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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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10 mai 2022

Début de l'évangile de la vérité qui est joie, Folios VIII-IX

Evangile de VéritéMalgré son titre L'évangile de la vérité n'est pas un évangile mais un traité chrétien ; il se réfère aux textes du Nouveau Testament, en particulier l'évangile de Jean. Il s'agit ici du début, p. 16 n° 31 à p.18 n° 38 (grande édition de H-C Puech).

C'est un texte sur lequel Jean-Marie Martin (à qui est dédié ce blog) a travaillé à l'École Pratique des Hautes Études avec Henri-Charles Puech. Lors d'une rencontre au Forum 104 en octobre 2014 qui avait pour thème "la joie chez saint Jean", J-M Martin a cité le début de L'évangile de la vérité qui commence par « L'Évangile de la Vérité est joie », c'est ce qui se trouve ici.

L'Évangile de vérité fait partie des traités coptes contenus dans le Codex I trouvé à Nag Hammadi, le Codex Jung (les folios sont ceux du codex Jung). On pense que l'original grec date de la première moitié du IIe siècle, mais a été perdu. Ici J-M Martin fait allusion plusieurs fois au Plérôme des Valentiniens où se trouvent des Dénominations comme l'Abîme, le Silence, Le Monogène, la Grâce… Référez-vous à la présentation du Plérôme qui se trouve dans les messages du tag gnose valentinienne.

Le texte sans commentaire figure en annexe mise à la fin du message.

D'autres extraits de L'évangile de la vérité figurent sur le blog, à chaque fois ce sont des extraits des Folio indiqués : 

 

Début de l'évangile de la vérité qui est joie

Folios VIII-IX

p. 16 n° 31 à p.18 n° 38

 

Je vais vous présenter un texte du IIe siècle qui nous fera une sorte d'enluminure avant de commencer les passages de Jean où on trouve le mot "joie" la prochaine fois. Ce texte est tiré de L'Évangile de la vérité, un ouvrage trouvé à Nag Hammadi qui est la traduction en copte d'un texte originel probablement en grec[1]. Le livre de Jacques Ménard[2] auquel je me réfère est une sorte de rétroversion en grec du texte copte. Il est probablement de Valentin lui-même, il appartient donc aux débuts des Valentiniens qui deviendront plus tard suspects à la grande Église. Les valentiniens sont les premiers à avoir commenté saint Jean et saint Paul. L’intérêt de ces auteurs c’est qu’ils gardent les structures de pensée de l’évangile.

Il s'appelle “Évangile de la vérité” parce que, dans le monde hébraïque on donne pour titre le (ou les) premier(s) mot(s) de la première phrase.

 

Folio VIII. « L'Évangile (la Belle Annonce) de la Vérité est joie (chara) – la joie est la première caractéristique de cette Belle Annonce – pour ceux qui reçoivent la grâce (charis) du Père de la Vérité – la vérité c'est Jésus puisqu'il dit lui-même dans l'évangile de Jean « Je suis la vérité ». Nous savons qu'il y a des titres nombreux qui sont donnés à propos de ce qui apparaît en Jésus dans la toute première Église : Christos, Fils de Dieu, Seigneur, Fils de l'homme… Et il y a aussi des dénominations : « Je suis le chemin, la vérité, la vie, le pain, la résurrection etc. »Autrement dit l'unité indicible qui est le Père se dit dans le Fils, mais cette unité indicible ne se dit pas en un seul Nom, ce Nom se déploie dans des appellations. L'une de ces appellations est Alêtheia (vérité).

…. la grâce du Père de la vérité qui consiste en ce qu'ils Le connaissent (gnôsin auton) dans la dunamis (la puissance) du Logos (du Verbe) – Logos est aussi un de ses titres – venu du Plérôme (de la Plénitude), Lui qui est dans la Pensée et l'Intelligence du Père.

On a ici le mot Plérôme (plénitude). C'est un mot qui existe chez saint Jean : « il est plein de grâce et vérité… Et de sa plénitude nous avons tout reçu, grâce sur grâce » (Jn 1, 14-16). Grâce et vérité sont deux Dénominations qui se trouvent dans le Plérôme des Valentiniens.  D'une certaine façon les Dénominations sont réparties, mais mal-prises (il y a méprise) dans le monde, et dans l'histoire qu'on trouve chez les Valentiniens, ces Dénominations subissent un trouble.

