Écriture avant d'aborder la question de ce qui est dit par Jésus : « la parabole est faite pour qu'on ne comprenne pas. »
Certains exégètes font une différence entre d'une part l'enseignement de Jésus tel qu'on peut le conjecturer, enseignement qui serait de toute façon prééminent, et d'autre part des conceptions interprétatives, des théologies diverses qui appartiendraient à la façon dont sont rappelées les ipsissima verba, les paroles mêmes de Jésus : la conception de Matthieu serait plus proche de la conception de Jésus, et la conception de Marc subirait une autre influence, relèverait d'une autre préoccupation.
Nous avons constamment refusé ici ce genre de problématique, parce que la parole qui est Parole de Dieu pour nous, n'est pas la parole conjecturée historique de Jésus, plutôt que la parole relatée dans Marc ou dans Matthieu ou dans Jean. Je dirais même que la parole prononcée par Jésus n'a, du point de vue de la foi, aucune existence. Elle nous parvient, de toute façon, dans une autre parole. L'autre parole, c'est ou la parole de Marc, de Jean etc., ou la parole d'un historien qui conjecture. Or ce qui est Parole de Dieu pour l'Église n'est pas la parole de l'historien conjecturant mais c'est la Parole de Jésus dite par Matthieu, Marc et Jean. Et cela a une importance capitale parce que ce qui fonde ma foi, ce n'est pas une parole que Jésus aurait dite, ni même que Jésus a dite, mais c'est la parole que Jésus dit !
Autrement dit, la question est : Qui parle dans l'Évangile ? Le Ressuscité. Où est la parole du Ressuscité ? Dans la bouche apostolique. La parole scripturaire est le corps du Ressuscité, c'est-à-dire la présence du Ressuscité à moi, à nous, à l'Église, et en tant qu'entendue, elle est l'Église.
Nous revenons ici à cette vieille problématique que nous avons rencontrée à plusieurs reprises, étant bien entendu que le texte évangélique peut être questionné par quiconque à partir d'où il veut, y compris à partir de l'histoire, cela est possible. Je dis même que, dans l'état de notre propre constitution mentale, cela est inévitable et nécessaire, relativement nécessaire. Ce que je dis, c'est que ce n'est pas la lecture authentique de l'Écriture, ou en tout cas pas la lecture suffisante de l'Écriture.
Notre question de départ était de savoir si l'Écriture était un document d'histoire essentiellement, ou bien la parole chiffrée de ma vie. Ces principes généraux sont à nouveau mis au clair, et là je ne fais qu'essayer de préciser les présupposés qui ont conduit notre lecture, qu'essayer de les mettre à jour, de les reconnaître.
● Attitudes devant la parole apparemment inaudible.
Vous avez remarqué par ailleurs que se fait jour ici, dans le texte, une notion apparemment négative de la parabole : la parabole est faite pour qu'on ne comprenne pas. Cela pose la question de : comment concrètement se tenir devant un discours comme celui relaté par Marc : « Pour ceux du dehors, tout arrive en paraboles… pour qu'ils ne comprennent pas » (Mc 4, 12) ? Devant un texte de ce genre, il y a deux attitudes irrecevables, et une bonne attitude :
- la première attitude irrecevable c'est de refuser pas un biais quelconque cette parole inaudible. Et il existe des modes sournois de refuser, dont ce que nous avons évoqué est un exemple. C'est le recours à la culture de l'époque : faire un tri, dans la parole évangélique, entre d'une part ce qui est authentique, c'est-à-dire ce qui fait partie des ipsissima verba (en général c'est ce qui nous convient le mieux), et d'autre part, ce qui relève de la culture de l'époque, cela étant expliqué par exemple par la méthode du judaïsme tardif, mais ne pouvant en aucune façon être de Jésus. Je simplifie un peu, car ce n'est pas précisément ce point que je critique, c'est le principe qui porte le ciseau dans le tissu du texte, dans la texture de l'Écriture, en en faisant deux parts. Cela tue la Parole.
- la deuxième attitude, également irrecevable, c'est de dire : « Ah bon, je ne le croyais pas, mais donc Dieu désire l'endurcissement »… et être content avec cela. C'est une attitude qui n'est pas fidèle au cœur, car on sait bien que c'est dans notre cœur qu'il faut porter le ciseau. C'est même essentiellement cela la krisis, la déchirure fondamentale. Mais il faut le faire à bon escient. Ce que j'appelle ici notre cœur, c'est à la fois les présupposés hérités nativement que nous appelons des évidences, mais c'est aussi peut-être l'Esprit de Dieu présent en nous. C'est pour cela qu'il ne faut pas se rendre trop vite non plus.
