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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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20 décembre 2022

Iconographie : commentaire d'une icône de la Nativité et lecture de Lc 2, 6-14 et Mt 2, 1-12

Il existe d'innombrables nativités. Il en est qui célèbrent la naissance de Jésus en étant nourries par la méditation du mystère christique. Telles sont les icônes qui occupent une grande place dans la vie spirituelle et les célébrations des Églises d'Orient, et que l'Occident a fait siennes depuis maintenant de nombreuses années. En particulier l'icône de la Nativité nous permet d'approcher le mystère de Noël, tout en ne le séparant pas du mystère de la Résurrection grâce à certains détails.

Quiconque regarde l'icône de la Nativité devine tout de suite ce qu'elle représente : le récit évangélique de la naissance de Jésus. Mais des éléments peuvent poser question : la situation de Joseph dans un coin, le bain de l'enfant, la présence simultanée de l'annonce aux bergers et de la venue des rois mages… Certains choix opérés dans l'icône semblent avoir été déterminés par la liturgie puisque, si aujourd'hui les catholiques fêtent séparément la Nativité et l'adoration des Mages, les orthodoxes réunissent les deux fêtes[1].

Ce message d'iconographie paraît sur le site de la Christité dédié à Jean-Marie Martin tout en ne transcrivant pas l'une de ses interventions (en 2e partie le commentaire de Luc 2 est quand même de lui). En fait, lorsqu'il était professeur de théologie à l'Institut Catholique de Paris, il réservait des plages de cours à l'iconographie, mais en dehors de ce qui a déjà été publié sur le blog (tag iconographie), nous n'avons pas trace de ces séances. Aussi ce message a-t-il pour but de donner aussi un éclairage de type iconographique sur le mystère christique.

Une partie des commentaires vient du livre du Père Georges Drobot, Icône de la Nativité, 1973.

 

Commentaire d'une icône de la Nativité

et lecture de Lc 2, 6-14 et Mt 2, 1-12

 

Première partie : l'icône

 

Voici une icône de la Nativité qui représente aussi la visite des mages.

 

icône de la Nativité

 

 Cette icône actualise visuellement pour nous aujourd'hui l'événement de la Nativité et la visite des mages, selon les paroles de saint Grégoire de Naziance : « Maintenant les anges se réjouissent, maintenant les pasteurs sont éblouis par la clarté, maintenant l'étoile se dirige de l'Orient vers la la sublime et inaccessible Lumière, maintenant les mages se prosternent et offrent leurs présents » (Orat., 19, 12)

 

1) Vue d'ensemble

 

Voici la description faite par un manuel d'iconographie russe du XVIIe siècle, elle correspond en grande partie à l'icône précédente.

« La naissance selon la chair de notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ doit être peinte de la façon suivante :

  • Trois anges regardent l'étoile : le premier a un vêtement bleu azur, les deux autres, des vêtements rouges. Un ange annonce la bonne nouvelle aux bergers, son vêtement est cinabre et azur ; celui du berger rouge-brun.
  • La Très Pure est étendue près de la grotte, en vêtement rouge pourpre.
  • Le sauveur enfant est couché dans la crèche, emmailloté ; la crèche est ocre, la grotte noire ; un cheval que l'on voit à moitié, regarde l'enfant, et de l'autre côté, une vache fait de même. Au-dessus de la grotte se trouve les trois anges.
  • À droite, les mages adorent : ils sont trois, l'un est vieux, porte la barbe de saint Blaise, coiffé d'un chapeau, son vêtement est vert cinabre ; le deuxième est d'âge moyen, porte la barbe de saint Côme, coiffé d'un chapeau, son manteau est cinabre et son vêtement gris ; le troisième est jeune comme saint Georges, coiffé d'un chapeau, son vêtement est bleu-gris et son manteau pourpre ; tous les trois, ils tiennent dans leurs mains des vases de couleur ocre.
  • Il y a la montagne au-dessus d'eux ; dans cette montagne, il y a une grotte ; le fiancé de la Vierge, Joseph, y est assis sur une pierre, il porte la barbe de saint Pierre, un manteau vert sur un vêtement rouge. L'un de ses bras est enveloppé dans le manteau, il s'appuie sur l'autre. Devant lui, se tient un berger aux cheveux blancs qui portent la barbe de saint Jean l'évangéliste, un peu chauve ; son manteau en peau de chèvre hirsute est bleu-gris ; il tient dans la main un bâton, et tend l'autre vers saint Joseph. Derrière lui, se tient un jeune berger en vêtement cinabre, qui fait paître des chèvres noires, blanches et rayées.
  • À mi-montagne, est assise la sage-femme Salomé ; son manteau est descendu jusqu'à la ceinture, son vêtement est blanc, ses bras sont nus ; elle tient d'une main le Christ, et met l'autre dans le bain. Une jeune fille versant de l'eau a un manteau cinabre et vêtement azur. »

