Salutation pascale à partir du symbolisme de l'arbre et de l'habiter
Voici une rapide réflexion qui nous met au cœur du symbolisme entendu au grand sens : l'arbre, l'arborescence du corps, le signe de croix… l'habiter… l'écologie sacrée…
Ce petit texte date de 1977. A l'époque Jean-Marie Martin était professeur de théologie à l'Institut Catholique de Paris (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?). Il avait profité du temps pascal pour faire cette salutation dans la marge du cours. Une séance d'iconographie[1] avec support audio-visuel avait eu lieu auparavant. Les deux messages sur la Préexistence publiés en mars sont de la même année, en particulier l'espace est traité dans Préexistence. 2/ Le Christ préexistant par rapport à la totalité – réflexions sur espace, corps et parole.
Salutation pascale
Je voudrais quelques instants rester dans la marge du cours et y dessiner quelque chose comme une enluminure, une vignette opportune sur le thème de l'arbre, non pas du point de vue proprement écologique – même si la récente journée de l'arbre pouvait inviter à de telles réflexions.
Je signale d'ailleurs qu'il y aurait intérêt à réfléchir sur les rapports plus complexes qui seraient ceux de la théologie et de l'écologie, non pas du point de vue folklorique – même si la saison rappelle le "mai" de nos ancêtres et qu'ici en outre on peut penser aux "arbres de la liberté" par exemple –, ni même du point de vue mythologique – ces jours-ci on crée à Paris "Les Bacchantes", une pièce d'Euripide qui renvoie à Dionysos, le dieu de la végétation, de la sève, du sang, du vin –, ni du point de vue seulement iconographique sur l'arbre chrétien et pascal, arbre de vie, croix, Orante debout et Ressuscité.
Certes il s'agit ici tout de même d'une rapide salutation pascale. Mais je voudrais l'entendre dans un sens véritablement symbolique.
Le symbole n'est pas un objet. Dans le symbole de l'arbre, il y va de l'arborescence du corps, de l'expérience de la statue, bras et branches, paumes et palmes tendues, végétation capillaire qui donne lieu à la symbolique de la couronne, premièrement végétale, couronne de bacchante, de baccalauréat, couronne de la vie éternelle et de la résurrection dans les premières représentations iconographiques chrétiennes, enfin signe de la croix, signe corporel.
Dans tout ce que je viens de dire, j'ai fait entrer l'homme dans l'arbre, et c'est en ce sens que l'arbre – comme le symbole général – n'est pas un objet, c'est-à-dire quelque chose en face, quelque chose devant.
En se posant comme "sujet", l'homme occidental s'est opposé, ob-posé au monde, comme à l'ob-jet. Il s'est mis en face des choses qui se trouvent ainsi déshéritées, destituées, désaffectées, inhabitées.
Donc occasion pour nous, à propos de l'arbre, de rappeler un point important de ce qu'il en est d'être symbole.
Je voudrais maintenant mettre cela en rapport avec notre réflexion théologique fondamentale de cette année.
Il m'est arrivé, au début du deuxième trimestre, de préluder déjà ce que je dis maintenant et que nous retrouverons sans doute tout à fait à la fin, à savoir que l'idée de "Dieu créateur", sous la forme sous laquelle elle a régné en Occident, a sans doute été la projection – c'est-à-dire le jet, à la fois anticipé et en avant (pro-jet) – de l'attitude à venir de l'homme occidental, à savoir de l'attitude technologique qui considère le monde comme à faire, objet de travail technologique, source d'énergie exploitable.
Nous avions déjà suggéré aussi que ce verbe "faire" était sans doute très nocif dans ses dernières vicissitudes, nous avions proposé par exemple d'autres mots comme "habiter" pour noter le rapport qui existe entre Dieu et le monde, l'homme et le monde. Ceci renvoie à une réflexion que nous avions faite sur l'espace.
Or "habiter" nous ramène curieusement à un des premiers mots que je prononçais ici, qui est le mot d'écologie. En effet, la racine du mot "écologie" est oïkos, la demeure, la maison, l'habitation, le milieu en quoi on habite.
Mais il va sans dire que les réflexions que je viens de faire n'entérinent pas purement et simplement les données du mouvement écologique tel qu'il se présente, mais provoquerait à une reprise, à une autre lecture proprement chrétienne, à une écologie sacrée, à la redécouverte de ce lien subtil qui existe entre l'habitant et l'habité, à condition bien sûr qu'on se soit défait de l'idée d'espace homogène comme chose dans laquelle on pose une autre chose – ce n'est pas du tout cela la signification de l'habiter… Mais au contraire, toute expérience originale de l'habiter pourrait peut-être nous ouvrir à une autre façon d'être au monde et à Dieu.
Ainsi s'achève un petit dessin dans la marge.
[1] Nous n'avons pas de trace de cette séance. On pourra lire cependant Symboliques et fonctions de la croix. Le signe de croix. Iconographie (Orants, croix glorieuses…) et La croix dressée, méditation à partir d'Odes de Salomon. Se laisser configurer.