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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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21 septembre 2013

Les eaux usées de l'Occident, article de J-M Martin paru dans Christus n° 153, Janvier 1992

Interview de Jean-Marie Martin faite par Régine du Charlat et Claude Flipo.

 

 

Les eaux usées de l'Occident

 

Christus : Vous enseignez la théologie et, à ce titre, vous avez beaucoup réfléchi sur le symbolisme dans l'Écriture. Quelles lectures faites-vous du phénomène New Age ?

Jean-Marie MARTIN : Les informations sur le New Age peuvent être lues de deux façons : comme la description de tendances, opinions, humeurs d'un nombre croissant de nos contemporains, ou bien comme la volonté d'institution – je prends à dessein ce mot – d'une nouvelle religion. Mon attitude n'est pas la même dans les deux cas. Dans le premier cas, j'entends dans un certain nombre de ces aspirations des recherches qui ne sont pas sans consonance avec l'Évangile. Tout en étant différentes ou même déviantes, elles peuvent néanmoins être ressaisies dans l'histoire singulière de quelqu'un comme des alertes qui mettent en relief des aspects de l'Évangile que nos lectures antérieures n'ont pas encore perçus. Nous n'avons pas épuisé les ressources de l'Évangile, et ce qui peut paraître des détours, par rapport aux prises que nous avons déjà faites, peut être, dans un second temps, relu comme occasion d'apercevoir des aspects qui jusqu'ici n'avaient pas été perçus.

Dans le second cas, je serais infiniment réticent. En effet, qu'en est-il de ce qui est ainsi désigné par le mot « religion » ? Qu'est-ce que l'instauration d'une religion ?...

► Que mettez-vous sous ces mots « les eaux usées de l'Occident », ou « l'extrême de l'Occident » ?

J-M M : Pour reprendre une autre image, je dirais que si l'on a assisté récemment à la rigidité cadavérique de l'Occident dans le rationalisme, je suis tenté de lire ce qui se manifeste maintenant comme la corruption, la dissolution qui suit. Pourquoi ? Ce qui fait le lieu de réception de l'ensemble des références diverses auxquelles il est fait appel, c'est ultimement la psychologie. Et la psychologie est le site dernier de la pensée occidentale, le site moderne. Même quand il pourrait s'agir de parapsychologie, de métapsychologie, le mot référentiel reste psychologie.

► Votre sentiment est qu'une exacerbation de la psychologie serait plutôt un signe de décadence ?

J-M M : Absolument. La religiosité va se nicher dans la subjectivité. Le mot de subjectivité est un des aspects du règne de la psychologie. Le concept dominant de confort en est un exemple particulier qui mériterait d'être examiné. Des pratiques extrême-orientales qui visent à harmoniser, ou qui impliquent une autre perception des rapports de l'être et du corps, sont transférées du site oriental au site de l'occidentalité moderne. Je crois qu'on se trompe beaucoup quand on croit alors les entendre.

► La psychologie prend la place du plus réel du réel. Est-ce que cela installe la conscience moderne à un niveau qui n'est pas le tout des choses ?

J-M M : Il faut bien entendre le lieu de cette critique. Je ne refuse pas ici la suffisance du terrain psychologique au titre d'un autre terrain qui serait celui de l'ontologie, habité à l'époque médiévale. Mais c'est du point de vue de l'Évangile, qui n'est pas construit sur la distinction de l'ontologie et de la psychologie, que je me situerai.

► J'aimerais vous poser la question entendue si souvent chez les chrétiens et les gens du New Age au sujet de la vérité : la vérité est ailleurs. Vous avez parlé des eaux usées de l'Occident, et beaucoup disent que le christianisme a fait son temps, comme si on était acculé à faire un détour par l'Orient, l'ésotérisme ou l'astrologie pour redécouvrir l'Évangile. Pourquoi cet « ailleurs » ?

J-M M : On n'est pas nécessairement acculé à faire un détour, ou tel détour. Mais je crois que nous avons à prendre une conscience aiguë de la différence entre la prise de l'Évangile que nous avons faite en tant qu'Occident, et la capacité de parole de l'Évangile. Le détour peut y contribuer, sans être le chemin nécessaire.

► La lecture occidentale peut être réductrice, limitative ?

