Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 094 735
Archives
26 décembre 2013

Les trois venues dans le Prologue de l'évangile de Jean : vers la mort, vers la méprise, vers l'accueil

Voici un extrait de la session animée par Jean-Marie Martin qui a eu lieu en septembre-octobre 2000 à Saint-Jean-de-Sixt sur le Prologue. Après la traduction de J-M Martin, une première partie montre que le verbe "venir" dit Dieu autant que le verbe demeurer. Ensuite c'est la lecture des trois venues : interprétation classique et interprétation "originelle" (lecture de J-M Martin et textes des premiers siècles). Une méditation sur les verbes venir et recevoir termine le tout.

Dans un autre message figure une illustration des trois venues avec les figures de Judas (venue vers la mort) et Pierre (venue vers la méprise), voici le lien : Figures de Pierre et Judas. Le lavement des pieds en Jn 13, 1-13.

Ce message a été publié en décembre 2013 et la session elle-même a été mise en juin 2014 (tag JEAN-PROLOGUE). 

 

Les trois venues dans le Prologue de l'évangile de Jean :

Vers la mort, vers la méprise, vers l'accueil

 

 

 1En l'Arkhê était le Logos,
Et le Logos était vers Dieu,
Et le Logos était Dieu.
2
Celui-ci était dans l'Arkhê auprès de Dieu.
3
La totalité fut par lui, et en dehors de lui fut rien.
4Ce qui fut en lui était vie,et la vie était la lumière des hommes.
5La lumière luit dans la ténèbre, mais la ténèbre ne l'a pas détenue.

   6Fut un homme envoyé de Dieu, son nom Jean.
 7Celui-ci vint pour un témoignage,
 Afin qu'il témoignât au sujet de la lumière,
Afin que tous croient par lui.
8Il n'était pas, lui, la lumière,
  Mais afin qu'il témoignât au sujet de la lumière.

 9Était la lumière, la véritable qui illumine tout homme en venant vers le monde.
10
Il était dans le monde[1],
Et le monde fut par Lui, et le monde ne l'a pas connu.
11
Il vint vers les siens et les siens ne l'ont pas accueilli.

12Mais à tous ceux qui l'ont reçu,
À eux il a donné l'accomplissement d'être enfants de Dieu,
À ceux qui croient en son nom,
13
qui ne sont nés ni des sangs, ni du vouloir de la chair, ni du vouloir du mâle,
Mais de Dieu.

14Et le Logos fut chair,
Et il a demeuré (il a planté sa tente) en nous,
Et nous avons contemplé sa gloire,
Gloire comme du Fils Un auprès du Père,
Plein de grâce et vérité.

15Jean témoigne de lui.
Et il s'est écrié, disant : "Celui-là est celui dont j'ai dit :
Celui qui vient derrière moi est devant moi, car il était avant moi."

16Car de sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce pour grâce.
17
Car la loi fut donnée par Moïse,
La grâce et la vérité furent par Jésus Christ.
18
Dieu, personne ne l'a jamais vu.
Le Fils unique, Dieu qui est dans le sein du Père, lui, nous y conduit.

 

 I) Le verbe venir dit Dieu autant que le verbe demeurer

 

►  On dit quelquefois que le Prologue est un texte éminemment symbolique, je ne sais pas très bien quel sens ça a. Le mot symbole, étymologiquement, c'est ce qui ramène ensemble, et on peut le prendre en ce sens-là.

J-M M : Tout l'Évangile est essentiellement symbolique et pas seulement l'évangile de Jean, tout le Nouveau Testament est essentiellement symbolique. Mais le mot symbolique est tellement dégradé qu'il faut voir ce qu'on dit quand on dit cela.

►  Donc le Prologue n'est pas plus symbolique que le reste.

J-M M : Non. D'ailleurs c'est là qu'il faudrait est attentifs à quelque chose de très essentiel, à savoir que les répartitions que nous mettons dans le texte, comme les répartitions entre un récit, un discours, un poème, ne sont pas pertinentes en général parce que la parole chez Jésus est un geste, et parce que les gestes de Jésus sont des gestes parlants, des gestes qui disent quelque chose. Malheureusement nous ne sommes pas attentifs aux gestes. Dans notre façon de lire une anecdote nous lisons simplement une petite histoire, alors que les gestes sont  essentiellement deux choses :

– des postures : être debout, assis, lever les yeux, tendre la main et beaucoup d'autres. Quand vous trouvez ces mots-là dans l'évangile de Jean, sachez qu’ils sont plus pleins de sens que l'expression « Sainte Trinité » (pour dire quelque chose).

– des allures : tout est essentiellement aller et venir, monter et descendre, entrer et sortir, marcher et courir etc. Il faut faire très attention à ces mots-là. Parce que, voyez-vous, quand nous lisons « Il (Jésus) descendit à Capharnaüm » (Jn 2, 12) nous voyons bien ce que signifie descendre ; mais pour Jésus « est descendu du ciel » (Jn 3, 13) là il ne s’agit pas du même descendre pour nous. Mais c'est le même ! Ah bon, parce qu'on aurait une image enfantine de Jésus en cosmonaute ou en parachutiste ? Pas du tout… C'est parce que nous ne savons pas que Jésus, quand il descend de Cana à Capharnaüm, il va à la résurrection ;  car descendre en Galilée désigne chez Jean la résurrection.