Notez que le texte parle de vache et de cheval, là où en général on parle du bœuf et de l'âne en s'appuyant sur des prophéties de l'Ancien Testament. En effet, comme le bœuf et l'âne sont des animaux inconnus de la Russie du Nord, les iconographes ont peu à peu oublié l'origine vétéro-testamentaire des animaux et les ont remplacés par des animaux familiers comme la vache et le cheval.

 

Sur l'icône.

La scène se passe dans un paysage champêtre évoqué par les roches et les plantes. La montagne semble être constituée d'une multitude de petites plates formes disposées en escalier. À la différence des représentations classiques de paysages où on voit le ciel en toile de fond tout en haut, ici le fond est doré ; en effet, ce que l'icône représente est libéré des contraintes spatio-temporelles.

On ne peut savoir si c'est le jour ou la nuit. En fait l'icône a sa propre lumière.

L'ensemble est en quelque sorte structuré selon trois colonnes verticales et trois lignes horizontales. C'est comme une croix dont le centre est au niveau de la mère et de l'enfant.

Dans la partie supérieure on a la demi-sphère du ciel, avec de chaque côté des anges qui sont ses habitants ; de la sphère divine part un rayon lumineux qui se divise en trois au-dessus de la grotte. À l'embranchement des trois rayons il y a une étoile.

À droite un ange se penche du haut des cieux vers les bergers entourés de leur troupeau, il leur annonce la bonne nouvelle tandis qu'à gauche, les mages, qui ont suivi l'étoile, s'avancent pour offrir leurs cadeaux.

Dans la partie inférieure, à gauche les deux femmes lavent l'enfant, et à droite on voit debout de profil un vieux berger face à Joseph qui est lui-même assis sur un rocher.

 

Dans le strichère des vêpres de Noël composé par le patriarche Germain au VIIIe siècle, on a un résumé : « Que t'offrir, ô Christ, toi qui es venu sur la terre en tant qu'homme à cause de nous ? Car chaque créature qui est par toi te rend grâces : les anges leur chant, les cieux l'étoile, les mages leurs offrandes, les bergers le miracle, la terre une grotte, le désert la crèche, et nous une mère vierge. Ô Dieu qui est avant les temps, aie pitié de nous. »

 

2) Les différentes scènes.

Reprenons chacune des scènes de l'icône en commençant par la colonne centrale.

 

les cieux et l'étoile, les rayons, l'enfant, icône de la Nativité● Le triple rayon et l'étoile

Les cieux comme demeure de Dieu sont représentés tout en haut par une demi-sphère d'où descend un rayon. Celui-ci se sépare en trois, le tout se dirigeant vers l'enfant dans la grotte. C'est à l'endroit où il se sépare en trois qu'est représentée l'étoile. La présence de la lumière qui vient des cieux indique l'origine céleste de l'enfant. Le rayon qui se divise en trois indique que le Père et l'Esprit Saint participent à la naissance de la Parole

 

● La Vierge Marie

La vierge Marie est étendue comme n'importe quelle femme qui vient d'accoucher. Elle est vêtue d'un manteau brun rouge appelé maphorion. Elle est allongée sur un lit de pourpre brodé d'or, c'est la couleur et l'ornement des impératrices byzantines. Sur le manteau de Marie, on voit une étoile sur le front et une autre sur l'épaule gauche, et on devine qu'il y en a une troisième sur l'épaule droite. Ces trois étoiles d'or symbolisent sa virginité avant, pendant et après l'enfantement.

