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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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19 janvier 2023

Premiers mots de l'Évangile. 3/ "Fils de Dieu" selon Ac 13, Rm 1, Ep 1 et autres

La façon dont nous pensons l'expression "Fils de Dieu" n'a pas grand-chose à voir avec la façon dont originellement elle s'introduit dans le Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament "fils de Dieu" est le nom du peuple de Dieu ou du roi qui fait l'unité du peuple. Par exemple David est le berger, il est le roi, et il est appelé fils de Dieu. Or si des expressions comme Fils de Dieu, Christ, Seigneur préexistent à la Résurrection, quand elles sont employées dans le Nouveau Testament, elles prennent un sens neuf et plus originel à partir de l'expérience de Résurrection. Pour saint Jean et saint Paul, Fils de Dieu signifie Ressuscité

 

Christ aux mille visagesVoici un extrait du début du cours de Jean-Marie Martin à l'Institut Catholique de Paris en 1980-81. Il y a introduit quatre titres : Ressuscité, Seigneur, Fils de Dieu, Image de Dieu en lisant surtout des textes de saint Paul. C'est donc en troisième qu'il étudie le titre de "Fils de Dieu".

        I – 1/ "Ressuscité" selon 1 Cor 15, 1-11 et 23-26  ;
        II – 2/ "Seigneur" selon Rm 10, 6-17  ;
        III – Fils de Dieu (Ac 13, Rm 1, Ep 1, etc.), présent message
        IV – 4/ "Image de Dieu" selon Ph 2, 6-11 :

 

 

Fils de Dieu

Lecture de textes de Ac 13, Rm 1, Ep 1 et autres

 

Nous sommes en train d'épeler les premiers mots de l'Évangile. Le premier mot de l'Évangile c'est « Jésus est ressuscité », et nous avons déjà dit que le même se dit également sous d'autres formes : « Jésus est Seigneur » ; « Jésus est Fils de Dieu » -c'est ce que nous allons voir maintenant –, « Jésus est image de Dieu » que nous verrons ensuite... Ces différentes expressions disent le même, et néanmoins il existe aussi une articulation interne de ce même.

Je me servirai de l'exemple architectural du "module". En effet le module est un ensemble de relations et de proportions fondamentales, à partir de quoi ensuite s'élabore l'unité de toute la construction. Ce que nous cherchons maintenant, c'est le module qui nous donnera l'intelligence de la totalité du Nouveau Testament.

J'ai parlé de module en disant qu'il s'agissait de "proportions fondamentales", donc d'un certain nombre de rapports. Il y a en effet le rapport de la résurrection aux premières choses, ce qu'on appelle la protologie ; il y a le rapport de la résurrection du Christ à la totalité de l'humanité, un certain rapport d'inclusion assez difficile à saisir ; et il y a d'autres choses de ce genre.

Nous serons amenés sans doute à trouver à plusieurs reprises quelques textes fondamentaux recueillis dans l'ensemble du Nouveau Testament et notamment des textes antérieurs à la rédaction des évangiles. Que ces redites ne vous inquiètent pas car il y a loin entre apercevoir un texte et le constituer pour soi comme module de la totalité.

Je suis moi-même étonné de ce que je reviens à ces textes depuis un bon nombre d'années, et à chaque fois en apercevant que je n'avais pas mesuré, non seulement -cela va de soi -l'ampleur du texte, mais même le sens de ce que moi-même j'en avais dit. Nous reviendrons sur cette question au terme de ce chapitre, par mode de conclusion, lorsque nous essaierons de rassembler ce je que j'appelle maintenant les proportions fondamentales de ce module de l'Évangile.

 

Donc nous étudions "fils de Dieu".

Nous sommes tentés d'une double méprise lorsque ce mot est prononcé.

