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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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6 août 2018

Jn 1, 29-34 Le Baptême du Christ témoigné par Jean-Baptiste

Le chapitre 1 de l'évangile de Jean est distribué en plusieurs journées puisque le mot "le lendemain" revient plusieurs fois. Au début du verset 29 se trouve la deuxième mention, on est donc au troisième jour. Depuis la veille il est question du témoignage de Jean-Baptiste (voir le message précédent sur le blog) et ici on a la scène d'identification du Christ par Jean-Baptiste ainsi que le récit du Baptême dans sa bouche. Jean-Marie Martin a commenté ces textes à plusieurs reprises. Ce qui est mis ici correspond essentiellement à ce qu'il a dit en 1987-88 lors des soirées à Saint-Bernard de Montparnasse.

 

Jn 1, 29-34

Le Baptême du Christ témoigné par le Baptiste

 

Descente de l'Esprit« 29Le lendemain, il (Jean-Baptiste) voit Jésus qui vient vers lui et il dit : “Voici l'agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. 30C'est de lui que j'ai dit : "Après moi vient un homme qui m'a devancé, parce que, avant moi, il était." 31Moi-même, je ne le connaissais pas, mais c'est en vue de sa manifestation à Israël que je suis venu baptiser dans l'eau. » 32Et Jean porta son témoignage en disant : “J'ai vu l'Esprit, tel une colombe, descendre du ciel et demeurer sur lui. 33Et je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, c'est lui qui m'a dit : "Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre et demeurer sur lui, c'est lui qui baptise dans l'Esprit Saint." 34Et moi j'ai vu et j'atteste qu'il est, lui, le Fils de Dieu.” » (Traduction TOB).

 

1) Place de ce passage au sein du chapitre 1 (v. 29-31 et 34).

Nous avons compris que nous étions dans le récit du Baptême dès le début du chapitre et que nous y resterons jusqu'à la fin du chapitre d'une certaine manière. Ici nous trouvons la référence explicite au minimum retenu par les évangiles synoptiques pour dire la scène elle-même du Baptême. Voyez comment est composé ce passage qui est un lieu assez central pour tirer des traits dans toutes les directions du chapitre.

 « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché du monde » ce qui tire un trait du côté de la suite. En effet ce sera repris presque explicitement aux versets 35-36 et cela ouvre peut-être sur quelque chose. Nous avons longuement étudié ce thème et nous ne le reprenons pas aujourd'hui[1]. Nous notons cependant que nous avons laissé dans le vague la signification de « celui qui lève le péché du monde ».

Nous poursuivons le deuxième trait : « 30Celui-ci est celui à propos duquel j'ai dit : "Après moi vient un homme qui fut avant moi, car il était premier par rapport à moi".”» Ici cela tire explicitement du côté du verset 15 où il était dit « 31et moi je ne le connaissais pas » et ceci est repris au verset 33. Ces deux « je ne le connaissais pas » enchâssent le témoignage sur Jésus.

« …Mais pour qu'il parût à Israël, c'est pourquoi je suis venu baptiser dans l'eau » : ceci est la réponse à la question du verset 24 : « Pourquoi baptises-tu si tu n'es ni… » La réponse n'était pas donnée à ce moment-là. Le Baptiste avait simplement dit « Moi je baptise dans l'eau », mais la vraie réponse est ici.

Ensuite on a le récit proprement dit du Baptême que nous regarderons après : « 32Et Jean témoigna disant : "J'ai contemplé (téthéamaï) le pneuma»

Et à la fin on a la phrase qui était attendue au verset 26 : « c'est lui qui baptise dans le pneuma sacré (dans l'Esprit Saint) ».

Je vous ai dit cela simplement pour montrer que si je trouve ici la scène proprement dite du Baptême – le minimum figuré de cette scène –, je trouve aussi des références dans toutes les directions du chapitre.

 

2) Versets 29-31.

 « 29Le lendemain, il voit Jésus marchant vers lui et dit : “Voici l'Agneau de Dieu qui lève le péché du monde. – Ce témoignage-là ne se trouve que chez saint Jean, car il est le seul qui ait médité l'inclusion du pardon dans la filiation[2]. Ici, il est fait mention du sang parce que le thème de l'agneau est le thème de l'agneau sacrifié.

a) Identifications répétées de Jésus par le Baptiste : v. 15, 26 et 30.

