Galates 1, 1-12. Le trouble des Églises de Galatie et l'Évangile de Paul reçu par révélation
L'épître aux Galates est une sorte d'esquisse de l'épître aux Romains, les thèmes essentiels de Paul s'y trouvent. Paul n'a pas connu Jésus, son évangile est fondé sur l'expérience de la dimension ressuscitée de Jésus, c'est pourquoi il dit qu'il est « apôtre, non de la part des hommes ni par l'intermédiaire d'un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l'a ressuscité des morts ».
Voilà les douze premiers versets, la suite du chapitre est plus biographique.
Le présent commentaire est celui de Jean-Marie Martin qui était spécialiste de saint Jean et saint Paul (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?).
Galates 1, 1-12
Les deux premiers chapitres de l'épître aux Galates sont largement biographiques. Cela peut intéresser les historiens mais cela ne nous intéresse pas particulièrement, sauf si des éléments de biographie ont une signification de par la façon dont ils sont employés. Il est vrai que nombreux sont ceux qui se sont ingéniés à écrire des biographies de Paul. Il y a pour cela ces deux premiers chapitres de l'épître aux Galates ainsi que deux grands chapitres de la deuxième aux Corinthiens ainsi que quelques données dans les Actes des apôtres. Les historiens s'ingénient à faire tenir tout cela ensemble au point de vue chronologique, au point de vue de l'évolution de la figure de Paul, en cherchant aussi les occasions qui pourraient expliquer l'émergence de certains thèmes dans sa pensée également. Ce n'est pas notre sujet.
Cette épître aux Galates est très différente de l'épître aux Romains et de l'épître aux Éphésiens. Elle est ce que j'appelle une esquisse de l'épître aux Romains… et quand je dis "esquisse", c'est parce que les thèmes essentiels de Paul s'y trouvent, quelquefois pour la première fois. Ils seront repris de façon plus systématiquement pensée et organisée dans l'épître aux Romains.
J'ai dit que c'était une biographie de Paul, mais en même temps il n'est pas faux de dire que c'est révélateur de la situation des premières communautés chrétiennes, de leurs difficultés, de leurs débats et cela n'est pas inintéressant.
Voici le texte dans la traduction de la TOB.
- 1Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts, 2et tous les frères qui sont avec moi, aux Eglises de Galatie : 3à vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ, 4qui s’est livré pour nos péchés, afin de nous arracher à ce monde du mal, conformément à la volonté de Dieu, qui est notre Père. 5A lui soit la gloire pour les siècles des siècles. Amen.
6J’admire avec quelle rapidité vous vous détournez de celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un évangile différent. 7Non pas qu’il y en ait un autre ; il y a seulement des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent renverser l’Evangile du Christ. 8Mais si quelqu’un, même nous ou un ange du ciel, vous annonçait un Evangile contraire à celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème ! 9Nous l’avons déjà dit, et je le redis maintenant : si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! 10Car, maintenant, est-ce que je cherche la faveur des hommes ou celle de Dieu ? Est-ce que je cherche à plaire aux hommes ? Si j’en étais encore à plaire aux hommes, je ne serais plus serviteur du Christ. 11Car, je vous le déclare, frères : cet Evangile que je vous ai annoncé n’est pas de l’homme ; 12et d’ailleurs, ce n’est pas par un homme qu’il m’a été transmis ni enseigné, mais par une révélation de Jésus Christ.
La structure générale des incipit des lettres de Paul et des lettres de l'époque est la suivante : il y a l'envoyeur, le destinataire, la salutation, et éventuellement une courte prière.
1Paul, apôtre – comme expéditeur Paul se caractérise par le titre d'apôtre. Comme il n'a pas connu le Christ de son vivant, cela fait problème et donc il précise bien d'où il est apôtre, de qui il tient ce titre – non à partir des hommes, ni par un homme, mais par Jésus Christ, et par Dieu, le Père qui l’a réveillé (ressuscité) des morts – le Père est reconnu Père au titre de la résurrection parce que la résurrection est le lieu d'émergence du Fils comme Fils.
