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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 juin 2025

Jean 16, 12-15 et la parole d'éveil

Ces quatre versets de l'évangile de Jean sont une sorte de testament donné par Jésus à ses apôtres, on y trouve les relations entre le Père et le Fils mais aussi l'Esprit de vérité, une expression que J-M Martin propose de traduire par "parole d'éveil" ou "parole d'émergence", et il s'en explique.

Ce qui est mis ici est extrait d'un cours de théologie qu'il a donné à l'Institut Catholique de Paris en 1974-75, donc qui date un peu ! Du fait que le terme "esprit" n'est pas une bonne traduction pour le mot pneuma qui signifie aussi souffle ou vent, au lieu de traduire par "Esprit", il préfère garder le terme Pneuma sans le traduire. En fin de message une remarque a été ajoutée sur le rapport entre le Christ et le Pneuma : le Pneuma c'est le Christ répandu…

Un autre commentaire sur ce texte figure sur le blog, il est beaucoup plus long étant extrait d'une session : Jn 16, 12-15 : Présence de l'Esprit Saint, l'Esprit de vérité. La Trinité

 

Voici la traduction de la TOB.

« 12J'ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant ; 13lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. Car il ne parlera pas de son propre chef, mais il dira ce qu'il entendra et il vous communiquera tout ce qui doit venir. 14Il me glorifiera car il recevra de ce qui est à moi et il vous le communiquera.15Tout ce que possède mon Père est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il vous communiquera ce qu'il reçoit de moi. »

 

Jn 16, 12-15 et la parole d'éveil

 

Jean-Marie Martin

 

Voici une traduction de Jn 16, 12-15, proche du texte grec pour notre étude.

« J'ai encore beaucoup de choses à vous dire mais vous ne pouvez pas les porter encore. Quand viendra celui-ci, le Pneuma de vérité, il vous conduira vers la vérité totale. En effet il ne parlera pas de lui-même mais il parlera tout ce qu'il entend et il vous annoncera les choses à venir. Celui-ci me glorifiera car il recevra de moi et il vous annoncera. Ce qu'a le Père est mien ; c'est pour cela que j'ai dit qu'il recevra de moi et vous annoncera. »

 

Verset 13.

« Quand viendra celui-ci, le Pneuma de vérité » L'expression que nous allons mettre en évidence ici est l'expression pneuma tes alêtheia, ce que nous traduisons couramment par "Esprit de vérité". Cette expression se retrouve à trois reprises, en Jn 14,17 ; 15,26 et 16,13.

Nous nous proposons tout de suite de supprimer la traduction "esprit de vérité" bien qu'elle soit apparemment littérale, parce que ni le mot "esprit" ni le mot "vérité" tels que nous les employons ne nous permettent de nous traduire au texte. La façon dont nous nous traduisions au texte pour notre part est ceci : "parole d'émergence" ou "parole d'éveil".

Nous expliquons maintenant le chemin par quoi nous en sommes venu à proposer cela.

 

D'abord pneuma désigne, notamment chez saint Jean "le souffle"[1], mais "le souffle parlant". Aujourd'hui nous avons quelque chose qui nous structure de façon assez radicale, c'est, disons, la distinction de l'énergie et de la représentation. Nous pensons la Parole à partir de la représentation et le Pneuma à partir de l'énergie. Or chez saint Jean, Pneuma dit toujours "pneuma parlant", c'est-à-dire le souffle comme désignation de la Parole vivante, de la Parole effectivement prononcée. Si bien que la parole de saint Jean que nous lisons devra, à terme, être entendue comme la Parole qui est Pneuma, comme la paraclèse, comme la présence vivante du Ressuscité, comme ce par quoi ce parler-là en tant qu'effectivement entendu, est le "se présenter" du Ressuscité, Parole. Le Pneuma (l'Esprit) n'est pas seulement “fffttt”, il est Évangile vivant.

