Dans le langage courant, le mot "évangile" se rapporte à un des quatre évangiles du Nouveau Testament. Mais pour saint Paul qui écrit avant que ces 4 évangiles ne soient écrits, cela désigne autre chose, puisqu'il dit en 1 Cor 15 : « Je vous fais connaître, frères, l'Évangile que je vous ai évangélisé (que je vous ai annoncé) et que vous avez reçu dans lequel vous vous tenez et par lequel vous êtes saufs ». C'est dans ce même texte que se trouve la formule de notre Credo : « Il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures ».
1 Cor 15, 1-11 est un texte fondamental pour approcher ce que signifie "Ressuscité".
Dans son cours à l'Institut Catholique de Paris en 1980-81, Jean-Marie Martin a débuté l'année en étudiant quatre mots fondamentaux dont le sens est important puisque c'est à partir d'eux que les autres textes s'entendent. Il s'agit de Ressuscité, Seigneur, Fils de Dieu, Image de Dieu, et à chaque fois un ou plusieurs textes de Paul ont été convoqués. Sur ce blog dédié à J-M Martin, à chaque mot va correspondre un message :
I – Ressuscité (1 Cor 15), présent message
II – 2/ "Seigneur" selon Rm 10, 6-17 ;
III – 3/ "Fils de Dieu" selon Ac 13, Rm 1, Ep 1 et autres ;
IV – 4/ "Image de Dieu" selon Ph 2, 6-11 ;
Introduction au chapitre des premiers mots de l'Evangile
En ce début d'année, nous recueillons dans l'ensemble du Nouveau Testament quelques textes fondamentaux qui disent l'Évangile au singulier, avant les évangiles. C'est un préalable au niveau historique puisqu'il atteste les premiers mots du christianisme, et c'est un préalable fondamental théologiquement, car c'est à partir de ces mots que les autres textes s'entendent.
Nous aurons quatre textes (ou série de textes), à chacun je donne un titre : I – Ressuscité (1 Cor 15) ; II – Seigneur (Rm 10) ; III – Fils de Dieu (Ac 13, Ep 1, etc.) : IV – Image de Dieu (Ph 2).
I – Ressuscité
Lecture de 1 Cor 15, 1-11 et 23-26
- « 1Je vous fais connaître (gnôrizô), frères, l'Évangile que je vous ai évangélisé (que je vous ai annoncé) et que vous avez reçu dans lequel vous vous tenez 2et par lequel vous êtes saufs. […]
- 3Car je vous ai transmis (paredoken) en premier…– le mot parédoken a une certaine importance, c'est le mot qui donnera paradosis que l'on traduit par tradition, transmission. Je vous ai transmis "en premier" : comme la chose de première importance, ou bien : dans mon premier séjour parmi vous. Dans les deux cas il s'agit de quelque chose de fondamental.
- … ce que j'ai moi-même reçu – voilà une introduction qui nous met en attente. Qu'est-ce que cet évangile en premier ? – à savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures4qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures–.
Ce texte vous rappelle sans doute le Credo. Mais vous voyez bien par où commence le Credo : il ne commence pas par « je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et la terre ». Nous avons ici le cœur de notre Credo, et les différents credo qui se sont élaborés, déjà à partir de la primitive Église, se développent autour de cela.
Nous retrouvons donc ici l'annonce de la mort et de la résurrection du Christ comme cœur du discours chrétien, comme Évangile. Vous me direz peut-être : « Mais ici, la mort du Christ est notée en premier et non pas la Résurrection comme vous semblez l'indiquer par le titre de la partie du chapitre qui est "Résurrection". » Oui, mais nous apprendrons à comprendre que mort et Résurrection du Christ ne sont pas deux choses différentes. Confesser la Résurrection du Christ, c'est confesser sa mort. Penser que Jésus, jadis, un jour est mort, comme tel ce n'est pas une affaire de foi, c'est une affaire d'historien ou éventuellement de bon sens. La mort du Christ n'est de l'ordre de la foi qu'à la mesure où c'est la mort du Ressuscité, c'est-à-dire à la mesure où c'est une mort pour la résurrection. C'est cet ensemble non disjoint qui est le cœur du Credo.
Ce que j'indique ici sur l'identité de la mort et de la Résurrection du Christ qui peut paraître mystérieux à première écoute, nous le retrouverons de façon intelligible d'une part dans le texte de Philippiens 2, et d'autre part lorsque nous lirons le récit de la passion et de la mort du Christ chez saint Jean comme intronisation royale[1], c'est-à-dire comme résurrection du Christ.
