Le dévoilement comme notion-clé du discours chrétien originel, partie I – Cette notion chez Paul
La notion de dévoilement est une notion-clé du discours chrétien originel. Elle permet de lire les textes de saint Paul et ouvre de nombreuses portes, en particulier ce qui va du côté des sacrements. Cette première partie est constituée d'une introduction, et d'une étude à partir de textes de saint Paul : 1 Cor 2, 6-10 ; Rm 11, 33 ; Rm 16, 25 ; Col 2, 3. La deuxième partie qui est une étude à partir de saint Jean fera l'objet du message suivant.
La réflexion a déjà été amorcée dans les trois messages précédents où J-M Martin lisait Ep 1, 3-23 puis Ep 2, 11-22, et l'extrait du livre de Lucien Cerfaux sur l'Église céleste.
Le présent message est un chapitre d'un cours de J-M Martin à l'Institut Catholique de Paris dans les années 1970. Il date de 50 ans, et J-M Martin ne dirait plus les choses exactement de la même manière, mais ça reste une réflexion inégalée.
En prolongement du chapitre J-M Martin avait proposé une note documentaire sur la pensée chrétienne au IIe siècle, afin d'étudier certaines utilisations plus ou moins orthodoxes du schème de la parution (du dévoilement). Le contenu de cette note est du même ordre que ce qui est mis sur le blog dans Titres du Christ au IIe s. à partir de : La croix de lumière (Actes de Jean) ; un passage du Dialogue avec Tryphon de st Justin.
Le dévoilement, une notion-clé du discours chrétien originel
Jean-Marie Martin
Nous nous proposons de chercher la notion, ou la structure fondamentale de la pensée qui s'exprime dans le discours chrétien originel.
Cette notion, nous l'appelons ici "dévoilement", ou "révélation". Et en fait nous étudierons en deux temps :
- la notion même de dévoilement dans le langage de Paul ;
- une notion voisine, celle d'épiphanie dans le langage de Jean.
Il s'agit là d'une clé du discours christologique. Mais cette clé ouvre bien d'autres portes ;
- elle ouvre la porte de la connaissance chrétienne conçue comme révélation ou dévoilement,
- elle ouvre la porte du christianisme dans son ensemble, conçu comme sacrement – nous verrons que le terme de "sacrement" est un terme voisin du terme de "dévoilement" –;
- elle fonde la structure sacramentaire et l'activité sacramentaire de l'Église.
C'est donc une notion très fondamentale non seulement par rapport à la christologie mais par rapport au toutdu christianisme.
I – La notion de dévoilement chez Paul
C'est là un thème fondamental : "Dévoilement du mystêrion".
Nous disons "mystêrion" de préférence à "mystère" parce que le mot mystère, outre les emplois très approximatifs auxquels il donne lieu dans le langage courant, en théologie même, a déjà perdu beaucoup de son sens originel. En théologie il désigne l'au-delà ou le résidu de la parole divine, la cendre qui reste lorsque l'intelligence ou la raison a saisi tout ce qu'elle pouvait saisir de la parole de Dieu : le reste est mystère ! Or il ne s'agit pas du tout de cela dans le langage des origines. Et c'est simplement pour garder présent à l'esprit cette différence de visée que nous conservons habituellement le terme grec de mystêrion lorsque nous envisageons cette question.
Vous savez par ailleurs que, pour ce mot mystêrion, les traductions de la Bible donnent couramment le terme de "dessein" de Dieu. Nous verrons que c'est une traduction partiellement valable mais qui ne conduit pas à la saisie adéquate de ce qui est contenu originellement dans cette notion. C'est notre projet d'essayer de ressaisir ce contenu originel. Et pour essayer de le restituer en nous, nous sommes contraints de l'envisager successivement sous plusieurs aspects, en particulier deux aspects :
- d'abord l'aspect de manifestation ou de dévoilement au sens étroit que ce mot suscite aujourd'hui dans notre esprit,
- puis au sens d'énergie ou d'activité divine.
Il n'existe pas dans notre mentalité de concept qui compose simultanément ces deux aspects. Et un signe de cette difficulté, ou de cette impossibilité, se trouve dans l'histoire du mot "sacrement". Nous aurons à parler de l'histoire de ce mot sacrement qui traduit souvent le mot mystêrion.
Or nous analysons le sacrement de deux façons :
- comme "un signe" et c'est l'aspect de manifestation,
- comme un signe "efficace et actif " et c'est l'aspect d'activité.
Il nous faut, en fonction de notre grille mentale, deux concepts pour traduire ce qui se trouve réuni de façon originale dans la notion originelle de mystêrion.
Donc nous avons dit que nous envisagerions successivement deux aspects, l'aspect de manifestation de ce qui était caché, et l'aspect d'énergie divine.
1) Manifestation de ce qui était caché.
a) Introduction
Il nous faut considérer ici simultanément deux termes dont l'emploi est constamment corrélatif. Il est d'ailleurs vain de vouloir étudier un terme sinon dans un couple, c'est un principe général. Or ici les deux termes corrélatifs qui se trouvent constamment pensés et exprimés l'un par rapport à l'autre, sont :
- le terme de mystêrion dont nous venons de dire un mot,
- le terme d'apocalypsis. Calypsis vient de calyma (le voile) ; et apocalypsis, littéralement c'est le "dé-voilement".
Nous verrons que le mot de "caché", kécryménon en grec, se trouve lui, très fréquemment accolé au mot de mystêrion.
La racine du mot mystêrion (en fait mustêrion), c'est mu, du verbe mueïn, se taire ; c'est donc ce qui est tu, ou ce qui est en silence. Cela donnera une certaine signification profonde au dévoilement du silence qui est la parole. Vous percevez déjà une certaine organisation de la notion fondamentale dans le christianisme.