Alors « Fut un homme, Jean son nom », c'est une petite anecdote ? Pas du tout. C'est aussi grand que « Dans le commencement (en arkhê) était le Logos. »

►  C'est de la provocation ?

J-M M : Non, c'est une invitation à ne pas en rester à nos répartitions. Nous avions dit que nous n'allions pas rester sur la répartition classique du Prologue : la première partie est immense, universelle et métaphysique alors que « Fut un homme, Jean son nom » c'est une anecdote. Nous avions dit que nous n'en resterions pas là. Il faut que nous fassions chemin pour que se modifie notre cartographie, notre cadastre répartissant les possibilités d'écoute. Nous avons du chemin à faire dans ce sens-là.

 

bon pasteur, Berna Lopez

Venir dit Dieu autant que demeurer.

Par exemple le verbe venir, voilà un verbe qui est peut-être le plus essentiel de notre texte. C'est lui qui structure tout le Prologue à partir du verset 7 jusqu'au verset 14 inclus. Or venir est un verbe qui dit Dieu autant et plus que le verbe être. Nous vivons sur une distinction qui est la distinction de l'être et du devenir. Dieu est posé tranquillement dans la catégorie reposante de l'être, et nous nous sommes dans le devenir, par exemple.

Le verbe venir est un verbe plus important pour dire Dieu que le verbe être, et il est égal au verbe demeurer. Nous avons là deux verbes profondément johanniques, le verbe demeurer et le verbe venir, qui justement ne sont pas dans un rapport d'opposition, et qui disent ce qu'il en est de Dieu. Et l'Occident n'a jamais pensé Dieu à partir du verbe venir. Ça va ?

►  C'est impensable.

J-M M : C'est très difficile pour notre structure.

►  Ça veut dire qu'il "n'est pas", s'il "vient" !

J-M M : C'est-à-dire qu'il "est" précisément du fait de "venir" : sa demeure est de venir. Et ce qui fait l'unité de demeurer et de venir, c'est que la permanence ou la demeure de Dieu consiste dans la donation de soi ; c'est pourquoi il y a une Trinité : le Père demeure du fait de donner le Fils, de ne rien retenir.

C'est à partir des concepts de la métaphysique classique qu'on pense le mot de Dieu en Occident et c'est très grave, parce que le mot de Dieu (même le Dieu de l'Évangile) est dominé, régi par le Dieu de la métaphysique. Celui-ci est un dieu aujourd'hui exsangue et du même coup le Dieu de l'Évangile disparaît avec lui alors qu'il n'avait pas à disparaître. En effet, si j'ai assimilé l'idée évangélique de Dieu avec ce que mon oreille occidentale me permettait d'entendre de lui, à la mesure où l'idée du Dieu philosophique est en perdition radicale, du même coup le Dieu de l'Évangile, je risque de le perdre.

►  Ça c'est de la récupération, on s'accroche aux branches.

J-M M : Justement il n'y a plus de branche en Occident.

►  Il n'y a plus de branche c'est ça le malheur.

J-M M : Le malheur c'est de n'avoir pas entendu le Dieu propre de l'Évangile. Bien sûr qu'il entre en dialogue avec nos capacités proprement occidentales d'entendre, c'est tout à fait normal, mais il ne doit jamais être asservi à nos capacités de prise. De toute façon on ne peut pas être suspects de vouloir récupérer quoi que ce soit par le simple fait (indépendamment de tout le reste) qu'il est évident que le Dieu du Nouveau Testament et le Dieu de l'onto-théologie ne sont pas le même.

 

II) Les trois venues (v. 9-12)

 

Prenons maintenant les versets 9-12.

« 9Était la lumière, la vraie, qui illumine tout homme en venant vers le monde.
10
Il était dans le monde et le monde fut par lui et le monde ne l'a pas connu.
11
Il vint vers les siens (vers ses propres) et les siens ne l'ont pas accueilli.
12
Mais à tous ceux qui l'ont reçu il leur a donné l'accomplissement de devenir enfants de Dieu… »

Précision sur la traduction.

D'abord une remarque au sujet de la traduction. Au verset 9 le verbe erkhoménon (venant) peut se rapporter soit à phôs soit à anthropos suivant la ponctuation qu'on choisit ; le grec le permet puisque erkhoménon peut être un neutre ou un masculin à l'accusatif, or la lumière (phôs) est du neutre.  Dans un cas c'est l'homme qui vient dans le monde et dans l'autre c'est la lumière. Donc on a le choix entre « tout homme venant vers le monde » ou « quand elle vient (cette lumière) vers le monde ». Aujourd'hui on fait en général le choix de cette deuxième réponse. Dans la vieille traduction latine que nous lisions à la fin de la messe c'était « Quæ illuminat omnem hominem veniantem in hunc mundum (qui illumine tout homme qui vient vers le monde). »

► Qu'est-ce qui permet de choisir ?

