Jean 11, 1-45 : la résurrection de Lazare
Le récit de la résurrection de Lazare est rapporté uniquement par l'évangile de Jean. Il nous raconte la transformation de l'humanité. Il faut constamment faire la différence entre la résurrection de Jésus et cette résurrection qui se trouve un peu ramenée à l'état des guérisons qui précèdent, en particulier la guérison de l'aveugle-né avec qui la résurrection de Lazare a plusieurs points communs.
Sur le présent blog, un commentaire fait par Jean-Marie Martin, spécialiste de saint Jean, assez long a déjà été mis en deux parties en faisant des liens avec la résurrection du Christ[1]. Ici il s'agit d'un commentaire plus court qu'il a fait dans un autre cadre en 2012. Le projet d'année était de lire l'évangile de Jean de façon continue en privilégiant les textes contenant le verbe "croire" pour en découvrir le sens [On trouve 7 fois le mot "croire" dans le récit entre les versets 15 et 45 de ce chapitre 11]. En même temps il s'agissait d'apprendre à lire saint Jean. …
Jean 11, 1-45 : la résurrection de Lazare
Notre tâche est de lire, ou plutôt d'apprendre à lire. Ce n'est pas une méthode. Un apprentissage n'est pas suivre une méthode, d'autant plus que odos c'est le chemin et qu'ici c'est chemin faisant qu'on apprend à marcher !
Nous avons vu que la recherche du sens d'un mot ne se fait pas en puisant dans un hypothétique vocabulaire, glossaire ou dictionnaire, mais que les mots prennent sens lors de la lecture. Un texte ne prend pas sens à partir du sens des mots, mais au contraire c'est dans le texte, c'est-à-dire la texture, la proximité d'un mot par rapport à un autre, et dans un lieu et un moment déterminé de chemin de lecture, que le sens d'un mot se fait.
Aujourd'hui nous prenons le chapitre 11 de saint Jean qui porte sur la résurrection de Lazare. En un sens ce chapitre ne dit pas autre chose que ce que disait le chapitre 5 sous la forme de la guérison du paralysé, et le chapitre 9 sous la forme de la guérison de l'aveugle de naissance. La mort, on sait que c'est un nom de la condition humaine présente. Pour autant la résurrection de Lazare a l'air d'indiquer quelque chose de plus essentiel. Une résurrection est quand même plus qu'une guérison… ? Oui et non. Ça désigne fondamentalement la même chose. Ce qui est présenté dans le texte n'est pas l'anecdotique à chaque fois de ces épisodes mais ce qui est à retenir, c'est en quoi ils indiquent la transformation de l'humanité, transformation qui est guérison ou résurrection.
Est-ce qu'on pourrait dire qu'il y a une sorte de progression par rapport aux guérisons, du fait que la résurrection de Lazare est plus proche de la résurrection du Christ ? Oui et non. En un certain sens Lazare est plus mort que Jésus ne l'a été, et un autre sens il est moins mort que Jésus ne l'a été : il est plus mort en ce sens que l'épisode de sa mort se poursuit jusqu'au quatrième jour qui est le jour de la corruption, alors que Jésus est ressuscité le troisième jour ; il est moins mort que Jésus en ce sens que sa résurrection n'a pas l'ampleur, la signification plénière de la résurrection de Jésus et ceci à deux titres essentiels :
– d'abord en ce que Lazare est revenu à cette vie-ci, et qu'il a à mourir alors que « Jésus ressuscité ne meurt plus » comme dit le texte, c'est-à-dire que la résurrection dit là une ampleur, non pas simplement dans l'ordre du temps mais dans la signification même de ce que veut dire le mot "résurrection". Donc la résurrection de Lazare a cette caractéristique d'être elle aussi une autre façon de dire ce qui s'annonce dans la résurrection du Christ.
– la deuxième chose c'est la dimension de cette résurrection : c'est le fait que la résurrection de Lazare ne concerne que Lazare dans l'épisode, alors que de façon explicite la résurrection de Jésus est en plénitude notre résurrection : il est ressuscité non pas pour lui-même seulement mais sa résurrection implique l'ensemble de l'humanité.
Donc ce chapitre apporte quelque chose de plus, nous conduit vers l'idée fondamentale de résurrection, mais cependant il faut constamment faire la différence entre la résurrection de Jésus et cette résurrection qui se trouve un peu ramenée à l'état des guérisons que nous avons déjà méditées.