Nous insistons pour que vous attachiez beaucoup d'importance à ces remarques qui pourraient être prises après tout de façon superficielle assez simple, mais nous précisons bien que nous sommes ici véritablement très près de l'essentiel du christianisme qui prend conscience de soi comme révélation, comme dévoilement.
Et d'ailleurs on pourrait dire, à propos du mot "révélation" tel qu'il est employé aujourd'hui, à peu près la même chose que ce que nous disions tout à l'heure à propos du mot "mystère". En effet, sans parler du sens vulgaire courant de « c'est une révélation », déjà même le sens théologique de la "révélation" considérée comme une collection de propositions qui ne sont pas assurées logiquement mais qui sont assurées par l'attestation extrinsèque de l'autorité divine qui les dit, cette notion de révélation ne rend pas compte de ce qu'il y a, originellement, sous ce terme. Cela nous ferait dire d'ailleurs que, plus qu'une notion simple, nous avons affaire avec le mot "révélation" à ce que nous appellerions provisoirement ou approximativement, une "notion structurante", c'est-à-dire une notion qui affecte toutes les autres expressions du discours chrétien originel, et par suite le discours lui-même, la fonction même du discours. Par exemple la fonction de la parole dans l'Église demande à être repensée à partir de cette notion originelle de dévoilement. Vous voyez bien à quel titre nous l'examinons ici, non pas simplement comme une notion particulière dont on pourrait dire : “Ah, tiens ! elle est différente de la nôtre“, et puis lire le texte comme si de rien n'était… mais très précisément nous considérons cette notion comme une notion qui structure tout le reste, qui remet en question notre lecture de l'ensemble des autres notions, et même de la fonction du discours. C'est en ce sens que nous parlions de façon volontairement vague d'une "notion clé" dans notre titre.
C'est ici que s'insère, nous allons l'énoncer encore une fois, notre distinction d'un double schéma alternant :
- le schéma alternant qui va du prévu au réalisé ;
- le schéma alternant qui va du caché au manifesté.
Ce que nous voulons faire ici, c'est marquer la différence de ce schéma ancien que nous avons énoncé en second, par rapport à la façon dont nous serions tentés de le réduire dans notre langage, c'est-à-dire le comprendre comme allant de la prévision à la réalisation.
Nous expliquons. Nous pensons spontanément sur le schème de l'ouvrier ou de l'artisan – de l'artiste si vous voulez –, qui conçoit un projet, puis qui le réalise. C'est l'exemple du plan conçu par un architecte pour une maison ou d'une ville, par rapport à la réalisation finale de la maison ou de la ville ; un projet avec devis si vous voulez, par rapport à la réalisation. Or, dans nos sources, la relation se situe ailleurs. Il n'y a pas l'idée d'un projet par rapport à sa réalisation, mais l'idée de quelque chose qui est caché et qui se dévoile.
Ces deux alternances coïncident partiellement, et c'est pour cette raison que la traduction du caché ou du mystêrion par "dessein de Dieu" ou "projet divin" est partiellement valable, mais elle a le tort de le réduire à notre conception. Et en effet nous voulons montrer qu'il n'y a pas égalité entre les deux schémas alternants que nous venons de proposer.
En quoi consiste la différence ? Nous allons l'énoncer ici de façon plutôt descriptive et simple que rigoureusement analytique, ce sera suffisant. La différence se résume essentiellement en ceci que :
- dans le schème prévu/réalisé, tout le poids de réalité se trouve du côté de la réalisation car après tout, un projet ce n'est rien par rapport au réel ; et la réalisation ajoute très évidemment quelque chose au simple projet.
- dans le schème caché/dévoilé, le poids de vérité, ce sur quoi pèse le regard, est déjà tout entier du côté de la réalité cachée, et d'une certaine manière, le fait que cette réalité se dévoile ne lui ajoute rien.
Pour savoir ce que le dévoilement ajoute ou n'ajoute pas, il faudrait ici nous référer à l'étude de la notion d'"accomplissement", de "plérôme".
Un exemple caractéristique. En langage apocalyptique, saint Jean ne dira pas que Dieu a conçu le projet de construire une Jérusalem céleste, une ville ; mais il dit que la Jérusalem est cachée et qu'elle descendra du ciel, qu'elle se dévoilera (cf. Apocalypse 21).
Nous venons d'utiliser ici l'exemple de saint Jean dans l'Apocalypse et vous pourriez nous dire que nous faisons état d'un genre littéraire imagé très particulier qui est l'apocalyptique. Nous répondrons à cela une précision importante. Le mot "apocalyptique" comporte deux sens. Nous l'étudions ici au sens d'une structure que nous affirmons être commune à tout discours chrétien originel, à quelque genre littéraire qu'il appartienne. Mais dans un sens plus restreint, les historiens appellent généralement "apocalyptique" un genre littéraire caractérisé par sa thématique et son imagerie, un genre littéraire très répandu dans le monde juif et dans le monde chrétien des premiers siècles. Et si l'on parle de genre littéraire, en visant spécialement la thématique et l'imagerie, bien sûr c'est un genre parmi d'autres, un genre littéraire restreint. Par contre, si nous parlons de apocalypsis au sens de "dévoilement", donc non pas comme désignant un genre littéraire mais comme désignant une structure fondamentale de pensée, nous disons que cette structure fondamentale est commune à tout discours chrétien originel, et que c'est même elle qui en donne la clé.
Dont nous avons proposé ici une sorte de schéma fondamental dont la fécondité n'apparaîtra qu'ensuite, à propos de ce que ce schéma porte, supporte, véhicule, et nous en aurons très bientôt un certain nombre d'exemples. Cependant, nous vous prévenons, il ne suffit pas d'énoncer une fois ces choses pour qu'elles deviennent vivantes. Elles ne deviendront vivantes qu'à travers une lecture de certains textes du Nouveau Testament, avec cette préoccupation d'en dégager, d'en saisir ce mouvement intérieur de la pensée.