J-M M : Par rapport au choix d'une ponctuation ou d'une traduction par rapport à différentes possibilités du texte, il faut distinguer ce qui est méthode historico-critique qui vise à restituer ce qui est derrière le texte, et la part de travail technique qui consiste à établir les meilleurs témoins du texte par rapport aux manuscrits. Je suis un peu attentif à cela, je regarde l'apparat critique, c'est-à-dire ce que les éditeurs mettent en marge du texte grec : même s'ils choisissent une lecture, ils notent toujours les autres lectures qui se trouvent dans d'autres manuscrits. Et il est vrai que quand il y a plusieurs solutions possibles, un certain nombre de mes préférences sont décidées par ce qui me paraît être la plus grande cohérence de ce que j'ai aperçu de l'ensemble du texte. Je crois que tout le monde d'une certaine manière fait cela. Donc mon choix comme lecteur est ce que j'estime être la plus grande cohérence du texte mais sans que cela soit au détriment de l'attestation la plus fréquente des manuscrits, la plus sûre en tout cas. En effet très souvent ce qui se passe c'est que, en dépit de l'attestation techniquement la plus sûre, parce que cela donne un texte qui est, en fonction de notre théologie aujourd'hui, impensable ou invraisemblable ou moins complaisant par rapport à notre propre pensée, les éditeurs eux-mêmes souvent corrigent et corrigent hâtivement. Cela arrive dans les Écritures mais dans la patristique, c'est très clair : on sait d'avance ce qu'ils ont pu dire ou ne pas dire.

Bien sûr, moi aussi, d'une certaine manière, je fais cela, bien sûr qu'on choisit ce qui paraît le plus vraisemblable, mais personnellement j'essaie de le faire le moins possible en fonction de ce qui serait l'apologétique d'une lecture reçue, mais plutôt dans la direction d'une découverte éventuelle d'un sens qui serait meilleur même dans les manuscrits qui sont les plus attestés et qu'on ne retient pas pour des raisons purement idéologiques. C'est un travail complexe que tout ce travail par rapport au texte. Je ne suis pas tellement spécialiste là-dedans mais je sais me servir des apparats critiques.

Les trois venues et les trois termes d'accueil ou de non-accueil.

La première réflexion qui s'impose, c'est qu'intervient le verbe venir pour la première fois en deux endroits (v. 9 et 11) et si on regarde le verset 12 on comprend même qu'il y a trois venues :
– venir vers le monde ;
– venir vers ses propres ;
– puis venir vers ceux qui effectivement le reçoivent.

À ces trois venues correspondent trois termes d'accueil ou de non-accueil :
– « ne l'ont pas connu » ;
– « ne l'ont pas accueilli » ;
– « tous ceux qui l'ont reçu » qui ont peut-être à voir avec « nous qui avons contemplé sa gloire » parce que le "nous" intervient dans le texte à ce moment-là.

La question qui se pose est d'identifier ces trois venues qui sont parfois appelées les trois descentes, et ce n'est pas la question la plus simple.

 

1°) L'interprétation classique.

Vous avez donc ici une triple venue dont je donne d'abord l'interprétation classique à laquelle je ne me tiendrai pas, je la commémore pour dire que c'est une lecture possible, enfin théoriquement possible, mais qui ne peut pas être une lecture johannique. Ensuite je vous inviterai à une autre lecture.

Lecture classique des trois venues.

–  « Venir vers le monde » c'est la venue initiale vers la totalité de l'humanité. C'est donc la révélation qui s'adresse à tous les hommes et qui du reste est connue dans le monde juif contemporain, en étant souvent assimilée à la révélation qui est faite à Noé, mais qui peut être posée aussi en Adam : l'alliance en Noé n'est pas l'alliance à un peuple propre comme l'alliance en Moïse.
– « Venir vers les siens (ses propres), c'est la venue vers les Juifs, les siens ce sont les Juifs, et ça correspond à l'alliance en Moïse.
– « Ceux qui l'ont reçu » ce sont ceux qui ont accueilli le Christ, ça correspond à « Le Logos fut chair » c'est-à-dire à la venue christique, et donc à l'alliance en Christ.

Les bons côtés et les difficultés de cette lecture.

C'est la lecture la plus courante mais elle ne me paraît pas du tout recevable, j'en dirai les raisons. En soi elle n'est pas à tous égards impossible, elle doit avoir des aspects charmeurs parce qu'il nous plaît assez de penser que Dieu ne s'est pas cantonné à venir vers les chrétiens mais que cela concerne toute l'humanité. En plus cela fait place à la venue vers les Juifs. De plus, pour ce qui est des versets 12 et 13 qui précèdent ce verset 14 il peut être plaisant de penser que les hommes ont effectivement accueilli Jésus et ont été effectivement fils de Dieu avant ce que nous appelons l'incarnation. Ces choses ont du charme et de toute façon ce sont des choses essentielles.