Elle pose une main contre sa joue, ce qui signifie qu'elle souffre. Son autre main est recouverte par le tissu en signe de respect et d'effacement. On voit son visage de face. Elle se détourne de l'enfant, ce qui suggère qu'elle sait déjà que ce bébé ne lui appartient pas et qu'elle n'a aucune influence sur lui. Elle symbolise dans son cœur ce qui est en train de venir, comme le dit Luc : « Marie gardait avec soin toutes ces choses et les symbolisait dans son cœur. » (Lc 2, 19)

 

● L'enfant, la grotte, l'âne et le bœuf.

L'enfant est comme une tache blanche avec derrière lui la nuit d'une grotte. Son visage auréolé est déjà adulte. La grotte n'est pas mentionnée dans les évangiles. L'écrit le plus ancien qui la mentionne la grotte date du milieu du IIe siècle. Dans le Dialogue avec Tryphon, saint Justin le Philosophe cite l'évangile selon Matthieu, et ajoute : « L'enfant était alors né à Bethléem ; comme Joseph n'avait pas où loger en ce village, c'est dans une grotte toute proche de ce village qu'il s'installa. » (Dial. 75, 5)

D'après le récit de Luc l'enfant se trouve dans une mangeoire, préfiguration du fait qu'il se donnera à manger. En fait ici il ne repose pas sur la paille d'une mangeoire d'animaux, mais sur une pierre, c'est même une construction assez haute, presque en forme de table. Et puisque ses langes ressemblent beaucoup aux bandelettes funéraires, ce berceau ressemble beaucoup à un tombeau. Mn tombeau. Cette grotte représente donc le tombeau où le Christ mort reposera trois jours, et dont il sortira vivant. Par-là est déjà indiquée la victoire de la vie sur la mort

Deux bêtes habitent la grotte, ce sont l’âne et le bœuf, ils ont le museau posé sur la mangeoire, les yeux fixés sur l’enfant couché à l’endroit de leur nourriture. Ils ne sont pas décrits dans les évangiles, mais on les trouve dans des prophéties de l’Ancien Testament[2], dont deux sont citées par l'Évangile du pseudo-Matthieu : « Le troisième jour après la naissance de Notre Seigneur Jésus Christ, Marie sortit de la grotte et, entrant dans l'étable, posa l'enfant dans la crèche. Le bœuf et l'âne l'adorèrent. Alors s'accomplit la parole du prophète Isaïe, disant : le bœuf connaît son possesseur, et l'âne la crèche de son maître (Is 1, 3). Ces animaux se tenaient aux côtés de l'enfant et l'adoraient sans cesse. Alors s'accomplit la parole du prophète Habakuc disant : tu seras reconnu entre deux animaux (Hab 3, 2). »

 

● Les anges

Il y a trois anges sur l'icône. On sait que les anges sont les habitants du ciel et les messagers de Dieu. Ce sont eux qui annoncent la bonne nouvelle qu'est la naissance du Sauveur.

Les deux anges de gauche sont debout, et semblent regarder l'étoile. La main du premier est voilée en signe de profond respect, la main du second désigne l'enfant. Ils viennent adorer l'enfant qui vient de naître, et d'après saint Luc, ils chantent : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, aux hommes bienveillance. »

L'ange de droite est tourné vers les bergers et leur annonce la bonne nouvelle.

 

trois mages, icône de la Nativité● Les rois mages.

Sur l'icône précédente les mages sont à pied, mais sur d'autres icônes ils sont parfois à cheval, donc en voyage. Le premier est un vieillard à barbe blanche, le second un homme qui porte cheveux et barbe châtains, et q le troisième est un jeune homme imberbe. Ils symbolisent donc les trois âges de la vie : jeunesse, maturité et vieillesse.

Les mages ne sont représentés dans les icônes que depuis le XIIe siècle. On les trouve dans l'Évangile de Matthieu qui ne précise ni leur nombre, ni leur statut social (il n'est pas dit qu'ils sont rois). On a considéré qu'ils étaient trois de façon à symboliser les trois parties du monde connu : Europe, Asie, Afrique ; en se référant à une prophétie d'Isaïe, on en fit des rois : « les nations marchent vers ta lumière, et les rois vers la clarté naissante. » Les cadeaux qu'ils apportent sont l'or qui est le signe de la royauté, l'encens qui est le signe du sacerdoce, la myrrhe qui sert à l'embaumement et est ici l'annonce de la mort et de la résurrection du Sauveur

 

● Les bergers

Les bergers sont les habitants de la terre. 