Dans cette identification de Jésus par le Baptiste il y a plus particulièrement : « 30Celui-ci est celui à propos duquel j'ai dit : "Après moi vient un homme qui fut avant moi, car il était premier par rapport à moi".” »

C'est une phrase que nous avons déjà entendue dans le Prologue, à savoir lors de la deuxième mention du Baptiste : « Celui-ci qui vient derrière moi fut devant moi car il était avant moi » (v. 15).

Nous avons eu entre-temps un rappel de cela la veille, lors de la première identification du Baptiste : « Au milieu de vous se tient celui que vous ne savez pas, celui qui vient derrière moi» (v. 26).

Donc c'est un trait important du Baptiste dans l'évangile de Jean.

Le Baptiste comme précurseur, Jésus comme arkhê.

C'est une reprise de la signification de celui qu'on appelle le pré-curseur bien sûr : il est "celui qui vient avant". Mais il y a néanmoins là autre chose que dit le Baptiste : Jésus est bien « derrière  moi » mais il est « avant moi », et même il est «premier par rapport à moi ». Est-ce que cela est propre à Jean ?

Dans l'évangile de Marc le Baptiste proclame : « Celui qui est plus fort que moi vient derrière moi » (v.7). Donc nous avons « derrière moi » et nous sommes aussi dans une comparaison.

Donc la caractéristique de Jésus par rapport au Baptiste :

– pour Jean, c'est d'être « avant lui » (ou « devant lui  ») et  «premier par rapport à lui » ;
– pour Marc, c'est d'être « plus fort que lui ».

Chez Jean on trouve l'expression « plus grand que » qui est autre chose que « plus fort », par exemple dans « Tu verras des choses plus grandes » (Jn 1, 50). Ici ce qui occupe Jean c'est « celui-là, qui vient après, est avant ». Or "être avant" c'est précisément "être plus grand". Autrement dit, nous avons un indice ici pour nous engager dans une réflexion sur ce que signifie avant dans son rapport avec après.

Nous avons donc une invitation à penser quelque chose du temps, et en particulier on peut se demander quelle est l'importance pour Jean de la référence au tout premier, à l'arkhê (au commencement) : celui qui vient est l'arkhê même.

Mais on aperçoit très bien que l'important est une question, disons provisoirement, d'antériorité. On pourrait croire que : bien qu'il vienne plus tard, "néanmoins" il est plus originaire. Mais peut-être que nous serons amenés à comprendre que : parce qu'il vient plus tard, de là s'atteste qu'il était avant. Et ça, c'est décisif. C'est le rapport de l'ancien et du nouveau : le double sens d'ancien et donc aussi le double sens du mot arkhê.

Nous avons ici la justification rétrospective de ce qui se manifeste dans « Nous avons contemplé sa gloire » (v. 14) c'est-à-dire que le plus tardif, fait écho au plus originaire, à l'arkhê, un mot que nous n'avons pas encore pensé.

Nous notons le souci de Jean de mettre en rapport la plus grande nouveauté, à savoir l'apparition de la résurrection dans le monde, avec le plus originaire.

b) Verset 31.

Nous verrons que Jean est la voix de la terre par opposition à la voix du ciel, ce n'est pas encore dans notre texte. Mais il faut bien comprendre que "être de la terre" ne veut pas dire être de l'initiative humaine : être de la terre c'est avoir reçu le don d'être la voix de la terre. En effet on lui a donné des indices : « 31Et moi je ne le connaissais pas. – ça fait écho à « au milieu de vous se tient celui que vous ne savez pas » (v. 26) – Mais afin qu'il soit manifesté à Israël, je suis venu, moi, baptisant dans l'eau. »

   Que désigne ici le mot "Israël" ?

Le baptême donné par le Baptiste était pour que Jésus « fut manifesté à Israël ». Entendre une phrase comme cela, il y a beaucoup de questions qui se posent. On peut entendre : est-ce que c'est une manifestation à Israël, c'est-à-dire pas encore une manifestation aux nations ? Est-ce qu'il y a une sorte de parallèle esquissé entre le baptême comme baptême et la résurrection qui est le baptême dans l'Esprit ? et il y a d'autres possibilités dans le texte. Par exemple Israël peut signifier Israël par opposition à Juda, c'est-à-dire aux Judéens. Quand Jésus dira à Nathanaël : « Tu es un véritable israélite » (Jn 1, 47), où puise-t-il ce mot "israélite" ? Est-ce qu'ici c'est une distinction entre un véritable Israël et l'Israël actuel, ou bien une distinction de toute nation qui serait dans la figure du Royaume du Nord par rapport à Juda (aux Judéens) ? La question est posée et elle n'est pas très importante. En tout cas, on s'aperçoit que, du sens de ce mot-là, on peut tirer de façons diverses la position de cet épisode par rapport à l'ensemble de l'Évangile.