Qu'on ne comprenne pas que le rapport à Dieu commence par la venue de notre Seigneur Jésus Christ est une chose évidente, cela se trouve dans la théologie la plus classique. Je vous ferai remarquer néanmoins que ce n'est peut-être pas si charmant que cela à la mesure où ce qui est dit, c'est que ce sont des venues "manquées" c'est-à-dire que « le monde ne l'a pas connu » et que « les siens (les Juifs dans cette version) ne l'ont pas accueilli. »

D'autre part, qu'il y ait eu des hommes qui aient reconnu Jésus avant ce qu'on appelle couramment l'incarnation, c'est une chose à tous égards assurée. Saint Jean lui-même le dit : « Abraham a vu mon jour » (Jn 8, 56) ; « Moïse a écrit de moi » (5, 46) ; « Isaïe a vu ma gloire » (12, 41). Donc de toute façon la dimension de venue du Christ n'est pas à situer ponctuellement dans un moment d'histoire qui exclurait ce qui précède, qui exclurait les localités où ce ne serait pas arrivé, où ça n'aurait pas été annoncé, et qui exclurait les gens qui n'auraient pas été atteints. C'est justement une des caractéristiques extrêmement importantes de la première littérature chrétienne que cette question : le Christ rencontré n'est pas enclos dans son apparition historique, dans les limites de sa mortalité, il n'est pas enclos dans ce qui définit pour nous une vie mortelle. Sa présence à ceux qui l'accueillent atteint les hommes après sa mort, mais parce que déjà il pouvait être présent avant ; autrement dit : ni avant ni après.

Par ailleurs la lecture classique courante présente de grosses difficultés par rapport à la signification johannique des termes qui sont employés, je vais en parler.

Vous éprouverez une défiance à l'égard de ce que je vais dire parce que vous aurez l'impression que la façon dont j'entends la triple venue est beaucoup plus restrictive. Il n'en est rien, je vous le dis d'avance, ne craignez pas !

 

2) L'interprétation préférable.

Dans l'interprétation qui me paraît préférable, il s'agit de la venue christique dans les trois cas :

  • venir vers le monde, c'est venir à la mort,
  • venir vers les siens (ses propres), c'est venir aux disciples qui d'abord ne le recueillent pas dans sa dimension de résurrection, ne le recueillent pas pour ce qu'il est,
  • le troisième venir, c'est venir comme chair et gloire dans sa dimension de résurrection, c'est donc venir à la Résurrection.

Autrement dit tout est mort et résurrection, et dans les trois cas c'est un même venir qui en un sens est beaucoup plus ponctuel : je ne lis pas un venir étalé sur l'histoire du monde. N'ayez pas peur, ça ne compromet en rien les sentiments heureux qu'on pouvait avoir dans cette vaste lecture antérieure, c'est même mieux nous le verrons.

J'ai dit que c'était plus ponctuel en ce sens qu'il s'agit ici de mort / résurrection. D'abord il s'agit du Christ dans sa venue, et sa venue proprement dite est accomplie dans l'accueil de la résurrection, mais cette même venue implique à la fois de la méprise et du refus. La question chez Jean c'est que la venue vers le Christ est une approche, donc c'est approximatif, donc il y a une sorte de progression. Entendre n'est pas du tout la chose qui va de soi, le mal-entendu est notre premier mode d'entendre. Ce sont des choses que j'ai déjà indiquées et que vous avez entendues à plusieurs reprises, mais que nous allons développer un peu plus ensuite.

Reprenons cela en détail.

a) « Il vient vers le monde… et le monde ne l'a pas connu » mais aussi « le monde fut par lui ».

« Il vient vers le monde ». Il faut savoir que le sens du mot de "monde" chez saint Jean est aussi différent de notre usage du mot de monde que le sens du mot de "chair" chez saint Paul est différent de notre usage du mot de chair. Le mot de mondechez Jean désigne prioritairement la région régie par le meurtre. Ça ne veut pas dire que Jean pense ce que nous appelons le monde comme étant régi par le meurtre, ça veut dire qu'il appelle "monde" ce qui est régi par le meurtre. Et il faut voir que c'est plus large que le règne du meurtre et de la mort, mais pour autant ce n'est pas "autre chose" de plus large, c'est "la même chose", car c'est toute l'ampleur du prince de ce monde dont les trois caractéristiques sont développées au chapitre 8 à partir du verset 45 : le prince de ce monde est le prince du meurtre, il est le prince du mensonge c'est-à-dire de la falsification, et enfin il est le prince de l'adultère, adultère étant à entendre dans un sens biblique qui est un peu autre chose que l'adultère bourgeoise.

