Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 121 630
Archives
6 février 2024

La dénomination banale de Dieu comme instituteur de la morale

Pour un certain nombre de gens, Dieu est considéré comme l'instituteur de la morale, et le catéchisme a longtemps été considéré comme le lieu où on donnait des règles morales. Cela donne une image de Dieu comme loi, comme père sévère, comme juge, comme ce qui de quelque façon nie la liberté ou réprime le désir. Dans Aurore, ceci amène Nietzsche à parler de mort de Dieu dans la mesure où les valeurs chrétiennes passent sous d'autres dénominations dans le monde post-chrétien. Et à ce sujet Heidegger a de belles pages dans Chemins qui ne mènent nulle part. Or l'Évangile est au-delà de se conformer à une norme-valeur ou d'obéir à une loi. Elle est dans cette phrase du Notre Père : "que ta volonté soit faite", c’est à dire : “que le plus secret vienne à œuvrer”.

Voici la troisième dénomination de Dieu examiné par Jean-Marie Martin dans son chapitre sur les questions de Dieu aujourd'hui, chapitre de son cours de théologie à l'Institut Catholique de Paris en 1974-75.

  1. La dénomination banale de Dieu comme créateur du monde, et introduction à la question de Dieu aujourd'hui
  2. La dénomination banale de Dieu comme historien du salut ;
  3. La dénomination banale de Dieu comme instituteur de la morale

 

III – La dénomination de Dieu comme INSTITUTEUR DE LA MORALE

 

Notre projet ici est d'être un peu plus rapide car nous pensons que ces questions sont traitées[1] dans le champ de la théologie morale. Cependant c'est seulement dans ce domaine l'indication de quelques retombées de la lecture que nous avons tentée au cours de cette année.

D'abord le présupposé, puis la critique, ensuite la reprise.

 

Dieu le Père - église Saint-Martin de Caupenne1) Le présupposé.

Dans le banal, ce qui est touché par là, c'est la représentation de Dieu comme loi, comme père sévère, comme juge, comme ce qui de quelque façon nie la liberté ou réprime le désir ; c'est aussi éventuellement la compréhension du dessein à réaliser comme un tracé à copier. Tout cela étant par ailleurs lié à l'idée de sanction ; tout cela comportant une certaine ambiguïté, car la même loi qui est refusée au nom de la liberté peut être revendiquée au nom de la sécurité. Et dans les discours que nous sommes amenés à tenir quotidiennement par rapport à ces questions, nous croyons qu'il nous faut être attentif à cette double motivation intérieure de l'interlocuteur. Donc cela au niveau le plus banal.

Le banal pensant – c'est-à-dire la philosophie occidentale – a depuis longtemps rapproché d'abord l'idée de Dieu et l'idée de bien (bonum), mais non pas nécessairement de façon dominante. Nous voulons dire que "le bien" comme "le vrai" sont des dénominations transcendantales qui se prédiquent analogiquement de Dieu mais entre autres à l'époque médiévale.

Chez Kant par contre, la morale devient prédominante. Nous savons que le principe de la causalité a été déclaré déficient en ce domaine. Et ce qui fonde l'idée de Dieu tend désormais à être la morale, et la morale entendue comme catégorique, comme "tu dois".

Dans Aurore de Nietzsche encore, voici un extrait du n°207 qui a pour titre "Comment se comportent les Allemands vis-à-vis de la morale ?".

  • « Si un peuple de cette espèce s’occupe de morale : quelle sera la morale qui justement le satisfera ? Il voudra certainement avant tout que son penchant cordial à l’obéissance y paraisse idéalisé. « Il faut que l’homme ait quelque chose à quoi il puisse obéir d’une façon absolue » — c’est là un sentiment allemand, une déduction allemande : on la rencontre au fond de toutes les doctrines morales allemandes. Combien différente est l’impression que l’on ressent en face de toute la morale antique ! Tous les penseurs grecs, quelle que soit la multiplicité sous laquelle nous apparaisse leur image, semblent ressembler, en tant que moralistes, au maître de gymnastique qui apostrophe un jeune homme : « Viens ! suis-moi ! Abandonne-toi à ma discipline ! Tu arriveras peut-être alors à remporter un prix devant tous les Hellènes. » La distinction personnelle, c’est là la vertu antique. Se soumettre, obéir, publiquement ou en secret, — c’est là la vertu allemande. — Longtemps avant Kant et son impératif catégorique, Luther avait dit, guidé par le même sentiment, qu’il fallait qu’il y ait un être en qui l’homme puisse se confier d’une façon absolue, — c’était là sa preuve de l’existence de Dieu ; il voulait, plus grossier et plus populaire que Kant, que l’on obéisse aveuglément, non à une idée, mais à une personne... »