Je reviens sur le terme d'apôtre qui est très lié à l'Évangile puisque l'apôtre est envoyé pour annoncer l'Évangile, la Nouvelle heureuse, c'est la structure initiale de notre Évangile. On connaît les Douze qui sont aussi appelés des apôtres, et par ailleurs le terme d'apôtre peut avoir un sens secondaire pour désigner un envoyé d'une Église à une autre Église.
Paul appartient en premier à l'Église d'Antioche. Il est "apôtre", mais comme le contexte le montre ce n'est pas au sens au sens où il serait envoyé à l'Église des Galates que ce mot apparaît. Dans ce verset "le Père" est caractérisé comme étant celui qui a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts ; autrement dit, nous avons ici : le Christ, la résurrection et puis nous aurons un autre élément qui va s'ajouter et qui constitue le point focal de l'évangile de Paul.
Donc Paul envoie cette lettre, lui 2et tous les frères qui sont avec moi – ils sont donc plusieurs dans les envoyeurs – aux Églises de Galatie, 3grâce à vous et paix, – cette même expression se retrouve dans trois incipit. Paix (shalom) c'est la salutation classique en hébreu, c'est la façon de saluer. "Grâce et paix" c'est une sorte d'hendiadys – deux mots pour dire la même chose –, cela dit que la grâce (qui est la donation essentielle) est la donation même de la paix. Le thème de la grâce est un thème majeur chez Paul, nous le rencontrons aussi chez Jean : "plein de grâce et vérité" dans le prologue de son évangile.
…de la part de Dieu, notre Père, et du Seigneur Jésus Christ, 4qui s’est donné lui-même pour nos péchés, – il appartient à la configuration originelle de l'Évangile que le Christ soit "pour nous", pour nos péchés : c'est le cœur du Credo, le cœur de l'évangile de Paul qu'on trouve en particulier en 1 Cor 15[1]. Le Christ, la résurrection et "mort pour nos péchés", ces choses-là tiennent entre elles de façon indissoluble. Et ce qu'il faut voir c'est qu'il ne s'agit ici d'opinions ponctuelles mais de la consistance première de l'Évangile, du nœud de l'Évangile.
… en sorte qu'il nous a retirés de cet aïon présent [qui est] mauvais – ici aussi il y a quelque chose d'essentiel à l'Évangile. Je dis souvent que l'Évangile répond à la question : « Qui règne ? » c'est-à-dire "sous le régime de quoi sommes-nous ?" Et pour répondre à cette question l'Évangile utilise une distinction d'origine juive entre "ce monde-ci" et "le monde qui vient". Le mot aïôn correspond à l'hébreu olam, c'est un espace-temps, un milieu de vie, un mode de comportement à la fois. Il y a olam hazeh ce monde dans lequel nous sommes et olam habah le monde qui vient, qui est en train de venir et qui est déjà là. Mais, comme dit Jean : « Ceci est l'annonce essentielle que la ténèbre (qui dit ce monde) est en train de passer et que déjà la lumière luit » (1 Jn 2, 8)[2]. Autrement dit, nous sommes dans un monde mêlé.
Ces deux "mondes" sont des règnes. D'une part ce monde-ci est sous le règne de la mort et du meurtre, et d'autre part le monde qui vient est l'exacte antithèse de celui : l'antithèse de la mort c'est la vie, c'est la résurrection, et l'antithèse du meurtre (de l'exclusion) c'est l'agapê.
Cet aïon est qualifié de "mauvais". Dans l'épître aux Éphésiens Paul dit que les jours sont mauvais en opposant les jours dans lesquels nous sommes au kaïros, c'est-à-dire au moment opportun, à la belle saison qui est un autre nom de la Vie éternelle (Zoé aiônios).