Que le Christ soit "dans le monde", ça se trouve dans l'évangile de Jean et à chaque fois que ça se trouve, ça dit quelque chose de la présence du Christ qui n'est pas encore monté vers le Père. Ainsi au chapitre 17 il dit « 10je ne suis plus dans le monde » lorsqu'il anticipe par la prière sa résurrection car je vais vers le Père mais ses disciples, « eux sont dans le monde ». Il n'y a pas d'autre attestation de l'être-dans-le-monde du Christ que celle-là, de façon explicite dans l'évangile de Jean.

Et « le monde ne l'a pas connu » : il ne l'a pas connu parce qu'il ne peut pas le connaître. Cela est dit au chapitre 14 à propos du pneuma : « le monde ne le connaît pas et ne peut pas le connaître » (D'après le v.17). C'est-à-dire que le monde ne désigne pas quelqu'un qui le refuse et qui pourrait faire autrement, mais ça désigne le refus comme refus, le meurtre comme meurtre, dans son sens fort.

Le monde ici c'est d'une certaine façon ce que les gens de cette époque appellent "ce monde-ci". C'est le monde régi par le prince de ce monde, dont l'Évangile annonce la déroute, la défaite, par la venue du royaume de Dieu. Je rappelle que la question porteuse du Nouveau Testament est la question : « Qui règne ? » Il ne faut jamais oublier ça.

► Quelle est la signification de ce « ne peut pas » ?

J-M M : Dire que le monde ne peut pas le connaître nous oblige à penser le monde non pas comme un ensemble d'êtres qui auraient une liberté éventuelle mais comme la mort même. C'est une espèce d'en tant que (le monde en tant que régi par le prince de la mort et du meurtre). Je sais bien que le « en tant que » n'est pas absolument biblique mais néanmoins ça permet de s'approcher. On peut sauver quelqu'un qui est dans le monde, on ne peut sauver quelqu'un qui est du monde. Toutefois, il ne faut pas oublier que, pour une part, nous sommes tous "du monde" et, pour une part, nous sommes tous, "dans le monde", tout en étant "les siens" puisqu'il vient  « illuminer tout homme».

Cela signifie que le jugement concerne le prince de ce monde, c'est le rejet du prince de ce monde hors de sa régie du monde : « C'est maintenant le jugement (la krisis) de ce monde-ci, maintenant le prince de ce monde sera jeté dehors.» (Jn 12, 31).

Il y a en tout homme des dépendances, des appartenances complexes à la fois aux choses de ce monde-ci et aussi aux choses du monde qui vient. Le monde qui vient, saint Jean ne l'appelle jamais monde mais, en hébreu, c'est le même mot olam : olam hazeh c'est ce monde-ci qui s'en va, et olam habah c'est le monde qui vient.

Le monde chez Jean a presque toujours une connotation négative mais notre texte nous indiquerait qu'il faut probablement voir de plus près puisque Jean dit aussi que « le monde fut par lui » (v. 10).

► On a aussi « sauveur du monde ».

J-M M : Oui cette expression se trouve à la fin du récit de la Samaritaine au chapitre 4. On verra tout à l'heure comment entendre le mot "monde" dans ce contexte.

b) « Il est venu vers les siens et les siens ne l'ont pas reçu. »

« Il est venu vers les siens » : les siens (ta idia ou oï idioï) ce sont ses propres et ça correspond aux "miens" (ta éma) et aux "tiens" comme le dit Jésus dans sa grande prière du chapitre 17 : « ceux que tu m'as donnés… sont tiens 10 Tous ceux qui sont miens sont tiens et les tiens sont les miens. » Il est question des "siens" (de ses propres) dans le chapitre 10 qui est le chapitre du berger : le berger connait ses propres et ses propres le connaissent

Donc il n'est pas possible que ce soient les Juifs car jamais les Juifs ne sont appelés "les miens" ou "mes propres" par Jésus dans l'évangile de Jean. Ce n'est pas une distinction entre le monde qui serait celui des Goïm (les nations) et les Juifs. Je vous défie de trouver un lieu de l'évangile où les Juifs sont appelés les siens. N'ayez pas peur, ce n'est pas méchant pour les Juifs, ça n'a rien à voir.

Le rapport aux Juifs chez Paul et chez Jean.

Dans l'évangile de Jean le mot judaïoï est un mot aussi péjoratif que le mot cosmos (monde). Il désigne le plus souvent les Judéens proprement dit, c'est-à-dire ceux-là qui mettent les prophètes à mort. C'est avec les judaïoï que Jésus a les altercations les plus vives dans l'ensemble de l'évangile de Jean. Et là il faut se rappeler ce que nous avons dit : le vrai jugement n'est pas entre celui-ci et celui-là mais à l'intérieur de chacun. Les judaïoï jouent le jeu du meurtre dans l'évangile de Jean, c'est indiscutable. Mais il ne faut pas oublier que ce n'est pas le même problème de lire ce qu'il en est du judaïsme dans l'évangile de Jean et de répondre à la question : « Qu'en est-il de mes rapports avec le judaïsme post-chrétien de ceux que je rencontre aujourd'hui. »

D'autre part la question du rapport aux Juifs dans l'évangile de Jean mais aussi chez saint Paul est une question qui est complexe parce que tout l'Évangile est "selon" l'Écriture juive. Seulement le mot Torah a une ambiguïté puisqu'il peut être traduit par Graphê (Écriture) encore que Graphê soit plus large que la simple Torah, et il peut être traduit par Nomos c'est-à-dire la loi au sens grec du terme. Or la lecture de la Torah comme nomos au sens juridique du terme (mais juridique dans le grand sens, c'est-à-dire juridico-éthique) est dénoncée par Paul.

