Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 121 630
Archives
6 mai 2023

Jésus Christ le Fils dans le Credo de Nicée - contexte historique à l'origine des formules

Le Credo récité à la messe est en général le "Symbole des apôtres", mais parfois c'est le "Symbole de Nicée" qui est plus long. Comme son nom l'indique, ce dernier date du Concile de Nicée (325). Le contexte historique est très complexe, et Jean-Marie Martin qui a été professeur de théologie à l'Institut Catholique de Paris (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?), en donne ici un aperçu rapide qui nous permet de comprendre les enjeux des formules.

Un ajout a été fait à propos de la formule "de même nature au Père" pour signaler le problème lié à l'utilisation du mot "nature". Pour  J-M Martin les termes de nature et de personne - qui sont justes quand elles répondent aux questions de l'Occident -  nous empêchent d'entendre les textes du Nouveau Testament.

Dans un autre lieu, J-M Martin a animée une session de 7 jours sur le Credo, et la question de reformuler le Credo a été posée. Il a répondu en disant que notre travail est d'avoir une écoute suffisamment fine de l'Évangile pour dire à neuf ce que nous avons entendu “tout en ayant la liberté de nous passer des garde-fous que sont les formules qu'il faut répéter à toute force”. Il souhaitait que s'instituent des tentatives de recherche de parole, mais sans les consacrer à nouveau.

Voici des messages qui complètent ce qui est dit ici :

 

Première partie de ce qui concerne le Fils dans le Credo de Nicée

 

  •  Je crois en un seul Seigneur, Jésus Christ, le Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles. Il est Dieu, né de Dieu, lumière, née de la lumière, vrai Dieu, né du vrai Dieu, engendré non pas créé, consubstantiel au Père, et par lui tout a été fait

 

Concile de Nicée, le Credo

 

Nous n'allons pas reprendre ici l'histoire de la problématique qui a précédé ou suivi immédiatement le Concile de Nicée et que l'on appelle la crise de l'arianisme.

Arius a donné son nom à un mouvement qui occupe tout le IVe siècle, d'abord à propos de la divinité du Verbe, puis à la fin du IVe siècle à propos de la divinité de l'Esprit Saint. C'est une histoire très complexe avec de nombreuses nuances entre les pères de l'Église, les évêques, les parties, les sectes, l'introduction de la politique des empereurs. Dans les grands défenseurs de l'orthodoxie en ce IVe siècle, il faut citer saint Athanase à Alexandrie pour l'Orient, et saint Hilaire à Poitiers pour l'Occident. Le concile qui prend position dans toute cette polémique est le Concile de Nicée, le premier des grands conciles œcuméniques. Au siècle suivant on aura les conciles d'Éphèse et de Chalcédoine.

Plutôt que de faire de la grande érudition, pour être utile, nous allons lire avec vous, avec quelques explications, le Symbole de Nicée, Symbole qui se professe dans nos célébrations.

 

« Je crois en un seul Seigneur Jésus Christ, Fils unique de Dieu. »

Il y a toute une histoire des premiers Symboles dans les Églises des temps primitifs. Les spécialistes les ont étudiés, comparés. En fait on a souvent établi des comparaisons entre le Symbole employé au IIIe siècle dans l'Église d'Alexandrie et le Symbole du Concile de Nicée. On sait qu'Arius était prêtre d'Alexandrie, qu'Athanase son grand adversaire était évêque d'Alexandrie, et cela s'explique très bien. Or la notion de Monogène (Fils unique) de Dieu, notion johannique que nous avons rencontrée dans notre lecture de saint Jean[1], se trouvait mentionnée dans le Symbole de l'Église Alexandrie ; et c'est ainsi qu'elle est réaffirmée dans ce Symbole de Nicée.

 

« Né du Père avant tous les siècles. »

Ici il n'est pas encore explicitement question de l'éternité qui est liée à la notion d'incréé chez Tertullien, puis à partir de Tertullien.

Pour nous aujourd'hui, il y a deux naissances : la génération éternelle du Verbe d'une part et la naissance historique d'autre part ("né de la vierge Marie"). En fait la formule ici employée ne fait allusion ni à l'une ni à l'autre. Ce qui est envisagé ici, dans un rappel très traditionnel, c'est la préexistence par rapport à tous les siècles.

