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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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16 octobre 2014

Le malentendu comme premier mode d'entendre, et comme premier mode de croire

J-M Martin revient très souvent sur le thème du malentendu premier, un thème qui est très présent chez saint Jean. Voici deux extraits de sessions. Dans la première partie la venue de Jésus au malentendu est d'abord présentée comme un aspect de sa triple venue, ceci d'après le Prologue de l'évangile de Jean. Ensuite, après un regard très rapide sur le reste de l'évangile, le thème du malentendu est situé plus largement. En particulier pour J-M Martin, le verbe entendre est le verbe qui dit le mieux ce qu'il en est de la foi, conformément à ce que dit saint Paul (voir note 6). La deuxième partie décrit le parcours de la Samaritaine comme un cheminement qui va du malentendu vers la foi.

 

Le mal-entendu premier

 

I – Le mal-entendu comme premier mode d'entendre [1].

Nous ne sommes pas ajustés à entendre du premier coup ce que dit le texte que nous lisons, c'est structurel et c'est indiqué par le Prologue.

La triple venue dans le Prologue.

Il y a la triple venue, trois fois le verbe venir, mais plus précisément trois aspects d'une unique venue[2] :

– il vient vers le monde au sens johannique, c'est-à-dire qu'il vient vers la mort ;

– il vient vers ceux qui le reçoivent (« Nous avons contemplé sa gloire »), c'est-à-dire qu'il vient à la Résurrection,

– mais entre-temps il vient vers les siens et « Les siens ne le reçoivent pas ». Il faut entendre ici « ne le reçoivent pas d'abord », à la mesure où, pour le recevoir, il y a un chemin.

Je sais que, pour l'interprétation dominante de ce texte, venir vers le monde c'est venir vers tout le monde ; venir vers les siens c'est venir vers les Juifs ; et ceux qui le reconnaissent c'est les chrétiens ! Cela ne tient pas, parce que jamais Jésus n'appelle les Juifs "les siens". Les siens, ce sont tous les hommes en un sens, c'est plus vaste que les Juifs. Venir vers les siens c'est venir vers ceux que le Père lui a donnés : « Ils sont les miens parce qu'ils sont les tiens et tu me les as donnés » (cf Jn 17, 10 et 6). Là encore, ce que veut dire les siens ne peut pas se réduire dans le langage johannique à désigner la fraction juive.

Il vient vers les siens et ils ne l'accueillent pas d'abord. C'est indiqué d'entrée, c'est-à-dire que la venue de Jésus est une venue à la mort, une venue à la méprise et une venue à l'accueil qui s'appelle la foi.

Le malentendu chez saint Jean.

La méprise, le malentendu (puisqu'il s'agit d'entendre) sont essentiels. C'est indiqué d'entrée, mais peut-être qu'on ne peut le lire rétrospectivement qu'après avoir étudié les malentendus successifs de la Samaritaine dans son cheminement intérieur[3] et les retournements de Marie-Madeleine au tombeau[4] ; Jean prend grand soin de tout cela. Et d'une certaine façon, toute la vie prépascale des disciples est un immense malentendu, demeure dans le "non pleinement entendu"[5].

Le malentendu en général.

Il y a là quelque chose de très précieux car il faut dire que le malentendu n'est pas seulement négatif, le malentendu est notre première façon d'entendre. Entendre c'est toujours chez nous corriger un malentendu. Nous sommes nativement dans le "mal-entendu". On se plaint beaucoup de ce qu'il n'y ait pas de communication : on ne s'entend pas mutuellement. Bien sûr. En fait on devrait plutôt s'étonner qu'il arrive parfois qu'on entende un peu quelque chose.

Nous sommes nativement tellement crispés ! Nous ne sommes pas spontanément ouverts, jamais suffisamment ouverts. C'est notre structure. Je ne fais pas ici une critique de l'égoïsme, je parle de l'égoïté, c'est-à-dire de la structure même de l'être je telle que nous en héritons nativement. C'est pour cela que l'unité des hommes est totalement à faire, elle n'est pas présumée d'avance comme une chose faite. Donc le chemin vers "entendre" procède à partir du malentendu qui est une forme provisoire, une forme première dans le temps, notre première façon d'entendre.

Si bien que d'une certaine façon entendre, je le dis souvent, est toujours la correction d'un malentendu et cela correspond à autre chose : être parfait n'est jamais une première chose ou ne surgit jamais sur rien, la perfection n'est que l'absolution de l'imperfection. La perfection chrétienne n'est pas la pure et simple absence de péché, c'est le dépassement du péché. C'est un autre domaine mais il y a une analogie très intéressante. Rien n'est pire sans doute que de vouloir d'emblée la perfection. Peut-être que ne pas se soucier de perfection est moins dangereux que de vouloir notre idée de la perfection. « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48) : la perfection de Dieu consiste en ce qu'il accorde le pardon et notre perfection consiste en ce que nous sommes rendus capables d'accueillir le pardon.

Reconnaître le malentendu n'est pas négatif, n'est pas critique ni désolé, c'est plutôt le contraire : c'est la condition même pour que quelque chose s'entende s'il s'agit du malentendu, ou se corrige s'il s'agit de perfection.

► Si l'entendre est premier dans les conditions pour croire, quelles sont les conditions pour entendre ?