 En effet cela donne lieu à récit mais aussi à une table des dénominations qui est ajustée par relation de paternité ou de conjugalité (il y a des noms masculins et des noms féminins). Le Père n'a pas d'abord le nom de père, il a le nom d'Abîme et sa conjointe est Siguê (Silence) car c'est un nom féminin en grec, et ils produisent le Monogenês, c'est-à-dire celui qui est né comme unité (monos) de la totalité des dénominations qui vont suivre, parmi lesquelles il y a Logos. Pour autant qu'il a un Fils, l'Abîme s'appelle Père et sa conjointe s'appelle Siguê (Silence) mais aussi Charis (grâce). Et donc la plénitude des dénominations essentielles engendrées par le Père c'est le fils Monogène.

L'Abîme c'est l'infranchissable, l'inatteignable et ça correspond à ce que saint Jean dit au chapitre 3 de son évangile lors du dialogue avec Nicodème : « Le pneuma tu ne sais d'où il vient ni où il va, tu entends sa voix », c'est-à-dire qu'il ne donne pas lieu à savoir. Les Anciens font la distinction entre savoir et connaître. Le verbe "connaître" n'est pas purement intellectuel du reste, et le verbe "savoir" lui-même est pris un peu au sens où il était employé dans la philosophie grecque, dans un sens relativement négatif par rapport à cela. « Le pneuma tu ne sais », c'est ce que j'appelle l'insu.

Tous les mots de notre texte ici sont choisis de façon extrêmement rigoureuse.

Il est « venu de la Plénitude de Celui qui est dans la Pensée (Ennoïa) et l'Intelligence (Noûs) du Père » : les deux mots "pensée" et "intelligence" ne sont pas bibliques, ils sont empruntés à la philosophie grecque.

… Lui qui est appelé Sauveur, puisque c'est le nom de l'œuvre (qui est de sauver) qu'il a faite pour le salut de ceux qui ignoraient (a-gnô-ountôn) le Père. »

Ici nous avons un élément de réflexion, il n'y a pas le déploiement qui deviendra plus systématique avec Ptolémée qui est le disciple de troisième génération de Valentin. Celui-là on le trouve par exemple dans la grande Notice qu'on connaît par Irénée[3].

 

Ensuite le texte est lacunaire mais aussitôt après, il reprend.

F. IX, p. 17 « L'Évangile est manifestation de l'espérance, découverte pour ceux qui Le cherchent. En effet, le Tout a été à la recherche de Celui dont il est sorti – le Tout est la même chose que le Plérôme des Dénominations, mais considéré en tant que fragmentaire ; en effet les multiples Dénominations sont des fragments du Nom indicible. Il faut bien distinguer l'écartement et l'écartèlement. C'est les crucifères qui se déploient en quatre, les rosacées c'est en cinq. Et il faut bien distinguer le déploiement et l'écartèlement quand les pétales tombent par terre n'étant plus liées à leur tige.

La notion de déploiement est extrêmement importante dans le Nouveau Testament. Il s'agit alors du déploiement du mustêrion (de ce qui était tenu en secret), c'est donc ce qui se montre, qui se donne à voir, c'est le dévoilement accomplissant (apocalypsis). Saint Jean parle lui-même des dieskorpismena (les déchirés) ce sont les hommes lorsqu'ils sont séparés les uns des autres.

Comme dit le texte de Ptolémée dans la Grande Notice[4], les Dénominations sont pensées de façon disparate et non égalisées, Et lorsqu'ils sont perçus dans leur unité le Plérôme est dans son état accompli. Le Pneuma est celui qui égalise les dénominations et leur apprend à eucharistier. Et là, Pneuma dit la même chose que le Christos en tant que le Christos est enduit (oint) de la plénitude du Pneuma