Cependant cette formule traditionnelle prend position d'une certaine façon dans la polémique arienne. En effet, un des mots d'Arius qui a été retenu par l'histoire est celui-ci : « Il y eut un temps où il (le Verbe) n'était pas ».

Dire qu'il est "avant tous les siècles" n'est pas la réfutation totale de cette idée d'Arius à la mesure où nous avons distingué la question de la préexistence et le problème de l'éternité au sens théologique. Vous avez bien vu que naissait chez Tertullien cette idée théologique d'éternité ou d'incréé comme désignant précisément Dieu[2]. Or pour le même Tertullien, il y avait un temps où le Fils n'était pas. En effet, à Hermogène qui lui disait que si Dieu est de toujours Seigneur, cela suppose qu'il a de toujours quelqu'un pour lui obéir, donc qu'il y a de toute éternité une matière servante, Tertullien répondait que Non puisque le nom de Seigneur lui advint, de même que le nom de Père : « Il n'était pas Père avant qu'il y eût un Fils ». Donc nous sommes toujours dans cette problématique. La position de Tertullien cependant n'est pas égale à celle d'Arius, mais cela ne ressort pas de ce que nous venons de dire, cela sera précisé plus loin dans la partie du Symbole qui sera développée par le Concile.

 

« Il est Dieu, né de Dieu. »

Ceci n'est toujours pas la pointe de la réponse à Arius. Que le Christ soit Dieu, on l'a toujours dit, nous l'avons lu chez saint Jean : « Et le Logos était Dieu » (Jn 1,1). Arius lui-même admet que l'on peut appeler en un certain sens le Logos Dieu, « mais non pas, dit-il, au sens strict d'incréé » ; pour Arius le Verbe est simplement la Première Grande Créature.

La problématique s'est donc déplacée, ce qui permet de poser la question en fonction du nouvel emploi du mot de Dieu qui est désormais lié à la notion d'incréé, ce que nous avons vu poindre dans la problématique contre Hermogène[3].

 

« Lumière, née de la lumière ».

C'est ici ce que nous appellerions maintenant une métaphore parce qu'entre-temps nous aurions distingué le concept d'incréé et la métaphore de la lumière. En réalité c'est un vieux symbole qui se trouve dès le début, que les auteurs des IIe et IIIe siècle reprennent constamment, qui veut souvent marquer l'inséparabilité du soleil et de la lumière qui en émane. D'autres fois cela va marquer que le Père n'est pas diminué ou privé par la prolation du Fils (la prononciation de la Parole) : « Si l'on allume une torche à une autre torche, la première torche ne perd rien de son éclat. » "Lumière née de la lumière", c'est là une comparaison patristique que l'on trouverait chez saint Justin, chez Tatien, chez les premiers Pères de l'Église.

Faites bien attention que l'usage d'un symbole nécessite un certain milieu "écologique" ; nous voulons dire qu'il faut que cela soit situé dans un certain fonctionnement authentiquement symbolique, et de fait l'histoire des trois petites bougies[4] ne retient absolument pas cette symbolique.

 

« Vrai Dieu né du vrai Dieu ».

Cette phrase a l'air de faire double emploi avec celle que nous avons déjà citée : “il est Dieu, né de Dieu” ; mais l'insistance nous achemine vers ce qui est essentiellement en question à cette époque. En effet cela tendrait à signifier que l'emploi du mot Dieu à propos du Christ n'est pas seulement à prendre en un sens approximatif, au sens qui pouvait être admis est postulé par Arius, mais dans un sens rigoureux et vrai. Nous sommes sur le chemin des précisions.

 

« Engendré, non pas créé ».

« Genitum, non factum (engendré, non pas fait) » en latin. La distinction entre "engendrer" et "faire" a toute une histoire. On pourrait la trouver déjà utilisée par Philon d'Alexandrie dans un monde juif, pour parler du Logos. On la retrouve parfois au cours du IIe siècle, comme par exemple dans ce texte que nous avons vérifié naguère à propos du pastoral et du sédentaire : il y a Caïn l'agriculteur, Abel le Pasteur et Seth le troisième fils d'Adam « ni il travaille la terre, ni il garde les troupeaux, il fait des enfants », c'est-à-dire qu'il est le père d'une race.

