Christ (Oint), prophètes et anges en Hébreux 1, 1-14
Le titre du Christ mis en évidence dans ce texte est celui de "Fils de Dieu". Les applications de ce titre sont développées par opposition aux prophètes, puis aux anges, et enfin aux grand-prêtres. L'idée d'onction qui se trouve dans le titre de Christ implique la double idée de royauté et de sacerdoce. L'intention majeure de ce texte est le caractère singulier du Christ et de son œuvre "une fois pour toutes".
C'est ainsi que J-M Martin a médité ce texte de He 1, 1-14 à la fin de l'année 1968 lors du cours de théologie qu'il donnait à l'Institut Catholique de Paris. C'est le début de la deuxième partie d'un chapitre où J-M Martin essaie d'entendre quelques discours apostoliques sur le Christ, la première partie étant consacrée à Philippiens 2, 6-12. La suite du cours aborde le Psaume 110 (109) qui est cité en He 1, 13, puis analyse "l'expression sacrificielle et sacerdotale" du Christ telle qu'elle se trouve dans le premier discours chrétien.
J-M Martin traduit le texte directement du grec, Au début on a le texte en grande partie, ensuite il reprend deux des passages qu'il n'avait pas traduits. Le texte entier figure à la fin dans la traduction de la TOB.
Le Christ en Hébreux 1, 1-14
Par Jean-Marie Martin
Voici d'abord une traduction approximative de ce texte à partir du texte grec.
« 1À plusieurs reprises et de plusieurs manières, jadis, Dieu ayant parlé à nos pères dans les prophètes, 2en ces derniers jours nous a parlé à nous dans le Fils, qu'il a disposé comme héritier de tout, par lequel aussi il a fait les âges (les éons). 3Celui-ci étant le reflet de la gloire et marque de son hypostasis [hypo-stasis, "être sous" : ce qui est subsistant ou caché], portant toutes choses par la parole de sa puissance, ayant fait la purification des péchés, s'est assis à la droite de la grandeur dans les hauteurs, 4devenu meilleur que les anges pour autant qu'il a hérité un nom supérieur au leur.
5En effet, auquel des anges a-t-il jamais dit : « Tu es mon fils, moi, aujourd'hui, je t'ai engendré » [citation du Ps 2] et encore : « Je serai pour lui un père et il sera pour moi un fils. » 6Et d'autre part, quand il introduit le Premier-né sur la terre, il dit : « Et tous les anges de Dieu l'adoreront. » 7Pour ce qui est des anges, au contraire, il dit : « Celui qui fait de ses anges des souffles, et des serviteurs une flamme de feu. » Pour le Fils au contraire : « Ton trône, ô Dieu, et pour les âges des âges » et… [suit une citation du Ps 45] 10et encore [Ps 102] : « Toi, au début Seigneur tu as fondé la terre, et les cieux sont les œuvres de tes mains. 11Pour eux ils passent, mais toi tu demeures. Et tous comme un vêtement ils vieilliront, etc. Mais pour toi tu es le même et les âges ne passent pas. » […] 13En effet, auquel des anges a-t-il dit : « Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que je place tes ennemis escabeaux sous tes pieds » ? »
Voici d'abord une présentation générale du texte avant que nous l'interrogions sous différents aspects.
Présentation générale.
Nous n'allons pas envisager ici toutes les questions que pose l'exégèse de ce discours, ni les conjectures sur ses destinataires, sur son but, etc. Vous pourrez pour cela voir des ouvrages comme celui du Père Spicq : L'épître aux Hébreux (éditions Gabalda).
Pour ce qui nous intéresse, le discours instaure ici une comparaison entre les anges et le Christ, avec la volonté de marquer la supériorité du Christ sur les anges. Mais ce discours présuppose deux types de discours christologiques :
– D'abord - en particulier à partir du verset 3 – une hymne sophiologique, c'est-à-dire à la littérature sapientielle (littérature de sagesse), et qui rappelle ce que nous avons vu dans d'autres textes, par exemple dans Colossiens : « Il est reflet de la gloire et marque de ce qui est subsistant (ou caché) … » (v. 3). Ces expressions sont empruntées à la littérature dite de sagesse.
– Le second discours christologique, également présupposé, est une exégèse christologique des psaumes, en particulier des psaumes 110, 2 et 45. Dans le texte que nous avons lu, il y a un grand nombre de citations, et notamment de citation de psaumes.
Voilà la structure de ce discours.