 

3) Versets 32-34 : le Baptême et le témoignage du Baptiste.

   Premières remarques sur la scène du Baptême.

À l'intérieur même il est intéressant de noter ceci : « J'ai contemplé le pneuma comme une colombe descendant du ciel ; et elle demeura sur lui". » (v. 32). Ceci est un venir, caractérisé ici comme une descente. Le thème de la colombe est commun à Jean et aux Synoptiques, mais le thème du "demeurer sur lui" est propre à Jean. Ici la scène est située dans les yeux du Baptiste alors que chez Marc par exemple, c'est Jésus qui voit : « Et aussitôt remontant hors de l'eau il vit les cieux se déchirer et le pneuma comme une colombe descendant vers lui » (v.10). Ici Jean l'évangéliste fait témoigner le Baptiste, lui fait réciter son expérience, expérience pour laquelle il est mandaté. C'est ce qui est en question.

Et l'expression « Celui-ci est le Fils de Dieu » (v. 34) est dans la bouche du Baptiste. Donc ce que dit la voix du ciel (« Tu es mon Fils ») lors du Baptême est recueilli par le Baptiste, est témoigné dans sa bouche : « J'ai vu et j'ai témoigné que celui-ci est le Fils de Dieu. »

Si vous lisiez dans Matthieu le récit du Baptême vous y trouveriez tous les matériaux fondamentaux mais aussi beaucoup de développements. Il y a des discours du Baptiste qui sont propres à Matthieu. Chaque récit relève donc d'un fond commun, de figures semblables, mais il n'y a pas à chaque fois tous les éléments éventuellement[3].

   La parole précède la scène.

Ce qui est également intéressant c'est ce que dit le Baptiste : « 33Et moi, je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, celui-là m'a dit : "Celui sur qui tu verras le pneuma descendant et demeurant sur lui, c'est lui qui baptise dans le pneuma sacré". » Ce qui pour moi est très significatif dans cette affaire, c'est que tout est dans la parole. C'est-à-dire que, une scène en elle-même, ce n'est rien. En tout cas, après coup, le Baptiste peut dire que la parole précède, puisque tout cela est recueilli dans une parole.

Nous avons cela partout, ce n'est pas propre à Jean. Pour ne citer qu'une chose qui est bien connue par la liturgie, quand l'ange dit aux bergers : « Il vous est né aujourd'hui, dans la ville de David, un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. Et voici ce qui vous en sera le signe: vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une crèche. » En fait ce n'est pas un signe…Mais si, c'est un signe parce qu'il a été dit avant que c'était un signe. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que c'est cette réalité qui est déjà de la parole qui fait accueillir un événement dans son sens. Cela veut dire que tout est dans la parole.

Là aussi, je pense que ce n'est pas à lire de façon méthodique comme si, dans un premier temps quelqu'un vous dit : Va et puis tu verras… C'est plutôt l'ordre intime, l'ordre interne de ce qui se passe quand je reconnais quelque chose : je reconnais que j'en avais attente ou connaissance. Du moins, c'est cela qui m'est suggéré…

   Le pneuma descend des cieux comme une colombe.

Il faudrait maintenant par exemple réfléchir sur ce qui est vraiment au cœur de ce passage, à savoir que le pneuma descend du ciel comme une colombe et elle demeure sur lui. » Est-ce que cela est tout à fait nouveau ?

Est-ce que c'est nouveau par rapport à ce que nous avons vu de la pensée de saint Jean ? Pas du tout. D'ailleurs tout ce qui a été dit auparavant est lu à partir de cela.

En effet, le pneuma, nous le savons, est ce qui emplit. Il est le plein, la plénitude. Or au verset 14 le Monogène (le Fils un) est dit être plein : « plein de grâce et vérité »…. En fait, tout ce qui précède dans ce chapitre 1 est un commentaire de cette phrase.