À chaque chapitre lu précédemment, nous avons aperçu des aspects du verbe "croire" qui étaient moins explicites. À partir de maintenant va se lever un nouvel aspect, quelque chose qui va nous aider à préciser ce verbe, avant que nous essayions de tenir ensemble ces différents aspects. Cela va se préciser et s'accroître jusqu'au chapitre 13.
Dans ce chapitre nous avons 7 emplois du verbe "croire" que nous allons grouper en trois endroits (v. 15 ; v. 25 et 26 deux fois ; v. 40, 42, 45).
Il est bon d'avoir le plan général du chapitre à l'esprit. Souvent chez saint Jean, en tête il y a un court épisode et ensuite une méditation soit sous forme de dialogues, soit sous forme de discours qui déploient des aspects contenus déjà secrètement dans l'épisode même. Ici le chapitre récite de façon continue et l'épisode et les dialogues et les éléments du discours, donc nous avons pour une part une structure un peu différente de celle des chapitres 5 et 9. Pour autant le chapitre 11 commence comme le chapitre 9 par un discours aux disciples.
1) Discours aux disciples. Versets 1-16.
Pour l'aveugle-né il est dit : « Il vit un homme en passant ». C'est un peu la même chose pour Lazare.
« 1Il y avait quelqu'un de malade, Lazare de Béthanie, la bourgade de Marie et Marthe sa sœur. 2Marie était celle-là qui avait oint le Seigneur de myrrhe et avait essuyé ses pieds avec ses cheveux, dont Lazare le frère était faible (malade). 3Les sœurs envoyèrent donc auprès de lui pour dire : "Seigneur, celui que tu aimes est malade".
Au chapitre 9 ce sont les disciples qui ont pris l'initiative de poser la question : « Pourquoi cet homme est-il né aveugle ? » Et ça avait donné lieu à une petite réponse de Jésus. Nous avons quelque chose d'analogue ici. Avant même le commencement du mouvement qui se met en marche on nous présente Marthe, Marie sa sœur, etc.
« 4Ayant entendu Jésus dit : “Cette faiblesse (maladie) n'est pas pour la mort mais pour la gloire de Dieu en sorte que soit glorifié le fils de Dieu par elle”. – Vous retrouvez ici quelque chose d'un peu équivalent à ce que nous avions médité au chapitre 9 : « “Pourquoi est-il né aveugle ?”… Ni à cause de lui ni à cause de ses parents mais pour que soit accomplie l'œuvre de Dieu. » Ici ce n'est pas "l'œuvre de Dieu" mais "la gloire de Dieu". À notre oreille aujourd'hui il y a un rapport apparent de finalité entre cette carence et la gloire de Dieu (ou l'œuvre de Dieu), en sachant que "gloire de Dieu" et "œuvre de Dieu" disant la même chose. Au chapitre 9 je vous avais déjà dit que ce n'est pas à entendre de façon calculante (faire quelque chose pour une fin). En effet le terme grec hina qui est traduit par "afin que" n'est pas à entendre ainsi[2].
Et c'est peut-être là que commence à s'esquisser le vaste problème qui va se développer tout au long des chapitres qui viennent, qui est le rapport du mal et du bien quand ils ne sont pas simplement des contraires, c'est la même question. On va s'approcher de ce qu'on appelle le mysterium iniquitatis, à savoir la signification mystérieuse de toute déficience, qu'elle soit de l'ordre de la souffrance, de la mort, du péché, de tout désajustement dans lequel nous sommes posés. Quel est donc le rapport ?
Nous avons souvent dit que les contraires, avant d'être des contraires, sont des proches. Ça va bien pour le haut et le bas, pour le dur et le mou, pour les multiples dualités dont toute notre pensée est faite, puisque parler c'est discerner entre deux. Par parenthèse, discerner entre deux c'est ce que nous ne cessons de faire… La parole a pour tâche seconde[3] de discerner : « Dieu sépare la lumière de la ténèbre » (Gn 1). Ce discernement n'est pas nécessairement une opposition, mais dans la considération du deux nous privilégions l'opposition. En réalité les opposés sont facilement ultimement deux noms pour une même proximité.
