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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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5 mars 2014

Figures de Pierre et Judas. Le lavement des pieds en Jn 13, 1-13.

Dans l'évangile de Jean, très souvent, les disciples vont par deux, et représentent des figures de différence ou parfois d'opposition. Ainsi les figures de Judas et de Pierre sont traditionnellement des figures contrastées. Dans la première partie de ce message, J-M Martin met en rapport les carences représentées par Pierre et Judas, avec les venues de Jésus dont il est question dans le Prologue de Jean (cf Les trois venues dans le Prologue de l'évangile de Jean : vers la mort, vers la méprise, vers l'accueil). La deuxième partie médite la figure de Pierre en Jn 13, lors du lavement des pieds, la figure de Judas étant méditée dans le message La question de Satan. Les différentes facettes de la figure de Judas.

Un nouveau message médite plus longuement Jn 1-15, la figure dePierre, ainsi que la question des sacrements : Jn 13, 1-15 : Lavement des pieds ; dialogue avec Pierre.

 

Figures de Pierre et Judas 

Le lavement des pieds (Jn 13, 1-13)

 

 

Ce message est constitué d'extraits de deux sessions animées par J-M Martin : le 1) vient de la session "la Passion, Jn 18-19" ; le 2) vient du cycle "Maître et disciple" qui a eu lieu au Forum 104. Ceci complète les messages précédents sur les figures[1].

Le premier extrait indique la référence des deux figures en se rapportant en particulier au Prologue de Jean. Le deuxième extrait est une méditation du texte du lavement des pieds.

 

1°) Les figures de Pierre et Judas.

On ne peut pas lire le chapitre 18 de l'évangile de Jean, chapitre de la Passion, sans parler des figures de Judas et de Pierre.

a) Les disciples vont souvent par deux.

Il est très intéressant de noter que, pour Jean, les disciples vont généralement par deux, et représentent des figures de différence ou parfois d'opposition. Ainsi les figures de Judas et de Pierre sont traditionnellement des figures contrastées. Mais pour qu'il y ait contraste, il faut qu'il y ait une part de similitude.

Le chapitre 13 de Jean est construit tout entier sur l'opposition de Pierre et de Judas.  À d'autres lieux, la figure de Pierre fait contraste avec l'autre disciple, “celui que Jésus aimait”. Nous avons vu que Jésus est souvent entre deux disciples. Il est même souvent entre deux, tout simplement.

Or Judas et Pierre représentent ici deux carences (il s'agit de l'identification de Jésus comme toujours parce que l'Évangile est fait pour ça) : il est manqué par Judas qui le livre, et il est manqué par Pierre qui le défend mais qui le défend de mauvaise manière (il le défend par le glaive en Jn 18, 10). La figure de Pierre ensuite n'est pas meilleure avec le triple reniement (v. 17-27).

b) Judas et Pierre comme illustrant deux venues de Jésus.

Cette position entre deux figures est une structure fondamentale chez Jean. C'est annoncé dès le Prologue :

la lumière vient s'affronter à la ténèbre (qui est la puissance de mort) : il vient vers le monde qui est régi par la ténèbre et c'est Judas ainsi que toute la cohorte juive ;

il vient vers « les siens qui ne le reçoivent pas » (qui ne le reçoivent pas encore), et c'est Pierre.

enfin il vient vers ceux qui l'ont reconnu.

C'est la triple dimension que nous avons étudiée l'année dernière dans l'étude du Prologue[2].

En effet Judas a partie liée de façon décisive avec la nuit. Quand il sort au chapitre 13 : « il était nuit ». Il est celui à qui la tâche est donnée de mettre en œuvre la puissance de ténèbre qui est la puissance de mort. Il y a une symbolique nocturne. Explicitement, ce n'est pas lui qui trahit puisqu'il est habité par une Puissance, et il l'est selon les Écritures, c'est-à-dire que la personnalité singulière de Monsieur Judas n'est pas en question. C'est vraiment la figure de Judas qui est en question dans cette affaire.

► Pierre ne le reçoit pas à cause de ce qui va se passer ?