* * *
b) Textes de saint Paul.
Après cette première présentation, nous voudrions considérer quelques textes de Paul sur le "dévoilement du mystêrion". Au point de vue des sources de Paul concernant le mystêrion, on s'accorde à reconnaître aujourd'hui que ces sources sont sophiologique et apocalyptique c'est-à-dire qu'elles se réfèrent à la littérature sapientielle de l'Ancien Testament et au genre apocalyptique.
Cela apparaîtra, même à partir des exemples que nous allons choisir pour illustrer cette notion de mystêrion qui va se dévoilant.
Nous avons fait l'an dernier une étude, sommaire d'ailleurs, historique, sur l'éventuelle influence des religions à mystères – comme le mystère d'Éleusis par exemple –, dans la formation de cette pensée. Mais c'est un problème qui concerne plutôt les mystères que "le mystêrion". Nous n'y faisons pas d'allusion plus précise cette année.
Donc quelques textes.
● 1 Cor 2, 6-10
Un exemple des plus caractéristiques se trouve en 1Cor 2, 6 sq. Le contexte de ce passage est celui-ci : saint Paul a contre-distingué la parole chrétienne qui est dynamis et pneuma (esprit), de la parole de sagesse, c'est-à-dire peut-être de la parole des philosophes ou du rhéteur, en tout cas de la parole de la sagesse humaine.
Il ajoute : « 6Nous parlons une sagesse parmi les parfaits, mais non [une sagesse] de cet éon – ce mot est très difficile à traduire, on le traduit souvent par "siècle" mais ce n'est pas un siècle de cent ans – ni des princes de ce monde voués à la destruction (qui ont été réfutés, confondus) – Cette victoire sur les archontes et les puissances est d'ailleurs une des expressions de la résurrection. Vous savez que les archontes, ce sont les principes, les princes qui font obstacle, qui limitent l'humanité. Le dernier de ces archontes, le plus terrible, c'est la mort, et la mort qui a été vaincue par la résurrection. Mais Paul connaît beaucoup d'autres archontes, de princes ou de principes qui limitent l'humanité, y compris cette pseudo-sagesse du monde. Nous avons beaucoup de mal à entrer dans cette situation pourtant cela serait susceptible de traduction dans notre langage – 7mais au contraire nous parlons une sagesse de Dieu, celle qui est cachée en secret (en mustêriô), – le rapport du mot "caché" et du mot "mustêrion" est fréquent chez Paul, nous en avons là un exemple – que le Dieu a pré-disposée (pré-destinée) dès avant les éons pour notre gloire – le mot pré-disposé (proôrisen) se retrouve fréquemment[1]. Il faudrait presque traduire "celle que Dieu a pré-constituée" – 8[sagesse] qu'aucun des archontes de cet âge[2] n'a connue. En effet, s'ils l'avaient connue, ils n'auraient pas crucifié le Seigneur de la gloire. – Les archontes, ce sont donc tous ces gens qui ont un certain pouvoir de contrainte, de limitation sur la vie humaine, y compris d'ailleurs certains pouvoirs judiciaires ou civils qui se sont exercés contre le Christ mais qui sont entendus ici dans un sens de contrainte qui n'est pas d'une autre zone que la contrainte de la mort. C'est cette terrible ignorance qui a conduit à la crucifixion du Seigneur de la gloire, c'est cet aveuglement, c'est-à-dire ce voile posé qui explique la possibilité de la crucifixion du Seigneur de la gloire.
9Mais selon ce qui est écrit – Paul cite ici un très beau texte d'Isaïe qu'on peut appeler mystérique[3] – “ce que l'œil n'a pas vu, ce que l'oreille n'a pas entendu – ce que nous appelons l'inouï, au sens d'in-ouï – ce qui n'est pas monté au cœur de l'homme – le cœur étant considéré ici comme centre de la connaissance humaine, cela en langage hébraïque – toutes les choses que Dieu a préparées – la notion de pré-paration (étoïmasen) est assez proche de la notion d'héritage et très fréquente. C'est une notion très importante pour la compréhension du langage qui appartient au domaine de la constitution des réserves, la constitution du caché. Nous verrons que, par ailleurs, c'est un mot qui appartient à l'apocalyptique sous ce rapport, la constitution des réserves de Dieu. – pour ceux qu'il aime. 10À nous Dieu l'a dévoilé par son pneuma (son Esprit).
● Parenthèse sur le mot pneuma.
Par "pneuma", Esprit de Dieu, il faut entendre aussi des choses que nous avons l'habitude de disjoindre, il faut entendre simultanément un disant et un dit, ou un pensant et un pensé ; nous dirions une doctrine et une influence. Nous expliquons cela.
Nous distinguons très bien la doctrine de ce que nous appelons aujourd'hui l'influence qui vient par ailleurs, verticalement, et qui nous aide à comprendre la doctrine. Or ce même mot de pneuma désigne aussi la doctrine, on le voit quand il est question de discernement des esprits (des pneumata) : il s'agit de discerner les doctrines vraies et les doctrines fausses[4] (« 1Ne croyez pas à tout pneuma mais éprouvez les pneumata, s'ils sont de Dieu »). Donc pour les Anciens, ce qui est pneuma, c'est la doctrine influente, et d'une influence secrète.
C'est cela le pneuma de Dieu. Et cette doctrine active forme mon esprit, l'informe au sens fort. Pour employer le langage johannique, ce pneuma oint mon esprit. Et cet aspect d'onction de mon esprit se manifeste comme événement pour moi dans l'onction sacramentelle qui en est le symbole.