Alors quelle est la bonne façon ? La bonne façon c'est de tenir la question comme question, de ne pas céder sur le cœur tant qu'il paraît bon, de ne pas trouver des subterfuges pour plier le texte à notre cœur. Tenir la question.
● Éléments sous-jacents.
Dans le cas présent, il y a un rapport étroit entre le mustêrion et la parabole, rapport tel que la parabole joue à la fois le rôle de voile et le rôle de dévoilant. Nous avons une idée extrêmement simpliste des rapports du caché et du manifesté, parce que nous pensons en alternance et en opposition, alors que ce qui manifeste vraiment le caché le voile en même temps parce qu'il le manifeste encore comme caché. Et il n'y a pas une conception et une conception, il y a deux aspects fondamentaux de cette réalité qui est la Révélation[14].
Vous me direz : oui, mais ici ce n'est pas cela qui fait difficulté, c'est la différence entre ceux du dedans et ceux du dehors, et aussi que c'est fait pour enténébrer (« Pour ceux du dehors, tout arrive en paraboles… pour qu'ils ne voient pas… qu'ils ne comprennent pas »). Ces deux difficultés sont assez faciles à dissoudre parce qu'elles ne sont pas au cœur de la question.
1/ Il faut bien voir que le dedans et le dehors ne sont pas "les uns" et "les autres", mais c'est toujours au cœur de nous qu'il y a le dedans et le dehors. C'est très important, et en rapport avec notre façon habituelle de lire l'Écriture ici[15].
Le débat violent avec l'extérieur qui a pour type le débat avec les pharisiens n'est pas une anecdote passée. J'entends l'Évangile à la mesure où ce débat est débat du Christ et du pharisien en moi : le débat est dans l'auditeur. Cela d'une certaine façon conforte largement la façon dont nous avons voulu approcher l'Écriture.
2/ Par ailleurs, dans la question du "pour" enténébrer : « Pour ceux du dehors, je parle en paraboles pour que, regardant, ils ne voient pas, pour qu'entendant ils ne comprennent pas… », il faut savoir que les conjonctions notamment causales, finales etc. dans le Nouveau Testament, ne correspondent pas à notre grammaire occidentale, et très souvent le "pour" final devrait se traduire plutôt de façon consécutive : « de telle sorte que », ou « ce qui est que »[16]. Nous avons en particulier fait une réflexion de ce genre à propos de saint Jean où c'est très clair[17]. L'étude des conjonctions de subordination chez Jean est très importante. On retrouve quelque chose de semblable à propos des rapports entre sauver et juger : « le Fils de l'homme n'est pas venu pour juger, mais pour que par lui le monde soit sauf ; et celui qui n'entend pas est déjà jugé »[18], il est jugé du fait de ne pas entendre. Il y a là cette krisis qui est la condition même de l'avènement[19], en ce que, pour que du neuf advienne, il se fait que de l'ancien s'en va. C'est dans le même mouvement.
Nous avons marqué un certain nombre de points de réflexion sur la façon de se tenir concrètement devant un texte apparemment scandaleux que celui-ci, et sans avoir hâtivement cherché des subterfuges en tripotant le texte. Je ne dis pas que nous sommes tout à fait encore au point d'entendre ce texte, mais se tenir devant cette question est ce qu'il faut faire.
Ceci d'autant plus qu'ici, Jésus fait explicitement œuvre de didascale (d'enseignant). Et qui est le didascale de la parole évangélique, sinon Jésus le vivant ? Jésus ressuscité est notre didascale. Marc disant la parole, dit la parole de Jésus ressuscité. Et cette première didascalie est une référence essentielle pour tout le temps de l'Église, puisque l'Église tient cette Écriture dans sa main comme sa référence.
● La structure caché / manifesté.
Ici Jésus fait donc explicitement œuvre de didascale (d'enseignant). Mais la recherche de Jésus didascale ne s'arrête pas là ! Elle continue dans la recherche d'intelligence, dans le don d'intelligence de ces textes que nous ne cessons d'approcher, de chercher à approcher. Je fais allusion ici à la symbolique du caché et du manifesté.
On la voit apparaître à la fin de l'explication que Jésus donne de la première parabole :
- « Il leur dit encore : “Apporte-t-on la lampe pour la mettre sous le boisseau, ou sous le lit ? N'est-ce pas pour la mettre sur le chandelier ? En effet, rien n'est caché (krupton) que pour être manifesté (phanérôtê), rien de secret (apokrupton) n'advient que pour venir à manifestation (phanéron)”. » (Mc 4, 21-22)
La structure caché/manifesté n'est pas structurante chez nous, et d'autres structures se sont substituées. Nous avons notamment chez nous la structure du prévu et du réalisé, du plan de Dieu et de l'effectivité de choses, c'est-à-dire finalement la structure du programmateur et de l'accomplissement du programme : nous retrouvons toujours ces choses qui courent dans l'idée de Dieu créateur.