Sur la signification de la colombe, il y aurait des choses à dire. Premièrement la colombe, pour nous, c'est clair que c'est le Saint Esprit. Mais en fait, dans le judaïsme, la colombe n'est pas référée à l'Esprit proprement dit que je sache. La colombe c'est un thème de l'Ancien Testament, mais dans l'Ancien Testament elle désigne Israël généralement, à savoir la totalité du peuple. Voir cela par exemple dans le Cantique des cantiques.

Par ailleurs nous avons déjà pensé qu'il y avait un rapport entre ce dont le Christ est plein et « cette plénitude dont nous avons tout reçu, et grâce pour grâce » (v. 16). La méditation sur la colombe et le pneuma, il faut la chercher du côté du plein et du Plérôme. Dans le verset 14, cela nous avait alerté. Nous disions qu'il était plein éventuellement des diverses dénominations (lumière, vie…) et finalement plein de la donation qui est vérité (“plein de grâce et vérité”). C'est bien cela le pneuma, la donation.

Nous avons pensé aussi le plein comme l'unité des dispersés. C'est le rapport du Monogène et des tekna (des enfants) essentiellement dispersés et réconciliés dans l'unité, d'où le rapport subtil qui existe entre le pneuma et l'aspect collectif du Fils. Cela rejoint un peu l'image d'Israël comme colombe qui a une signification collective, et le pneuma a à voir avec ça. C'est quelque chose qui est mis en valeur dans l'épître aux Éphésiens surtout. Il y a toujours à essayer de penser le rapport entre "la plénitude emplissante" et "la plénitude emplie", car le verbe pléroô signifie aussi bien accomplir qu'emplir.

Et alors quelque chose pourrait ici se décider ou commencer à se décider par rapport à la question dont je disais que nous l'avions laissé dans le vague, la signification de « celui qui lève le péché du monde ». Chez saint Jean, le péché du monde c'est de ne pas entendre, c'est la non-foi. Aussi, que soit levé le péché du monde et que soit apportée la plénitude de cette donation qui est la vérité, c'est peut-être la même chose. Et il faudrait voir si la fin du chapitre ne nous conduit pas vers cet emplissement progressif par l'appel des disciples dans la vérité, voir si le thème de la vérité n'est pas un thème qui va dominer par la suite. Voilà une suggestion qui s'ajoute aux autres. Seulement là aussi, soyons prudents parce que, quand on dit des choses de ce genre, on a l'air de dire : Ah bon, c'est de la vérité répandue, et cela n'a rien à voir avec d'autres significations éventuelles que nous pourrions comprendre par rapport au péché. Pas du tout.

Et par ailleurs, que le Christ soit ce par quoi la vérité vient, cela ne veut pas dire simplement qu'il fait connaître des choses. La vérité en question, c'est ce qui se donne dans la non-surdité, donc dans la foi, mais qui, comme la foi, comme l'entendre, désigne la relation première et indécidable qui est aussi le non-meurtre, c'est-à-dire, dans le langage de saint Jean, la non-exclusion. C'est ce qui fait que pistis (foi) et agapê (amour, charité, soin…) ne donnent pas deux relations différentes mais sont des désignations de la même chose. Aussi, quand je parle de nous orienter du côté de la plénitude de vérité qui se répand, il ne faudrait pas entendre simplement qu'il s'agit d'une annonce qui va se répandre dans le monde comme une doctrine, que ce serait une connaissance qu'il faudrait savoir reconnaître et répandre de tous côtés. C'est bien du côté de la vérité, mais à condition que nous pensions la vérité dans un registre autre que celui que nous sommes tentés d'entendre quand ce mot se prononce chez nous aujourd'hui.

   Baptême dans l'eau et baptême dans le pneuma sacré.

« C'est lui qui baptise dans le pneuma sacré ». Voilà le mot "baptiser" que nous n'avons pas tellement essayé de penser, et puis voici d'autre part un passage qui s'indique comme le passage du "baptême dans l'eau" au "baptême dans le pneuma". Il s'agit du partage des eaux dont nous avons parlé à plusieurs reprises, mais il faut le répéter ici parce que c'est le trait caractéristique de toutes les premières pages de saint Jean.