Vous voyez cette espèce de jonction qu'il faut que nous essayions de réaliser car elle n'est pas conforme à notre façon habituelle de disjoindre les concepts. Nous vous signalons d'ailleurs que nous avons été très heureux de rencontrer une réflexion de ce genre, qui corrobore notre propre soupçon, dans un très bel article du père Ignace de la Potterie publié dans la collection Unam Sanctam, il s'agit d'un recueil d'articles, La vie selon l'Esprit.
Autrement dit, Dieu nous a dévoilé ces choses préparées ou secrètes, par l'intermédiaire de son pneuma. C'est là qu'on trouve un texte bien connu. – Car le pneuma investigue tout, même les profondeurs de Dieu – les profondeurs (ta bathê) est un terme très important pour désigner aussi cette région cachée, elles seront à mettre en rapport avec les richesses, les trésors… d'autres termes plus ou moins synonymes dans le langage de Paul. Or le pneuma qui nous est donné, qui est la résurrection en tant que recueillie, et recueillie dans le discours de foi de l'apôtre, cela fouille les profondeurs de Dieu.
11Qui parmi les hommes sait ce qui est de l'homme sinon le pneuma de l'homme qui est en lui. De la même manière personne n'a connu les choses de Dieu sinon le pneuma de Dieu. 12Nous, nous n'avons pas reçu le pneuma cosmique, mais [nous avons reçu] le pneuma qui est de Dieu – vous entendez par là ce pneuma qui nous a été donné, et qui dévoile la réalité cachée – afin que nous voyions les choses dont Dieu nous fait don. »
Voilà un texte magnifique que nous avons glosé. Nous avons voulu le gloser en retenant certains échos qui sont suscités par les mots grecs et qui ne sont pas nécessairement rendus dans toutes les traductions. Voilà un texte qui est bien fait pour nous faire entendre cette conception d'un dévoilement par la communication du Pneuma ou du Christ ressuscité – puisque c'est la même chose dans la théologie archaïque –, le dévoilement des choses que Dieu a préparées et qui sont cachées.
À ce texte de Paul nous voudrions ajouter quelques autres textes.
● Rm 11, 33.
« Ô profondeur de la richesse et de la sagesse, qu'insondables sont ses jugements, et impénétrables ses voies. »
Profondeur (bathos)… la profondeur du caché ;
- ploutos (richesse) qui est un nom des réserves de Dieu, de ses réserves "riches" par opposition à notre pauvreté ;
- "la sagesse" est cette réalité déterminante, intérieure et cachée qui est en Dieu.
Richesse et sagesse, tout cela c'est le caché.
● Rm 16, 25
Voici le début de la doxologie finale de l'épître aux Romains (Rm 16, 25-27) : « 25À celui qui peut vous confirmer (vous rendre ferme) selon mon Évangile et l'annonce de Jésus Christ, selon l'apocalypsis du mystêrion (le dévoilement du secret) qui avait été tenu en silence dans les âges et les temps (kronoïs aïonos), 26qui a été manifesté maintenant – ce n'est pas le mot apocalypsis ici mais un mot très proche, phanérôsis (manifestation) – dans les écrits prophétiques – on pourrait croire que Paul ne parle pas ici de la résurrection, mais en fait il lit la résurrection dans le Psaume 110, dans Gn 1, 1sq ; et c'est la même chose qui nous a été manifestée dans les écrits prophétiques – pour l'audition de la foi… »
Nous avons noté ce passage parce qu'il nous donne occasion de préciser un certain nombre d'équivalences du caché par rapport à la parole de dévoilement, et l'emploi du terme silence (sigué) qui se trouve ici sous forme d'un participe : sigéménou (tenu en silence).
● Parenthèse sur les textes autres que les grandes épîtres de Paul
Les textes auxquels nous venons de faire allusion appartiennent à ce qu'on appelle couramment les grandes épîtres de Paul. On trouve ailleurs, dans la littérature chrétienne originelle, en particulier dans la première épître de Pierre, des expressions semblables.
En particulier il faudrait lire le chapitre premier de 1 Pierre où il est question de ces choses qui sont réservées par Dieu, qui sont préexistantes, qui sont l'héritage (kléronomia), selon la mystique juive de l'héritage réservé. Nous verrons quel usage saint Paul lui-même fera de cette notion d'héritage.
Il nous faut ajouter les épîtres de la captivité de saint Paul où ces termes de mystêrion et d'apocalypsis sont encore plus abondants, plus fréquents et plus explicites.
Si nous avons cité d'abord les grandes épîtres, c'est pour vous montrer que, quoi qu'en disent certains, ces notions ne sont pas advenues à la pensée paulinienne en cours de route, mais qu'elles sont très originelles.
● Col 2, 3
Il s'agit « du mystêrion de Dieu, le Christ, 3dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse (sophia) et de la connaissance (gnôsis) ». On a ici les "trésors", autre expression sophiologique qui désigne la même chose que ce que nous avons vu dans Rm 11, 33 comme "richesses". Ce sont les réserves, les ressources, les granges, les réservoirs, les silos – de la sagesse et de la science. Ces trésors sont cachés en lui et c'est pour ça que c'est de lui qu'ils se dévoilent.
c) Les premières choses créées, les réserves de Dieu…
La notion de "trésors" nous conduit par ailleurs vers une notion qui va se préciser de plus en plus au cours de ce chapitre, mais aussi au cours de nos premières études de christologie en général, la notion surtout exprimée en judéo-christianisme, des premières choses constituées, qui constituent à leur tour comme une réserve pour nous, les premières choses que Dieu a créées et qui sont ses réserves. C'est la doctrine judéo-chrétienne en particulier des protoktistes, un mot qui signifie littéralement "premier créé", donc il s'agit des premières choses créées.