Il y a là quelque chose qui retourne complètement l'idée spontanée que nous avons du livre et – pour nous autres Occidentaux notamment à la suite d'une certaine histoire –, la façon que nous avons d'ouvrir un livre. Le texte de Jean en tant que je l'entends est la résurrection, est l'assistance, la présence de Jésus ressuscité.

Nous savons bien que le mot Logos se traduit par Parole, et le mot Pneuma par Esprit ; c'est pour cela que nous vous disons que ce n'est pas une traduction, mais c'est mieux qu'une traduction, c'est la façon d'entendre ce qui est dans le texte qui nous fait parler comme cela aujourd'hui.

 

Nous avons dit "parole d'é-mergence". Au départ nous avons le mot grec a-lêtheia que l'on traduit par "vérité", mais nous allons penser ce mot à partir du grec d'une certaine façon.

Il ne faut pas nous dire que nous accordons historiquement à la pensée de Jean une origine grecque, parce qu'en cela, cela recoupe très fortement un certain faisceau de significations proprement hébraïques du mot correspondant, mais peu importe, laissez-vous faire.

Léthé en grec, c'est l'oubli, et alêtheia c'est le mouvement de sortir hors de l'oubli. Ce qu'évoque le mot vérité a été pensé au cours des siècles à partir de bien des choses différentes ; il existe des philosophes qui ont tenté de rechercher à partir de quoi ce maître mot s'est pensé à l'aube de la pensée occidentale, d'un point de vue historial. Nous ne transposons pas cela purement et simplement dans le texte de Jean, mais nous montrerons pourquoi cela est d'une certaine façon ici valide.

En effet vous savez que le Léthé, dans la mythologie grecque, c'est le fleuve, le fleuve d'oubli. C'est pourquoi nous nous permettons de proposer cette expression de "parole d'émergence". Nous verrons tout à l'heure que la notion d'oubli n'est pas étrangère à notre texte, car une des fonctions du Pneuma est de remémorer, donc par rapport à la mémoire.

Notons que nous avons parlé ici du terme de "vérité" chez Jean à partir d'un certain contexte, d'une certaine préoccupation. Tout n'est pas des sur ce terme de vérité, mais encore une fois nous ne faisons pas le lexique ou le dictionnaire de la signification des mots chez saint Jean ; nous rencontrons d'autrefois, dans d'autres contextes, ce mot de alêtheia ou il nous faudra nous approcher à l'aide d'autres mots de chez nous

 

« Le Pneuma vous conduira vers la vérité totale… » Hodêgêsei (il conduira) a pour racine odos (chemin) : il vous conduira vers la vérité totale (Jn 16,13). N'entendez surtout pas que le Saint Esprit ajoutera des dogmes aux dogmes que censément le Christ aurait déjà donnés, en aucune façon il ne s'agit de cela. Le Christ est la vérité totale et la présence du Pneuma est notre cheminer vers cette vérité totale.

 

« Il ne parlera pas de lui-même mais il parlera tout ce qu'il entend » (Jn 16, 13). Le Christ dit cela de lui-même à plusieurs reprises : « Je ne parle pas de moi-même, je dis ce que j'entends d'auprès du Père. »

Cela pourrait nous heurter car nous pensons ceci : « Il faut parler de soi-même et non pas répéter. » Cette précision est très importante parce que cela peut donner lieu à des contresens extraordinaires. Ce qui est en cause ici, c'est justement que la véritable authenticité du Christ vient de son être-un avec le Père, vient de son identité sur laquelle nous insistons maintenant.

Du reste, et plus profondément ici, il y a cette idée qu'entendre, c'est dire et que dire, c'est entendre. Nous avons à plusieurs reprises touché des choses de ce genre, mais nous y reviendrons quand nous réfléchirons sur la lecture comme entendre.