À propos de la ténèbre, nous avons vu que ténèbre et lumière peuvent être considérés comme des opposés qui s'excluent, mais aussi comme des alternants, puisque aussitôt Dieu appelle la lumière "jour" et la ténèbre "nuit" ; or jour et nuit ne sont pas des opposés, ce sont des alternants. On connaît d'ailleurs aussi du mélange : « il y eut un soir, il y eut un matin » qui est dit aussitôt après. Or soir et matin c'est une autre façon d'être deux, puisque ce sont deux crépuscules, car c'est comme ça qu'il faut dire : le crépuscule du soir et le crépuscule du matin qui sont des mélanges de lumière et ténèbre qui vont se discerner progressivement.
Les différences il y en a une indéfinité, et non seulement des différences, mais des différences de différences…
Or la chose délicate et difficile lorsque ce n'est plus simplement lumière et ténèbre, haut et bas, mais le bien et le mal. Est-ce que, avant d'être des opposés, bien et mal auraient l'audace de pouvoir être des complices ? Voilà une question qui me taraude depuis des décennies. Elle va se préciser, s'énoncer. Nous allons la voir se traiter successivement au cours des chapitres qui viennent. Nous verrons même l'esquisse de cela dans ce chapitre 11. Et ne me dites pas : « Donnez-moi la réponse », nous allons faire chemin ensemble. Ce qui est déjà beau, c'est d'avoir pu énoncer cette question, c'est déjà énorme… mais nous irons un peu plus loin.
Donc que j'ai dit tout cela à propos de ce petit dialogue du début, qui nous rappelait le dialogue et le risque de méprise qui comportait déjà le dialogue du début du chapitre 9 à propos de l'aveugle-né.
5Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare. 6Quand donc il eut entendu qu'il est malade, alors à la vérité il resta deux jours dans le lieu dans lequel il était – deux jours, c'est ce qui prépare la venue du 3è jour. On trouve cette mention à plusieurs endroits chez Jean. Ici nous sommes dans un thème de résurrection, le 3e jour a évidemment une signification caractérisée[4]. Jésus a pris deux jours de retard non pas pour manifester ce qu'il en est de guérir, mais pour manifester le sens de la guérison qu'est la Résurrection.
7Ensuite, après cela, il dit aux disciples : “Allons de nouveau vers la Judée”. 8Les disciples lui disent : “Rabbi maintenant les Judéens cherchent à te lapider et de nouveau tu vas là ?” – Jésus va à sa mort, c'est ce qui est en débat.
9Jésus répondit : “N'y a-t-il pas douze heures dans le jour ? Si quelqu'un marche dans le jour, il ne trébuche pas parce qu'il voit la lumière de ce monde, 10mais s'il marche dans la nuit, il trébuche parce que la lumière n'est pas en lui. – Nous avons déjà une réflexion de ce type au début du chapitre 9.
Que signifie ici que le jour a douze heures ? Il s'agit probablement des douze apôtres. Il y a tout un développement dans cette direction qui a été étudiée jadis dans un petit livre de Jean Daniélou qui s'appelle Symboles chrétiens primitifs, et c'était pertinent.
Les douze apôtres correspondent aux douze tribus, et les chefs des tribus sont les juges et sauveurs d'Israël. Ceci nous fait entrer dans la signification judiciaire du jour, c'est-à-dire l'instance, mais le jugement en question est à entendre au sens de libération, c'est-à-dire au sens où les psaumes disent “Judicate Domine” : “Juge-moi, Seigneur”, c'est-à-dire “Délivre-moi”.
Il y a beaucoup de gens qui s'insurgent contre des expressions ou violentes ou incroyables des Psaumes, mais c'est que nous ne savons pas les lire. C'est le Christ qui récite les psaumes, mais c'est le Christ plein de nous, c'est-à-dire qu'il y a tout ce qui revient de nous et tout ce qui revient du Christ.
« Si quelqu'un marche dans le jour… » Du point de vue du texte, nous sommes dans "le jour", donc dans la lumière qui œuvre la résurrection comme elle a œuvré la guérison du chapitre 9, il y a un rapport visible entre les deux passages. Qu'il évoque la lumière, cela se comprenait très bien lorsqu'il s'agissait d'un aveugle alors qu'ici on ne s'y attend pas. D'ailleurs c'est au chapitre 9 qu'il dit « Je suis la lumière » et pas ici. Ce qui viendra ici, avec Marthe puis avec Marie, c'est : « Je suis la résurrection et la vie », les deux mots étant à entendre en hendiadys, c'est-à-dire deux fois la même chose à travers deux mots. Autrement dit, cette "vie" est la vie de résurrection, étant entendu que "résurrection" a un sens éminent qui n'est pas honoré simplement par notre considération de la réanimation de cadavre, mais c'est un mot fort, le mot central Nouveau Testament.