À propos des protoktistes, vous pourriez voir par exemple La théologie du judéo-christianisme du père Daniélou, tome I, avant le concile de Nicée. C'est dans cette perspective que nous avons vu l'an dernier que le Christ était lui-même le premier constitué, le premier-né (prôtotokos) – avant tout autre créature, faut-il entendre. Vous voyez cette réflexion sur cette constitution préalable du monde du caché qui ira se dévoilant.
Donc des trésors. Entre autres, dans ces textes il est question des sources – pégé (source) – des réserves, d'un héritage, des protoktistes, des richesses. Si nous voulions gloser, nous dirions les greniers, les granges, les celliers, les caves de Dieu. Cela constitue ce qu'il y a de foncier, de véritable, qui se déverse ou qui se dévoile selon la volonté de Dieu.
Il faut mettre ceci en rapport avec le genre apocalyptique – nous prenons ici le mot "apocalypse" désormais au sens plus restreint du genre littéraire – dont l'expression est constituée très souvent par les descriptions des différents cieux ou espaces sacrés, description des différentes réserves de Dieu. Vous connaissez bien cette figuration, cet imaginaire étonnant de l'apocalyptique où les cieux sont décrits.
Si vous voulez avoir le dernier écho de cette imagerie dans la littérature qui nous est plus accessible et qui est explicitement d'ailleurs inspiré d'une apocalyptique ancienne, lisez la Divine comédie de Dante, ce voyage à travers les sphères, à travers les cieux.
● Le Livre d'Hénoch
À la limite, nous aurions pu vous apporter un texte d'apocalypse qu'on appelle le Livre d'Hénoch. Vous auriez vu des choses très étranges au premier abord : la description des sources de la lumière, et puis l'endroit où se trouvent les portes de la lumière, c'est-à-dire par où elle entre ; la description des greniers de la grêle, des greniers de la manne, les réservoirs des pluies[5]. Ne croyez surtout pas qu'il s'agisse là de choses naïves. Toutes ces choses sont prises en un sens rigoureusement, profondément symbolique par ces auteurs… Dieu parfois ouvre les vannes, et Dieu parfois les ferme ; tantôt il retient et tantôt il manifeste. De la même manière, il ouvre les portes de sa miséricorde, ou bien au contraire il ouvre les orifices de sa colère et alors il verse les fioles de sa colère sur le monde.
● Dire la nouveauté christique.
Cette notion de "colère de Dieu", comme corrélatif de la notion de "miséricorde", est extrêmement importante pour saisir certains mouvements de pensée en quoi s'exprime notre christianisme originel. En effet, le christianisme s'est saisi originellement comme l'âge, c'est-à-dire comme la saison – car vous savez bien que l'ouverture des pluies ou des vents est liée à la notion de saison –, comme le kaïros (l'âge favorable), celui de la miséricorde. La proclamation de l'Évangile c'est : voici la saison de la miséricorde, voici que Dieu a ouvert les vannes de sa miséricorde sur le monde. Une sorte d'imagerie extrêmement parlante par quoi le christianisme naissant a pris conscience de sa nouveauté.
Il y aurait beaucoup de choses plus précises à dire. Mais il nous suffit d'avoir dit cela. Nous voudrions susciter avant toute une sorte d'imagerie, réveiller une possibilité d'imaginaire qui est en vous aussi, qui appartient au fond à la psyché à travers quoi s'est exprimé le christianisme originel, qui nous le rend donc communicable et audible ; détecter en nous cette possibilité de lecture et nous rendre audible la parole originelle, le discours chrétien originel.
Nous ne disons pas du tout que cela nous permette de le répéter au catéchisme demain !
● L'Église céleste créée avant le soleil et la lune[6].
De même l'apocalyptique, chez Jean et chez Paul, considérera parmi les premières choses constituées, l'Église céleste. C'est très étonnant.
On trouve par exemple la mention de “l'Église créée avant le soleil et la lune”[7] dans une homélie du IIe siècle, la seconde épître de Clément. Dans l'Écriture nous avons : « avant la création du monde » (Ep 1, 3 ; Ap 13, 8), et ici c'est « avant le soleil et la lune ».
Parler d'Église céleste, si l'on prend l'Église pour le club des gens qui ont la même opinion sur Dieu, évidemment c'est invraisemblable ! Mais ce qui est visé par "Église céleste", c'est la réalité mystique, la réalité mystérieuse de l'Église qui est considérée comme préexistante et venant se dévoiler à un certain âge. Il ne faut pas confondre cela avec ce que nous appelons "l'Église du ciel" qui est une portion, si l'on peut ainsi parler, de l'ensemble des fils de Dieu, cette Église étant contre-distinguée de "l'Église de la terre" par exemple. Or ce n'est pas un rapport de portion à portion qui est envisagé ici, c'est un rapport de totalité préexistante à totalité manifestée.
d) La notion de "prédestination" (proorismos) dans le Christ. Ep 1, 3-10.
Nous essayons de montrer ici certaines fécondités du principe que nous avons acquis, en quoi il est clé et ouvre à un certain nombre de notions. Il nous faudrait relire ici, dans cette perspective, la notion qui a été si mal comprise au cours de l'histoire chrétienne et qui a donné lieu à tant de problèmes et d'angoisses aussi, la notion de "prédestination" (proorismos) dans le Christ [qui sera traduit ici par "prédétermination"]. Elle est évidemment exprimée en langage symbolique d'antériorité, comme tout ce caché. Il ne s'agit pas là simplement de ce que nous appellerions un projet ou un plan sur notre vie que nous n'aurions plus qu'à réaliser, soit qu'il s'agisse de la vie individuelle, soit même comme c'est généralement envisagé dans saint Paul et dans le Nouveau Testament en général, d'une prédestination de l'humanité.