Premièrement nous sommes tentés de penser cette expression à partir de notre expérience de fils à père. Or l'Évangile ne parle pas à partir de notre expérience. Je ne dis pas qu'il ne parle pas "dans" notre expérience, je dis qu'il ne parle pas "à partir de" notre expérience. En effet, "Fils de Dieu" dans le Nouveau Testament signifie "Ressuscité" comme nous allons le voir, quelle que soit, encore une fois, l'évolution sémantique antérieure de l'expression "fils de Dieu" en tant qu'elle s'applique par exemple à l'ensemble du peuple d'Israël. Cette expression est ici ressaisie à partir de la résurrection. Par ailleurs, il faudrait voir comment, chez les Anciens déjà – c'est-à-dire au titre d'une différence de culture et non pas encore au titre de la différence fondamentale qui existe entre la résurrection et toute culture, mais déjà au titre d'une autre culture chez les anciens –, le fils est d'une certaine manière la présence du père, la présence de ce qui est caché dans le père. Et ceci est très important à notre propre sensibilité d'aujourd'hui à propos du rapport père/fils, d'une part en tant qu'elle est vécue, et d'autre en tant qu'elle donne lieu à des lectures contemporaines, comme celle de la psychologie de la psychanalyse où le fils est plutôt pensé en altérité, éventuellement mortelle. Ne transportons pas ce moment de la sensibilité occidentale sans précaution dans l'intelligence d'un texte comme celui que nous sommes conduits aujourd'hui à lire. C'est une première méprise possible.

Une seconde méprise serait issue plutôt de la théologie apprise elle-même. Dans cette théologie, l'expression de "fils de Dieu" nous conduirait du côté de ce Dieu déjà connu comme auteur de toutes choses, qui aurait de toute éternité un fils, qui ensuite s'incarnerait etc. Dans cet ensemble imaginaire l'expression de "Fils de Dieu" se rapporte tout entière du côté du Dieu créateur et n'a que peu d'incidence par rapport à la vie du Christ et à la résurrection. Nous verrons qu'il n'en est absolument rien dans le Nouveau Testament.

 

Il y aura trois moments dans la lecture des textes.

  1. d'abord quelques textes sur le mot "fils" ;
  2. ensuite la série des Épiphanies de la gloire ;
  3. enfin le grand texte du chapitre premier de l'épître aux Éphésiens.

 

1) Trois textes : Ac 13, 33sq ; Incipit des Romains ; Luc 20, 36

 

a) Tout d'abord le mot de Paul dans son discours à Antioche de Pisidie tel qu'il est rapporté dans les Actes des apôtres (Ac 13, 33sq). :

  • « Dieu l'a ressuscité des morts… selon ce qui est écrit dans le psaume 2 : “Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré”. »

L'engendrement, la filiation, c'est la résurrection. Et je vous fais remarquer à propos des articulations dont nous parlions, que nous trouvons le mot "selon" (Dieu l'a ressuscité… selon ce qui est écrit…). Ce "selon" est un type d'articulation interne du discours évangélique fondamental, c'est le rapport de la résurrection à l'Écriture : "selon les Écritures" (on le trouve dans le Nouveau Testament et on l'a aussi dans le credo). Nous verrons plus tard qu'il y a un rapport entre "selon les écritures" et "selon les premières choses".

 

b) Il faut aller également l'incipit de l'épître aux Romains, c'est-à-dire les premiers versets[1] :

  • « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à être apôtre séparé pour l'Évangile de Dieu, qui a été préévangélisés à travers les prophètes dans les Écritures saintes, évangile au sujet de son Fils, devenu de la semence de David selon la chair, déterminé fils de Dieu en puissance selon un esprit de sainteté de par la résurrection des morts. »

À propos de ce texte, deux remarques. La première ce serait une méprise de penser que ce texte veut dire que Jésus qui était un homme est devenu, au jour de la résurrection des morts, Fils de Dieu de par la résurrection. Cela implique que le jour de la résurrection n'est pas à entendre ici comme un fait ponctuel dans le décours de notre histoire. Cela implique que la résurrection est déjà tout entière dans la vie mortelle de Jésus Christ. Cela implique que nos Évangiles ne soient pas simplement la relation historique d'une vie mortelle quelconque, mais la lecture de cette vie mortelle dans la dimension de résurrection qui y est incluse. Nous verrons ce point, très important méthodologiquement pour nous, se préciser. Je veux bien qu'un historien fasse fi, à titre d'historien, c'est-à-dire de quelqu'un qui a la charge de la lecture des temps mortels de notre expérience, et essaie de conjecturer derrière les évangiles ce qui s'est passé. Notre affaire à nous est d'entendre la parole de résurrection, la présence de résurrection dans les textes mêmes des évangiles. C'est dans ce sens-là aussi que la résurrection sera l'élément modulaire de toute la construction des évangiles.