Le titre du Christ mis ici en évidence est le titre de "Fils de Dieu". Les applications de ce titre sont développées par opposition aux prophètes, puis par opposition aux anges.
1/ Dans le cas des prophètes, nous avions une parole qui était fragmentaire et multiple : c'est le sens des deux premiers adverbes qui sont polypéros ("à plusieurs reprises", mais avec l'idée de méros qui implique l'idée de fragmentation), et polytropos (de plusieurs manières, selon différents tours). Donc : fragmentation et multiplicité.
Et par opposition est mis en évidence le caractère dernier du Christ, et son caractère total. Ceci ouvre sur le thème du "jour". En effet le jour du Christ est un thème impliqué en particulier par la citation du Ps 2 : « Aujourd'hui je t'ai engendré », cité ici au verset 5.
2/ D'autre part cette notion de Fils est opposée particulièrement aux anges en ce que ces derniers présentent un caractère provisoire à quoi s'oppose la permanence du Fils.
Mais ne vous trompez pas, il ne s'agit pas du tout de la question de savoir si ontologiquement les anges sont des êtres permanents ; ils ne sont pas envisagés ontologiquement pour eux-mêmes mais, comme dans nos sources, c'est-à-dire toujours par rapport à leur service, à leur fonction (v. 14 : Ne sont-ils pas tous des esprits en fonction, envoyés en service pour ceux qui doivent hériter le salut). Or le service angélique est un service caduc relativement au service du Fils qui est un service définitif. C'est ce qui explique la congrégation des citations qui se trouvent à la fin du chapitre, en particulier à partir du v. 10 :
« 10Tu as fondé la terre, Seigneur, et les cieux sont les ouvrages de tes mains – n'oubliez pas que "les cieux" désignent précisément "les anges" –, 11ils passent et toi tu demeures. Ils vieillissent comme un vêtement […] 12… mais toi tes âges ne passent pas. »
Le caractère définitif et permanent du Christ est le trait fondamental de ce chapitre.
Nous verrons comment cette idée se retrouve dans une idée majeure de l'épître aux Hébreux, à savoir le sacerdoce du Christ. C'est alors la différence entre le sacerdoce vétéro-testamentaire qui est exercé successivement par les grands-prêtres successifs et par des actes successifs, alors que l'œuvre du Christ est lue comme un "hapax" – mot caractéristique du christianisme – : "en une fois".
D'où d'ailleurs, d'une certaine manière, cette conception du christianisme comme constituant un grand jubilé. Il s'agit de l'acte jubilaire du Christ, qui d'ailleurs a des conséquences au point de vue pénitentiel : dans cette épître on trouve des textes qui font difficulté pour l'existence d'une pénitence après la première pénitence apportée par le Christ. Ceci est connu, classique, mais ce que nous voulions marquer par là, c'est justement l'intention majeure de ce texte, à savoir le caractère singulier du Christ et de son œuvre "une fois pour toutes".
Or ce titre de "Fils de Dieu" que nous venons de mettre en évidence par son opposition au caractère des anges, au caractère des prophètes, au caractère des grands prêtres dans l'Ancien Testament, est lié ici étroitement à une signification messianique. Dans tous les textes néotestamentaires où il s'agit du Fils de Dieu, il serait abusif de vouloir retrouver une doctrine de la Trinité immanente selon laquelle le Verbe est éternellement né du Père. Bien sûr, cela s'y trouve, mais enveloppé dans une autre considération où le mot "Fils de Dieu" signifie directement "Messie". Et cette idée de Messie s'exprime ici par l'idée d'onction.
Vous savez que l'hébreu masiah se traduit en grec par christos, et que christos vient du verbe chrieïn qui signifie "oindre" : le messie, le christ, c'est "l'oint".
Cette idée d'onction se trouve évoquée dans notre chapitre au v. 9, et justement dans une citation du psaume 45 :
« ... et c'est pourquoi il t'a chrismé (oint, christifié) : ô Dieu, de l'huile d'allégresse, toi plutôt que tes compagnons – ou "parmi tes compagnons", compagnons qui dans le contexte sont les anges. »
L'idée de "Fils de Dieu" est liée directement à cette idée d'onction. Cette idée d'onction implique la double idée de royauté et de sacerdoce, à la mesure où dans l'Ancien Testament les prêtres et les rois sont les oints du Seigneur.