J-M M : Non, il est présenté comme ne recevant pas Jésus comme il se doit. Il prend sa défense mais il se méprend. On a vu “venir au refus” et “venir à la méprise”, les deux termes. Ici Jésus vient à Pierre qui se méprend, et qui n'a pas fini de se méprendre ; et puis il y a le chapitre 21 avec le triple questionnement « M'aimes-tu ? » qui correspond au triple reniement et qui constitue le chemin propre de Pierre. Il est « des siens qui ne le reçoivent pas »c'est-à-dire “pas d'abord”. Pierre et Judas sont ici deux figures de l'ensemble. Pierre représente le corps des disciples en cela, car tous se méprennent sur le compte de Jésus. Même Jean, puisqu'il est dit de Jean lorsqu'il est comparé à Pierre : « Ils ne savaient pas que selon les Écritures il devait ressusciter » : même Jean, malgré la rapidité de sa course dans la foi (Jn 20, 4 et 8) ! C'est que le corps des disciples est tout entier dans la méprise avant qu'ils ne reçoivent Jésus dans sa dimension authentique de Ressuscité.

► Après la Résurrection, il est dit qu'ils ne le reconnaissent pas.

J-M M : Ce n'est pas seulement après la Résurrection, ce n'est pas seulement une question de temps (après)… c'est une question de reconnaissance de la dimension ressuscitée de Jésus.

 

2°) Le lavement des pieds (Jn 13, 1-13).

Le chapitre 13, vous le savez, on pourrait l'appeler le chapitre de la Cène. C'est le dernier repas où il n'y a pas la mention propre de l'eucharistie, mais le thème du lavement des pieds des disciples et le thème de la trahison de Judas. Évidemment chacune des choses que nous touchons ici mériterait de longs développements et il faut savoir retenir ce qui peut être dit pour notre recherche.

Ce qui fait l'unité de ce chapitre, c'est une citation qui se trouve au verset 18 : « Celui qui mange mon pain lève contre moi le talon », c'est une citation du psaume 41. Elle met en évidence la thématique du dernier repas (manger le pain) et la thématique de Judas qui se trouvent dans ce chapitre.

La différence de Pierre et Judas.

Ce qui vient en premier, c'est la figure de Pierre. En quoi Pierre et Judas sont-ils différents ? Ils sont différents en ce que Pierre permet à Jésus d'évoquer une question qui intéresse beaucoup les premières communautés, à savoir : après le baptême, si je pèche gravement, est-ce que la communauté a moyen de me refaire ? Je parle de la façon la plus vulgaire, mais vous comprenez bien que ce que je veux dire. Cette thématique est surtout développée dans le dialogue, du verset 12 au verset 17. Venons-en au texte.

Le préambule et le court récit du lavement des pieds.

Jésus lave les pieds des disciples

Ce chapitre 13 est constitué par un grand préambule solennel : « 1Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure est venue qu'il passe de ce monde à son Père, ayant aimé les siens qui sont dans le monde, il les aima jusqu'à la fin ; 2et au cours du repas, alors que le diabolos avait déjà jeté dans le cœur de Judas, fils de Simon Iscariote, [l'intention] de le livrer, 3sachant que le Père lui a donné la totalité dans les mains, et qu'il vient de Dieu et qu'il retourne vers Dieu... » Voilà un grand préambule où des thèmes essentiels se trouvent énoncés.

« 4Il se lève de table,  pose son manteau, et prenant un linge de service il se le noue à la ceinture, 5puis il jette de l'eau dans une bassine, et il se met à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il s'était ceint. »

La communauté a-t-elle de quoi se laver les pieds ?

Voilà cette grande phrase d'entrée, ce récit très court (très circonstancié) d'une gestuelle, et cela pose problème à Pierre d'où l'introduction d'un dialogue. Ce que ce dialogue va développer, c'est la réponse à la question que je posais tout à l'heure : est-ce que la communauté a de quoi se laver les pieds ? La symbolique des pieds est très importante chez Jean : les pieds désignent, comme la marche en général, le comportement : la halakha, c'est ce qu'on appelle la morale ou le comportement en hébreu (halakh c'est marcher).

Le renversement messianique.

Pierre récuse d'abord cela, en effet, c'est le paradoxe christique. Ce que nous avons ici, c'est un thème néotestamentaire qui est attesté par ailleurs et qui sera ensuite repris au chapitre 15, c'est le thème de Jésus qui se fait le serviteur, qui se met au service.

Vous trouvez déjà ce thème chez Luc en forme de parabole, la parabole des ouvriers qui reviennent du travail, et le maître les fait mettre à table et les sert : ce n'est pas l'usage !

C'est le thème « Je ne vous appelle plus serviteurs mais amis » et disons que ceci a à voir avec le disciple. En effet qu'est-ce que nous disions du disciple dès le premier jour ? Le disciple est celui qui écoute (qui entend) ; celui qui “marche avec” donc qui suit un chemin puisque « Je suis le chemin » ; et celui qui sert le maître, qui fait les courses. Et dans l'évangile aussi les disciples vont « acheter des nourritures » comme il est dit au début du chapitre 4 ; ils posent la question « Où achèterons-nous des pains ? » au chapitre 6, etc. Ils font le service. Or ici nous avons l'inversion messianique : celui qui est le maître se manifeste comme le serviteur.