« Il voit la "lumière du monde" », nous pouvons en rester au niveau anecdotique et penser qu'il s'agit de la lumière de "ce monde", mais aussi nous entendons du même coup quelque chose qui a signification par rapport à la lumière qui est le Christ (il a dit « Je suis la lumière »).
Nous sommes donc dans la lumière qui œuvre la résurrection, c'est pourquoi il faut marcher, le verbe "marcher" ayant la signification sémitique de "se comporter". Marcher dans le jour c'est accomplir l'œuvre. Et celui qui marche dans le jour ne trébuche pas, c'est ce que Jean dit aussi dans sa première lettre : il n'y a pas pour lui de skandalon, c'est-à-dire d'obstacle qui le fasse trébucher : « 10Celui qui aime son frère demeure dans la lumière et il n'y a pas en lui d’occasion de trébucher. 11 Celui qui hait son frère est dans la ténèbre, et marche dans la ténèbre et ne sait pas où il va, parce que la ténèbre a aveuglé ses yeux. » (1 Jn 2).
Par ailleurs nous avons ici une question assez intéressante : il marche dans la lumière mais la lumière est en lui, alors que celui qui marche dans les ténèbres n'a pas la lumière en lui. Qui est dans qui ? ou qui est dans quoi ? quoi est dans quoi ? C'est une question qui n'est pas insolite, elle peut revenir à tout bout de champ si on lit saint Paul qui dit aussi bien « Nous sommes dans le Christ », que « Le Christ est en nous ». Qu'est-ce que c'est que c'est "être-dans" ?
Tous les petits mots sont extrêmement importants et décisifs en général, mais particulièrement dans la lecture du Nouveau Testament. L'être-dans, nous le pensons comme enveloppement ou emboîtement d'une chose par rapport à une autre. Or ici, cela est réversible puisque comme le dit Paul, on peut dire que nous sommes dans le Christ, et que le Christ habite en nous. Le temps n'est plus voué à dire ce lieu de l'espace où c'est ou bien dedans ou bien dehors. À l'intérieur de cet espace, l'être-dans est réversible il indique finalement la totale intimité qui est l'extrême de la proximité. Nous savons que la plus haute unité est la proximité.
11Il dit cela et après il leur dit : “Notre ami Lazare dort, mais je vais le réveiller.” – Voilà une parole énigmatique qui sera mal comprise en premier par les disciples et Jean va corriger cette méprise.
12Les disciples lui dirent alors : "Seigneur, s'il est endormi, il sera sauvé". 13Jésus avait parlé de sa mort, alors que ceux-ci pensaient qu'il parlait à propos de l'endormissement du sommeil. 14Alors donc il leur dit ouvertement: "Lazare est mort…
Il y ensuite une petite phrase où nous allons rencontrer pour la première fois notre verbe "croire" – 15et je me réjouis à cause de vous pour que vous croyiez, de ce que je n'étais pas là – Le sens de cette réflexion se place par exemple dans ce qui est illustré par la réflexion qu'on lira plus tard qui est dans la bouche de Marthe et dans celle des ennemis de Jésus : « Ne pouvait-il pas empêcher qu'il mourut ? » C'est à dessein que Jésus attend – mais ici le mot "dessein" n'est peut-être pas très bon justement, c'est simplement une façon provisoire de parler de ma part.
Après les deux jours, Jésus y va et c'est ici que commence la mort du Christ :… mais allons auprès de lui." 16Thomas donc, celui qu'on appelle Didyme, dit à ses condisciples : “Allons nous aussi pour mourir avec lui”.
« Je me réjouis de ce que nous n'étions pas là à cause de vous pour que vous croyiez » c'est-à-dire qu'il se réjouit, donc c'est lui-même qui a pris ce retard volontaire, il n'est pas parti immédiatement pour le guérir. Ce que le texte veut souligner ici, c'est en quoi il y a plus que dans le récit de l'aveugle né, cette résurrection est plus qu'une guérison.