La deuxième remarque que je voulais faire à propos de ce texte est celle-ci : saint Paul distingue ici Jésus Christ "selon la chair" et "selon l'esprit". Une première lecture entendre que Jésus est "le fils de David selon la chair", et qu'il est "Fils de Dieu selon l'Esprit", c'est-à-dire qu'il a d'une part la nature humaine et d'autre part la nature divine. Je ne nie pas que Jésus Christ ait d'une part la nature humaine et d'autre part la nature et divine, néanmoins, ce que je dis, c'est qu'il ne s'agit pas de cela dans ce texte, et je dis que d'autre part l'introduction de la notion de "nature" qui appartient au développement de la pensée occidentale, ne peut que brouiller les proportions modulaires : cela ressemble un peu à ce qu'on fait lorsqu'à propos des proportions modulaires des longueurs qui dans le langage ancien s'exprimaient en pieds, en pouces, etc., on se met à les traduire en mètres et en centimètres. C'est vrai qu'il y a tant de mètres et de centimètres, et pourtant ça ne dit rien.

Nous aurons à voir progressivement que l'histoire et de la théologie elle-même et de la pensée occidentale pose des questions métriques à un système qui n'est pas métrique. Les réponses qu'elle donne à ces questions sont justes, mais elles sont justes dans le cadre de la question métrique posée… cependant, poser la question métrique, c'est peut-être s'aliéner de la structure fondamentale du texte

J'ai dit que ce texte ne disait pas que Jésus était le fils de David selon la chair et qu'il était fils de Dieu selon l'Esprit.

Je signale d'un mot, sans justifier encore, le sens positif de cette expression "selon" dans le texte que nous venons de lire. C'est que chez saint Paul "selon la chair" et "selon l'Esprit" sont des indications de deux façons différentes de voir. Autrement dit, à un regard simplement humain (selon la chair) le Christ est fils de David ; et à un regard spirituel, il est Fils de Dieu. Si bien qu'il y a ici la commémoration de deux façons de regarder le Christ, et non pas de deux éléments qui composeraient le Christ.

La christologie va s'engager de très bonne heure sur la compréhension du Christ comme composé d'éléments. On a même déjà des esquisses de cela dans la christologie archaïque, jusqu'au concile de Chalcédoine où c'est désormais la formulation la plus connue et la plus courante : nature humaine et nature divine. Or c'est selon l'Esprit qu'il est vu comme Fils de Dieu de par la résurrection.

À propos du fait qu'il est vu selon la chair comme fils de David, je vous signale que ceci est probablement à prendre dans un sens profane, c'est-à-dire comme quelqu'un qui descend de David, donc il s'agit d'une généalogie à vue humaine. Nous savons par ailleurs que l'expression "fils de David" peut avoir une signification messianique, une signification chargée de spiritualité, signification du reste ambigüe puisque parfois, elle a été reprise par les zélotes ou par les partisans un peu terrestres de Jésus pour lesquels « Hosanna au fils de David » disait peut-être cela pour une bonne part, mais cette expression pouvait également être prise en un sens tout à fait spirituel.

L'expression "fils de David" n'a donc pas toujours le même sens. C'est un principe de lecture que je vous donne une fois encore : le Nouveau Testament n'a pas une attitude univoque et simpliste à l'égard de l'Ancien Testament, mais il y a un très grand nombre de possibilités de lecture qui sont exploitées comme nous le verrons à propos d'autres textes.

