Symbolique des fêtes juives dans l'évangile de Jean, extraits d'interventions de J-M Martin
Saint Jean aime situer les épisodes, sinon dans les fêtes, mais au moins dans l'esprit de la fête, autrement dit, les datations ne sont pas toujours à prendre dans notre sens historique, et un épisode peut éventuellement être situé dans le couvert d'une fête juive parce qu'il est dans l'esprit de cette fête, c'est l'aspect qualitatif de la fête qui vient en premier.
Voici ce que Jean-Marie Martin à qui ce blog est dédié (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?) a répété à l'occasion de diverses lectures. Ce sont donc des extraits de ses interventions, en sachant que quand il parle il n'a devant lui que le texte du Nouveau testament en grec, ce n'est donc jamais un cours.
Nous n'avons pas à notre disposition assez d'interventions de J-M Martin (décédé en 2021) pour aborder d'autres éléments de ces fêtes, aussi pour compléter, d'autres messages suivront reprenant le même thème avec des extraits de livres de Annie Jaubert et autres.
Voici, avec en plus Rosh Hashana et Yom Kippour, les quatre fêtes juives mentionnées dans l'évangile de Jean :
Symbolique des fêtes juives dans l'évangile de Jean
Saint Jean situe la plupart de ses épisodes dans un temps qui est généralement marqué par les célébrations d'Israël. Autrement dit la proximité ou la présence de la fête de Pâques, de la fête de Soukkot ou de la fête de Pentecôte est signifiante.
Plus précisément, saint Jean aime situer les épisodes, sinon dans les fêtes, mais au moins dans l'esprit de la fête. Je veux dire par là que les datations ne sont pas toujours à prendre dans notre sens historique, mais qu'un épisode peut éventuellement être situé dans le couvert d'une fête juive parce que cet épisode est dans l'esprit de cette fête juive, car c'est l'aspect qualitatif de la fête qui vient en premier. Une fête est une qualité de temps (kaïros) car la fête n'entre pas dans un temps chronologique.
La fête la plus fréquemment mentionnée est la fête de Pâques. Un certain nombre d'épisodes se situent dans cette fête, singulièrement les grands derniers épisodes qui ont trait à la passion, à la mort, à la résurrection de Jésus. Les deux autres fêtes de pèlerinage à Jérusalem sont également mentionnées, à savoir la fête de Pentecôte et la fête de Soukkot (fête des tentes), même si le nom de la première n'est pas prononcé. Il est question aussi de la fête de la Dédicace.
Parcours dans l'évangile de Jean
Chapitre 2. Et proche était la Pâque des juifs et Jésus monta à Jérusalem (v. 13).
La Pâque est notée comme arrière-plan, comme contexte, cependant je ne dois pas prendre la fête de la Pâque comme étant un élément qui permet de dater, au sens du calendrier, au contraire je dois la prendre au sens de la qualité.
Quelle est la visée de Jésus (ou de l'évangéliste) quand il se met à parler de la Pâque ? D'après le verset 13, cette fête de la Pâque est caractérisée par le fait que Jésus « monte à Jérusalem ». Or chez Jean, monter à Jérusalem c'est monter à la mort, c'est monter vers le lieu sacrificiel, c'est monter vers ce qui sera le don.
Chapitre 5. "Une fête des juifs" : la Pentecôte, fête de la Loi
Au chapitre 5 qui est le chapitre de la guérison du paralysé, saint Jean se borne à dire : « C'était une fête des juifs » et il ne dit pas laquelle.
Tout le contexte indique – et les exégètes le reconnaissent – qu'il doit s'agir de la Pentecôte juive, c'est-à-dire la célébration du don de la loi à Moïse, la traditio legis.
En voici trois indices :
- On est à la piscine de Bethesda, or le thème de la loi (ou de la parole) - lié au thème de la source d'eau - court tout au long de l'Ancien Testament.
- Cette piscine a cinq portiques, c'est-à-dire les cinq livres de la Loi (le Pentateuque).
- Cela se réfère à l'Exode. En effet cet homme est dans sa maladie depuis 38 ans, la durée exacte de la pérégrination des Hébreux dans le désert selon Deutéronome 2, 14.
