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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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28 juin 2024

Symboliques du nard et de la maison à partir de Jn 12, 7 par F Manns

Le message précédent présentait la symbolique de l'onction et du parfum à partir de Jn 12, 3. Le texte était extrait d'interventions de Jean-Marie Martin à qui est dédié le présent blog. Voici en complément les symboliques du nard et de la maison à partir de Jn 12, 7. Il s'agit d'un extrait du livre de Frédéric Manns (o f m), L'évangile de Jean à la lumière du judaïsme (p. 275-282). Ce livre est paru en 1991 chez Franciscan Printing Press, et est épuisé aujourd'hui. F. Manns fait référence aux objets créés "entre les deux soirs" et conservés depuis avant la fondation du monde. Jean-Marie Martin a parlé plusieurs fois de ces éléments cachés, mais pas à propos du nard.

 

 

Symboliques du nard et de la maison à partir de Jn 12, 7

 

Par Frédéric Manns

 

 

NOTE ajoutée. Après l'intervention de Judas, Jésus intervient et la traduction courante est la suivante : « 7Jésus dit alors : "Laisse-là, de sorte que, pour le jour de mon ensevelissement elle l'a gardé (tērēsē). »

 

Avant de voir la signification du verset 7, il faut préciser le sens du verbe têréô. Parfois ce verbe signifie "garder en mémoire", il se pourrait aussi que le verbe signifie "conserver" avec une nuance spéciale. La tradition juive avait orchestré l'idée que dix objets avaient été créés entre "les deux soirs". Cette précréation des objets qui joueront un rôle spécial dans l'histoire du salut est souvent mise en rapport avec le Messie. Le Déaut a émis l'hypothèse que Jean aurait connu cette tradition. En effet, au chapitre 2 de son évangile, il emploie le verbe tetêrêkas pour parler du vin : « Tu as conservé le bon vin jusqu'à présent ». On sait qu'une tradition juive admettait que le vin avait été caché sous le trône de Dieu et servirait pour les jours du Messie[1]. Le verbe têreô convenait donc ici.

Il est probable qu'en Jean 12, 7 on puisse traduire : « Laisse-là, car elle a conservé le nard (mis en réserve depuis la création du monde) pour le jour de mon ensevelissement ». Jean ferait ainsi une grande inclusion dans l'histoire du salut. L'onction de Jésus faite par Marie aurait comme fonction d'évoquer la précréation du parfum au paradis et de la mettre en rapport avec le Messie. Elle serait ainsi une désignation du Messie dont le corps répand le parfum de l'immortalité plutôt qu'une préparation de l'ensevelissement. Contrairement aux juifs qui identifiaient la loi à l'arbre de vie au parfum exquis, Jean désignerait le corps du Christ qui émane le parfum de l'arbre de la vie comme le Paradis. On sait que le symbole du jardin joue un grand rôle au chapitre 18 de son Évangile. C'est cette hypothèse de travail que nous voudrions vérifier maintenant.

 

Commençons par noter que le nard est cité dans la Bible uniquement en Ct 1, 12 et 4, 13-14. Le Targum du Ct met le nard en rapport avec le Paradis :

« Tes jeunes gens sont pleins de bonnes œuvres comme les grenades. Ils aiment leurs femmes et engendrent des fils semblables à eux. Leur odeur est comme celle de beaux arbres du jardin d'Éden, comme le cyprès et le nard. Le nard, le safran, la cannelle, le cinnamone, tous les arbres d'encens, d'aloès et tous les principaux aromates » (4, 13-14).

[F. Manns cite ensuite un passage du livre d'Hénoch éthiopien 32, évoque l'Apocalypse de Moïse, et le Testament d'Abraham dans la version grecque longue 20].

 

Marie qui garde le nard a comme fonction de rappeler que le parfum de l'arbre de la vie qui donnait l'immortalité a été créé pour le Messie. C'est le Messie qui donnera accès à l'arbre de vie et ouvrira les portes du Paradis. De son corps qui sera déposé en terre comme le grain émane le parfum de la divinité. Lorsque le Christ sera enseveli, le parfum de la divinité ne sera plus lié à son corps, il remplira toute la maison, c'est-à-dire l'Église qui est son corps.

Jésus de Nazareth en tant que Messie d'Israël a redonné accès au parfum du Paradis. À son corps terrestre est associée la gloire de la divinité qui se diffuse maintenant dans la communauté des croyants. Seule la foi permet de saisir et d'unifier ces deux aspects du symbole du nard.

 

Si la valence principale du symbole du nard est celle de l'immortalité attachée à l'arbre de vie du Paradis, elle n'exclut pas cependant des valences secondaires.