  • au ch. 1, au niveau du baptême, on passe de l'eau du Jourdain à cette eau-là qui est le pneuma ;
  • au ch. 2 on voit la transformation de l'eau lustrale (eau juive) des 6 jarres en vin ;
  • au ch. 3, avec Nicodème, il est bien précisé que nul, s'il ne reçoit de cette eau-là qui est le pneuma (l'Esprit) n'accède à identifier Jésus comme Seigneur ;
  • au ch. 4 c'est tout le débat sur le puits, celui de la Samaritaine. Et puis : où faut-il adorer ? les véritables adorateurs n'adoreront ni ici ni à Jérusalem mais dans le pneuma de vérité, dans ce pneuma qui est vérité ;
  • au ch. 5 on attend une guérison à partir de l'eau de la piscine de Bethesda, cette eau guérisseuse. Or le paralysé n'est pas guéri par cette eau-là mais par la parole qui dit « Lève-toi », la parole qui dit et accomplit l'éveil ou la résurrection.

Ce n'est peut-être pas la peine de tout redire, je crois l'avoir fait déjà.

Il ne faut pas oublier que dans toutes les mentions du pneuma dont nous avons parlé, il s'agit toujours du pneuma de résurrection ; c'est-à-dire que, dans tout cela, ce qui est en question c'est qu'on n'accède pas à l'identité de Jésus à partir de l'eau ordinaire mais à partir de cette autre eau. Cela signifie : on n'accède pas à Jésus à partir d'ailleurs que de la résurrection, à partir de sa dimension de pneuma, de sa dimension de résurrection.

Le Baptême de Jésus ne consiste pas essentiellement en ce qu'il soit baptisé dans l'eau par le Baptiste, mais en ce que, remontant du baptême, il soit baptisé du pneuma : le pneuma descend sous forme d'une colombe et repose sur Jésus, il oint Jésus et donc le manifeste comme Christos, c'est-à-dire comme Messie, Roi oint, imprégné, enduit.

   Que désigne saint Jean par le mot "baptême" ?

Je voulais aussi en venir à l'explication du mot même de "baptême". Bien sûr on sait ce qu'est un baptême, mais pour entendre ce texte-là, il ne faut pas l'entendre de la gestuelle du baptême telle qu'elle est dans notre esprit. D'abord, que le Christ baptise dans l'Esprit, cela n'est pas premièrement qu'il y ait un baptême chrétien qui est autre que le baptême du Baptiste. C'est tout à fait vrai qu'il y a un baptême autre, mais ce n'est pas cela qui est visé ici. Ce qui est visé c'est qu'il s'agit d'être plongé dans le pneuma de la vérité, dans le pneuma de résurrection et de vérité. Que cela donne lieu à gestuation particulière dans le baptême, c'est vrai, c'est le développement d'une symbolique fondamentale, mais il ne faut pas que ce soit le particulier qui nous fasse éluder la grande dimension du baptiser. Cela d'autant plus que le mot même de "baptiser" au fond, il faut le penser à partir d'un mode d'appartenance : baptiser, c'est appartenir. Cela peut paraître simpliste, mais nous savons qu'il s'agit de baptiser "dans le nom", même si ce n'est pas ici que c'est dit.

Dans la première pensée du baptême qu'on trouve notamment chez saint Paul, on se servira de l'analogie de la circoncision qui est une marque, un signe, on utilisera le même vocabulaire. Or ce qui est premier dans cette marque, c'est la notion d'appartenance.

Ce que je dis est abstrait, vague, et a besoin de précision, mais il faut toujours penser à partir de la plus grande ampleur, quitte ensuite à préciser. Je veux dire par là : il est évident qu'il y a des modèles purement rituels, cultuels qui existent quand notre texte est écrit, et néanmoins, il ne faut pas omettre de penser que même ces modèles éventuellement cultuels sont ressaisis à partir du profond de la pensée. Du reste, ce qu'on appelle des rites, on ne les pense bien qu'à la mesure où on ne les pense pas comme rites.

Tu es mon fils bien-aimé   Le témoignage du Baptiste. Voix de la terre et voix du ciel.

Le Baptiste dit « j'ai vu et j'ai témoigné ». Le témoignage du Baptiste intervient deux fois dans ce passage et c'était déjà un des premiers mots qui se disaient de lui : il est envoyé pour le témoignage. Nous avons déjà rencontré cela autrefois et nous avons déjà essayé de situer le témoignage du Baptiste en le mettant en rapport avec le témoignage de "celui qui témoigne pour le Christ", à savoir la voix venue du ciel c'est-à-dire du Père. Voix du ciel et voix de la terre sont donc deux témoins, or c'est entre deux témoins que se tient la vérité pour saint Jean. Il faut peut-être le rappeler puisque j'ai dit que ce morceau était un passage nodal par rapport au chapitre.