1/ L'idée de royauté d'abord se trouve exprimée dans les citations qui sont ici congérées avec l'idée de "trône" au v. 8. Et cette idée de trône est liée à celle de "session à la droite" (s'asseoir à la droite de la grandeur, c'est trôner) évoquée au v. 3 : « Il l'a fait asseoir à la droite de la grandeur, dans les hauteurs. » Et cette idée de "session à la droite" est liée à l'idée de domination sur les anges dans notre contexte, v. 16 : « Tous les anges t'adoreront » (citation du Ps 17) comme elle était liée ailleurs à l'idée de victoire sur les puissances, et victoire sur les ennemis, ce qui nous ramène au texte du Ps 110 : “jusqu'à ce qu'il place tes ennemis sous tes pieds”, texte qui est cité au v. 13 de notre chapitre : « Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que je place tes ennemis comme escabeau sous tes pieds. »
Vous vous rappelez que ces différents thèmes de la "session à droite" et de la "victoire sur les puissances et victoire sur les ennemis" sont étroitement liés à l'idée de seigneurie, telle que nous l'avons développée l'an dernier et qui signifie royauté.
2/ L'idée de sacerdoce, en référence également au Ps 110, est en référence à une citation qui sera fondamentale dans l'épître aux Hébreux bien qu'elle ne paraisse pas dans le premier chapitre que nous avons cité : « Tu es prêtre éternel selon l'ordre de Melkisédeq. » (He 5, 6)
Ici, dans notre chapitre, dès le début, était mentionnée la fonction sacerdotale qui est la purification des péchés (v. 3).
Mais l'idée de sacerdoce sera développée tout au long de cette épître sous deux schèmes qui du reste interfèrent assez fréquemment :
– d'abord à partir de l'image du grand prêtre selon d'ordre d'Aaron. Et ici nous avons un rapport évident avec la littérature de Philon d'Alexandrie ;
– puis selon la figure de Melkisédeq, c'est-à-dire l'idée d'un sacerdoce non lévitique, donc pas selon l'ordre d'Aaron, en référence avec la citation du Ps 110 que nous avons évoquée.
Voilà un regard général sur la structure de ce texte qui implique une structure hymnique et une structure de référence aux psaumes comme discours chrétiens antérieurs à l'élaboration de ce chapitre, et dont les thèmes principaux sont polarisés autour de l'idée de Fils de Dieu.
Nous avons vu que ce titre de "Fils" coïncide ici avec le titre de "Christ", c'est-à-dire d'oint, et que l'idée d'onction implique l'idée de royauté ou de seigneurie, donc rejoint le titre de "Seigneur", mais par ailleurs aussi le titre de "prêtre", et donc le sacerdoce du Christ. Une occasion pour nous de voir comment interfère un certain nombre de titres majeurs qui sont donnés au Christ dans la littérature chrétienne primitive.
ANNEXE : Hébreux 1, 1-14, traduction de la TOB
1Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu, 2en la période finale où nous sommes, nous a parlé à nous par un Fils qu’il a établi héritier de tout, par qui aussi il a créé les mondes. 3Ce Fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être et il porte l’univers par la puissance de sa parole. Après avoir accompli la purification des péchés, il s’est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs, 4devenu d’autant supérieur aux anges qu’il a hérité d’un nom bien différent du leur.
5Auquel des anges, en effet, a-t-il jamais dit : Tu es mon fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ? et encore : Moi, je serai pour lui un père et lui sera pour moi un fils ? 6Par contre, lorsqu’il introduit le premier-né dans le monde, il dit : Et que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. 7Pour les anges, il a cette parole : Celui qui fait de ses anges des esprits
et de ses serviteurs une flamme de feu. 8Mais pour le Fils, celle-ci : Ton trône, Dieu, est établi à tout jamais ! et : Le sceptre de la droiture est sceptre de ton règne. 9Tu aimas la justice et détestas l’iniquité, c’est pourquoi, ô Dieu, ton Dieu te donna l’onction d’une huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons. 10Et encore : C’est toi qui, aux origines, Seigneur, fondas la terre, et les cieux sont l’œuvre de tes mains. 11Eux périront, mais toi, tu demeures. 12Oui, tous comme un vêtement vieilliront et comme on fait d’un manteau, tu les enrouleras, comme un vêtement, oui, ils seront changés, mais toi, tu es le même et tes années ne tourneront pas court. 13Et auquel des anges a-t-il jamais dit : Siège à ma droite, de tes ennemis, je vais faire ton marchepied ?14Ne sont-ils pas tous des esprits remplissant des fonctions et envoyés en service pour le bien de ceux qui doivent recevoir en héritage le salut ?