Cependant cet aspect de la pensée occidentale culminera chez Nietzsche.

 

2) La critique.

Dans le présupposé, nous avons noté sommairement de quoi il s'agit. Cela devient parfaitement clair à la mesure où cela est dénoncé et critiqué par Nietzsche.

La position de Nietzsche est dans ce domaine assez complexe : il s'agit de montrer que Dieu a été entendu comme "valeur". Nous avions successivement indiqué "le bien", "le devoir" ; désormais c'est le terme même de "valeur" qui ressaisit cette histoire.

Or il se trouve, dit Nietzsche, que cette valeur qui est Dieu ne valorise plus, c'est-à-dire que Dieu n'est pas la valeur qui fait vivre, qui commande les actes humains. Dieu n'est plus une valeur : « une valeur qui ne valorise plus est une valeur morte. Dieu est mort. »

Ce mot célèbre « Dieu est mort » demande ici à être entendu dans la pensée de Nietzsche qui l'énonce. C'est ce que nous allons essayer de dire en quelques mots. Ce que nous allons faire ici est très différent des tentatives de récupération de ce mot par certaines théologies qui sont du reste déjà démodées. La théologie de la mort de Dieu est une théologie qui a eu un floruit il y a quelques années. Ce n'est pas cet aspect qui nous intéresse maintenant, mais c'est précisément la pensée de Nietzsche qui nous intéresse.

Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle partÀ ce sujet nous vous signalons une excellente étude qui se trouve dans un recueil d'Heidegger intitulé Les chemins qui ne mènent nulle part (Tel Gallimard) : « Le mot de Nietzsche “Dieu est mort” ». Dans cet article se trouve reproduit un passage caractéristique de Nietzsche, tiré du Gai savoir, n° 125 et intitulé « Le forcené[2] »

 

"Le forcené", texte de Nietzsche cité par Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part p. 259-261.

— N'avez-vous pas entendu parler de ce forcené qui, en plein jour, avait allumé une lanterne, s'était mis à courir sur la place publique en criant sans cesse : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! » — comme il se trouvait là beaucoup de ceux qui ne croyaient pas en Dieu, son cri provoqua une grande hilarité. “L'as-tu donc perdu ?” disait l'un. “S'est-il égaré comme un enfant ?” demandait l'autre. “Ou bien s'est-il caché ? A-t-il peur de nous ? S'est-il embarqué ? A-t-il émigré ?” — ainsi criaient et riaient-ils tous à tort et à travers. Le forcené sauta au milieu d'eux et les transperça du regard :

« Où est allé Dieu ? s'écria-t-il, je vais vous le dire ! Nous l'avons tué – vous et moi ! Nous tous, nous sommes ses assassins ! Mais comment avons-nous fait cela ? Mais comment avons-nous pu boire d'un trait la mer tout entière ? Qui nous a donné l'éponge pour effacer l'horizon ? Que faisions-nous lorsque nous détachions cette terre de son soleil ? Vers où se meut-elle à présent ? N'est-ce pas loin de tous les soleils ? Ne tombons-nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Y a-t-il encore un en-haut et un en-bas ? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini ? Le souffle du vide ne nous effleure-t-il pas de toutes parts ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne voyez-vous pas venir la nuit et toujours la nuit ? Ne faut-il pas allumer des lanternes en plein jour ? N'entendons-nous toujours rien du bruit des fossoyeurs qui enterrent Dieu ? Ne sentons-nous toujours rien de la décomposition divine ? — car les dieux aussi se décomposent ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c'est nous qui l'avons tué ! Comment nous consolerons-nous, nous, les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu'à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux – qui effacera de nous ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés nous faudra-t-il désormais inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux pour du moins paraître dignes de lui ? Jamais il n'y eut acte plus grandiose — et ceux qui naîtrons après nous appartiendrons du fait de cet acte à une histoire plus élevée que ne le fut jamais toute histoire ! »  

– Ici le forcené se tut alors et regarda de nouveau ses auditeurs : eux aussi se turent et le dévisagèrent avec étonnement. Il jeta enfin sa lanterne à terre : elle se brisa en morceaux et s'éteignit.