Par exemple, à propos de la manne, on lit chez saint Paul que les Pères du désert ont mangé la manne et que la manne était le Christ, donc la manne est prise ici dans une signification pleine, recueille une plénitude spirituelle. Mais lorsque saint Jean dit : « Vos pères ont mangé la manne et ils sont morts, la manne n'est pas le pain du ciel », cette fois la manne n'a pas de signification pleine. Donc avec la même donnée vétéro-testamentaire il y a une multiplicité de possibilités d'attitudes dans l'ensemble du Nouveau Testament, et c'est là qu'il faut surtout éviter toute prise de position simpliste.

 

c) Toujours dans cette première série de textes et pour marquer le rapprochement entre l'idée de fils et l'idée de résurrection, je vous signale un texte qui se trouve dans Luc 20, 36. Ce n'est pas un texte proprement christologique. Je rappelle le contexte. Les Saducéens, donc les gens qui nient toute résurrection, posent une objection à Jésus. Ils commencent par raconter l'histoire de la femme qui se marie successivement avec sept hommes qui meurent les uns après les autres et donc il pose la question : « Lors de la résurrection, duquel d'entre eux va-t-elle être l'épouse ? » De ce qui est dit dans la réponse, c'est seulement le dernier mot qui nous importe : « Lors de la résurrection ni ils se marient, ni ils sont épousés, ils sont fils de Dieu étant fils de la résurrection. » Du point de vue de la signification de ce mot "fils de Dieu", nous avons ici un indice non négligeable.

 

2) Les Épiphanies de la gloire[2]

Il nous faudra progressivement percevoir comment cette filiation de par la résurrection se déploie dans la vie mortelle de Jésus. En lisant tout à l'heure le texte de Philippiens 2[3] (et on pourrait le voir dans saint Jean) nous verrons qu'elle se déploie jusque dans la mort de Jésus. Mais pour l'instant nous retenons un premier groupement qui est celui des "Épiphanies de la gloire", le mot "épiphanie" signifiant "manifestation", et la gloire étant un terme qui signifie quelque chose comme la présence de Dieu.

Ce groupement se trouve attesté dès les premiers commentaires de l'Écriture. Par exemple Clément d'Alexandrie, dans le carnet de notes qui s'intitule les Extraits de Théodote, parle de trois épiphanies : l'Épiphanie de la résurrection ; l'Épiphanie sur la montagne ; l'Épiphanie sur le fleuve. Voici deux passages des Extraits de Théodote :

  • « À cause de sa grande humilité, le Seigneur n'est pas apparu comme un ange, mais comme un homme. Et lorsque, sur la Montagne, il est apparu à ses apôtres, dans la gloire, ce n'est pas à cause de lui-même qu'il a agi en se manifestant ainsi, mais à cause de l'Église. » (N° 4)
  • « 1Comment se fait-il donc qu'ils ne furent pas effrayés en apercevant la vision lumineuse et qu'ils « tombèrent sur le sol en entendant la Voix » ? C'est que les oreilles sont plus difficiles à persuader que les yeux, et la voix inattendue frappe davantage. Il est vrai que Jean le Baptiste, en entendant la Voix, n'a pas été effrayé : c'est qu'il a entendu dans le pneuma (l'esprit) qui est accoutumé à une telle voix… 5Et encore : la Voix sur la Montagne arriva aux élus déjà initiés ; c'est pourquoi ils furent frappés par le témoignage donné à l'objet de leur foi ; tandis que la Voix sur le Fleuve était pour ceux qui allaient croire : c'est pourquoi cette voix fut négligée par eux asservis qu'ils étaient aux directives des docteurs de la loi. » (N° 5)

L'Épiphanie sur la montagne est ce que nous appelons la Transfiguration, lorsque Jésus change de figure (il se métamorphosa devant eux) ; l'Épiphanie sur le fleuve c'est le Baptême de Jésus : ces deux moments sont des émergences de la résurrection dans la vie mortelle de Jésus. Par exemple voyez le baptême en Marc 1, 9-11 ; Matthieu 3, 13sq ; Luc 3, 21. Pour la Transfiguration voyez Matthieu 17, 1 ; Marc 9, 2 ; Luc 9, 28 textes auxquels il faudrait ajouter la deuxième lettre de Pierre 1, 16 qui est une belle reprise. Et on pourrait peut-être y ajouter la le début de l'évangile de Jean qui est construit sur le thème du Baptême du Christ, nous l'avons vu l'année dernière.