Sans compter qu'il y a un jeu d'une infinie souplesse dans la mise au travail de nos évangiles par rapport à la lecture de l'Écriture. Par exemple pour Paul lors de l'Exode : « 1Frères, je ne voudrais pas vous laisser ignorer ce qui s'est passé lors de la sortie d'Égypte. Nos ancêtres… 3tous, ils ont mangé la même nourriture, qui était spirituelle ; 4tous, ils ont bu à la même source, qui était spirituelle ; ils buvaient à un rocher qui les accompagnait, et ce rocher, c'était déjà le Christ. » (1 Cor 10). Mais saint Jean au chapitre 6 dit « 49Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils moururent. 50Tel est le pain descendu du ciel que si quelqu'un en mange il ne meurt pas ». Donc pour saint Jean la manne n'était pas le pain du ciel. C'est-à-dire que par rapport à un même texte il peut y avoir deux lectures différentes.

De toute façon rien n'est plus complexe et plus passionnant que le rapport au judaïsme. Et de toute façon le judaïsme naît de la dissension créée par l'Évangile ; auparavant c'est le monde biblique. C'est alors que se constitue cette chose merveilleuse qui est la Mishna mais ce n'est pas le problème de Jean.

Qui sont les siens, ceux qui ne l'accueillent pas d'abord ?

Dans le Prologue, qui sont "les siens" ou "ses propres" ? Ce sont ceux qui ont la capacité de le recevoir, ce sont ceux qui entendent. Cependant il est dit que « les siens ne l'accueillent pas » et il faut comprendre « les siens ne l'accueillent pas d'abord », c'est-à-dire qu'il vient d'abord à la méprise. Quand il vient, il y a le temps de la méprise, le temps du mal-entendu qui est celui de l'approche :

– D'une part nous avons un thème johannique constant dans l'Évangile qui est de dire : « Ses disciples ne comprirent pas d'abord » (Jn 12, 16). En ce sens d'ailleurs on peut dire que les évangiles sont surtout la mémoire de ce que les apôtres n'ont pas vécu : c'est une relecture à partir d'une dimension de résurrection.

– D'autre part l'évangile de Jean relate les phases successives, nécessaires, d'inévitables  méprises. La Samaritaine est le récit de la méprise la plus haute qui se réduit progressivement dans la reconnaissance mutuelle.

« Les siens ne l'accueillent pas (parélabon) » Les siens ne le reconnaissent pas d'abord dans sa dimension authentique qui est révélée dans la Résurrection. La phase prépascale dans l'évangile est le moment de la méprise : Jésus n'est pas reconnu, recueilli dans sa dimension véritable, dans son nom propre, dans sa gloire, dans sa présence, sinon dans la résurrection.

 c) « Nous avons contemplé sa gloire. »

Enfin, verset 14, « Le Verbe fut chair » ne désigne pas une sorte de troisième alliance. Il vient à ceux qui le reconnaissent : « nous avons contemplé sa gloire ». C'est-à-dire qu'à ce moment-là, il est reconnu par les siens, mais les siens sur mode accompli et non les siens dans le temps de la méprise.

 Remarque : Ce sont trois aspects d'une unique venue.

Ces trois venues sont en fait trois aspects de la venue christique. Ce qui se déploie ici c'est le caractère unitaire de l'unique venue christique qui est "venue à la mort", "venue à la méprise" et "venue à l'accueil". Il faut bien voir que « ceux… qui, ceux… qui, ceux… qui » ce n'est pas un partage entre des individus et des individus : le monde au sens négatif du terme c'est moi ; les siens qui ne l'ont pas reçu, c'est moi ; et enfin « à ceux qui l'ont reçu il a été donné de devenir enfants de Dieu », c'est moi aussi. Et ça c'est l'écriture proprement johannique.

Ce qui se passe pour Jésus dans l'activité essentielle de son mystère pascal se donne à jouer chez nous dans le mode même de le recueillir. La dé-prise de Jésus dans sa mort c'est aussi notre dé-prise dans ce qu'il en est de le rencontrer.

 

3°) Lecture des trois venues dans les écrits des premiers siècles.

► D'où vient cette lecture des trois venues ?

J-M M : Cette lecture des trois venues est attestée dans des écrits des premiers siècles.

L'Apocryphon Johannis.