Mais dans le texte évangélique, nous avons la structure du caché au manifesté, ce qui met en question les rapports de temps. C'est cela qu'on trouve au verset 22 avec la question du krupton(caché) et du phanéron (manifesté). Nous savons par ailleurs que cela a une signification par rapport à la symbolique végétale, à la mesure où la graine est l'arbre en caché, et l'arbre est le même que la graine dans le manifeste, dans le manifesté[20].
À la façon dont nous marchons ici, il apparaît peu à peu que nous ne considérons pas, sous le terme de "parabole", simplement un genre littéraire particulier qui occupe quelques pages de l'Évangile, mais nous considérons en un certain sens que toute l'Écriture et toute parole sur Dieu, sont, en ce sens-là, essentiellement paraboliques. Je ne dis pas que toute page est de la structure particulière du genre parabole ; je dis, au sens où j'ai essayé de penser ce qu'il en est profondément de la parabole, que toute parole sur Dieu est essentiellement parabolique.
Le paradoxe du verset 25.
Et au verset 25, on trouve ce paradoxe qui est dans la ligne des provocations que nous venons de lire car « à celui qui a, on lui donnera, et à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera retiré ». Ekheïn (avoir) c'est ici détenir, et c'est manquer. Ne pas détenir c'est recevoir. Ce qui est en question ici, c'est fondamentalement la vie même du Christ, le sens de sa mort et de sa résurrection telle que nous le lisions en Ph 2[21].
Et cela nous conduit à notre dernière réflexion qui est la chose de cette année : se refuser à distinguer d'une part un événement, et d'autre part un discours ; d'une part un récit sur la mort du Christ et d'autre part l'énoncé des enseignements du Christ, c'est-à-dire finalement, d'une part une christologie sur le Christ et d'autre part la doctrine du Christ. Il n'y a pas d'autre christologie que d'entendre ce que le Christ dit et ce qu'il est du fait de le dire. C'est normal puisqu'il est la Parole, et la parole non pas seulement dans un sens dissertant de quelqu'un qui dit des paroles et qui enseigne. Il est la Parole, la Parole efficace, la même lorsque je récite son geste et lorsque je recueille sa Parole.
[1] La plupart des notes suivantes citent des extraits d'autres interventions de J-M Martin qui illustrent au moins en partie ce dont il est question
[2] Du fait que le mot de "monde" chez Jean désigne prioritairement la région régie par le meurtre, le monde c'est ce qui ne peut pas accueillir, aussi "venir vers le monde", c'est venir à la mort (apparemment le Christ meurt, mais la mort ne le détient pas car on ne peut prendre ce qui est donné). De même, la semence si elle tombe sur des pierres ne peut pas vivre.
[3] "Venir vers les siens" c'est venir aux disciples qui d'abord ne le recueillent pas dans sa dimension de résurrection, ne le recueillent pas pour ce qu'il est (des choses les en empêchent, par exemple Paul dit que la Parole a été falsifiée, donc elle est rendue inactive).
[4] Dans d'autres interventions sur le Prologue de Jean, J-M Martin y détecte trois "venues" du Logos (de la Parole) (cf. Les trois venues dans le Prologue de l'évangile de Jean : vers la mort, vers la méprise, vers l'accueil). Pour la parabole du semeur, J-M Martin a commenté la version de Matthieu en se basant sur ce que dit saint Paul : Homélie sur Mt 13, 1-9 : le semeur sème la Parole.
[5] Voir les messages du tag présocratiques.
[6] Cette partie est reprise dans le petit dossier du message précédent : « "Le grand est dans le petit" : structure de l'évangile de Jean, de la parabole du grain de sénevé (Mc 4 et Mt 13) »
[7] Dans la Bible le sommeil peut désigner la mort, par exemple en Jn 11 Jésus le dit explicitement à propos de Lazare : « Il leur dit : "Lazare notre ami dort ; mais je vais le réveiller."… Jésus avait parlé de sa mort, alors que ceux-ci pensaient qu'il parlait à propos de l'assoupissement du sommeil. » (Jn 11, 11-13).