Là encore le "pour que" (pour que vous croyiez) n'est pas à entendre dans un sens de finalité alors que tout pourrait laisser croire qu'il s'agit d'un calcul "pour que". De plus il y a un rapport entre la foi (le croire) des disciples et l'expérience d'une résurrection, c'est-à-dire d'une œuvre, mais pas de l'œuvre dans son ensemble. À la fin du chapitre 10 du bon Pasteur, Jésus parle des "œuvres que je fais" : guérison ou résurrection ici, ça s'appelle une œuvre. Tout cela va se développer davantage encore. Ici d'ailleurs nous n'avons pas le mot "œuvre" mais le mot "gloire".
Plus généralement, est-ce qu'on peut dire que les "miracles" – c'est la façon dont les synoptiques nomment ces manifestations alors que Jean utilise le mot "signe" – sont des preuves de la foi puisqu'ici Jésus dit « pour que vous croyiez » ? Si on regarde chez saint Jean, on trouve deux séries de textes à propos de la signification du signe : une série où le signe ne conduit pas à la foi ; et une série où le mot de signe est pris en un sens positif. De nouveau il faut traiter ces apparentes contradictions qui sont très significatives. La raison profonde c'est que, surtout chez saint Jean, nous ne sommes pas dans l'ordre de la raison ou de la preuve : un signe n'est pas une preuve. Je précise cela parce que les miracles ont été utilisés au XVIIIe siècle comme des preuves, or ce n'est pas cela. Nous savons du reste que pour saint Jean le signe ne crée pas la foi, c'est la foi qui permet de détecter quelque chose comme signe. Il y a tout un travail sur le signe et la foi.
C'est la même chose à propos de la notion de témoignage : dans l'Évangile, un témoignage ce n'est pas une preuve au sens judiciaire du terme…
2) Versets 17-27.
17Jésus vint auprès de lui (Lazare) qui était de quatre jours déjà dans le tombeau. – on verra au verset 39 pourquoi il y a 4 jours –18Or Béthanie est loin de 15 stades de Jérusalem. 19Beaucoup de Judéens étaient venus auprès de Marthe et Marie pour les consoler au sujet de son frère. 20Dès que Marthe entendit que Jésus vient, elle alla au-devant de lui. Marie était assise dans la demeure – "assise dans la demeure" c'est comme "sous les tentes", ça désigne celui qui étudie les Écritures. Le rapport Marthe et Marie est très intéressant, elles ne sont pas non plus des contraires mais plutôt comme la droite et la gauche.
21Marthe dit donc à Jésus : "Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort – c'est elle la première qui fait cette réflexion, une réflexion respectueuse. Elle croit à la capacité qu'a Jésus de guérir. Cette même réflexion sera employée par les adversaires de Jésus ensuite.
22Mais maintenant je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera.” Jésus lui dit : “Ton frère ressuscitera.” – ici on a le verbe "ressusciter" qui signifie couramment "se lever", il est de même racine que anastasis (résurrection), alors qu'au début nous avions le verbe "se réveiller" (égeireïn), ce sont deux mots qui disent la résurrection.
Marthe répond : “Mon frère, je sais qu'il ressuscitera lors de la résurrection (anastasis) dans le dernier jour.”– Nous avons ici une profession de foi de Marthe qui est assez étonnante, mais peut-être que cela correspond plus au moment de l'écriture de Jean (celui de la communauté chrétienne) qu'à une parole qu'aurait effectivement prononcé Marthe.Et il faut entendre que nous sommes dans le dernier jour…
23Jésus lui dit : “Je suis la résurrection et la vie.” – "la résurrection et la vie" est à entendre comme un hendiadys, deux mots pour la même chose. Entendons : "Je suis la Résurrection qui est la vie" ou "Je suis la vie qui est la Résurrection" ; et ce "Je suis la résurrection" signifie que nous sommes dans le dernier jour. "Je suis la résurrection" = "la résurrection c'est maintenant".
Par ailleurs, quand Jésus dit : « je le ressusciterai dans le dernier jour », il n'emploie pas simplement le mot "résurrection" comme l'attente de ce qui n'est pas là, mais comme le désir de l'accomplissement de ce qui est déjà, c'est pourquoi nous traduisons en général : « je commence à le ressusciter dans ce dernier jour dans lequel nous sommes. » Ici c'est toute la question du temps johannique et de l'eschaton (la fin des temps) : chez Jean l'eschaton ne vient pas purement et simplement au bout du temps, ce n'est surtout pas au bout de l'histoire.
Dans le discours sur le "pain de vie", Jésus disait « Je suis le pain de vie » à propos de la multiplication des pains. Ici, il dit « Je suis la résurrection », ce qui est opportun puisqu'il s'agit d'une résurrection.