Tu es mon fils bien-aimé, en toi j'ai mis ma complaisanceSi j'ai énuméré ces épisodes, c'est pour en arriver maintenant à la filiation comme élément commun significatif de cet ensemble. En effet nous avons vu en Ac 13, 33sq. que, lors de la résurrection, le Père dit « Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré » ; lors de la Transfiguration, la même voix dit : « Celui-ci est mon fils, écoutez-le » ; au Baptême la voix du ciel dit : « Tu es mon fils bien-aimé ».

Je vous ai déjà fait remarquer que dans les premières communautés chrétiennes, il existe des groupements de textes de l'Ancien Testament que l'on appelle des testimonia, ce sont des témoignages que l'Ancien Testament porte au Christ. Il y en a à propos du symbole de la pierre, à propos du symbole du bois, de l'eau etc. Et il y a un groupement de textes qui parlent du fils et qu'on retrouve ici. Ce qui me fait dire cela, c'est que pour la voix du ciel au baptême de Jésus, saint Justin met la citation du psaume 2  « Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré » (Dialogue avec Tryphon,  88, 8) qui  dans le texte de Paul que nous avons lu (Ac 13) était réservée à la résurrection. Autrement dit, il y a une possibilité de permutation des différents textes en tant qu'ils appartiennent à la même sphère, à la même réalité

 

3) Éphésiens 1, 3-4 et Rm 8, 29-30

J'en viens maintenant au début de l'épître aux Éphésiens[4].

Ce texte s'articule autour de la notion de filiation et c'est pour cette raison qu'il trouve place en ce moment de notre cours. En particulier il indique deux proportions de l'Évangile : d'abord la référence aux premières choses et ensuite l'être des hommes dans le Christ.

 

a) Les premières choses.

Le texte du Nouveau Testament est souvent structuré par une référence aux premières choses. Il s'agit souvent d'une référence aux premières choses de la Genèse ou aux premières choses de l'Exode, autrement dit à la constitution du monde ou à la constitution du peuple, et c'est ce que j'appellerai désormais la "protologie".

Parmi les exemples principaux, il faut citer la référence aux premières choses saintes de la Genèse. On traduit en général le premier mot archê par "commencement", mais il ne signifie pas cela, il désigne la parole originaire qui dit « Que la lumière soit ». C'est ainsi que dans le prologue de Jean, Jésus est nommé Parole et Vie, et Jean dit que « La Vie est la lumière des hommes » : il y a là une référence explicite à la Genèse.

La littérature sapientielle de l'Ancien Testament a déjà porté sa méditation sur ces premières choses – en particulier en Proverbes 8, 22, la Sagesse dit : "« Le Seigneur me créa, archê de ses voies vers ses œuvres » –, et le fruit de ses méditations est assumé par les premiers chrétiens pour désigner le Christ lui-même comme premier-né de toute création. Vous avez un exemple de ce genre dans Colossiens 1 vous trouvez archê, sagesse, premier-né, tête. À ce propos, il faut savoir que le mot archê correspond à l'hébreu bereshit dont la racine est rosh, la tête.

Dans ce mouvement de référence aux premières choses, il faut citer particulièrement chez Paul la référence à Adam. Ce qui est en question alors, c'est l'archétype de l'homme. Mais cette référence n'est pas univoque, et elle s'exerce de façon différente suivant qu'il s'agit d'Adam de Gn 1 – l'homme à l'image –, ou de Adam tiré de la terre en Gn 2, ou de Adam de Gn 3, l'adamite pécheresse. En étudiant Ph 2, nous aurons occasion de voir deux de ces références à Adam.