La meilleure caractéristique de ceci, c'est le début de l'épître aux Éphésiens : « 3Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ qui nous a bénis en pleine bénédiction pneumatique dans les lieux célestes, dans le Christ– dans le Christ préexistant dans les lieux célestes – 4selon qu'il nous a choisis en lui avant la constitution du monde (pro katabolê kosmou) pour que nous soyons consacrés et sans tache devant lui, 5dans son amour (dans son soin, dans son souci) nous ayant pré-déterminés (proorisas) pour être fils par Jésus Christ selon l'agrément de sa volonté, 6pour la louange de la gloire de sa grâce qu'il nous a donnée libéralement dans le Bien-aimé 7dans lequel nous avons la rédemption par son sang, la levée des transgressions… » Ensuite il est constamment question de cette volonté de Dieu[8].
Cette volonté (thélêma) qui se trouve un très grand nombre de fois dans ce paragraphe, c'est ce qui constitue la réalité du manifesté, à savoir la Parole de Dieu.
Et par ailleurs, ce qui constitue la réalité du caché, c'est la Sagesse ou la volonté constituante de Dieu. Nous avons là comme les premiers balbutiements d'une doctrine de la Trinité. En réalité nous avons là ce qu'on pourrait appeler une sorte de doctrine des puissances de Dieu auxquelles sont attribués certains effets : le Logos (Parole), la Sophia (Sagesse)…, puissances généralement divisées en fonction de cette notion de constitution du caché ou de manifestation du caché. La première pensée trinitaire prendra conscience de soi à travers cette première théologie des puissances, elle évoluera ensuite beaucoup, et la pensée trinitaire de Nicée sera évidemment assez éloignée de ces préoccupations initiales.
Donc il y a là une sorte de réalité cachée de nous qui est antérieure à la création du monde - si on veut parler d'un symbolisme temporel, qui est supérieure à ce monde - si l'on veut parler d'un symbolisme spatial, deux choses qui d'ailleurs se recouvrent et disent le même. Et cela est très difficile à saisir, parce qu'il y a deux risques : le risque d'entendre cette sorte de préexistence simplement au sens d'un projet ; après tout il est facile de comprendre – encore que ce soit d'une naïveté incroyable –, mais enfin il est devenu facile pour notre esprit de comprendre que Dieu a pensé à nous avant la création du monde ! Il y a un autre risque, tout à fait opposé, qui serait d'entendre une existence physique des âmes antérieures à leur vie cosmique, à leur vie empirique, ce qui serait également une traduction fausse, celle que l'on prête généralement à Origène. Que les successeurs d'Origène aient eu tendance à voir cela chez lui, et l'aient condamné pour cette raison, nous le pensons, mais nous pensons aussi que la pensée d'Origène est beaucoup plus subtile que cela. Et ce qui nous importe, à nous, c'est d'arriver à cette structure de pensée dans laquelle on ne réduit pas cela à un simple projet, sans nécessairement tomber dans l'idée de préexistence physique, pour affirmer notre être fondamental en Dieu, car c'est de cela qu'il s'agit. Nous comprenons très bien que le risque de conception de préexistence physique est plus grave que la réduction à la conception d'une sorte de prévoyance de Dieu, c'est pourquoi celle-ci a prévalu. Elle n'est pas dangereuse, elle est simplement naïve !
Mais revenons à notre texte « … selon la richesse de sa grâce 8qu'il a fait découler pour nous en toute sagesse et prudence, 9nous ayant fait connaître – "faire connaître" – la notion de "faire voir" est en un certain sens plus fondamentale dans ces textes que la notion de "voir". Pour nous, il faut deux mots : faire et voir. Oh ! Ce n'est qu'un indice, mais qui montre comment la notion de dévoilement, c'est-à-dire de "faire voir" est combien originelle, combien fondamentale.
Nous ayons fait connaître quoi ? Le mystêrion de sa volontéselon l'agrément qu'il avait pré-disposé en lui 10pour l'économie – c'est un mot très difficile à traduire : l'économie, l'aménagement, c'est une traduction vraiment très approximative – (l'économie) de la plénitude des temps (de l'accomplissement des saisons) … » Il y a ici double sens pour le mot "plérôme" : plénitude ou accomplissement. Comme ici c'est par rapport au sens temporel de saison, c'est le terme d'accomplissement qui convient mieux que plénitude, et de plus kaïros qui est employé ici, nous le savons, ne correspond pas simplement à kronos, le temps en général, c'est vraiment le temps favorable, la saison.
L'an dernier, dans une étude plus attentive de cette notion de mustêrion, nous avions fait état d'une objection possible, selon laquelle en fait, le contexte de la captivité dans lequel le mustêrion est évoqué, est surtout un contexte de réunification du peuple juif et des nations, d'où l'objection des gens qui aiment bien minimiser les textes : « vous lisez là des choses énormes, mais qu'est-ce que cela désigne ? Cela désigne le projet que Dieu a fait de réunir le peuple juif et les autres peuples. » Et nous avons victorieusement répondu à cette difficulté en réfléchissant justement à ce que, pour Paul, la réunification du peuple juif et des nations n'est pas un problème racial ni géographique, il s'agit en réalité de la jonction de l'Israël préexistant de Dieu (qui ne se confond pas entièrement avec le peuple juif), et de la totalité de l'humanité. Autrement dit, il s'agit précisément de ce mystère fondamental du dévoilement de l'Israël caché dans les nations. Mais cela, il faut évidemment le justifier, le resituer, et nous n'y faisons ici qu'une simple allusion.
2) Énergie divine.
Nous avions dit qu'en un premier temps, le plus important en quantité, nous envisagions la manifestation de ce qui était caché, et il nous faudrait, en un second temps, étudier l'activité (ou l'énergie) divine en œuvre dans le monde.