Et de même que dans le chapitre 4, il était question de savoir à partir d'où on entend et on adore – il en était question à propos de la Samaritaine par rapport au Pentateuque samaritain –, voici qu'il en est question à propos des juifs. On a ici le premier miracle qui concerne les juifs dans l'évangile de Jean.
Or la fête de la manifestation de la Loi (de la Torah), c'est-à-dire de la donation de la Loi (les cinq livres du Pentateuque) au peuple, c'est la Pentecôte. Les juifs appellent cette fête la "fête de Shavouot", ce mot étant le pluriel de shava qui signifie "semaine" : il y a une semaine de semaines, c'est-à-dire 7 semaines, plus leur unité, et 7 x 7 + 1 = 50, c'est pourquoi les Grecs appellent ce jour Pentecostes. Et en symbolique, 5 ou 50 c'est la même chose[1].
À la collation de la loi à Moïse célébrée à la Pentecôte juive se substituera la cinquantaine de la Pentecôte qui est le déversement de l'Esprit sur l'humanité.
Chapitre 6. Était proche la Pâque la fête des juifs (v. 4)
Au début du chapitre 6, on a l'indication : «Était proche la Pâque la fête des juifs ». Voici une notation qui pourrait être considérée aussi comme fortuite. Or la spiritualité de la Pâque, nous savons qu'elle va contribuer à la couleur, à la qualité de l'espace dans lequel nous entrons, la qualité d'espace de ce chapitre.
Ce qui est étrange c'est que dans le chapitre 5 précédent, à Jérusalem, nous sommes dans une fête qui probablement est la Pentecôte (la fête des semaines) et ici nous sommes à la Pâque, donc, à moins que ce soit la Pâque de l'année suivante, chronologiquement ceci ne colle pas ! Celui qui met en place les choses ultimement dans l'évangile de Jean, veut poser après Jérusalem un épisode de Galilée[2], peu lui importe la chronologie. L'Évangile, nous le savons, est tout sauf une biographie, Dieu merci.
La Pâque indique quoi ? Elle indique une référence aux pains et aussi à l'agneau pascal, à la chair et aussi au sang dont on oint les montants des portes. Autrement dit, par là, se trouvent indiqués des thèmes qui vont être développés au long de ce chapitre : d'abord le thème du pain [la multiplication des pains aux v. 1-15 et le débat des v. 30-51] et ensuite le thème de la chair et du sang [le débat sur manger ma chair et boire mon sang des v. 52-59]. Leur lien n'est pas à faire hâtivement.
Nous avons l'indication de ce que tout le chapitre 6 est référencié à cette double thématique du pain et de l'agneau pascal. Le récit johannique est dans la remémoration de l'Exode – c'est clair pour la question de la manne – mais en outre c'est clair aussi parce que les foules ou les Judéens, dans leurs attitudes, sont des réminiscences des pères qui furent au désert, notamment la récrimination, le murmure, etc. Pour plusieurs indices nous sommes dans une mouvance pascale de traversée et de nourriture : la traversée de la mer Rouge, et les problèmes de faim et de soif au désert parmi lesquels singulièrement la manne comme réponse de Dieu. Il y a là un fond référentiel qui se traduit parfois dans le vocabulaire, en tout cas dans les allusions, ce qui est un des modes d'être de l'Évangile par rapport à l'Écriture. […]
Revenons un peu sur la symbolique de l'agneau pascal. L'agneau n'est pas mentionné dans le chapitre 6 mais tout au début de l'évangile : « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché du monde » (Jn 1, 29), désignant le Christ comme agneau. La liturgie a d'ailleurs repris ce mot magnifique de Jean le Baptiste qui est un indicateur, un index qui montre, et qui dit la toute première parole de toutes les paroles : "voici", la parole qui donne à voir, qui dit : voi-ci, vois ici l'agneau. Elle invite à voir quelque chose qui à première vue ne se voit pas puisqu'on ne voit pas d'agneau dans la célébration eucharistique. Que ce soit l'agneau, c'est ce qui rend plausible la manducation de la chair et le breuvage du sang dont il est question au chapitre 6, autrement dit, ce n'est pas rien.