 

b) L'être des hommes dans le Christ

Ce que je viens de dire concerne la protologie, donc les premières choses. Pour ce qui est de l'involution de l'humanité dans le Christ (l'être des hommes dans le Christ), je ne fais que souligner pour l'instant cette proportion en indiquant déjà qu'elle n'est pas sans rapport avec la référence aux premières choses. Nous allons le voir dans le texte des Éphésiens où « Faisons l'homme à notre image » reçoit un commentaire christologique qui concerne le Christ mais aussi la totalité de l'humanité simultanément, c'est-à-dire l'homme. Nous savons qu'il nous reste quelque chose à découvrir qui va au-delà de ce qui est évoqué dans le langage chrétien banal à propos du Christ, avec le "à la place de", "pour nous" (mort à notre place, mort pour nous), c'est-à-dire toute cette question de la signification du Christ par rapport à l'humanité. Je fais allusion ici à la théorie divulguée et relativement récente de la compensation substitutive.

 

Éphésiens 1, 3-4.

  • « 3Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ qui nous a bénis en pleine bénédiction pneumatique dans les lieux célestes, dans le Christ 4selon qu'il nous a choisis en lui avant le lancement du monde pour que nous soyons saints et sans tache devant lui dans l'agapê ; 5nous ayant prédéterminés pour être fils par Jésus Christ (pour une filiation à travers lui) pour lui, selon l'eudokia (l'agrément) de (qu'est) sa volonté (sa semence)… ».

Deux moments structurent ces deux versets : v. 3, la résurrection ; v. 4, les premières choses.

Ce qui articule ces deux moments dans le texte, c'est le petit mot "selon". Cela montre que la Résurrection est lue "selon les premières choses" et simultanément "selon les Écritures".

J'ai dit que le verset 3 parlait de la résurrection. Le premier mot est "béni" : nous bénissons le Père de ce que le Père a béni le Christ et nous a bénis dans le Christ. Que veut dire bénir ? "Bénir" est à prendre ici au sens fort comme désignant le geste du patriarche qui dit : « Tu es mon fils », bénédiction patriarcale qui est reconnaissance du fils comme fils. Il est certain que chez nous le mot béni ne signifie rien ou plutôt le rien ! Il en va tout autrement ici.

Et le mouvement qui est indiqué dans ce verset 3 est extrêmement intéressant puisqu'à la bénédiction reçue correspond une bénédiction rendue : au fait que Dieu dise à l'humanité en Jésus Christ « Tu es mon fils » correspond la parole de l'humanité : « Notre Père ». Tout est là, mais cependant rien n'est encore compris parce que : que veut dire Père et que veut dire Fils ? Mais tout est là structurellement, et cette bénédiction de filiation – puisque c'est à partir du mot "béni" que j'ai parlé de filiation – est attestée ici par la mention du “Dieu et Père”. Mais cela désigne simultanément la résurrection puisque la résurrection se trouve explicitement mentionnée par l'expression « dans les lieux célestes ». En effet l'expression des lieux célestes est liée à l'idée de relèvement (ou d'exaltation) qui est une des façons dont le Nouveau Testament parle de la résurrection. Cela correspond du reste au mot de l'Écriture « Assieds-toi à ma droite » tirée du psaume 110[5], expression qui a pris place également dans notre Credo et qui est une façon de dire la résurrection : nous sommes dans les lieux célestes, dans le Christ.

Le verset 4 se réfère à la protologie. On y trouve le verbe eklégô (choisir) et on sait que le mot eklogê (choix, élection) est très souvent lié au mot klêsis (appel). La klêsis est la convocation de l'humanité à être en Jésus-Christ pour Jésus-Christ. Ce n'est pas une secte, ce n'est pas un groupe, ce n'est pas un ensemble repérable. Dieu nous a choisis en lui « avant le lancement du monde ». Nous sommes bien ici explicitement en référence aux premières choses. Pourquoi est-il dit "avant" ? Parce que ce qui est évoqué ici, c'est le moment de la délibération « Faisons l'homme à notre image », il s'agit de ce premier conseil délibérant dont le texte parlera puisqu'on trouve le mot conseil (boulé) dans la suite du texte. C'est la décision ou le désir de Dieu qui s'appelle dans le texte thelêma, mot qu'on traduit par "volonté", et c'est cela qui est caché – mystêrion – et qui nous est "dévoilé" (apocalypsis) dans la résurrection du Christ. Autrement dit, ce qui apparaît dans la résurrection du Christ, c'est la signification cachée du destin de l'humanité.