Donc cela qui est en parabole chez Luc, en affirmation messianique dans les Synoptiques également, se trouve ici dans la gestuelle même du Christ dans cet épisode.

Le dialogue entre Pierre et Jésus.

Voyons le début du dialogue, pour nous reconduire à notre sujet.

Lavement des pieds

« 8Si je ne te lave pas, tu n'auras pas part avec moi » dit Jésus à Pierre, puisque Pierre récuse le fait d'être lavé (il récuse l'inversion messianique).

« 9Simon-Pierre lui dit : “Non seulement les pieds mais les mains et la tête”. 10Jésus lui dit : “Celui qui a été lavé  (leloumenos) n'a pas besoin d'être lavé, sinon les pieds, mais il est pur tout entier”.»

Le bain (lutron) est un des noms du baptême dans les premiers temps de l'Évangile, mais le baptisé peut encore se salir les pieds, c'est-à-dire avoir un comportement qui n'est pas conforme. Donc la question va s'orienter vers la capacité de réintégrer ou de rendre pur celui qui a failli. Je ne suis pas le seul à proposer cette interprétation, beaucoup pensent aussi que c'est bien de cette question que Jean traite ici parce que c'est un problème qui occupe sa communauté.

La gestuelle de Jésus : déposer / reprendre ses vêtements.

« 12Quand il leur eut lavé les pieds, il reprit ses vêtements. »

La gestuelle même :

1. Déposer son vêtement de gloire dit la venue de Jésus vers le monde (au sens johannique), sa Passion, car son service paradoxalement c'est de “mourir pour”. C'est un effacement de Jésus qui est la condition pour que nous soyons relevés, re-suscités. Ce thème se dit parfois dans d'autres langages (comme le langage sacrificiel) qui ne nous sont pas familiers du tout, il faut en prendre acte.

Il faudrait passer des années sur l'intelligibilité possible pour nous du langage sacrificiel. Il est absent de notre culture sinon de façon tout à fait débile au moment des soldes : les prix sacrifiés, évidemment cela ne nous donne pas un sens très fort de ce que veut dire le sacré et le sacrifice en général. Donc il faut prendre acte de ce que cela nous échappe et puis suivre un chemin qui nous soit plus simple et plus familier, pour un jour peut-être arriver à réintégrer en nous une notion authentique de sacré… C'est une parenthèse.

2. « Il reprend son vêtement – c'est la Résurrection : il reprend son vêtement de gloire, son manteau, c'est la différence entre le linge de service et le manteau de Résurrection.

Mais Passion et Résurrection ne sont pas disjoints en réalité.

Jésus comme Seigneur et maître.

« Et il s'assoit à nouveau et il leur dit : “Savez-vous ce que je vous ai fait ? 13Vous m'appelez le didascale (le maître, celui qui enseigne) et le Seigneur ce sont deux titres différents, très importants, et celui qui nous intéresse ici, c'est le didascale – et vous dites bien car je le suis” ».

Je vous rappelle qu'à notre première rencontre, j'avais posé la question : est-ce que quelque part Jésus dit « Je suis le didascale », de même qu'il dit « Je suis le pain », « Je suis la vie » etc. Est-ce qu'on trouve cela quelque part ? Et vous avez très bien répondu qu'il ne le dit pas directement mais d'une manière équivalente en disant : « vous m'appelez didascale et… je le suis ». Très bien.

La figure de Judas.

Ensuite nous tombons dans la thématique de Judas. La figure de Judas, je ne vais pas l'aborder maintenant, elle est beaucoup plus complexe qu'il n'y peut paraître. Elle est très intéressante, elle a pour caractéristique d'être toujours très angoissante : on ne peut pas parler de Judas sans qu'il y ait de la crispation, de l'inquiétude. On ne peut pas entrer dans cette problématique maintenant parce qu'elle implique d'abord que nous ayons d'un homme une conception autre que celle que nous avons ici comme un individu clos et déterminé ; il y a je et je en quiconque[3], et précisément ici il y a en Judas celui qui trahit Jésus et celui qui, ce faisant, accomplit l'Écriture, car l'Écriture a été citée ici. Donc si vous voulez, c'est un élément de réponse tiré de l'évangile de Jean lui-même ; et c'est très intéressant chez saint Jean parce qu'il a plutôt l'air d'être sévère en général à l'égard de Judas[4]. Voilà.

 

 

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