Avec le texte de 1 Cor 15, nous lisons un texte très précieux à plusieurs égards. D'abord parce que d'abord c'est un texte d'une des premières épîtres, écrit sans doute peu après les années 55, ensuite parce que dans ce texte saint Paul fait état de quelque chose qui lui a déjà été transmis, qu'il a reçu, qu'il a transmis à ses Corinthiens dans une rencontre antérieure et en quoi déjà ils se tiennent. Il y a donc là une attestation qui, historiquement même, nous approche au plus près des origines chrétiennes.
Donc, une des premières attestations de cette parole se réfère à ce que nous appellerions la tradition, la transmission. Cette même parole se réfère secondement dans le texte aux Écritures : « selon les Écritures ». Ici les Écritures désignent évidemment ce que nous appelons l'Ancien Testament, et il nous faudra apprendre à voir comment de façon souvent déconcertante pour nous, peu conforme à ce qui se passe dans un cours d'Ancien Testament aujourd'hui, les données fondamentales du christianisme sont lues dans l'Ancien Testament.
Ce "selon" indique un type de rapport, de référence, de relation qui aura une importance constituante dans le discours chrétien.
- Je poursuis notre texte. « … 5et qu'il s'est donné (ôphthê)à voir à Képhas, puis aux douze, 6 ensuite il s'est donné à voir (ôphthê) à plus de 500 frères en une seule fois, parmi lesquels la plupart demeurent (vivent) encore maintenant, certains cependant sont morts ; 7 Ensuite il s'est donné à voir (ôphthê)à Jacques et à tous les apôtres ; 8 et au dernier de tous comme à un avorton, il s'est donné à voir (ôphthê)à moi aussi.. »
J'ai traduit le grec ôphthê par "il s'est donné à voir" alors que la traduction littérale serait "il a été vu". En effet ce mot traduit sans doute le niphal hébraïque, un mode qui se traduit bien par "il s'est fait voir", "il s'est donné à voir".
D'après ce passage, en plus de la tradition que nous commémorons, en plus d'un certain mode de lecture des Écritures, saint Paul provoque à ce que nous appelons provisoirement "des expériences", à savoir l'expérience de la Résurrection qui est partagée dans la première communauté chrétienne. Ce qu'on appelle d'habitude les apparitions du Ressuscité n'est pas quelque chose d'ajouté à la Résurrection qui aurait déjà sa consistance, mais ça en fait partie intégrante, la Résurrection n'a pas lieu sans son recueil.
L'an dernier nous avons étudié les premiers versets de la première lettre de Jean où il était fait mention précisément de cette expérience du Verbe de la vie : « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu, ce que nous avons touché de nos mains etc. ».
Le terme d'"expérience" que j'utilise ici n'est qu'un terme provisoire parce que d'une part nous sommes tentés de référer les verbes corporels du voir, du toucher, de l'entendre à ce que nous appelons nos expériences, et que d'autre part la parole chez nous n'est que ce qui relate le fait de notre expérience. Donc il est probable que ce qu'évoque chez nous le terme d'expérience n'est pas suffisant pour entendre encore ce texte.
Quand ici je conteste la notion de "fait" pour parler de la Résurrection, n'entendez pas que je penserais que la Résurrection n'est pas quelque chose d'assez solide ou d'assez assuré pour mériter le nom de "fait historique" ; c'est le contraire : notre notion de fait historique est trop infirme pour dire ce que dit le mot originel de Résurrection ; c'est un concept insuffisant, inadéquat pour apercevoir ce dont il est question lorsque la première communauté chrétienne dit : « Jésus est ressuscité ».
Comme nous n'étudions pas saint Paul particulièrement cette année mais saint Jean, je vous indique quelques traces remarquables dans ce chapitre 15.
D'abord la question de la Résurrection du Christ est apportée ici par la contestation qui s'élève à Corinthe à propos de notre résurrection : « Certains disent que nous ne ressusciterons pas. », ce qui fait que tout ce chapitre 15 traite de la Résurrection du Christ dans son rapport à notre résurrection. Autrement dit, d'une part c'est un chapitre anthropologique, c'est un chapitre qui parle du sens de l'homme, et d'autre part c'est simultanément un chapitre christologique comme nous venons de le voir. Il importe de savoir que ces deux choses ne doivent pas être disjointes. En effet, quand il s'agit du Christ, il s'agit toujours de ce qui révèle ce qu'il en est de l'homme, c'est-à-dire que ce mot de Résurrection tel qu'il résonne spontanément chez nous risquerait d'être affecté de plusieurs carences, d'abord en ampleur : on pourrait penser qu'il s'agit de quelque chose qui concerne individuellement Jésus-Christ, alors qu'il y va de toute l'humanité ; ensuite dans l'intensité du concept : ces textes ne parlent pas à partir de notre distinction du corps et de l'âme, car ce qui est en jeu ici ça n'est pas ce que nous appellerions l'éventuelle résurrection des corps en considérant par ailleurs que de toute façon, l'âme est immortelle ! Ce qui est en question ici, c'est la totalité de la vie ou de la non-vie (de la mort).