« Je viens trop tôt, dit-il alors, mon temps n'est pas encore venu. Cet événement énorme est encore en route — il n'est pas encore parvenu jusqu'aux oreilles des hommes. Il faut du temps à l'éclair et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actes, même après qu'ils ont été accomplis, pour être vus et entendus. Cet acte-là est encore plus loin d'eux que l'astre le plus éloigné – et pourtant ils l'ont accompli. »

— On raconte encore que le forcené aurait pénétré le même jour dans différentes églises et aurait entonné son Requiem aeternam Deo. Conduit dehors et interrogé, il n'aurait cessé de répondre : « Que sont donc encore ces églises sinon les tombes et les monuments funéraires de Dieu ? »

 

Il serait très intéressant d'être bien près d'un texte de ce genre et de l'extrême justesse, de l'extrême fascination de l'image, qui est "plus qu'une image" – comme Heidegger le remarque un peu plus loin. Que faut-il entendre par un texte de ce genre ?

Heidegger est extrêmement difficile, et cependant ce texte où il commente Nietzsche nous paraît être l'un des plus lisibles parmi ceux qu'il a écrits. Nous en retenons quelques éléments.

 

p.265-266. (Chemins qui ne mènent nulle part de Heidegger, chez Tel-Gallimard)

La mort de Dieu « ne recouvre aucunement l'état de fait purement négatif qu' “on ne peut plus croire au Dieu chrétien de la révélation biblique” – Nietzsche n'entendant d'ailleurs pas par christianisme la vie chrétienne qui a existé un jour, durant un court laps de temps, juste avant la composition des évangiles et la propagande missionnaire de saint Paul. Pour Nietzsche, le christianisme est la manifestation historique, séculière et politique de l'Église et de son appétit de puissance, dans le cadre de la formation de l'humanité occidentale et de sa civilisation moderne. Le christianisme, en ce sens, et la christianité de la foi néotestamentaire, ne sont pas la même chose. Une vie non chrétienne peut bien adhérer au christianisme et s'en servir comme facteur de puissance, de même que, inversement, une vie chrétienne n'a pas nécessairement besoin du christianisme. Voilà pourquoi un dialogue fondamental avec le christianisme n'est nullement, ni absolument une lutte contre ce qui est chrétien, pas plus qu'une critique de la théologie n'est du même coup une critique de la foi, que la théologie est censée devoir interpréter. […]

Dans “Dieu est mort” le terme de Dieu, pensé selon l'essence, entend le mot suprasensible des idéaux qui renferment, par-dessus notre vie terrestre, le but de cette vie, la déterminant ainsi d'en haut et, en quelque sorte, du dehors. Or, si maintenant la foi authentique, telle qu'elle est fixée par l'Église, se meut au cours des sages, si surtout la doctrine de la foi, la Théologie, se voit, dans son rôle d'explication magistrale de l'étant dans son entier, de plus en plus limitée et mise au rancart, la structure fondamentale, conformément à laquelle une fin fixée en dernier lieu dans le suprasensible domine la vie terrestre et sensible, n'en est pas pour autant brisée. »

Dieu, au sens de Nietzsche, ou la Métaphysique, ce qui est au-dessus et en dehors de la vie entendue comme physis… cette considération mêle volontairement toujours Socrate et le platonisme d'une part [le terme d'idéaux qui est utilisé par Heidegger est pris à dessein aux idéaux de Platon] et Jésus-Christ, le christianisme d'autre part. Pour Nietzsche, cela est le même.