C'est ici qu'il faudrait étudier un certain nombre de mots du vocabulaire de la suite où opère le rapport mystêrion/apocalypsis (caché/dévoilé), le caché ayant pour synonymes le conseil, la délibération, la volonté ; et le dévoilé étant par exemple la parole, l'Évangile.

Sur cette articulation du caché au dévoilé, pour ce qu'elle comporte comme critique de notre façon spontanée de penser sur le schème du prévu au réalisé, ce qui n'est pas du tout pareil, il faudrait étudier longuement. J'indique seulement que l'expression "dessein de Dieu" (qui est très courante) est une mauvaise expression parce qu'elle nous situe dans cette perspective de quelqu'un qui a un projet et qui ensuite le réalise, ce qui n'est pas très éloigné de la programmation calculatrice dont nous avons parlé la dernière fois, c'est-à-dire pas très éloigné du Dieu-horloger. Subrepticement la notion occidentale de Dieu créateur s'introduit même dans la traduction de l'exégète qui pense s'en dégager le plus possible en magnifiant l'histoire, le projet et le dessein de Dieu.

 

● Autre exemple avec Rm 8, 29-30.

À propos de ce que j'ai dit de la klêsis (l'appel), donc de la délibération convoquante, vous pourriez vous référer par exemple au texte fondamental de Romains 8.

« 29Car ceux qu'il a pré-connus, il les a aussi pré-déterminés à être conformes (symmorphous) à l'image qu'est son Fils – c'est ce que nous retrouverons en Ph 2 dans l'expression « lui, étant à l'image de Dieu ». En effet le Nouveau Testament lit « Faisons l'homme à notre image… » comme disant « Faisons le Christ et l'humanité dans le Christ[6] ». Autrement dit, pour le premier christianisme ce verset a une signification simultanément christologique et anthropologique. La synmorphie, c'est-à-dire "l'identité dans l'image" dit l'humanité dans le Christ.

De telle sorte que celui-ci soit premier-né parmi beaucoup de frères"premier-né" ici ne se lit pas dans la ligne de l'aînesse, mais comme le plus originaire parmi beaucoup de frères – ; 30ceux qu'il a pré-déterminés, ceux-là il les a aussi appelés (ékalésen) ; et ceux qu'il a appelés, ceux-là il les a aussi justifiés, et ceux qu'il a justifiés, ceux-là il les a aussi glorifiés. »

 

Nous avons voulu retenir de ces textes l'annonce de la filiation et de la résurrection, c'est-à-dire l'Évangile. Nous avons vu en outre que deux proportions consécutives du premier discours évangélique se marquent déjà assez nettement dans ce texte : d'une part la référence aux premières choses et particulièrement à la délibération « Faisons l'homme à notre image », d'autre part l'intelligence de la totalité de l'humanité dans le Christ. C'est cela qu'il s'agira de toujours mieux comprendre à partir de l'Évangile et non pas par recours à des raisons ou des pourquoi extérieurs, mais de l'intérieur même de l'Évangile.



[2] Tout ceci a été très développé dans la lecture du Prologue de Jean : Prologue de Jean. Chapitre V : Le Baptême de Jésus et la figure du Baptiste.

[3] J-M Martin lira Ph 2, 6-11 dans la partie suivante du cours où il examine le titre de "image de Dieu". Vous avez sur le blog une lecture de ce grand texte :Ph 2, 6-11 : Vide et plénitude, kénose et exaltation.

[6] « Faisons l'homme à notre image… 27Et Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; homme et femme il les créa. » J-M Martin lit l'humanité dans le mot "femme".

 

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