J-M M : Elle l'est. Elle n'épuise pas les ressources de l'Évangile. Il faut distinguer l'Évangile comme dynamisme originel, et le christianisme dans son histoire occidentale, y compris dogmatique. Il est important de percevoir la fonction d'une dogmatique dans cette histoire. Si on regarde de près, la dogmatique est toujours réponse à des questions posées par l'Occident à l'Évangile. Dans les réponses possibles, l'une est choisie, entérinée par le magistère, et à bon droit, parce qu'elle est en consonance avec l'esprit de l'Évangile. Mais quand on sait que l'histoire de la pensée n'est pas l'histoire des réponses, mais l'histoire des successifs questionnements, il est important de savoir que ce dogme est absolument valide pour autant que dure le questionnement. Or ce questionnement occidental s'écarte du questionnement structurant l'Évangile. Et une vérité, quand elle est déracinée de sa question porteuse, est ouverte à toutes les perversions. En particulier quand, déracinée de son terrain évangélique, elle est entendue dans son site psychologique, ce peut être le lieu de la pire perversion.

► Jean-Paul II dit que l'Église doit respirer avec ses deux poumons, l'occidental et l'oriental.

J-M M : L'Évangile en soi n'est pas une culture. Il n'a pas même vocation à devenir une culture. Il rencontre les cultures. Or, si je dis des choses qui peuvent paraître négatives par rapport à l'Occident, ce n'est pas parce que l'Occident serait pire. Il n'est pas comparé ici à l'Orient. Il est affronté comme culture ; et j'en parle parce qu'elle est la mienne, dans sa différence d'avec l'Évangile. Ce qui est important : la nouveauté de l'Évangile par rapport à toute culture. Mais ce qui est urgent : que nous prenions conscience de la différence qu'il y a entre l'Évangile et l'écoute que, en tant qu'occidentaux, nous en avons faite.

► Dans le New Age, l'Évangile est vrai en tant que sagesse, recherche spirituelle, croissance intérieure, harmonie avec la conscience universelle, captation des énergies à l'œuvre dans le monde ; mais l'Évangile n'a pas une grande importance en tant qu'histoire, au point qu'on dira volontiers que la mort et la résurrection du Christ, si elles ont une valeur exemplaire et symbolique pour l'homme, n'ont pas un effet de salut. Pouvez-vous réagir sur cette opposition entre l'histoire et la sagesse ?

J-M M : Cette distinction est l'exemple même d'une question elle-même suspecte. La distinction sagesse-histoire entendue en ce sens est un problème interne à l'Occident ; la distinction entre la raison et le fait fondateur d'historicité est une alternative dont les deux termes sont de l'Occident. Tant qu'on débat entre ces deux termes, l'Occident cause avec lui-même, il ne rencontre rien d'étranger, ni une culture étrangère, ni a fortiori l'Évangile qui n'est pas une culture. Repenser l'Évangile dans le champ de la sagesse contre-distinguée de l'histoire, c'est rester à l'intérieur de l'Occident et ne pas écouter la nouveauté de la parole évangélique.

Il ne s'agit pas uniquement du New Age. C'est depuis environ quatre siècles que le spécifique de l'Évangile est situé dans sa référence à l'histoire dans une conception proprement occidentale.

► N'est-ce pas la perspective de saint Paul qui a montré l'importance de l'histoire comme incarnation, mort, résurrection du Christ, salut apporté dans l'épaisseur de l'histoire humaine ?

J-M M : Que la mort et la Résurrection du Christ soient au cœur de l'Évangile de Paul, c'est évident. Que cela doive s'entendre comme une justification de l'histoire contre-distinguée de la sagesse, c'est véritablement notre propre écoute moderne qui le fait.

► Peut-on parler de sagesse en consonance avec l'Évangile ?

Dieu vient, Berna LopezJ-M M : Oui, mais prenez garde de ne pas faire comme un tenant du New Age. Le mot de sagesse est majeur chez Paul. Il ne relève pas de la sagesse grecque, ni de la rhétorique comme persuasion. Il revendique de parler à partir d'une autre sagesse, non de ce monde : il s'agit de découvrir cette sagesse paradoxale, qui réside dans ce qui est pour nous folie, insipientia, la mort de Dieu. Ceci retravaille le concept de sagesse et celui d'événement. Cela ne laisse pas intact les deux termes du débat. Il serait très intéressant de penser l'Évangile par où il est nouveau, par exemple par rapport au terme « venir » : « Dieu vient »… Venir, c'est un avènement, qui n'est réductible ni à une sagesse au sens mondain du terme, ni à une histoire au sens mondain du terme. Avènement ouvre quelque chose : « Il est venu vers les siens », dit saint Jean. Qu'est-ce que ce « venir » dit ? Comment les termes de l'Écriture structurent-ils le discours de l'Écriture ? C'est la question qu'il faut poser, plutôt que de constamment se référer aux termes que l'histoire même de l'Occident a produits.