Ce qui est en question là encore, ce sont les rapports du connaître et de l'advenir.
Aujourd'hui, nous restons toujours plus ou moins sur cette idée sommaire qu'il y a eu la création, qu'elle est advenue une bonne fois de par Dieu, et qu'elle fournit un cadre dans lequel éventuellement ensuite Dieu parle et nous fait connaître des choses. Autrement dit, dans notre esprit, se joignent une idée théologico-vulgaire de création et une idée éventuelle de révélation.
Or il faut voir qu'historiquement c'est l'inverse qui s'est produit, c'est-à-dire que le peuple juif a pris conscience d'abord de la parole de Dieu le constituant comme peuple, et a ensuite appliqué cette idée à l'origine du monde : la parole dévoilante fait le peuple, et c'est la même parole qui constitue le monde. Autrement dit, dévoilement et constitution ne sont pas deux choses. Il n'y a pas deux paroles de Dieu, l'une qui serait créatrice et l'autre, ultérieurement, éventuellement, qui serait révélatrice. Il y a la parole de Dieu qui parle, donc dévoile, et, dévoilant, constitue, fait les choses.
D'où l'idée à laquelle nous faisions allusion dans notre étude générale du symbole, celle d'une parole active, très différente de notre idée de la parole purement dissertante ou opinante.
En un sens la notion de dévoilement serait très dangereuse si nous la considérions sans précision faite de cet aspect, elle risquerait de nous donner un certain christianisme en dehors de la réalité des choses. Le Christ manifeste, dévoile etc. mais il faut voir que dévoiler, c'est en même temps faire, c'est en même temps assumer, c'est en même temps vivre l'histoire. Tout ceci est impliqué par la notion originelle de dévoilement.
Ce que nous voulons marquer ici – nous répétons maintenant d'autres formules que nous avons déjà eu l'occasion de dire mais qui sont consonantes à cette préoccupation axiale, centrale chez nous – c'est que la parole de Dieu ne se borne pas à notifier, à être une parole "sur" quelque chose, c'est une parole qui fait ce qu'elle dit, c'est une parole active.
Et corrélativement cela a une grande conséquence dans la conception de la connaissance dans le christianisme. En effet, la foi n'est pas une connaissance sur le salut donné à l'humanité, la foi n'est pas une documentation sur ce que l'on pense à propos de l'humanité, la foi ne documente pas seulement, mais la foi me sauve, la foi fait le salut : la foi ne commente pas seulement, mais elle "fait" le salut.
Là encore il s'agit d'une parole ou d'une connaissance active. Et nous voyons bien comment nous sommes, dans notre langage courant, constamment tenté de disjoindre la notion de documentation sur quelque chose ou de révélation, et la notion d'activité ou de transformation. Or cette disjonction est profondément étrangère à la structure mentale qui véhicule la parole de Dieu dans nos sources.
Pour illustrer cette idée, reprenons Ep 1, 17-23 :
« 17Que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de gloire, vous donne un pneuma de sagesse et d'apocalupsis (de dévoilement), dans la connaissance de lui-même, 18ayant les yeux de votre cœur éclairés, pour que vous voyiez quelle est l'espérance de votre appel – Et la notion objective d'espérance, c'est la chose espérée originellement, ou autrement dit la réserve à quoi vous êtes appelés –quelle est la richesse (ploutos) – nous retrouvons ce terme de la richesse, et juste après celui d'héritage – de la gloire de son héritage dans les consacrés – et L. Cerfaux a bien montré que les consacrés (les saints) ici, c'est primitivement l'Ekklêsia c'est-à-dire cette assemblée des bénis dans les siècles d'avant la création du monde – 19que vous voyez quelle est la grandeur suréminente de sa puissance exercée envers nous qui avons cru – qu'est-ce qui nous fait croire ? – selon la mise en œuvre (énergeïan) de la force (kratous) de sa puissance (iskhuos) – énergeïa, kratos, iskhus, sont trois mots qui disent également la force ; cela indique que le dévoilement est en même temps une mise en œuvre, cette mise en œuvre qui est la foi – (puissance) 20qu'il a mise en œuvre dans le Christ en le ressuscitant des morts – là c'est la réalité transformante qui est mise dans un rapport étroit avec le fait pour nous de voir – en le faisant asseoir à sa droite dans les lieux célestes,21au dessus de toute principauté, autorité, puissance et seigneurie et de tout nom pouvant être nommé,non seulement dans cet éon mais dans l'éon à venir, 22et il a placé toutes choses sous ses pieds, et il l'a donné au-dessus de tout à l'Ekklêsia (l'humanité convoquée) 23qui est son corps, l'accomplissement de celui qui s'accomplit totalement en tous. »
C'est un texte à propos de l'Église "Corps du Christ" qui est de toute première importance. Ce qui nous intéresse ici maintenant, c'est précisément le rapport constant entre l'aspect d'activité et l'aspect de connaissance. Vous pourriez par exemple vous amuser à prendre ce texte, à mettre d'un côté les mots qui se rapportent au vocabulaire de la connaissance – ils sont très nombreux –, et puis d'un autre côté les mots qui se rapportent au vocabulaire de l'activité, puis voir comment ces deux ensembles sont mêlés et comment ils désignent la même réalité.
Autrement dit, c'est la même énergie de Dieu qui fait en nous le dévoilement de la foi et qui a ressuscité le Christ : croire découle de l'énergie même de la résurrection du Christ. Il n'y a pas de petite distinction entre d'une part un fait qui serait la résurrection et puis d'autre part une doctrine ou une opinion sur Dieu qui serait la foi. C'est la même énergie de Dieu qui fait l'un et l'autre, et l'un "dans" l'autre.