À ce sujet il faut faire des distinctions dans l'usage que la liturgie fait des traces (ou des figures) de l'Ancien Testament : un certain nombre sont assumées verbalement et d'autres assumées gestuellement. La référence à Melkisédeq[3] est quelque chose qui est gestué, c'est-à-dire que lors de l'Eucharistite je prends du pain et du vin ; en revanche il n'y a pas de sacrifice d'agneau dans le christianisme, cependant toute la signification de l'agneau pascal est transférée sur le Christ. En effet tout, dans le discours, est référé à la symbolique de l'agneau pascal : le Christ comme agneau, c'est-à-dire le Christ comme sacrifié, corps et sang disjoints. La référence est celle de l'Exode (Ex 12, 3-13) où, la veille de la Pâque (la veille du passage), les Hébreux immolent des agneaux, le corps étant mangé par la communauté et le sang oignant les portes de la maison (c'est l'onction par le sang). Du reste il y a un rapport déjà étroit entre le pneuma et le sang par le thème même de l'onction.
Chapitres 7-8. Était proche la fête juive des tentes.
Au début du chapitre 7, il est dit : « Était proche la fête juive des tentes. » (v. 2), et les chapitres 7 et 8 se passent à la fête de Soukkot. On monte à Jérusalem pour Soukkot. C'est la fête des tentes (ou des cabanes) qu'on appelle aussi fête des tabernacles (puisque c'est le sens du mot tabernaculum) qui est une fête d'automne.
« 3Ses frères lui dirent donc : "Monte d'ici et va vers la Judée…», et se pose la question : est-ce que Jésus monte ou non, c'est un problème de sécurité. Il monte en secret et c'est la grande fête de Soukkot qui dure huit jours
- D'abord, il y a le premier jour de la fête où Jésus monte en secret.
- Au milieu de la fête, Jésus se met à parler.
- Enfin, au verset 37 on est dans le dernier jour, le huitième, qui est le grand jour.
Cela veut dire qu'il y a une similitude de spiritualité – au sens où nous employons couramment ce mot –, entre la fête de Soukkot et la parole de Jésus ici.
En effet cette fête, dans son plus originel, est d'abord une fête d'automne. Elle fait partie de ces fêtes qui vont ensemble : Yom Kippour, Soukkot et enfin Rosh Hashana, à l'automne, dans le monde juif. La fête de Soukkot est une fête des eaux. Les eaux sont précieuses. Ces fêtes étaient agraires avant de se colorer de réminiscences historiques.
Et c'est là qu'on a la grande proclamation de Jésus : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne et boive. »
Tout se passe autour de grandes fêtes, mais les fêtes de l'anecdote sont différentes des fêtes du récit. Ce que nous avons aux chapitres 7-8 c'est le récit de la célébration faite par Jean dans le cadre de la communauté johannique. Il faut toujours penser à ce qui est célébré à travers le récit.
- Les grands thèmes du chapitre 7 : D'où est-il ? De qui est sa parole ? et puis il y a l'eau-pneuma qui coule du Temple.
- Les thèmes du chapitre 8 : « Je suis la lumière », et puis à la fin du chapitre « La vérité vous libérera »[4].
Il y a également le thème de la famille de Jésus : opposition entre la famille de Jésus et ceux qui en étaient choisis (les disciples). Ce sont des chapitres où les gens commencent à se distribuer par rapport au Christ, et les positions peuvent être celles de l'anecdote mais aussi celles des membres de la communauté johannique célébrant. Le thème général est donc Jésus comme occasion de prise de position : il est celui à propos de qui on dit "oui" ou "non", derrière qui on marche ou bien que l'on repousse jusqu'à le mettre à mort.
Jn 10, 22. Fête de la Dédicace (Hanoukka)
La fête de la Dédicace est notée en Jn 10, 22. « Furent alors les enkaïnia » : c'est ce qu'on appelle la fête de la Dédicace qui s'appelle en hébreu Hanoukka et qui célèbre la dédicace (ou la purification) du deuxième Temple. C'est une fête d'hiver.