Et le Tout était en lui, l'Insaisissable, l'Impensable, l'Incompréhensible car l'ignorance du Père a produit l'angoisse (aporia) et la crainte (phobos). L'angoisse s'est épaissie comme une brume, de sorte que personne ne pouvait voir ; c'est pourquoi l'Erreur s'est affermie. Elle a fabriqué sa matière dans le Vide ne connaissant pas la Vérité. – Tout cela précède de beaucoup ce qu'on appellerait la création – Elle vint dans une œuvre, s'efforçant de façonner en beauté l'équivalent de la Vérité. Cela n'était pas une humiliation pour l'Insaisissable, l'Impensable, car ce n'était rien, l'angoisse et l'Oubli et cette œuvre du Mensonge parce que la Vérité est stable, inaltérable, inébranlable, parfaitement belle. C'est pourquoi méprisez l'Erreur (plané) – le mot plané désigne l'errance de ce qui n'est pas dans son chemin Étant ainsi sans racine, elle était dans une brume à l'égard du Père, alors qu'elle apprêtait des œuvres et des oublis et des craintes afin d'attirer grâce à eux ceux du milieu et les emprisonner. L'Oubli de l'Erreur n'a pas été manifesté.

Fr IX. p. 18. L'Oubli n'existait pas dans le Père, bien qu'il se fût produit à cause de Lui. Par contre, ce qui s'est produit en lui c'est la Gnose, elle qui a été manifestée, afin que l'Oubli fut aboli et que le Père fut connu. C'est parce que l'Oubli a eu lieu que le Père n'a pas été connu, alors, si l'on connaît le Père, l'Oubli ne se produira plus. – Il y a donc l'espace de la connaissance et l'espace de l'oubli. L'espace de l'oubli est un autre nom de ce monde-ci dans lequel nous sommes[5].

C'est là l'Évangile de Ce(lui) que l'on recherche pour revenir de l'oubli, tout commence par la recherche (zêtêsis). Nous verrons que chez saint Jean la recherche est produite par le climat négatif du trouble : « Que votre cœur ne se trouble pas », ceci ouvre le chapitre 14 de l'évangile de Jean. La recherche se dit dans le langage du chemin, elle trouve son accomplissement lorsqu'elle a les mots pour dire sa question. Et enfin la question est répondue quand elle devient prière, car toute prière est exaucée. Voilà un thème fondamental qui se trouve au chapitre 14 que nous verrons dans son lieu[6].

C'est là l'Évangile… qui a été manifesté aux parfaits grâce aux miséricordes du Père. Mystère caché (mustêrion apokekrumménon), par lequel Jésus le Christ a éclairé ceux qui se trouvent dans l'obscurité à cause de l'Oubli. Il les a éclairés, leur a montré une voie, or la voie est la Vérité qu'il leur a enseignée.  – « Je suis la voie, la vérité, la vie », vous avez ici un commentaire implicite de ce passage dans notre texte.

À cause de cela l'Erreur s'est irritée contre lui, l'a poursuivi, l'a maltraité, l'a annihilé. On le cloua à un bois, – allusion au Christ cloué à un bois ; voici que ce que nous considérons souvent comme une anecdote prend place dans une dimension énorme. Ce qui est évoqué ici c'est l'histoire de tout ce qui est.

Il devint Fruit de la Gnose du Père ; il n'a pas été une cause de perdition pour ceux qui en ont mangé. – Il faut savoir que le bois de la croix fait toujours implicitement penser à l'arbre du fruit du jardin de Gn 3, c'est une chose qui est reprise par saint Paul.

Au contraire, pour ceux qui en ont mangé, il a été une cause de joie à cause de la découverte, Il les a découverts en Lui et ils L'ont découvert en eux, l'Insaisissable et Impensable, le Père parfait, qui a fait le Tout, en qui est le Tout et dont le Tout a besoin ; puisqu'Il retint leur perfection en Lui, laquelle Il n'a pas donnée au Tout. »

Voici l'accomplissement des Tout(s), qui sont multiples, chacun a le nom de Tout parce qu'il dit Tout lorsque les noms sont égalisés, c'est-à-dire lorsqu'ils sont compris les uns dans les autres. En particulier, dans l'évangile de Jean, les dénominations : " Je suis la parole", "Je suis la vie", "Je suis la lumière"… disent la même chose et non pas des choses différentes : elles disent l'indicible, elles disent la Résurrection.

Non que le Père soit jaloux, quelle jalousie pourrait exister entre lui et ses membres ?

Voilà, je pense qu'on peut s'arrêter là !