Comme les mages, ils sont trois : un homme mûr, un adolescent et un vieillard (celui qui est face à Joseph). Ils sont vêtus simplement et comme on le voit sur celui de gauche, ils ont à la main une houlette. Ici ils sont tournés vers l'ange qui leur annonce la bonne nouvelle. Leurs bêtes sont autour d'eux.

Sur d'autres icônes ils sont autour d'un feu, et l'un d'entre eux joue de la flûte, et parfois ils ont l'air effrayés par l'apparition de l'ange.

 

le bain du nouveau-né, icône de la Nativité● Le bain de l'enfant

Sur les icônes la scène du bain est représentée en bas, dans le prolongement des pieds de Marie.

Cette scène ne vient pas des évangiles mais du proto-évangile de Jacques. Le but est de montrer que l'enfant est nettoyé comme tout bébé qui vient de naître, sauf qu'ici le bébé se tient tout seul, c'est déjà un enfant. Il faut savoir que, si aujourd'hui ce qui pose problème c'est plutôt la divinité du Christ, au début c'était au contraire son humanité qui posait problème. En fait, comme le Christ a assumé toute la condition humaine excepté le péché (He 4, 15), on pourrait penser qu'il n'a pas de souillure et donc qu'il n'a pas besoin d'être lavé. Certains voient dans cette scène le symbole du futur baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain.

 

Joseph et le vieux berger, icône de la Nativité● Saint Joseph et le vieillard.

Joseph est représenté en bas, à gauche, enveloppé dans son manteau, la tête appuyée sur une main. Il semble ne pas prendre part à ce qui se déroule autour de lui[3], et de fait, il n'est pour rien dans cette naissance. Son attitude suggère le doute à propos de cette naissance.

Un vieillard est souvent représenté face à Joseph. Vêtu d'une peau de bêtes, il semble être un des bergers, et sur les icônes russes des XVe - XVIe siècles, il est effectivement désigné comme berger. Il est représenté de profil. Peut-être réconforte-t-il Joseph avec la sagesse de son grand âge ?

On trouve de très nombreuses interprétations de ce vieillard. Pour certains il s'agirait du diable pour d'autres ce serait un prophète, mais pour qui connaît le symbolisme des icônes, cela ne tient pas.

Il représente peut-être chacun de nous selon une méditation du père Lev Gillet :

  • « La naissance de Jésus à Bethléem n'est pas un lointain événement historique qui ne me concerne point. Et, si elle me concerne, ce n'est pas seulement parce que je suis membre de la grande collectivité humaine. Le message de Noël n'est pas adressé à l'humanité en général. Il est adressé en particulier à chaque homme. Il atteint chaque âme d'une manière unique et exceptionnelle. C'est à moi – autrement qu'à tout autre homme – cette joie est annoncée ; c'est à moi et pour moi qu'un sauveur est né. Reconnaissons dans la nativité du Christ un don très personnel. Recevons ce don avec foi et reconnaissance. » (Lev Gillet, L'an de grâce du Seigneur. Un moine de l'église d'Orient. Cerf).

 

Deuxième partie 

 Les textes de Luc 6-14 et Matthieu 2, 1-12

 

La plupart des épisodes mis en scène par l'icône viennent du texte de Luc. Le texte de Matthieu ne décrit pas la naissance de Jésus mais parle de la venue des mages, et on pourrait penser qu'ils sont venus à Jérusalem à une époque différente de la naissance. D'ailleurs pour désigner Jésus, Luc parle d'un bébé tandis que chez Matthieu les mages adorent un enfant. Dans l'évangile apocryphe du pseudo-Matthieu on lit que les mages sont arrivés deux ans après la naissance de Jésus. Beaucoup de commentateurs pensent qu'en fait les icônes ne montrent pas l'arrivée des mages mais leur voyage, et d'ailleurs dans les icônes anciennes, les mages sont clairement séparés de la grotte où se trouve Marie.