C'est la qualité de la fête qui compte, c'est comme si on ne passait pas par un temps neutre dans lequel il faudrait ponctuer des jours serviles, des jours de repos et des jours de fête, c'est comme si ça n'était pas de même qualité, donc pas de même temps.
Jn 19,14.33. C'était la veille de la Pâque, environ la sixième heure… ils ne lui brisèrent pas les jambes
À la croix de Jésus nous sommes dans un contexte d'agneau pascal puisque Jean insiste sur le fait que « ils ne lui brisèrent pas les jambes » comme ils le font aux deux autres condamnés. Le thème de la fracture des jambes s'explique anecdotiquement par le fait que cela implique l'affaissement du corps, et du même coup, la mort certaine ; mais Jean relève que cela n'est pas fait à Jésus, et cela en fonction de l'Écriture : « Ils ne lui brisèrent pas l'os ». La citation : « Vous ne briserez pas l'os » (Ex. 12, 46) est une écriture référentielle, elle atteste qu'il s'agit ici de l'agneau pascal. Cette parole se dit de la façon de préparer et de manger l'agneau pascal, ce qui se fait selon des règles très précises (cf. Cuisine du sacrifice, ouvrage de Jean-Pierre Vernant). La caractéristique, c'est que l'os n'est pas brisé. La référence pascale est très importante parce que nous avons ici le retour de “Voici l'agneau de Dieu” que nous avons trouvé dans le Baptême. D'autre part, on peut méditer sur la signification de l'os qui désigne ce qu'il y a de ferme, c'est-à-dire la totalité de l'homme dans ce qu'il a de ferme par opposition à la chair : mon os, c'est moi dans ma solidité. C'est même l'attestation de ce que l'acharnement ou le décharnement ne touche pas à quelque chose d'essentiel. Ce qu'il faut retenir surtout pour nous ici, c'est la référence pascale.
De même le sang nous met également dans cette thématique que nous avons appelée sacrificielle mais que nous n'avons pas encore expliquée. Le thème du sang est lié au coup de lance – par parenthèse, lance se dit ici logchê et c'est l'origine du nom de ce soldat dans le Graal, qui s'appelle Longin – Le soldat« ouvrit son côté. Aussitôt sortit sang et eau » : l'expression “sang et eau” est sans article. Il faut y ajouter le flux de pneuma, qui atteste la vie sur l'arbre de vie.
Quand il est dit que « c'était la veille de la Pâque, environ la sixième heure » (Jn 19, 14), il y a une autre référence à l'agneau pascal, car, la sixième heure est l'heure dans le Temple où on égorge les agneaux pour la Pâque…. Voilà une raison de la notation. Mais Jean a déjà fait cette notation dans l'épisode de la Samaritaine : « Jésus, fatigué par le chemin » (Jn 4, 6) c'est-à-dire par la Passion, va dire : « Donne–moi à boire » (Jn 4, 7) comme il dira à la Passion : « J'ai soif » (Jn 19, 28). Or c'est le même moment, c'est « la sixième heure » (Jn 4, 6). C'est donc un moment de Passion, et tant qu'elle n'est pas encore accomplie, nous ne sommes pas encore dans le septénaire, mais cela ouvre l'accomplissement. Voilà la signification du six
Nous avons vu que ce thème ténu de l'agneau pascal se retrouve lors du « il ne lui sera brisé aucun os » (Jn 19, 36) comme c'est le cas pour l'agneau pascal ; l'heure de l'immolation des agneaux est l'heure de la mort du Christ.
[1] Sur la signification des chiffres 5 et 50 voir : Symbolique des chiffres en Jn 6, 1-13 et autres textes. Accomplir et abolir..
[2] Cf. Dossier : L'itinéraire géographique de Jésus et la symbolique du monter-descendre dans l'évangile de Jean.
[3] « Melkisédeq, roi de Salem, apporta du pain et du vin ; il était prêtre du Très-Haut. Il prononça cette bénédiction : "Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui créa le ciel et la terre, et béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains". Et Abram lui donna la dîme de tout. » (Gn 14, 18-20).