 

Evangile de vérité, J-E Ménard

ANNEXE : Texte suivi

(Folio VIII-IX p. 16 n° 31 à p.18 n° 38, Ménard p. 31-35

 F. VIII. p. 16. L'Évangile de la Vérité est joie pour ceux qui reçoivent la donation gracieuse (la grâce) du Père de la Vérité, qui consiste en ce qu'ils Le connaissent dans la dynamis (la puissance) du Logos (de la Parole) venu de la Plénitude (du Plérôme), Lui qui est dans la Pensée et l'Intelligence du Père, Lui qui est appelé Sauveur, puisque c'est le nom de l'œuvre qu'il accomplit pour le salut de ceux qui ignoraient (a-gnô-ountôn) le Père. [… le texte est lacunaire …] L'Évangile est manifestation de l'espérance, découverte pour ceux qui Le cherchent. »    

F. IX. p. 17. L'Évangile est manifestation de l'espérance, découverte pour ceux qui Le cherchent.

En effet le Tout a été à la recherche de Celui, dont il est sorti, et le Tout était en lui, l’Insaisissable, l’Impensable, l’Incompréhensible, car l’ignorance du Père a produit l’angoisse et la crainte. L’angoisse s’est épaissie comme une brume, de sorte que personne ne pouvait voir ; c’est pourquoi l’Erreur s’est affermie. Elle a fabriqué sa matière dans le Vide, ne connaissant pas la Vérité. Elle vint dans une œuvre, s’efforçant de façonner en beauté l’équivalent de la Vérité. Cela n’était pas une humiliation pour l’Insaisissable, l’Impensable, car ce n’était rien, l’Angoisse et l’Oubli et cette œuvre du mensonge, parce que la Vérité est stable, inaltérable, inébranlable, par­faitement belle. C'est pourquoi méprisez l'Erreur.

Étant ainsi sans racine, elle était dans une brume à l’égard du Père, alors qu’elle apprêtait des œuvres et des oublis et des craintes, afin d’attirer grâce à eux ceux du milieu et les emprisonner. L’oubli de l’Erreur n’a pas été manifesté. Il n’est pas comme p. 18. […]auprès du Père.

L’Oubli n’existait pas dans le Père, bien qu’il se fût produit à cause de Lui. Par contre, ce qui s’est produit en Lui, c’est la Gnose, elle qui a été manifestée, afin que l’Oubli fût aboli et que le Père fût connu. C’est parce que l’Oubli a eu lieu que le Père n’a pas été connu, alors, si l’on connaît le Père, l’Oubli ne se produira plus.

F. IX. C’est là l’Évangile de Celui que l’on recherche, qui a été manifesté aux parfaits grâce aux miséricordes du Père. Mystère caché, par lequel Jésus le Christ a éclairé ceux qui se trouvent dans l’obscurité à cause de l’Oubli. Il les a éclairés, leur a montré une voie, or la voie est la Vérité qu’il leur a enseignée. À cause de cela, l’Erreur s’est irritée contre lui, l’a poursuivi, l’a maltraité, l’a annihilé. On le cloua à un bois, il devint Fruit de la Gnose du Père ; il n’a pas été une cause de perdition pour ceux qui en ont mangé. Au contraire, pour eux qui en ont mangé il a été une cause de joie à cause de la découverte, Il les a découverts en Lui et ils L’ont découvert en eux, l’Insaisissable et Impensable, le Père parfait, qui a fait le Tout, en qui est le Tout et dont le Tout a besoin ; puisqu’Il retint leur perfection en Lui, laquelle Il n’a pas donnée au Tout. Non que le Père soit jaloux ; quelle jalousie pourrait exister entre Lui et Ses membres ?… ……

 



[1] Selon la pagination du codex Jung, “L'Évangile de la vérité” va de la page 16 n° 31 à la page 43 n° 23. Le texte qui se trouve ici va de page 16 n° 31 à p.18 n° 38.

[2] Le livre est de Jacques Ménard, éd Letouzet et Ané, Paris 1962, le texte se trouve en grec et en français. J-M Martin traduit parfois certains mots un peu différemment. Le texte qui se trouve ici est p. 31-35.

[3] Ptolémée est un savant gnostique de la seconde moitié du IIe siècle. Disciple de Valentin, il appartient à la branche italique ou occidentale de l'école. Exégète distingué, c'est un homme instruit et de haute moralité et piété.

[7] Selon la pagination du codex Jung, “L'Évangile de la vérité” va de la page 16 n° 31 à la page 43 n° 23.

 

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