On sait que dans la littérature rabbinique le nard est considéré comme l'un des éléments entrant dans la composition de l'encens. Bien que la fabrication de l'encens ait été réservée à la famille d'Abtinas qui a gardé jalousement le secret, elle n'était pas totalement inconnue des autres prêtres, comme en témoigne une baraïta du Talmud de Jérusalem au traité Yoma 4, 41 :

« Voici les matériaux composant l'encens : la résine odorante, l'ongle aromatique, du galbanum, de l'encens blanc pesant 70 parts de maneh chacune, de la myrrhe, de la case, des pointes de nard, des portions de safran valant seize maneh, des costus, de l'écorce d'épices pour trois maneh et du cinnamone pour neuf maneh. »

L'encens jouait un rôle important dans le Temple de Jérusalem. À l'époque du Christ, chaque jour un prêtre, désigné par le sort, offrait de l'encens sur l'autel des parfums auquel une sainteté spéciale était reconnue en raison de sa proximité avec le Saint des Saints.

Avant la cérémonie de l'offrande de l'encens avait lieu la purification de l'autel des parfums. Le prêtre tiré au sort prenait un vase d'or de trois kab de contenance dans lequel se trouvait une coupe d'or munie d'un couvercle et remplie de parfums. Un autre prêtre portait pendant ce temps sur l'autel des parfums de la braise prise sur l'autel des holocaustes où était entretenu le feu perpétuel. Entré dans le Saint, le prêtre répandait le contenu de la coupe d'or sur les braises de l'autel, se prosternait et retournait vers le peuple immédiatement, car la présence de Dieu pouvait être redoutable. Sorti du Saint, il bénissait la foule avec la formule du livre des Nb 6, 24-26.

[F. Manns mentionne ensuite plusieurs textes à propos de l'encens : Targum du Ct, 2 Bar 35, 4]

 

Le symbole du parfum est associé maintenant à l'étude de la loi qui substitue les sacrifices. On retrouve cette affirmation dans le Targum Jonathan Ex 40, 5 pour qui l'autel des parfums symbolise les sages qui étudient la loi dont l'odeur embaume comme l'encens aromatique.

[…]

L'encens finira par symboliser le culte parfait, le sacrifice non sanglant que toutes les nations rendront à Dieu aux derniers temps selon les prophéties d'Is 60, 6 et de Mal 1, 11.

La communauté de Qumran a réinterprété l'expression biblique "faire des offrandes d'agréable odeur". Elle se considère comme le Temple, la maison de sainteté pour Israël. Alors elle pourra offrir des sacrifices d'agréable odeur dans un Temple et une terre purifiée. À noter que les symboles du parfum et de la maison sont associés.

 

Si l'on accepte cette nouvelle valence du symbole du nard, il en découle que le Christ est présenté comme l'autel du Saint ou comme le Saint des Saints ou encore comme celui qui va s'offrir en victime d'agréable odeur. Il est le Temple nouveau. Ce thème dont la dimension polémique n'échappe à personne est fondamental pour la compréhension de tout l'Évangile. Le Temple, dans la tradition juive, fait partie des dix objets qui furent l'objet de la précréation.

 

Nous avons admis que les symboles présents dans un texte s'éclairaient les uns les autres. Il nous faut maintenant approfondir le symbole de la maison pour enrichir encore celui du nard.

 

« La senteur du parfum remplit toute la maison ». C'est dans cet phrase propre à Jean que les symboles de la maison et du nard sont associés.

Nous avons présenté ailleurs les principales significations du symbole de la maison dans le judaïsme biblique et intertestamentaire. Le mot hébreu baith a un double sens. Il signifie maison et famille. La maison désigne également le Temple dans la littérature apocalyptique. La communauté de Qumran aime à se désigner sous le vocable de "maisons de sainteté". Plutôt que de reprendre tous les aspects variés du symbole de la maison, nous nous limitons à l'étude rapide des principaux textes de l'Évangile de Jean où apparaît le symbole de la maison.

En Jean 2, 16 après la purification du Temple, scène que Jean situe contrairement aux Synoptiques au début de la vie publique de Jésus, c'est le corps du Christ qui est présenté comme le nouveau Temple et le lieu de la présence de Dieu.

Jean 8, 35 affirment que le fils réside de plein droit dans la maison tandis que l'esclave n'y est pas pour toujours. Le Christ part pour préparer une place pour ses amis, car dans la maison du Père il y a de nombreuses demeures. (…) La maison devient ainsi le symbole de la communauté où le Christ est toujours présent avec ceux qu'il a libérés par sa parole de vérité.

(…) C'est Jésus qui prend maintenant la tête du nouvel exode et prépare aux disciples une demeure dans la maison du Père.

(…)

La famille réunie dans le Christ, grâce à son sacrifice – il est l'agneau pascal auquel on n'a brisé aucun os, c'est-à-dire dont le corps n'a pas été outragé lors de son ensevelissement – est une construction en acte. La maison évoque également le Temple rempli de la gloire de Dieu et le nouveau Temple qu'est le corps du Christ ressuscité. (…)

Si le parfum désigne la gloire de la divinité qui émane du corps du Christ et si la maison désigne le nouveau Temple qu'est le corps du Christ ressuscité, on voit à quel point les deux symboles s'éclairent. L'arbre de la vie avec son parfum et la promesse de l'immortalité sont à nouveau accessibles aux croyants qui sont la famille du Christ.

 

[1] TjI Gen 27, 25 ; SC 245, 161, note 8. Cf. également le Targum du Ct 8, 2 et 2 Bar 29, A

 

 

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