Il y a donc un certain type de distinction qui joue. Cependant il faut bien voir que cette distinction sera à certains moments occultée, par exemple chez Tertullien, et cela à propos d'un texte sur la Sagesse. Les textes sapientiaux sont en effet des lieux de réflexion sur le Verbe au cours des IIe et IIIe siècles. La Sagesse dit : « Le Seigneur m'a créée commencement de ses voies » (Proverbes 8,22). Or dans cette perspective, “le Seigneur m'a créée”, le mot "créer" commence à faire quelques difficultés. Mais Tertullien s'en tire très bien en disant qu'il n'y a pas de différence entre créé et engendré, et que "nous engendrons des enfants" se dit aussi bien "nous faisons des enfants". Vous voyez l'utilisation négative ici en fonction d'un thème, mais sans doute du besoin polémique de Tertullien comme nous savons qu'il en use assez souvent. Donc disons que cette distinction entre genitum et factum ne fonctionne pas à l'époque de Tertullien, du moins dans la perspective de cette exégèse de la Sagesse.

Cela n'empêche pas par ailleurs Tertullien de distinguer clairement la production ex nihilo des choses et la production à partir du Père pour le Fils. Mais désormais au concile de Nicée cela est repris d'une façon rigoureuse : cela veut dire que le Fils est Fils et non pas créature, c'est-à-dire que la distinction du créé et de l'incréé fonctionne en rigueur. Le Fils se trouve désormais dans la région de l'incréé comme tel. Cela sera le départ de toute une doctrine de la Trinité immanente pensée indépendamment des rapports à la création et au salut.

Nous faisons ici allusion à une distinction qui voit le jour déjà dans les siècles patristiques, la distinction entre la Trinité immanente et la Trinité économique. L'attitude fréquente est de dire que l'Écriture et les premiers Pères de l'Église parlent de la Trinité économique, c'est-à-dire par rapport au plan de la création et du salut, alors que les siècles suivants s'intéressent à la Trinité immanente, la Trinité éternelle. Il est vrai que désormais cette distinction fonctionne, mais nous croyons très injuste d'en inférer que l'Écriture et les premiers siècles ne parlent que de la Trinité économique ; comme la distinction ne fonctionne pas à l'époque, c'est un bon moyen d'introduire une distinction pour situer habilement certains textes.

Il ressort de cela que le Verbe n'est pas une créature, et c'est là un des points importants de la polémique anti-arienne.

 

« De même nature que le Père ».

C'est là le mot le plus important, le mot latin consubstantialem traduisant le grec homoousios (homo = même). Le mot "ousie" est un des mots les plus difficiles de l'histoire de la pensée ancienne. On le traduit par substance ou nature. Le latin avait traduit consubstantialem ; la traduction française liturgique était "de même nature"[5]. Dans certains milieux on a quelquefois contesté la justesse du mot "nature" pour traduire ce consubstantialem. À la suite du concile de Nicée la tradition chrétienne – notamment la spéculation scolastique – a insisté sur l'identité de nature, en refusant la seule similitude spécifique de nature entre le Père et le Fils, d'où l'identité numérique. Par exemple vous et moi sommes de même nature spécifiquement, mais nous n'avons pas numériquement la même. Les spécialistes du IVe siècle discutent pour savoir quel est sous ce rapport l'intention des Pères du Concile de Nicée, mais quand la question est ensuite posée dans la perspective du théisme que nous allons voir paraître dans la pensée chrétienne, le problème perd complètement son sens à la mesure où, de nature divine il ne peut n'avoir qu'une.

Un certain nombre de factions vont se lever autour de ce mot au cours du IVe siècle. Il y a en particulier les anoméens qui nient l'identité de substance[6].; à l'opposé il y a les homoiousiens, c'est-à-dire ceux qui ne disent pas homoousios (de même nature), mais homoiousios, avec homoios, semblable : de nature semblable. Puis il y a une sorte de faction médiane, le centre, avec les homéens, qui disent seulement homoios, semblable, sans préciser la question de l'ousie. Il faudrait entrer dans les détails de cette histoire extrêmement complexe mais avec ce partage en de multiples catégories. Il est très difficile du reste pour nous de décider quelle est l'importance de ce petit "i" qui fera se battre les évêques, les empereurs, et qui plongera l'Occident dans une crise énorme. Allez voir cela dans vos histoires de l'Église. Notre propos n'est pas ici d'entrer dans le détail.