Jésus dit aussi « Je suis la vie (zoê) ». Chaque fois qu'il emploie le mot vie (zoê) il parle de la résurrection, et chaque fois qu'il emploie le mot "résurrection", ce qui est impliqué c'est la "vie". Remarquez que « Je suis la vie », ce n'est pas simplement « Je suis le vivant » mais aussi : « Il est notre vie ». Voilà encore quelque chose d'intéressant pour une méditation des pronoms personnels (je, tu, il) tels qu'employés par Jean et dans notre Écriture en général.
Celui qui croit en moi, même s'il meurt vivra – croire donne à vivre à quiconque. Il faudrait traduire : « celui qui croit en moi… commence à vivre » car en grec c'est un futur mais dans l'hébreu sous-jacent c'est un verbe à l'inaccompli.
26et tout homme qui vit (de la vie de résurrection) et croit en moi – "vit et croit" est ici à entendre comme un hendiadys : vivre c'est croire, vivre c'est entendre la parole qui donne que je vive – ne mourra pas pour l'aïon (pour toujours) – il s'agit donc de la "vie aïonios" c'est-à-dire de cette dimension de vie qui est "vie éternelle" mais le mot "éternel" est un mot faible pour décrire cela.
Crois-tu cela ? 27Elle lui dit : “Oui, Seigneur, je crois définitivement [le verbe est au parfait grec et indique que ça dure] que tu es le Christos (le Messie), le Fils de Dieu qui vient vers le monde.” – Elle lui donne deux titres : "le Messie (l'Oint)" et "le Fils de Dieu venu vers le monde". Il est très intéressant de repérer les titres qui sont choisis suivant les lieux pour les confessions de foi (Pierre et autres). Ici c'est la confession de Marthe.
3) Versets 28-45
28Ayant dit cela elle partit et appela Mariam sa sœur en lui disant secrètement : "Le maître est là et il t'appelle". 29Celle-ci, dès qu'elle entendit, se leva rapidement et s'en alla vers lui. – Marie était assise, c'est le cas aussi en Luc 10, 38-42 où elle est assise aux pieds de Jésus et l'écoute ; il est donc très intéressant de voir qu'elle est une figure mais aussi une posture. Ici Marie entend, se lève, marche vers Jésus.
30Jésus n'était pas encore venu dans le village mais il était encore dans le lieu où Marthe était allée à sa rencontre. 31Les Judéens donc qui étaient avec elle dans la maison et qui la consolaient, voyant que Mariam s'était levée rapidement et était sortie, la suivirent en pensant qu'elle allait vers le tombeau pour y pleurer.
32Mariam donc, dès qu'elle arriva au lieu où était Jésus, le voyant, tomba à ses pieds lui disant : "Seigneur, si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort". – Nous avons déjà entendu cela dans la bouche de Marthe.
33Jésus, quand il la vit en pleurs, ainsi que tous les Judéens qui étaient venus avec elle et qui étaient en pleurs, frémit dans son esprit et se troubla (etaraxen) en lui-même – on trouve le verbe "frémir" à propos de Jésus, et le mot central de cette partie, c'est l'ébranlement (taraxis) de Jésus : il entra dans un ébranlement de son être. Dans l'évangile de Jean, on trouve trois fois ce verbe à propos de Jésus (chapitres 11, 12 et 13) et au début du chapitre 14 il concerne les disciples.
34Et il dit : "Où l'avez-vous mis ?".
Ils lui disent : "Seigneur viens et vois." – venir c'est voir…
35Jésus pleura. 36Les Judéens dirent donc : "Voyez comme il l'aimait". – Jésus aime Lazare, cela avait déjà été dit au v. 5.
37Certains d'entre eux cependant dirent : "Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, faire que celui-ci ne mourut pas ?". – ici on a la critique dont j'ai parlé.
38Jésus alors, de nouveau (palin) frémissant en lui-même vient vers le tombeau – on a le mot palin, et une 2ème fois le verbe "frémir", donc Jean médite une deuxième fois la même chose.