 

1) Texte de Luc commenté par Jean-Marie Martin

C'est chez saint Luc qu'on puise une grande partie de ce qui concerne la naissance de Jésus. Le récit de Luc 2, 6-14 se compose de deux parties bien distinctes : un récit extrêmement plat, extrêmement rapide, ensuite la convocation du ciel et de la terre pour célébrer la dimension de ce qui est dans cet épisode minime.

«6Et il fut, tandis qu'ils étaient là, que s'emplirent les jours où elle devait enfanter. 7Elle enfanta son fils premier né et elle le langea et le posa dans une mangeoire puisque ce n'était pas une place pour eux dans la salle commune (à l'auberge). – On interprète souvent ce texte en s'apitoyant sur le sort de cet enfant qui n'a pas été accueilli à l'auberge. Mais le texte en fait dit que là n'était pas sa place, tout simplement ! –

8Etdes bergers étaient dans cette région, veillant et gardant les gardes de la nuit sur leurs troupeaux. 9Et un ange du seigneur se tint auprès d'eux, et la gloire du Seigneur les illumina et ils craignirent d'une grande crainte. 10Et l'ange leur dit : "Ne craignez pas, voici que je vous évangélise (que je vous annonce) une grande joie qui est pour tout le peuple, 11c'est que vous est né en ce jour un sauveur qui est Christ Seigneur dans la ville de David. 12Et voici le signe : vous trouverez un bébé langé et posé dans une mangeoire". 13Et alors, aussitôt, l'armée des anges du ciel se met à chanter Dieu et à dire : 14"Gloire dans les hauteurs à Dieu, paix sur terre, aux hommes bienveillance. »

Le verset 14 est en général traduit de la façon suivante : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (ou aux hommes que Dieu aime). ». Dans le texte il n'est pas précisé la bienveillance de qui, il y a des traductions qui ont pensé que c'était la bonne volonté de Dieu – donc "que Dieu aime" –, et d'autres qui ont pensé que c'était plutôt la bonne volonté des hommes – donc "aux hommes de bonne volonté". On comprend très bien la double traduction. En fait, plutôt qu'un binaire (le ciel et la terre sur laquelle sont les hommes), nous avons un ternaire plus probablement.

  • ce qui est la gloire de Dieu dans le ciel,
  • c'est la paix sur la terre,
  • et l'homme est l'agrément du ciel et de la terre, c'est-à-dire est la bonne entente entre ciel et terre.

 

Ici, ce qui est intéressant, c'est que pour marquer la véritable dimension de cet événement apparemment infime qu'est la naissance d'un bébé, on évoque et on convoque le ciel et la terre :

  • les habitants du ciel, les angéloï, c'est-à-dire des fragments de la parole
  • et les gardiens de la terre, les bergers ;

donc ciel et terre, l'angélique et l'humain. Voilà une belle répartition qui rappelle le quadriparti qui intervient dans la définition de "la chose" par Heidegger : le ciel et la terre, les divins et les mortels.

Voyez quelle ampleur est donnée dans le texte de Luc : ciel et terre sont pris à témoin.

 

b) Texte de Matthieu 2, 1- 12.

C'est chez saint Matthieu qu'on trouve une allusion à la visite de savants venus voir le bébé qui vient de naître. En fait dans le texte de Matthieu, les mages sont décrits comme étant des savants (spécialistes des étoiles) et des étrangers (ils viennent d'Orient). Il ne donne ni leur nombre, ni leur nom, ni leur couleur de peau… et ils ne sont pas rois ! Le chiffre traditionnel de "trois mages" a peut-être été retenu parce qu'il y avait trois sortes de présents différents : or, encens, myrrhe. Selon les commentaires, les mages représentent les 3 âges de la vie, les 3 continents seulement connus à l'époque (Asie, Afrique, Europe), les 3 fils de Noé… Les noms de Balthazar, Gaspard et Melchior sont apparus au VIIIe siècle.