… selon la volonté de notre Dieu et Père – on a ici l'émergence d'une structure paulinienne qui n'est pas développée complètement, à savoir le rapport volonté/œuvre, qui correspond au rapport semence/fruit, de telle sorte que la volonté du Père c'est la semence du Christ. Le mot "volonté", il ne faut pas le penser à partir du cadre dans lequel il est employé chez nous, mais il faut le penser à partir du moment séminal d'un être.La volonté du Père c'est que la mort du Christ soit une "mort pour la vie", et le Christ peut opérer cela que les individus fragmentaires que nous sommes ne sont pas susceptibles d'opérer pour eux-mêmes.Cela le Christ l'opère pour nous car nous avons une identité plus radicale en Christ, l'identité étant une proximité.
5À lui la gloire pour les éons des éons. Amen.
Ensuite Paul donne les circonstances qui occasionnent sa lettre.
6Je m’étonne que, si vite, vous ayez été transférés de celui qui vous a appelés dans la grâce du Christ, pour un autre évangile – dans la plupart des lettres de Paul vous trouvez des louanges, il rend grâce… mais ici il ne rend pas grâce du tout, il morigène, il s'étonne de ce qu'ils ont été transférés à un "autre évangile" – 7mais il n'y en a pas d'autre – autrement dit, un autre évangile serait un évangile faussé – sinon que certains vous troublent et désirent bouleverser l’évangile du Christ. – Le mot trouble (taraxis) est un mot très fort, ici il est provoqué du fait d'une falsification. Chez saint Jean, Jésus lui-même est "troublé" par deux fois du fait de la proximité imminente de sa propre mort (ou de celle de son ami Lazare), et par ailleurs il dit à ses disciples, au début du chapitre 14 : “Que votre cœur ne se trouble pas”.
Puis Paul prononce deux anathèmes, c'est-à-dire deux condamnations.
8Si nous-même ou un ange [venu] du ciel, vous évangélise en dehors de ce que nous vous avons évangélisé, qu’il soit anathème ! 9Comme nous l'avons dit d'avance, et je le redis maintenant : si quelqu’un vous évangélise en dehors de ce que vous avez reçu, qu’il soit anathème !
Le mot "anathème" est un mot de condamnation. Les conciles le reprendront ; lorsqu'ils déclarent une doctrine fausse, ils disent : « si quelqu'un affirme que... qu'il soit anathème ». Et de fait, il est très important de savoir à quoi s'en tenir. Un concile qui disserte en disant « je ne condamne rien », ça ne dit rien ! C'est la fonction d'un concile que de discerner ce qui est conforme et ce qui est difforme par rapport à l'enseignement évangélique. Un dogme tient en très peu de choses, et toutes les choses qui ont été définies sont précieuses. Elles ne sont jamais un point de départ pour lire l'évangile parce que les hérésies sont révélatrices de ce que des questions étrangères sont posées à l'évangile ; donc récuser l'erreur n'égale pas revenir au texte dont c'était l'erreur, et retenir les propositions qui sont conformes n'est pas l'égal de ce qu'est l'évangile dans son propre. Autrement dit, on ne peut pas faire une méditation ou une pensée positive de l'évangile à partir des condamnations et des affirmations des conciles, et c'est pourtant ce que la théologie a fait très longtemps.
Une parole n'a de sens que dans la question qui porte la réponse. Mieux vaut une question sans réponse qu'une réponse sans question. Et au-delà des nécessités pastorales de répondre aux questions de l'Occident – ce que les conciles ont fait –, il faut essayer de réentendre de plus originaire la parole du Christ
10Maintenant, est-ce que je cherche la faveur des hommes, ou celle de Dieu ? ou est-ce que je cherche à plaire aux hommes ? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas esclave du Christ.