Il existe un manuscrit qu'on appelle le papyrus de Berlin et qui contient un texte qui s'appelle Apocryphon Johannis, c'est-à-dire "Livre secret (ou livre des secrets) de Jean". C'est un texte gnostique. On en connaissait déjà des éléments avant de le découvrir, puisqu'il y a tout un chapitre du premier livre Adversus Haereses d'Irénée qui le résume. Comme toujours, le résumé est littéralement fidèle, mais Irénée ne comprend rien à ce qu'il résume. On peut voir, maintenant qu'on a le texte, qu'on pouvait se fier aux indices qui se trouvent là.

De plus, à Nag Hammadi, dans la bibliothèque copte qui a été découverte il y a une cinquantaine d'années, nous avons trois exemplaires de cet Apocryphon Johannis, ce qui montre que c'était un livre répandu. Là il y a de légères différences et l'un des exemplaires se termine par un hymne qui rappelle de beaucoup le Prologue de Jean.

Certains ont conclu que Jean se serait inspiré de l'Apocryphon ou des textes antérieurs à lui. C'est peu probable. Ce qui est probable, c'est plutôt le contraire.

Or, il y a dans ce texte trois descentes du Sauveur, comme il y a dans le Prologue de Jean : il est venu vers le monde, il est venu vers les siens qui ne l'ont pas reconnu, et il est venu vers nous qui avons contemplé sa gloire.

La Pensée à la triple forme (Protennia trimorphe).

À Nag Hammadi, on a aussi trouvé un texte : la Pensée à la triple forme (Protennia trimorphe) qui est du même copiste que l'Apocryphon de Jean dans sa recension longue, et ce texte correspond un peu à l'hymne final de l'Apocryphon

Ce texte a lui aussi trois descentes du Sauveur. Et la troisième descente se faitparmi nos "tentes". Or dans le Prologue de Jean nous trouvons aussi cette thématique de la tente à la signification très riche (v. 14) : « Le Verbe fut chair et il a demeuré parmi nous (eskênôsen, il a planté sa tente en nous). » et skênê c'est la tente. Il y a donc une certaine affinité entre ces différents textes. Et la tente, ici, désigne le corps.

Voici un extrait de la Protennia Trimorphe :
« 36. Moi, je suis [descendue au] milieu de l’Ament[é], 5[j’]ai resplend[i sur les] ténèbres.
40. Mais maintenant, moi, je suis descendue 30et j’ai atteint le Chaos.
42. 17Or je suis venue pour la deuxième fois sous l’aspect d’une femme 18et je leur ai parlé.
47. 11La deuxième fois, je suis venue dans la [voix] de mon son, 12j’ai donné image à ceux qui ont re[çu i]mage jusqu’à leur achèvement.
13
La trois[iè]me fois, je me suis manifesté à eux [d]ans 15leurs tentes,  étant Verbe. »

                                                                               (Traduction de Paul-Hubert Poirier [2]).      

 

4°) « Venir vient » et ça se reçoit.

Venir.

J'ai dit que depuis le verset 9 tout est conduit par le verbe venir et je voudrais dire des choses sur ce verbe qui est un verbe majeur chez saint Jean. Cela est dit du Christ : « il vient » mais c'est dit aussi de nous : « venir vers lui ». Il ne faudrait surtout pas penser qu'il y a là une alternative entre un venir qui serait d'initiative divine et puis l'autre qui serait d'initiative humaine parce que « Nul ne peut venir vers moi si le Père ne le tire » (Jn 6, 44) mais ce n'est pas sur ce point que je voudrais insister maintenant.

Ce sur quoi je veux insister, c'est que le verbe venir est un verbe de mouvement et que dans notre langage nous avons coutume d'opposer du statique et du dynamique. Dans nos grammaires nous avons coutume de distinguer des verbes d'état et des verbes d'action, et ceci nous induirait à lire le Prologue en considérant que de toute éternité « le Logos est Dieu », que le verbe "être" lui convient très bien et le verbe être est celui qui a été élu par la métaphysique occidentale pour dire le plus étant des étants. Ensuite étant donné qu'il "est", pourquoi n'aurait-il pas l'idée de venir, et alors ce serait second. Or pas du tout ! Le verbe être et le verbe venir sont deux mots d'égale nécessité pour dire la chose de Dieu et penser cela décale la localisation mentale que nous nous faisons de Dieu dans cette espèce de stabilité qu'indique si bien le verbe être. Dans notre Occident toute activité émane de quelque chose d'antérieur qui est l'être, et ça a son sens en son lieu, cependant c'est tout à fait non pertinent pour nous permettre de pénétrer dans notre texte. Et d'une certaine manière le verbe venir ici est beaucoup plus important pour entendre ce qu'il en est de Dieu que le verbe être.

La plupart des noms que nous accordons spontanément à Dieu, la transcendance (au sens où nous l'entendons), l'absolu, l'éternité, tous ces mots sont des mots de la métaphysique, ce ne sont pas des mots de nos Écritures et ça devrait donner à penser.