 

Voici la traduction de sœur Jeanne d'Arc :

  • 1Jésus né à Bethléem de Judée, aux jours d'Hérode le roi ; voici : des mages d'Orient arrivent à Jérusalem. 2Ils disent : « Où est le nouveau-né, roi des Juifs ? Car nous avons vu son étoile à l'Orient. Et nous venons nous prosterner devant lui. » 3Quand il entend, le roi Hérode est troublé, et tout Jérusalem avec lui. 4Il rassemble tous les grands prêtres et scribes du peuple. Il s'enquiert auprès d'eux : « Où doit naître le messie ? » 5Ils lui disent : « À Bethléem de Judée, ainsi qu'il est écrit par le prophète : 6“Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit parmi les chefs-lieux de Juda ! Car c'est de toi que sortira un chef qui sera le berger de mon peuple Israël.” » 7Alors Hérode à la dérobée appelle les mages. Il se fait préciser par eux le moment où a brillé l'étoile. 8Il leur donne mission pour Bethléem. Il dit : « Allez, informez-vous avec précision sur le petit enfant. Et quand vous aurez trouvé, annoncez-le moi, pour que moi aussi je vienne me prosterner devant lui. » 9Ils entendent le roi, et vont. Et voici : l'étoile qu'ils avaient vue à l'orient les précédait jusqu'à ce qu'elle vienne se tenir au-dessus : où est le petit enfant ! 10En voyant l'étoile, ils se réjouissent de fort grande joie. 11Ils viennent dans la maison et voient le petit enfant avec Marie, sa mère. Ils tombent et se prosternent devant lui. Ils ouvrent leurs trésors, et lui offrent des présents : or, encens et myrrhe. 12Avertis en rêve de ne pas repasser chez Hérode, par un autre chemin ils se retirent vers leur pays.

 

Voici ce que dit Olivier Clément dans La Croix du 3 janvier 1998 :

  • Les mages. L'Évangile nous dit qu'ils venaient d'Orient et qu'ils étaient guidés par une étoile. À l'origine, c'étaient des prêtres mazdéens, zoroastriens (le mazdéisme, religion iranienne, insistait sur la dualité de la lumière et des ténèbres). À l'époque de Jésus, on appelait mages non seulement des prêtres mais des astrologues et des magiciens orientaux. Pour l'évangéliste Matthieu, ce sont des sages (et des savants) païens, ils symbolisent la participation des autres cultures, non bibliques, au mystère de la Nativité, ce qui n'est pas sans importance aujourd'hui pour le dialogue interreligieux. Au IIe siècle, saint Justin devait évoquer les "semences du Verbe" partout présentes. Le Dieu-homme (et l'homme christifié) est plus que les astres, ce n'est pas le cosmos qui le sauve, c'est lui qui sauve le cosmos : seule réponse aux intuitions archaïsantes du " New Age " !
    L'étoile est miraculeuse, ou exceptionnelle (une comète, une supernova). Peut-être s'agissait-il d'un thème astrologique : il y avait alors, en Orient, des astrologues voyageurs.
    L'encens et la myrrhe sont des parfums arabes, eux aussi témoins d'universalité. L'Église a vu dans l'or le signe de la majesté royale, dans l'encens, celui du sacerdoce suprême, dans la myrrhe, l'annonce de la mort et de la résurrection du Sauveur


[1] Aux premiers siècles, on célébrait en même temps les premières épiphanies (manifestations) du Christ : la Nativité, l'adoration des Mages, le baptême de Jésus dans le Jourdain, les Noces de Cana. On le faisait le 6 janvier, date approximative du solstice. Lorsque la fête de Noël est apparue en Occident au IVe siècle, la Nativité a été reportée au 25 décembre pour diverses raisons. Pour certaines Églises orthodoxes, dont le calendrier liturgique est basé sur le calendrier julien, la date du 25 décembre correspond au 7 janvier du calendrier civil actuel et au solstice d'hiver du calendrier égyptien. Seule l'Église apostolique arménienne a conservé la date précise du 6 janvier comme jour de la fête de Noël. Les catholiques fêtent l'adoration des Mages le 6 janvier et le Baptême plus tard. Les orthodoxes qui ont accepté le calendrier grégorien fêtent le Baptême du Christ le 6 janvier.

[2] On a aussi en Isaïe : "Le bœuf connaît son propriétaire et l'âne le râtelier de son maître, mais Israël ne connaît pas et mon peuple ne comprend pas" (Is 1,3).

[3] Ce n'est qu'à partir du XVe siècle que dans la représentation de la nativité, saint Joseph est représenté près de l'enfant Jésus, en face de la vierge et dans la même attitude.

 

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