  • Parenthèse ajoutée. (Extraite d'une réflexion faite lors d'une session animée par J-M Martin en 2000). Je pense que la façon dont on a approché historiquement la question de la Trinité est un peu compromise par le fait que cela a été fait avec des concepts d'Occident et non pas avec des concepts de l'Écriture. La réponse « le Fils est de même nature que le Père » n'est pas satisfaisante. Bien sûr que si on pose la question, c'est la bonne réponse. Seulement il ne faudrait pas abandonner la recherche en s'appuyant sur des mots comme ça. De toute façon les théologiens eux-mêmes sont conscients de ce que " l'unité de nature" dont il s'agit (elle est entendue au sens occidental) n'est pas le mot important, mais que c'est la question du rapport du même et de l'autre qui est "la" question.
    D'après la conception occidentale, pour nous hommes, l'unité de nature est une unité spécifique, c'est-à-dire que ce que nous avons comme unité c'est le fait que nous appartenons à la même espèce, à savoir l'humanité au sens abstrait du terme. Or il serait tout à fait faux – même d'un point de vue théologique et non pas seulement scripturaire – de penser que le Père, le Fils et le Saint Esprit sont des individus de la même espèce comme toi et moi nous sommes des individus de la même espèce. Cela ne rend pas compte de l'unité des trois. Si bien que, quand on dit que le Fils est « de même nature que le Père (consubstantiel au Père) » on a une réponse totalement insatisfaisante. Mais c'est la seule réponse possible si je m'obstine à penser à partir des concepts d'espèce et d'individu.
    Or il y aurait quelque chose de riche à penser : en quoi il y a du même et de l'autre en Dieu ?, d'autant plus que cette unité – qui n'est pas une unité inerte mais qui est l'unité de différents – est proposée comme le modèle de toute unité qui puisse nous unifier nous-mêmes (donc à l'intérieur de chacun) et nous unifier les uns avec les autres : « Qu'ils soient un comme le Père et moi nous sommes un » (cf. Jn 17, 21-22). [On pourra compléter ces réflexions en lisant deux messages La notion de "nature" en philosophie et en christianisme au cours des siècles ; retour à l'Évangile : et La notion de "personne" en philosophie et en christianisme au cours des siècles ; retour à l'Évangile.]

 

« Et par lui tout a été fait ».

Ici c'est la reprise de l'expression johannique que nous avons rencontrée « par lui tout advint (dia autou panta égénéto) » (Jn 1, 3) dans laquelle il n'y a pas le verbe "faire". Vous vous rappelez que dans la lecture johannique que nous faisions, nous pensions qu'il ne s'agissait pas là précisément du "faire" au sens de "créer", mais que c'était peut-être la question de l'advenir de la totalité des dénominations du Logos dans ce passage. Cependant de très bonne heure cette expression a été utilisée en perspective créationniste.

On pourrait penser que cette mention est un simple rappel de ce qui constituait les Credo : après la mention du Père advenait la création, ensuite la réintroduction de cet aspect de la création à propos du Fils. On pourrait ajouter cependant qu'il y a peut-être là une sorte d'argument implicite contre Arius : si tout a été fait par lui, c'est que lui n'a pas été fait. Il y a probablement là une sorte de volonté argumentatrice qui se glisse dans ce texte traditionnel.

 

Donc voilà un rappel très sommaire des mots de notre Credo de Nicée.

 

[1] « Nous avons contemplé sa gloire, gloire comme du Monogène d'auprès du Père » (Jn 1, 14). Voir les lectures du prologue dans le tag Jn 1-2, en particulier Jn 1, 1-18 Lecture suivie du Prologue de l'évangile de Jean.

[3] Voir note précédente.

[4] Allusion au fait que les fonts baptismaux sont parfois surmontés de trois cierges pour indiquer que le sacrement est réalisé au nom de la Trinité.

[5] La nouvelle traduction du Missel romain, qui est entrée en vigueur le 1er dimanche de l’Avent 2021, a modifié la formulation du Credo "De même nature que le Père" en "consubstantiel au Père".

[6] Les ariens purs sous la direction d'Aetius, Eunome et Eudoxe de Constantinople professent la doctrine hétérousiate (litt. « d’une autre substance »), déclarant que le Fils est dissemblable en tout du Père, d'où leur nom d'« anoméens » et d'« hétérousiates »

 

Commentaires