Le témoignage du Baptiste c'est : « Celui-ci est le fils de Dieu », bien que certains manuscrits portent "l'élu" ou le "fils élu". Nous savons que la donnée fondamentale c'est « Tu es mon fils », cela a déjà été traité par saint Jean dans sa distribution en Monogenês (Fils un) et tekna (enfants).

 

4) Réponses à deux questions.

► Est-ce que vous pourriez nous donner des précisions sur le pneuma par rapport à Jésus ?

J-M M : Le pneuma est un mot qui signifie souffle et qui dit le principe de vie. Ce n'est pas seulement le vent qui est le souffle dans un autre sens, mais le principe de vie. Ce n'est pas simplement le souffle pulmonaire, mais la grande respiration constitutive, le don de la vie par Dieu. Or ici ce pneuma, nous l'avons vu descendre sur Jésus, demeurer sur lui. Il s'agit de la dimension pneumatique (spirituelle) de Jésus, celle qui s'exprime dans la résurrection. Cette dimension de vie est proprement pneumatique et non pas simplement psychique. Il y a des mots différents en hébreu comme dans le grec pour dire ces choses. En hébreu la rouah (qui correspond au pneuma) n'est jamais ce qu'est la nèfèsh (qui correspond à la psyché, à l'anima, au principe d'animation), et on a souvent beaucoup de mal pour l'identifier dans la mesure où nous sommes tentés dans notre questionnement de dire : ou bien c'est une faculté de l'homme ou bien c'est une puissance de Dieu. Or ce n'est ni l'un ni l'autre. C'est cet élément respiratoire et relationnel dans lequel l'homme et Dieu sont nommés simultanément et en proximité.

Par ailleurs le mot "pneuma" est très employé dans l'ambiance hellénistique, dans le stoïcisme avec des sens divers (médical, philosophique…) et c'est même le sens de logos pour certains. C'est un mot tout à fait hellénistique.

Cependant, il faut que nous essayions de l'entendre précisément à partir de ce que signifie "le souffle de vie" tel qu'il se manifeste dans la résurrection. En effet, comme le dit saint Jean, « il n'y avait pas encore de pneuma puisque Jésus n'avait pas été glorifié. » (Jn 7, 39). Autrement dit, ce qui ouvre la participation au pneuma, c'est la dimension de résurrection de Jésus.

De plus, que nous ayons contact de résurrection constitue notre résurrection.

 

site de baptême► J'ai une question naïve mais qui me brûle les lèvres : pourquoi Jésus a-t-il éprouvé le besoin de se faire baptiser par le Baptiste, de rentrer dans l'eau du Baptiste ?

J-M M : Là, je crains que ce ne soit pas une question johannique[4]. Je pense que c'est une question qui peut se poser ailleurs. On lit par exemple en Mt 3,15 dans la bouche de Jésus  « c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice. »

Mais, écoutez bien, il faut supprimer la question : « Pourquoi Jésus se fait-il baptiser ? » et il faut dire : « comment le baptême de Jésus est-il présenté ici et là ? » En effet, tout au cours du IIe siècle cette question du « pourquoi Jésus a-t-il éprouvé le besoin de se faire baptiser ? » ne cessera pas de se poser et pour d'autres raisons. C'est que le baptême a pris déjà le sens de "ce qui lève le péché" d'une certaine manière. Or Jésus n'avait pas de péché, et dans les théologies anciennes on trouve toujours : il se fit baptiser bien qu'il n'en eût pas besoin lui-même, mais c'est pour l'ensemble du genre humain.

« Et s'il est descendu dans le fleuve, nous le savons, ce n'est pas qu'il ait eu besoin d'être baptisé, ou que l'Esprit Saint vienne sur lui sous forme d'une colombe, de même qu'il n'avait pas besoin non plus d'être engendré et crucifié, cependant il a souffert de l'être pour la race des hommes. » (Saint Justin, Dialogue avec Tryphon n° 4)

 Donc le problème n'est jamais le même, il n'y a pas une explication d'une factualité brute. Et ce qui est intéressant, c'est de suivre les traitements, les lectures, les intelligences qui sont prises de cela.