À l'autorité disparue de Dieu et de l'enseignement de l'Église succèdent l'autorité de la conscience et de la raison. Contre celle-ci s'élève bientôt l'instinct social. L'évasion dans le suprasensible est remplacée par le progrès historique. Le but d'une félicité éternelle dans l'au-delà se change en celui d'un bonheur pour tous ici-bas. L'entretien du culte de la religion est abandonné en faveur de l'enthousiasme pour le développement d'une culture, ou pour l'expansion de la civilisation. L'acte créateur, autrefois le propre du Dieu biblique, devient la marque distinctive de l'activité humaine, dont les actions finissent par devenir celles des actionnaires. »

 

Ce qui est noté ici, c'est que la structure de pensée qui jouait dans le monde chrétien est héritée dans le monde post-chrétien. Nous avons déjà remarqué quelque chose de ce genre explicitement dans la dernière page des Mots de Jean-Paul Sartre.

 

p. 268-269. (Chemins qui ne mènent nulle part de Heidegger)

« Dans une note de l'année 1887, Nietzsche se pose la question (Volonté de puissance, Aph. 2) : “Que signifie : nihilisme ?” Il répond : “Que les valeurs les plus hauts placées se dévalorisent”.

Cette réponse est soulignée et suivie d'une explication : “Il manque le but, la réponse au "Pourquoi ?"”

D'après cette note, Nietzsche conçoit le nihilisme comme un processus historique. Il interprète ce processus comme la dévalorisation des valeurs jusqu'alors suprêmes. Dieu, le Monde suprasensible comme monde véritablement étant et omni-déterminant, les Idéaux et les Idées, les Fins et les Causes qui orientent et supportent tous les étants et plus spécialement la vie humaine, tout cela représente ici les valeurs suprêmes. L'opinion courante comprend encore de nos jours ces valeurs suprêmes comme le Vrai, le Bien et le Beau : le Vrai, c'est-à-dire ce qui est réellement ; le Bien, c'est-à-dire ce qui partout importe ; le Beau, c'est-à-dire l'ordre et l'unité de l'étant dans son entier. Mais ces valeurs suprêmes se dévalorisent déjà, dans la mesure où l'on commence à entrevoir que le monde idéal n'est guère susceptible d'être jamais réalisé dans le monde réel et sensible. La validité des valeurs suprêmes devient incertaine. Une question vient à se poser : à quoi bon ces valeurs suprêmes si elles ne garantissent pas en même temps les voies et les moyens de réaliser les fins qu'elles renferment ? »

Il n'y a plus qu'à prendre la définition nietzschéenne du nihilisme au pied de la lettre, à savoir comme dévalorisation des valeurs les plus élevées, pour en arriver à la conception courante de l'essence du nihilisme – et dont le fait d'être courante est précisément favorisé par l'appellation de "nihilisme" – suivant laquelle la dévalorisation des valeurs suprêmes, c'est manifestement la décadence générale. Cependant, pour Nietzsche, le nihilisme n'est nullement un pur phénomène de décadence : il est en même temps et surtout, en tant que processus fondamental de l'histoire occidentale, la loi même de cette histoire. Voilà pourquoi, dans ses considérations sur le nihilisme, Nietzsche s'attache moins à décrire historiquement le processus de dévalorisation des valeurs suprêmes pour finalement établir le bilan du déclin de l'Occident, qu'à penser le nihilisme comme la "logique interne de l'histoire occidentale".

Ce faisant, Nietzsche reconnaît que malgré la dévalorisation des plus hautes valeurs pour le monde, ce monde lui-même continue, et que ce monde ainsi dépourvu de valeurs tend inévitablement à une nouvelle institution de valeurs. Après que les anciennes valeurs suprêmes sont devenues caduques, l'instauration de valeurs nouvelles se change, par rapport aux valeurs précédentes, en une "inversion de la valeur de toutes les valeurs"… »

 

Ensuite, c'est la pensée proprement nietzschéenne que Heidegger développe de façon très attentive. Tout son texte n'est que le commentaire d'une petite phrase de Nietzsche : « Dieu est mort ».