Paul se dit doulos (esclave ou serviteur) du Christ. Ce mot a une grande importance dans toute la pensée de Paul. En hébreu le mot serviteur ('ebed) est un mot noble. À nos oreilles le mot "serviteur" (esclave) a un sens négatif, mais ce n'est pas le cas dans l'expression "serviteur de Dieu" de l'Ancien Testament.
Je préfère traduire doulos par "esclave" car il ne s'agit pas d'adoucir le langage de Paul. Quand on lit saint Paul à la messe, on a adouci son langage, mais ce faisant, on se prive de toute capacité d'entendre le côté répulsif qui s'impose à nous à première écoute et qui nécessite un travail pour être entendu.
Par exemple, Paul se dit esclave du Christ et il faudrait aller chercher du côté du paradoxe évangélique qui ne permet pas d'entendre "seigneur" et "esclave" au sens mondain du terme, puisque la seigneurie du Christ culmine en ce qu'il est esclave et que ce qui paraît être esclavage est participation à la seigneurie même du Christ, c'est-à-dire que c'est cela qui nous fait royaux. Mais ce que je dis là est trop vite dit… Un des textes pauliniens à méditer c'est celui de Philippiens 2[3].
11En effet, je vous le fais connaître, frères, l’Évangile que je vous évangélise n’est pas selon l'homme 12car je ne l’ai pas reçu ou appris d’un homme, mais par révélation (apokalypséôs) de Jésus Christ.
Paul est le premier qui annonce l'Évangile. Ici le mot Évangile ne désigne pas ce que nous appelons l'un des quatre évangiles. Le mot lui-même est puisé à l'Ancien Testament, c'est l'annonce heureuse d'une nouvelle[4]. C'est un mot fondamental qui dénomme le propre de ce qu'il en est du Christ. Évangéliser est la vocation propre de Paul comme il le dira au début de l'épître aux Romains : « Paul, appelé à être esclave du Christ Jésus, apôtre (envoyé) mis à part pour l'Évangile de Dieu ».
« L'évangile…" n'est pas selon l'homme". Chez Paul, le "selon" désigne le plus souvent "le regard porté sur", et "selon la chair" (ou "selon l'homme") veut dire "de façon humaine", et cela s'oppose à "selon le pneuma" qui est le regard porté selon l'esprit de résurrection. Quand Paul dit qu'il parle "selon l'homme" : cela signifie qu'il s'exprime selon notre mode ordinaire de pensée, c'est-à-d ire "selon l'homme faible", et c'est la même chose que "selon la chair".
Nous rencontrons explicitement le mot de apocalupsis, ce mot est très souvent joint à mustêrion, le mot apocalupsis est formé de la préposition apo et du mot calumma (voile), et que le latin revelare et les mots français "ré-vélation" et "dé-voilement" sont la transcription littérale de ce mot apo-calupsis. Donc l'idée d'un caché qui va se dévoilant.
Dans l'épître aux Éphésiens, au chapitre 3, Paul sera plus précis au sujet de cette révélation[5] : « 3Il m'a été accordé de connaître le mystère selon une révélation, selon ce que j'ai écrit en peu de mots auparavant, 4aussi, en me lisant, vous pouvez connaître la pénétration que j'ai du mystère du Christ 5qui, dans les générations passées, n'a pas été accordé aux fils des hommes, comme il a été révélé maintenant à ses consacrés apôtres et prophètes dans le Pneuma (dans l'Esprit) : 6les nations sont co-héritières, co-corporées, et co-participantes de la promesse, dans le Christ Jésus, par le moyen de l'Évangile 7dont je suis devenu le serviteur selon la donation de la grâce de Dieu qui m'a été confiée selon la mise en œuvre de sa puissance… »
[4] « Qu'ils sont beaux, sur les montagnes, les pas du porteur de bonnes nouvelles, qui proclame la paix, qui annonce de bonnes nouvelles, qui proclame le salut, qui dit à Sion : "ton Dieu règne." » (Isaïe 52, 7)