C'était une grotte et une pierre était posée contre elle. 39Jésus dit : "Levez la pierre". La sœur de celui qui était mort, Marthe, lui dit : "Seigneur il sent déjà, car il est de quatre jours". – Il faut que Lazare soit de 4 jours pour mettre en évidence l'opposition entre l'odeur de corruption qu'on a ici, et l'odeur de consécration qui concernera Jésus, lui qui meurt le 3e jour donc avant le 4e jour puisque la corruption était censée se produire le 4e jour ! Cette opposition est jouée au chapitre suivant par la sœur de Lazare qui répand du parfum sur les pieds de Jésus, ce qui est mis directement en rapport avec l'ensevelissement de Jésus par le texte. Vous avez des thématiques souples, subtiles qui courent au long de ces chapitres…
40 Jésus lui dit : ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?". – La gloire de Dieu, on a vu que c'est l'œuvre de Dieu et que c'est notre accomplissement
41Ils levèrent donc la pierre et Jésus leva les yeux en haut – on trouve quatre fois l'expression "lever les yeux" dans l'évangile de Jean : au chapitre 7 c'est une prière de demande, ici c'est une prière d'action de grâces pour un événement qui n'a pas encore eu lieu ; au chapitre 6, il lève aussi les yeux sur la foule qui est affamée et qui vient le voir ; et au chapitre 4 il dit aux disciples de lever les yeux pour voir les champs déjà prêts pour la moisson.
Lever les yeux c'est établir la proximité du trajet, car le trajet est une tenue en proximité, d'où l'importance du tir, du lancer, d'une action à distance qui établit une proximité. C'est très important à penser pour méditer ce qu'il en est de l'espace, ce qu'il en est de la mémoire profonde. Ce tra-jet, cette tra-jectoire qu'est la prière, ou qu'est la préoccupation de ce qui est regardé, de ce qui est touché… parce que finalement, lorsque le trajet du regard est à son plein accomplissement, c'est que nous sommes dans le toucher comme le souligne saint Jean au début de sa première lettre : « ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux… ce que nos mains ont touché… » Méditer sur l'espace et le temps, ce sont des choses qui ne doivent pas nous quitter, ce sont les seuls sujets qui soient dignes d'intérêt…
Et il dit : "Père je te rends grâce de ce que tu m'as entendu (et aussi "de ce que tu m'entendras"), car c'est là que passé, présent et futur n'ont pas la signification qu'ils ont dans nos langues. Le mot central du paragraphe c'est "j'eucharistie" (je rends grâce), c'est-à-dire que j'accueille –42 Moi je savais que toujours tu m'entends mais c'est à cause de la foule qui nous entoure que je t'ai dit afin qu'ils croient que tu m'as envoyé."
43Et disant cela, d'une fois forte il cria : "Lazare viens dehors". 44Celui qui était mort sortit lié aux pieds et aux mains de bandelettes et son visage couvert de suaire. Jésus leur dit : "Déliez-le et laissez-le aller".
Au verset 45 on trouve une nouvelle occurrence du verbe "croire". Elle corresponde à la question du rapport entre le signe et le croire, quelque chose qui est très fréquent dans tous les chapitres de Jean.
45Beaucoup parmi les Judéens qui étaient venus chez Marie et avaient constaté ce qu'il fit crurent en lui. 46Certains parmi eux s'éloignèrent près des pharisiens et leur dirent ce qu'avait fait Jésus.
Ces chapitres sont tels que la geste ou la parole de Jésus crée le discernement : il y a ceux qui entendent et ceux qui n'entendent pas ; il y a ceux qui, ayant commencé d'entendre, entendent mieux et prononcent une profession de foi ; et ceux qui, ayant déjà commencé de refuser ou de douter, s'enfoncent dans la négation. Nous avons là désormais une sorte de progression qui est suscitée par la parole et le geste de Jésus, par l'être même de Jésus. Plus ça s'éclaire et plus ça s'assombrit !
[1] Résurrection de Lazare et résurrection du Christ (Jn 11, 1-45), 1ère partie : versets 1-27 et Résurrection de Lazare, résurrection du Christ (Jn 11, 1-45) : 2ème partie : versets 28-45.
[2] Cf. Syntaxe hébraïque : y a-t-il de la causalité en notre sens ? Conséquences pour la lecture du NT
[3] La première parole est « que la lumière soit », la séparation entre lumière et ténèbre est seconde.
[4] On le voit en particulier dans le récit des vendeurs chassés du Temple en Jn 2, 20 : « Il a fallu 46 ans pour construire ce temple et toi, en 3 jours tu le relèveras» (le verbe grec égéireïn (relever) employé ici est le verbe qui dit la résurrection).