C'est donc intéressant d'insister sur la question comme vous l'avez fait parce que cela peut montrer que différentes réponses ont été apportées, que ce geste initial a été assumé et introduit dans la pensée chrétienne de façons diverses.

On voit très bien comment saint Jean essaie de l'accentuer dans son évangile. Il retrouve d'ailleurs des oppositions qui sont tout à fait classiques. Par exemple il y a l'opposition du petit et du grand – elle n'est pas ici dans notre texte mais elle l'est au chapitre 3 sous la forme de « Il faut qu'il croisse et que je diminue » (v. 30) dans la bouche du Baptiste. Je vous dis rapidement pourquoi. C'est qu'il y a aussi cette même idée de passage, mais sous la forme de la différence du petit et du grand, on trouve cela en Mt 11, 11 : « En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui sont nés d’une femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. » C'est la distinction fondamentale entre "ce monde-ci" et "le monde qui vient". Au fond c'est la différence qui rejoint celle de saint Jean, cette différence qui se pense à partir du "monde de la résurrection" dans sa différence d'avec "ce monde-ci". Et le petit et le grand sont respectivement la femelle et le mâle (la femme et l'homme). En Matthieu le Baptiste est dit le plus grand des enfants de la femme et ce sera repris abondamment par les gnostiques. Il est très intéressant de suivre ce chemin, en particulier dans toute la lecture clémentine et pseudo-clémentine. Mais c'est une histoire postérieure.

Ceci n'est pas très étranger à l'ensemble symbolique de la Bible quand on sait que ciel et terre sont homme et femme (mâle et femelle). En effet, que "Jean Baptiste parle à partir de la terre" comme le dit saint Jean, et qu'il soit "le plus grand des enfants de la femme" comme le dit Matthieu ne sont pas des choses très différentes. "Enfant de la femme" signifie tout simplement "enfant de la génération", car c'est l'homme qui donne le nom et qui est le véritable lieu du rapport masculin / féminin, un rapport qui ici est d'abord dans une opposition.

On a vu que le rapport ciel / terre et le rapport masculin / féminin étaient justement pour renouer entre eux dans la scène même du Baptême. Et ce qui est intéressant ici, c'est que cela rejoint des mystiques du petit et du grand : "ce monde-ci" c'est le petit, et "le monde qui vient" c'est le grand. Il y a une vieille expression samaritaine qu'on retrouve chez Simon le mage, lui qui est samaritaine d'origine : « Le petit deviendra grand[5] », ce qui veut dire que ce qui est petit dans un certain ensemble est le grand dans l'autre ensemble. Et cela rejoint le renversement des premiers et des derniers : à l'intérieur de tout cela il y a la méditation d'un renversement, d'une transformation ; la prise en compte de ce qui règne dans un certain monde et qui justement ne règne pas dans l'autre.

 



[3] On peut noter par exemple que chez Luc le Baptiste a été jeté en prison avant le Baptême de Jésus, donc ce n'est pas lui qui baptise Jésus : « 19Hérode… 20ajouta à encore ceci à tout le reste : il enferma Jean en prison… 21Après que tout le monde eut été baptisé, Jésus fut aussi baptisé. »

[4] À ce moment de la séance Jean-Marie Martin a proposé une autre interprétation, mais l'enregistrement ne contient pas son explication complète : « Je me demande si le Baptiste ne jouait pas le rôle de celui qui fait passer d'une tradition à une autre tradition. Je me demande même – c'est peut-être tout à fait aberrant – s'il ne joue pas un rôle un peu semblable à celui de Melkisédeq. Qu'est-ce qui me fait dire cela ?... On pense que Jean baptisait près de Salim même si certains parlent d'une Béthanie du Jourdain, et les exégètes pensent que le lieu le plus originaire c'est ce qu'il dit au chapitre 3 et ils gardent donc Salim. Or il ne faut pas oublier que Melkisédeq est roi de Salem, et qu'il ne s'agit pas du tout d'une identification locale. En effet dans les traditions, on nomme toujours des localités principielles qui peuvent se réaliser dans des lieux géographiquement très divers. J'ai dit que le Baptiste faisait passer d'une tradition à une autre tradition. C'est peut-être gratuit ce que je dis là, il faut peut-être essayer. Cela paraîtra peut-être ridicule dans quelques mois. »

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