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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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15 juillet 2025

Il y a un corps au-dedans du corps, par R du Charlat

“Les choses de Dieu peuvent nous habiter, nous devenir toutes proches, se faire sentir, toucher, goûter, non pas en imagination, mais par les sens intérieurs qui sont les sens du corps au-dedans du corps.”

Voilà ce que dit Régine du Charlat dans "Tu m’as façonné un corps", extrait de Tournés vers Dieu, la vie du chrétien. DDB. 1989, chapitre 17, pp 99-104.

Régine était une amie de Jean-Marie Martin qui parlait souvent des sens intérieurs dont parle saint Jean : « Ce qui était dès le principe, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, et que nos mains ont touché au sujet de la Parole de la vie - et la vie s'est manifestée, et nous avons vu, et nous témoignons et vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui s’est manifestée à nous. » (1 Jn 1, 1-2)

 

 

Il y a un corps au-dedans du corps

 

Régine du Charlat

 

Nous sommes familiers de notre corps et de nos sens. Ils nous mettent en relation avec le monde des êtres et des choses. Sentir, toucher, goûter, font notre activité de tous les instants, comme voir ou entendre. Le corps des choses est leur existence même, comme le nôtre est notre existence. Si l'univers n'avait un corps et si notre corps n'avait des sens pour le percevoir, le réel n'existerait simplement pas. Voir de nos yeux, toucher de nos mains est pour nous une requête essentielle pour reconnaître, adhérer, croire. Tout le reste nous paraît illusoire. Les choses qui sont en dehors de notre atteinte immédiate n'échappent pas à cette loi. Une étoile peut mettre des millions d'années à se laisser voir, c'est tout de même dans notre univers corporel qu'elle le fera. De même pour l'infiniment petit que nous finissons par détecter sensiblement par ces prolongements de la vision que sont les instruments les plus perfectionnés.

 

Le monde de la foi serait-il donc illusoire, lui qui ne se laisse pas percevoir de la même manière ? Pourtant nous avons bien l'intuition d'une connaissance réelle, d'une rencontre.

Déjà d'ailleurs notre langue le proclame. Nous « goûtons » intérieurement. Nous disons « je vois » quand nous entrons dans l'intelligence de quelque chose. Et « sentir » nous permet d'exprimer les intuitions les plus fortes.

On pourrait penser que cette manière de parler est simplement une comparaison sans fondement dans le réel. Pourtant, lorsque nous l'employons nous voulons bien dire quelque chose de réel. Et nous le disons avec les mots de notre corps, justement, parce que c'est bien notre corps qui le perçoit.

 

Cela élargit considérablement notre sens du corps. Le spirituel aussi a un corps, notre corps. Les réalités intérieures ont un corps, puisque nous les touchons et les goûtons. D'ailleurs cela se voit. Je pense à cette grande malade qui irradiait une lumière très belle, alors que son corps se dégradait. La maladie laissait sa trace incontestable, mais il y avait aussi ce quelque chose du dedans qui s'inscrivait corporellement sur le visage.

Ainsi, notre corps est-il un tout vivant, matériel, certes, mais d'une matière animée par l'esprit. Et l'esprit est lui-même corporel.

« L'homme ne vit pas seulement de pain ». Le corps ne vit pas seulement de pain. Lorsque l'on sait à quel point la sexualité est importante, comment peut-on expliquer que certains hommes et femmes - prêtres et religieuses qui ont fait vœu de chasteté - puissent vivre heureux sans exercer charnellement leur sexualité ? Comment, sinon en comprenant que les réalités intérieures font vivre le corps autant que les sensorielles. Autrement, mais réellement. Peu sont appelés à vivre ainsi. Que cela soit possible, indique un sens important pour tous : la relation à Dieu, la foi, la vie chrétienne sont capables de nous faire vivre pleinement dans notre humanité entière et donc dans notre corps. Nous n'avons pas à le fuir pour vivre de Dieu.

Ainsi, les choses de Dieu peuvent nous habiter, nous devenir toutes proches, se faire sentir, toucher, goûter, non pas en imagination, mais par les sens intérieurs qui sont les sens du corps au-dedans du corps.

Voilà qui peut paraître à la fois surprenant et familier. Si nous percevons les choses à la surface, d'un regard extérieur, nous doutons que cela puisse exister et pensons que c'est du rêve. Si au contraire, nous acceptons d'être attentifs à ce « corps au-dedans du corps », nous prenons le chemin, pour notre joie, d'une compréhension plus profonde de notre humanité, de notre corps.

 

On dit parfois des chrétiens qu'ils méprisent le corps. Ils courent en effet ce risque, comme tous ceux qui ne se contentent pas de l'apparence des choses. Mais telle n'est pas la grande tradition chrétienne, à condition, cependant, de ne pas rester à une vision superficielle du corps. Nous ne poursuivons pas, en effet, une glorification naïve du corps, tel que nous le comprenons souvent spontanément.

Nous sommes plutôt déroutés au départ, invités à convertir notre regard. C'est pourquoi il y a une « ascèse », cette attitude qui consiste à éliminer nos visions étroites et repliées, nos tendances à la possessivité et à la domination, l'idolâtrie de nous-même, le refus d'aimer. Car ces tendances négatives peuvent aussi prendre corps en nous. La « gloire » de notre corps n'est pas de se laisser aller à sa spontanéité superficielle, mais de gagner progressivement sa vérité qui, elle-même, prend de plus en plus corps en nous. Cela s'achèvera dans la résurrection de la chair quand notre corps aura trouvé en Dieu sa vérité tout entière.

Déjà la Résurrection est à l'œuvre. Dieu prend corps en nous en se faisant connaître, goûter et toucher. Plus encore lorsque notre corps se donne à travers les mille formes de l'amour concret. La charité est le corps sensible de la Résurrection et c'est dans notre corps qu'elle se manifeste. 

Lorsque l'univers corporel est habité par Dieu, il porte mille fruits de beauté, comme l'art, le chant, la musique. La prière des chrétiens - la liturgie - les utilise en leur ajoutant la beauté du geste, des rites, des paroles. Elle célèbre ainsi la rencontre de Dieu et de l'homme car « Celui qui a dit : Que des ténèbres brille la lumière, est celui qui a brillé dans nos cœurs pour faire resplendir la gloire qui est sur la face du Christ ». (2 Cor 4, 6).

 

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