Nous épuisons notre pensée à représenter, nous sommes dans une pensée de la représentation. Et nous nous représentons la chose de Dieu dans un endroit qui se tient au-delà : trans. En réalité trans-cendance devrait indiquer « ce qui passe », et au lieu de représenter le trans-cendant, il serait intéressant de vivre le passage c'est-à-dire la Pâque, ce qui est au cœur de ce discours que nous essayons d'entendre là maintenant.

Nous aurons la tâche plus tard de mettre en rapport les premiers versets du Prologue et ce venir qui apparaît ici maintenant dans le texte. Mais nous n'en sommes pas là.

Recevoir (lambaneïn).

« À ceux qui l'ont reçu, à ceux-là il a été donné de devenir enfants de Dieu » (v. 12) : cette façon d'écrire est conforme à l'écriture sémitique.

L'Évangile c'est simple : ça vient, et celui qui vient se reçoit. J'ai dit « celui qui vient », mais en fait si on se demande qui vient, c'est "venir" : « venir vient ».

Ici nous avons le mot recevoir (lambaneïn) qui est le mot le plus basique de la réception. Recevoir se dit chez Jean par de nombreux verbes. Entendre est le mot le plus proche du mot le plus classique pour dire la réception du Christ dans sa véritable dimension, qui est croire. Mais entendre, voir, toucher, marcher, manger, venir vers, entrer, sortir, tous ces mots fondamentaux et simples qui se trouvent chez saint Jean et qui sont tous des mots du corps sont assumés pour dire ce recevoir qui est ici indiqué.

Katalambaneïn (détenir) et paralambaneïn (accueillir).

Ce verbe lambaneïn se trouve déjà deux fois avant le verset 12 mais les autres fois avec des préverbes, donc avec des connotations infléchies :

– « La lumière luit dans la ténèbre et la ténèbre ne l'a pas détenue – ou ne l'a pas comprise (katélaben). » Ici on a le verbe katalambaneïn qu'on peut traduire par détenir, accaparer, comprendre et c'est la même chose. En effet il s'agit d'une volonté de prise complète,[] de prise totale. Le substantif qui correspond à ce verbe est katalepsis qui est un mot technique pour dire un certain mode de connaissance, chez les stoïciens en particulier : la connaissance cataleptique est la connaissance qui est exhaustive, qui embrasse et pénètre la totalité. Kata peut signifier aussi en-bas puisque les prépositions en préfixe ou préverbe ont des sens qui ne se laissent pas réduire à un sens univoque, mais ici kata signifie ce que j'ai indiqué. Alors ici la volonté de prise de la part de la ténèbre est déjouée totalement.

– « Il vient vers les siens et les siens ne l'ont pas accueilli. (parélabon) » On peut penser qu'avec paralambaneïn (prendre auprès de soi) il s'agit d'une authentique proximité. Les dictionnaires nous disent que paralambaneïn a à peu près le même sens que lambaneïn, mais les mots les plus simples, ceux qui sont privés de préverbe, ce sont les verbes qui disent toujours le plus haut chez Jean.

 

Remarque concernant la lecture faite.

 

Dans la lecture des versets 9 à 14 j'ai voulu dire beaucoup de choses pour avoir la chance que l'une ou l'autre de ces choses fasse écho à vos oreilles. Il ne faut pas tout vouloir retenir. Nous reviendrons ensuite sur l'une ou l'autre de ces choses.

Il est très important pour moi, dans la lecture de l'Écriture, d'être intransigeant sur les structures, même celles qui ont l'air d'être excluantes, rigoureuses. C'est cela et ce n'est pas autre chose. Mais dans cela il y a concrètement ouverte toute la possibilité d'un chemin qui est un chemin de méprise, un chemin qui s'étrécit. Le rapport de la rigueur et de la miséricorde dans l'annonce de la Parole doit être soigneusement pensé. La miséricorde n'est pas au détriment de la rigueur. Il y a une rigueur évangélique et il ne faut pas diluer l'Évangile dans autre chose. Et cependant je ne rencontre partout et en moi-même que l'Évangile dilué dans le temps de la méprise, du mal-entendu.

Il est très important de bien savoir que le mal-entendu est notre premier mode d'entendre. Entendre n'est pas la chose normale. Nous sommes nativement nés dans et pour le mal-entendu.

Ce qui est étrange ce n'est pas qu'il arrive quelquefois que nous n'entendions pas ce qui nous est dit, mais que, en dépit de cet état natif, il nous arrive parfois de parvenir à entendre. Entendre c'est la merveille. Entendre est au terme d'un chemin. De même que la perfection chrétienne n'est pas l'impeccabilité mais le péché pardonné, de même la vérité chrétienne n'est pas l'absence d'erreur, la vérité chrétienne est le mal-entendu dépassé, surmonté. Il y a là quelque chose de très important pour dénoncer les fausses puretés.



[1] Ce "il" désigne la lumière qui est un neutre en grec, et peut à la lecture désigner le Christ.

[2] Cet extrait vient de http://www.naghammadi.org/traductions/textes/protennoia.asp, il n'a pas été donné par J-M Martin.

 

Commentaires