 

« Et il vous annoncera ce qui est à venir. » Au chapitre 14 le Pneuma est celui qui remémore : « Le Paraclet, le Pneuma Sacré que le Père enverra dans mon nom vous remémorera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 25). Remémorer (hupomnêseï), un verbe qui a pour racine mnésis (mémoire). Alors notez bien qu'il s'agit ici de mémoire dans un sens profond et pas des souvenirs. Ce qui est indiqué ici, c'est très exactement ce que fait Jean. Recherchez dans ces chapitres les nombreux endroits où une parole est dite et où saint Jean ajoute : « Les disciples se remémorèrent cette parole et comprirent alors. » Qu'est-ce que le "se remémorer ce que le Christ a dit" ? C'est l'entendre à partir d'où cela parlait, c'est-à-dire à partir de cette mémoire-là qui n'est pas la mémoire individuelle de l'apôtre. De ce fait, le passé n'est pas du passé mais il est rendu présent, et les choses à venir sont déjà présentes en nous.

 

Verset 14.

En outre, le Pneuma glorifiera (doxaseï). Nous avons déjà appris à nous traduire à ce mot par "présentifier". C'est donc qu'il accomplit la présence. Et cette présence sacrée, qui s'appelle aussi le nom, cette présence est le "s'accomplir" de la paraclèse, c'est-à-dire de l'assistance.

 

Verset 15.

« Tout ce qui est au Père est à moi. » Au chapitre 17 c'est un thème qui revient plusieurs fois dans la grande prière du Christ, une fois sous forme réciproque : « Tout ce qui est mien est tien et tout ce qui est tien est mien » (v. 10), et aussi sous la forme du don qui rejaillit sur les disciples : « Père ceux[2] que tu m'as donnés je veux que, là où je suis, eux aussi soient avec moi afin qu'ils voient ma gloire (ma présence) que tu m'as donnée parce que tu m'as aimé avant le lancement du monde » (v. 24).

 

Remarque annexe sur le rapport entre le Christ et l'Esprit Saint.

Il est question ici du "Pneuma de vérité", c'est-à-dire du "Pneuma qui est vérité" (c'est dit explicitement en 1 Jn 5, 6 : L'esprit est la vérité). Or Jésus a déjà dit « Je suis la vérité » (Jn 14, 6). Alors, est-ce Jésus ou le Pneuma qui est la vérité ? Se pose ici la question trinitaire de l'imputation des dénominations. Il y a des dénominations qui sont propres et des dénominations qui sont communes. Par exemple Dieu est Pneuma, le Fils est Pneuma mais le "Pneuma de consécration" (qu'on appelle l'Esprit Saint) est autre que le Fils et que le Père. En fait ils sont autres précisément parce qu'ils sont le même et que la véritable mêmeté comprend en elle une certaine altérité constituante.

Dans l'ensemble du Nouveau Testament le Christ et l'Esprit sont en général saisis dans une certaine identité. Vous savez qu'originellement Christos signifie oint et singulièrement oint de l'Esprit. Et dans le Nouveau Testament Christ et Pneuma (Esprit) désignent la même chose, mais sur le mode du solide ou de l'unifié dans l'emploi préférentiel de Christos, et sur le mode du répandu ou du diffusé dans le terme de Pneuma. Les termes de répandre et de verser appartiennent au vocabulaire de l'Esprit : l'Esprit (ou quelquefois l'agapê) est répandu ou versé dans les cœurs, ce qui se réfère à une symbolique du fluide, du liquide. Donc bien entendre une phrase comme celle-ci : le Pneuma c'est le Christ répandu. Donc bien entendre une phrase comme celle-ci : le Pneuma c'est le Christ répandu. Bien sûr, nous ne disons pas que le Saint Esprit n'est pas une personne distincte de la deuxième personne de la Sainte Trinité, nous ne disons pas le contraire non plus ici. Mais le terme de personne en particulier nous empêche d'entendre les textes du Nouveau Testament

 

[1] En grec le mot pneuma désigne l'esprit, le vent, le souffle.

[2] Dans le grec c'est "ce" au neutre : ce (ho) que tu m'as donné, mais ensuite il y a " eux aussi" (kakéinoï) au masculin pluriel, ça désigne les mêmes d'où la traduction.

 

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