[8] Le récit est tel qu'on peut se demander si ce n'est pas la parole de Jésus elle-même qui suscite cette grande crainte. On a quelque chose de semblable en Jn 6, 17c-20, une scène du même type, mais où Jésus n'est pas endormi dans la barque, il vient rejoindre les disciples. Dans la session sur Jean 6 J-M Martin a mis en évidence ceci : le trouble est d'abord une crainte causée par la nuit venue et la mer furieuse, mais la venue de Jésus ne guérit pas d'abord ce trouble, sa venue est même la cause majeure du trouble. « D'une certaine manière ce qui devrait faire peur c'est le chambardement, mais ce qui fait peur c'est aussi la venue de Jésus. La signification profonde de cela, c'est que l'avènement d'un ordre révèle mon état chaotique : ce qui révèle mon ignorance antérieure, c'est l'avènement de la connaissance qui vient. » Cf. JEAN 6, PAIN ET PAROLE. Ch 3 : Jn 6,14-29 - Deux épisodes maritimes c'est au II 2), et dans la transcription il y a un petit schéma pour illustrer les deux antériorités.
[9] D'après le texte de 2 Cor 4, 6 cette illumination (ce phôtismon) c'est « la gnôsis (la connaissance) de la gloire qui luit sur le visage du Christos ». La gloire désigne la présence radieuse, et ce mot est utilisé pour dire la résurrection. L'expérience de la connaissance chrétienne est donc exprimée dans un langage cosmogonique, c'est-à-dire en référence avec les premiers versets de la Genèse qui font paraître la lumière sur un préalable de ténèbre : « Que la lumière soit » où le don de la lumière, c'est ce qui sépare notre ténèbre et donc ce qui stabilise notre errance, c'est ce qui met en ordre (en cosmos) notre chaos, c'est la connaissance qui met en déroute notre ignorance et donc nous constitue comme un être ordonné, comme un être "cosmisé"
[10] Cette partie est déjà sur le blog :Une parole parabolique (cours sur les paraboles professé à partir des paroles énigmatiques de Mc 4, 10-13 et 21-25 )
[11] On a le même genre de chose chez Matthieu qui donne l'origine de la sentence, elle vient d'Isaïe 6,9-10 : « Les disciples s'approchant lui dirent : "Pourquoi leur parles-tu en paraboles ?" Il répondit : "C'est qu'à vous il a été donné de connaître les mystères du Royaume des Cieux, mais cela n'a pas été donné à ces gens-là. Car à celui qui a on donnera, on donnera même du surplus, mais à celui qui n'a pas on enlèvera même ce qu'il a. C'est pour ça que je leur parle en paraboles, parce que regardant ils ne voient pas et écoutant ils n'entendent ni ne comprennent. Ainsi s'accomplit pour eux la prophétie d'Isaïe : Vous aurez beau entendre vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas... » (Mt 13, 10-15)
[12] Cf le complément "La distinction démiurge – Dieu de NSJC dans la 1ère pensée chrétienne" à la fin de Dieu est "créateur du ciel et de la terre", Comment bien entendre ce titre ?.
[13] J-M Martin trouve leur façon de lire très intéressante. Cf. Dieu est "créateur du ciel et de la terre", qu'est-ce que ça veut dire ? La première pensée chrétienne sur le démiurge. Sur les Valentiniens, voir les messages du tag gnose valentinienne.
[14] Cf Le dévoilement garde référence au caché, et donc cache ce qui est dévoilé, dans Jn 12, 20-26 : « Nous voulons voir Jésus », La mort féconde du grain de blé, le b) du II sur Jn 12, 24.
[15] Cf. Les deux parts en chaque homme : part de ténèbre et part de lumière. Comment entendre "celui qui" chez saint Jean ?.
[16] Dans le texte d'Is 6,9-10 il n'y a pas de finalité. En effet ce texte fait suite à la grande vision dans le Temple qui inaugure la mission du prophète. Isaïe s'entend dire par Dieu : « Va, dis à ce peuple : ‹ Entendez, entendez, et vous ne comprendrez pas. Voyez, voyez, et vous ne connaîtrez pas.Rends insensible le cœur de ce peuple, alourdis ses oreilles, bouche ses yeux, qu’il ne voie de ses yeux, n’entende de ses oreilles, que son cœur ne discerne, qu’il ne retourne et sois guéri. ».
[17] Cf. Syntaxe hébraïque : y a-t-il de la causalité en notre sens ? Conséquences pour la lecture du NT
[19] Ceci est tellement important que la citation d'Isaïe se retrouve à de nombreux endroits du Nouveau Testament avec des variations : en Mc 4, 12; Lc 8, 10 ; Jn 12, 40 ; Ac 28, 26-27 ; Rm 11, 8. Il y a une phrase de Jésus du même genre dans le chapitre de l'aveugle-né :« Je suis venu vers ce monde pour un jugement, que les non-voyants deviennent voyants, et que les voyants deviennent aveugles » (Jn 9, 39). Voir ce qu'en dit J-M Martin dans Jn 9, 1-41 : Guérison de l'aveugle-né suivie d'une enquête à son sujet..