Et même si le mot de mystêrion n'est pas prononcé (il l'était au verset 9), on trouve tout le vocabulaire du dévoilement (apocalypsis et tout ce qui s'y rapporte). Tout cela est vu précisément dans l'activité de Dieu qui fait et qui, faisant, dévoile ce qu'il fait. Autrement dit ce "faire voir", ce "faire savoir" le salut est en même l'acte de sauver.
Et si nous prenons la résurrection du Christ comme dévoilement de l'activité de Dieu, alors nous voyons que l'activité qui se manifeste dans cette résurrection dévoile la gloire qui est héritage de l'humanité.
Critique de la distinction des œuvres et de la foi.
Ce que nous venons de voir met en cause notre compréhension spontanée de la connaissance comme distinguée de l'activité. Nous savons que si nous voulons entendre ces textes il faut nous défaire de ces schèmes qui nous constituent. Et c'est à cette seule condition qu'on peut comprendre le mot de Paul selon lequel la foi "est" le salut. La foi ne parle pas seulement sur le salut, c'est le salut. Les vicissitudes de la compréhension des mots de connaissance et d'agir au cours des siècles en Occident, ont créé les problèmes bien connus de la foi seule, de la foi qui sauve, de la foi sans les œuvres, de "la foi ou les œuvres"… tout cela provenant précisément d'une méconnaissance du sens authentique et premier de apocalupsis et pisteueïn, de dévoilement et de croire.
La réflexion que nous venons de faire s'entend sur les deux versants, à savoir que notre notion de connaissance doit se gonfler d'un sens de l'activité, mais aussi que notre compréhension de l'activité et par suite de ce que nous appelons du fait, le fait de la résurrection, doit se remplir de la notion de connaissance[9].
Voilà de quoi essayer de réfléchir non pas simplement de façon thématique – encore qu'il faille commencer par là – pour arriver à faire que ces schèmes deviennent schèmes de pensée dans votre esprit.
N B : La deuxième partie est dans la message suivant qui paraîtra vers le 10 août.
[1] Cf. le message sur Rm 8, 29-30 et Ep 1, 3-23.
[2] Le mot aïôn est très difficile à traduire. On traduit par "siècle" mais ce n'est pas un siècle de cent ans, c'est un espace-temps, un régime, un règne, un royaume, donc un espace régi.
[3] C'est une combinaison de deux textes : Isaïe 64,3 et Jérémie 3, 16.
[4] Au début du chapitre 4 de sa première lettre Jean nous dit : « 1Ne croyez pas à tout pneuma mais éprouvez les pneumata, s'ils sont de Dieu…. 6… À ceci nous reconnaissons le pneuma de la vérité et le pneuma de l'erreur. » Il y a donc ici le thème du discernement des esprits : esprit de vérité et esprit d'erreur. Un message sera publié prochainement sur ce thème.
[5] Livre d'Hénoch. Chapitre 39. 2Là encore mes yeux contemplèrent les secrets de la foudre et du tonnerre, les secrets des vents, comment ils se divisent quand ils soufflent sur la terre ; les secrets des vents, de la rosée et des nuées. Je vis le lieu de leur origine, l’endroit d’où ils s’échappent, pour aller se rassasier de la poussière de la terre. 3Là je vis les réceptacles d’où sortent les vents en se séparant ; les trésors de la grêle, les trésors de la neige, les trésors des nuages, et cette même nuée qui, avant la création du monde, planait sur la surface de la terre. .. Chapitre 46 1Dans ce temps-là, j’aperçus la source de la justice, qui ne tarissait jamais, et d’où s'émanaient une multitude de petits ruisseaux, qui étaient les ruisseaux de la sagesse. C’est là que tous ceux qui avaient soif venaient boire, et ils se trouvaient soudain remplis de sagesse, et ils faisaient leur demeure avec les justes, les élus et les saints. (https://fr.wikisource.org/wiki/Livre_d%E2%80%99H%C3%A9noch_(Migne) )
[6] Voir le message précédent qui reprend ce que dit Lucien Cerfaux sur "l'Église céleste" dans La théologie de l'Église suivant saint Paul, Cerf, 1965.
[7] « En faisant la volonté de notre Père nous appartiendrons à la première Église spirituelle qui fut créé avant le soleil et la lune. […] Les livres des prophètes et des apôtres enseignent que l'Église ne date pas d'à présent mais de l'origine ; elle était spirituelle tout comme notre Seigneur, et elle est "apparue" dans les derniers temps pour nous sauver. Et l'Église qui était spirituelle est devenue visible dans la chair du Christ… » (Clément de Rome, 2e lettre, XIV, 1)
[8] Cf. les deux messages où est lu ce 1er chapitre : Lecture suivie d'Ephésiens 1. Deux moments du texte ; gisement de vocabulaire et récemment "Rm 8, 29-30 et Ep 1, 3-23".
[9] « Se lever, marcher, s'éveiller, se remémorer, connaître, tels sont les mots qui développent le plus souvent la nouvelle naissance ou la résurrection. C'est avec ces mots-là que Paul parle à notre expérience : égeïreïn, que nous traduisons par ressusciter, signifie faire lever, éveiller ; “Éveille-toi, ô toi qui dors” ; anastasis, que l'on traduit par résurrection, désigne le fait de se remettre debout ; “Lève-toi et marche” ; “marcher en nouveauté de vie” ; c'est ce qui donne sens à anagennésis, nouvelle naissance. Le surgissement du nouveau sur l'ancien, l'émerveillement de la lumière après la ténèbre, le trait de la "connaissance" après l'ignorance, la liberté après la servitude : tout le vocabulaire de Paul commente la Résurrection. Ce vocabulaire énumère les lieux de notre expérience aptes à devenir une trace pour l'approche, un écho pour la Parole. » (Anamnèse. Évangile, Eucharistie, Église. (Article de J-M Martin paru dans Christus n° 76, octobre 1972))