Nous avons noté d'entrée le caractère complexe de ce qui est examiné ici, soit sous le trait de la valeur valorisante et que nous disions sécurisante ou sauvegardante d'un monde, et d'autre part la critique de cette notion de valeur qui, d'un point de vue individuel, peut être considérée comme ligature de la liberté ou du désir et qui, d'un point de vue collectif, semble déjà n'être plus en œuvre de valoriser. Nous avons essayé de ramasser dans une phrase tout cet ensemble de choses qui est simultanément en question ici sous cette dénomination de Dieu "instituteur de la morale".

 

 3) Reprise de la question.

Il faudrait tenter pour notre compte une reprise de la question. Ici simplement deux indications.

Premièrement, il est important de bien situer le lieu de la sécurité qui est, dans le langage de Paul, salut de par l'entendre (ou sécurité de par l'entendre), ou salut par la foi et non pas salut ou sécurité de par la loi (les œuvres ou le faire de la loi). Ceci est un thème paulinien de toute première importance, développé surtout dans l'épître aux Galates et dans l'épître aux Romains. Nous n'y faisons qu'allusion car en fait nous n'avons pas particulièrement lu saint Paul cette année.

Mais de façon plus générale, ce qui sauvegarde et fait vivre s'entend à la mesure de la compréhension de la vie. Le mot de "vie" est un mot que vous pouvez découvrir comme important chez Nietzsche dans son commentaire de la valeur ; ce ne sont pas ces passages que nous avons lus, je n'y fais qu'allusion. Or il est important d'entendre le terme de vie telle qu'il se dit chez saint Jean et qui ne se réduit pas au sens nietzschéen du mot vie bien sûr mais qui ne résulte pas non plus de l'addition d'un sens nietzschéen du mot de vie et de ce qui désignerait une autre vie métaphysique au sens nietzschéen. Il faut bien voir que le terme de vie chez saint Jean ne dit pas ce que dit le mot de vie chez Nietzsche, mais qu'il ne se contente pas non plus de dire une autre vie.

D'autre part, à propos de "la valeur qui ne dévalorise pas" – ceci donnant lieu à simple constatation – nous oscillons toujours entre une compréhension individuelle et une compréhension disant culturelle, collective de la vie. Or dans la vie dont il est question en résurrection, il ne s'agit ni de la vie précisément individuelle, ni de la vie collective comme résultant de l'addition de vies individuelles, ni de la vie collective comme donnant matière à une lecture historique ou culturelle, ni de l'addition du point de vue collectif et du point de vue individuel, il s'agit du sens que le mot de vie peut acquérir en audition de la vocation délibérante[3] qui est le plus caché de notre monde et qui met en cause notre distinction du singulier et du pluriel.

Pour désigner cela, disons que la vie de résurrection s'entend eschatologiquement, ce qui met en cause les distinctions entre la nature et le métaphysique, entre l'individuel et le collectif…, mais c'est quelque chose que jamais nous ne possédons ! Là encore nous retrouvons cette même attitude de recevoir cela qui nous est suffisant pour dénoncer notre volonté de saisir, d'appréhender, et pour rendre grâce pour ce qui s'aperçoit.

 

Deuxièmement, il importe d'apercevoir le lieu de la liberté fidèle. C'est ce que nous avons essayé de faire en étant attentif au verbe "entendre" en tant qu'il précède la distinction entre la raison et l'obéissance banale, entre “tu vois” et “tu dois”. Il importe donc ici d'en venir à un mot comme hupakoê – qui a pour racine le verbe akoueïn, "entendre" – et que l'on traduit couramment par "obéissance". Par rapport à l'idée de chemin tracé, de dessein à remplir, de tracé à copier, il y a à découvrir la mise en œuvre de l'inouï et de cela qui s'entend en se mettant en œuvre, en se tentant. Et c'est tout à fait autre chose que de se conformer à une norme ou d'obéir à la loi.

« Que le plus secret vienne à œuvrer », c'est ce que nous traduisons, mal, par « Que ta volonté soit faite » …



[1] Les étudiants qui suivent le cours de Jean-Marie Martin sont censés suivre aussi un cours de théologie morale.

[2] Nietzsche écrivant en allemand, ce n'est qu'une traduction. Dans d'autres traductions, au lieu du mot "forcené" on d'autres mots : "fou"…

[3] Allusion à "Faisons l'homme à notre image" de Gn 1.

 

Commentaires