J-M M : Il y a une condition qui est de tendre l'oreille, je veux dire par là ne pas lire superficiellement un texte, prendre le temps. En même temps tout reste subordonné à la donation ; c'est pourquoi, si je perçois qu'entendre est une chose donnée, je peux la demander. Car la demande est le premier symptôme de la chose qui vient, qui se donne – symptôme : ça tombe avec, ça vient avec – c'est-à-dire que demander c'est déjà être exaucé. Si je demande l'espace du don, le demander c'est déjà être dans l'espace de don. Ultimement cela est déjà donné, il est même donné de demander. Cependant recevoir la capacité de demander est peut-être pour nous un chemin plus aisé, antérieur : d'apprendre à demander, ou de demander de savoir demander. Ce n'est pas un jeu de mots.

Je prends un autre exemple où c'est clair. Si je ne peux pas pardonner, je peux demander la force de pardonner. Et il peut se faire que je n'aie même pas envie de demander la force de pardonner : je peux peut-être demander d'avoir la force de demander. Ce n'est pas un jeu de mots, ça dit des choses.

Sur le chemin d'entendre.

Donc le malentendu est le premier mode d'entendre : être dans le malentendu, c'est peut-être déjà être dans le chemin d'un entendre. Entendre est toujours un chemin. Entendre est toujours une question, car si je ne cherche pas à entendre ce que je n'ai pas entendu, et si je dis : « c'est une chose entendue ! », je n'entends pas l'Évangile qui n'est jamais une "affaire entendue" ; peut-être même que plus on l'entend, plus il est à entendre. C'est à ce point que, chez saint Jean, entendre dit plus que comprendre. La raison en est simple : ce qui est à entendre, c'est le don. Or tout "comprendre" est un mode de "prendre". Si je prends le don, je le manque. En effet si je prends ce qui a pour nature de se donner, je le manque.

Entendre me met dans une posture qui garde la relation. Entendre est ce tonos, cette tension qui est toujours plus ou moins attendre. On distingue les vertus de foi, d'espérance et de charité. D'abord ce ne sont pas des vertus, ce sont des déterminations de la posture christique fondamentale, et puis ce ne sont pas des vertus différentes. L'attendre (donc l'espérance) est un des éléments constitutifs de l'entendre (donc de la foi)[6], sans compter que s'entendre mutuellement est du côté de l'agapê. Foi, espérance et charité (agapê) sont des dénominations de la posture christique fondamentale, ce ne sont pas des vertus qu'on pourrait avoir ou ne pas avoir.

 

II – Le cheminement de la Samaritaine [7].

La Samaritaine au puits, évangéliaire copte, Institut Catholique de ParisIl y a tout un chapitre de Jean qui traite de cette question du malentendu. Comme nous ne l'étudierons pas en détail, j'en dis un mot : c'est le chapitre de la Samaritaine qui est la maintenance en dialogue du pire malentendu avec sa progression vers un commencement d'entendre[8].

Au départ, le rapport entre Jésus et elle est au pire et se maintient dans ce pire, c'est-à-dire que dans le malentendu, il peut y avoir de la présence active. Au départ, ils sont l'un, pense-t-elle, judéen, et l'autre samaritaine, et ça, ça ne se rencontre pas. L'un est un mâle, l'autre, une femelle, et ça, ça ne se cause pas non plus dans la rue. Mais cela ne les identifie pas. Elle revendique sa samaritaineté. Jésus ne revendique pas du tout sa judéité. Il y a méprise dans ce malentendu qui va s'amenuisant.

Elle pense ensuite que, peut-être, il pourrait être le Prophète que les Samaritains attendent, ce qu'il n'est pas. Après, elle pense qu'il est peut-être le Christos, le roi que les Judéens attendent, ce qu'il n'est pas au sens où ils l'attendent.

Enfin, au terme, elle et les gens de la ville le confessent sous son nom propre de Yeshoua, c'est-à-dire sauveur du monde.

C'est la vie du monde, la Samaritaine, c'est l'histoire du monde, depuis le début jusqu'à la fin. C'est le processus, à travers les multiples approximations, à partir d'un malentendu initial total, vers la reconnaissance mutuelle qui est eschatologique. Car la fin de la Samaritaine, c'est la moisson, c'est l'eschatologie. Le malentendu n'est pas, premièrement, quelque chose de dépitant à condition qu'on le gère bien.



[1] Cette première partie vient de la session qui avait pour thème "Pain et parole", chapitre 4, deuxième partie cf tag JEAN 6).

[3] Voir un résumé dans le II.

[5] Ils le disent eux-mêmes : « Ils n'avaient pas encore compris l'Écriture selon laquelle Jésus devait se relever d'entre les morts. » (Jn 20, 9).

[6] Entendre est le mot le plus originel pour traduire ce qu'il en est de la foi…. pour entrer à nouveau dans ce que veut dire foi, je conseille de partir du verbe entendre. Ce verbe entendre a toutes les vertus. Il a la vertu de ne pas introduire une distinction entre le sensible et l'intelligible. Dans le français il a toute la gamme. Il a la vertu d'être fidèle à ce que dit Paul : « La foi est acoustique (ek akoês) » (Rm 10, 17). Tout le monde connaît "fides ex auditu", la foi vient par l'oreille, mais pas l'oreille comme organe. 

[7] Cette partie est extraite de la session sur la Symbolique des éléments.

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