Donc ce rapport de la Résurrection du Christ et du destin de l'humanité appartient à la première structure de l'Évangile. Mais à ce niveau-là, il reste profondément mystérieux.
Surtout, n'apprenez à ne pas vous contenter des explications que des théologies postérieures que nous étudierons aussi et que nous critiquerons, apporteront pour penser cette relation.
Quand je dis « il est mort et ressuscité pour nous », nous avons toujours une certaine pré-compréhension de ce "pour". Nous avons une explication toute prête à donner, l'explication indigente qui ne laisse pas sa chance au mystère de cette unité de l'humanité dans Jésus-Christ.
Rien n'est important comme les tout petits mots. Je crois que plus les mots sont petits, plus ils sont importants. Ici, "pour nous". Saint Paul dit ailleurs : "ceux du Christ", donc avec le "de", et parfois "dans le Christ", avec le "dans". Ces petits mots sont affectés de significations issues de notre expérience, de notre expérience d'humanité éclatée, et nous ne savons pas ce qu'ils disent quand ils parlent de l'humanité rassemblée en Jésus-Christ.
Nous avons ici la première approche de cette question extrêmement importante qui est par exemple la question du salut par la mort et la résurrection de Notre Seigneur Jésus Christ, toute première approche qui cherche ici à nous mettre en garde contre toute prétention d'intelligence hâtive de ce dont il s'agit.
Une autre chose que je voudrais relever dans ce texte : versets 23-26.
- « 23Mais chacun a son propre rang, en prémice le Christ – La signification de cette notion de prémice de notre résurrection, nous l'avons étudiée certaines aller et je ne fais ici que la mentionner en passant – ensuite ceux du Christ – c'est-à-dire dans sa présence – 24ensuite la fin quand il rendra le règne au Dieu et Père, qu'il aura détruit toute principauté, tout pouvoir et puissance, 25car il faut qu'il règne jusqu'à ce qu'il place tous les ennemis sous ses pieds – citation du psaume 110 - 26Dernier ennemi réfuté, c'est la mort. »
Ce texte est intéressant à plusieurs titres et je ne garde que ce qui nous intéresse maintenant.
Il y a la mention du règne (basiléia) dont il est question par ailleurs dans les évangiles. La prédication du règne de Dieu, c'est l'Évangile : le Christ règne pour autant qu'il vainc les ennemis. Ici les ennemis ce sont les puissances qui s'expriment dans le langage quasi astrologique de l'époque, mais qui désignent en fait tout ce qui pose des limites à l'homme, la limite radicale de l'homme étant la mort. Vaincre la limite radicale de l'homme, vaincre la mort, c'est être maître de la mort, c'est être Seigneur. Vaincre la mort, c'est ressusciter. Ressuscité et Seigneur signifient la même chose : Christ Roi Seigneur Ressuscité, tout cela dit le même.
Dans le passage que nous venons de lire, le vocabulaire est tiré quasi intégralement du Psaume 110. À certaines années nous avons étudié la christologie néo-testamentaire de ce Psaume[2] : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite. » Dans le premier christianisme, l'expression "assis à la droite" est très importante, elle désigne la résurrection, cela signifie qu'il est Seigneur.
« Jusqu'à ce qu'il place ses ennemis sous ses pieds », ici c'est une phase du psaume 110 qui est citée.
Dans ce psaume on a aussi « avant l'astre du matin, je t'ai engendré », ce qui désigne la filiation. Il y a aussi « Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melkisédeq », expression qui se trouve commentée surtout dans l'épître aux Hébreux.
Donc dans ce psaume se trouvent autant de mots qui sont ce par quoi l'expérience chrétienne initiale de la résurrection vient à se dire. On a là un exemple de "selon les Écritures" dont nous parlions tout à l'heure. Et cette expression ne vient pas là par hasard, nous verrons d'autres exemples d'emploi plus caractéristiques.