Une conséquence : je me méfierais de poser l'Évangile dans l'histoire au sens des historiographes ; et d'autre part, je n'en ferai pas non plus une sagesse au sens d'une réflexion intemporelle. Ce qui est important dans ce débat, c'est le rapport de l'intemporel et du temps. Or ce débat ne peut pas être géré sans que soit remise en cause cette répartition-là. Justement parce que l'Évangile est essentiellement annonce de la résurrection, il est dénonciation du temps mortel, et des répartitions auxquels il donne lieu. Or, si la sagesse est pensée sur le plan de l'intemporalité des mathématiques ou des concepts, cela ne donne en aucun cas le lieu propre de l'Évangile, qui demande à être repensé à partir de la résurrection comme dénonciation de la suffisance du temps, et comme ouverture au rapport du temps et de l'eschatologie.

► On ne parle pas beaucoup des autres dans le New Age, mais du « soi », au-delà du moi, et de la conscience cosmique. Cela pose la question de l'altérité. Dieu vient, avez-vous dit. Mais ce n'est pas ce qu'on trouve tellement dans le Nouvel Âge. Il s'agit plutôt là de dépasser l'altérité entre Dieu et le monde ; l'altérité n'est encore que le milieu du chemin. Comme le dit Arnaud Desjardins : « Les enseignements spirituels ou mystiques peuvent être classés en deux grandes catégories, dualistes ou non dualistes. Les doctrines dualistes différencient nettement un créateur et une création ; et les voies non-dualistes affirment au contraire une réalité essentielle qui est à la fois la réalité de l'homme et celle de Dieu et qui se situe donc au-delà de la distinction entre le créateur et la créature. Il semble que ce point de vue ait été celui de maître Eckhart et de toute la mystique rhénane. » (En relisant les Évangiles, La Table ronde, 1990, p.130). Peut-on faire une lecture de l'Évangile non-dualiste ?

J-M M : Il y a ici beaucoup de choses. Si je prononce « Dieu vient » en gardant présent à l'esprit le concept de Dieu que la métaphysique a forgé, je n'entends rien ; c'est même quelque chose d'inacceptable. Si, en revanche, c'est à partir de « venir » que je découvre ce que veut dire « Dieu », il y va de tout autre chose. C'est le mouvement inverse : « Philippe, qui me voit, voit le Père ». Ce qui nous reconduit à l'un des aspects de la question de l'altérité. Cette question chez saint Jean est cadrée entre deux propositions : « Le Père est plus grand que moi » ; ou « Je vais vers le Père ». Or, par rapport à ce texte, le questionnement occidental s'est servi de ces concepts étrangers à la structure de l'Évangile que sont les concepts de nature et de personne. Une seule nature, deux personnes. Ces mots ne structurent pas l'Évangile. Nous pouvons cependant très légitimement penser que les dogmes auxquels ils ont donné lieu sont justes dans le cadre du questionneur occidental. Néanmoins, ils ne nous permettent pas d'entrer dans le questionnement auquel nous somment réinvités sur les rapports entre « le même » et « plus grand que ». C'est justement le lieu pour réfléchir à cette altérité.

Quant à l'opposition simple entre des dualismes et des monismes, elle est beaucoup trop sommaire, hâtive, pour qu'on puisse s'y tenir comme point de départ. En réalité, Dieu est autre que moi, et néanmoins, je ne connais autre, surtout une personne autre que moi, que sur le mode de l'altérité nativement éprouvée, c'est-à-dire sur le mode de la compétition, et ultimement du meurtre. Je n'ai pas d'autre concept, nativement, pour les rapports de personnes. Et si je transfère cette altérité dans l'idée de Dieu, j'introduis tout naturellement ce que l'histoire de l'Occident n'a pas manqué de faire, à savoir une compétition à mort entre Dieu et l'homme dans laquelle l'idée de Dieu meurtrit indûment l'homme ; à l'inverse, dans la modernité, l'homme met Dieu à mort. En fait, l'altérité est présentée dans la Bible sur le mode archétypique d'Abel et de Caïn : le rapport à autrui est nativement sur mode compétitif, jaloux et meurtrier. Si je ne fais que transférer cela, sous prétexte d'altérité, à ce qu'il en est de Dieu, je m'interdis implicitement d'entendre très précisément la nouveauté qui s'ouvre dans l'Évangile, à savoir cette ouverture d'un espace, d'une relation qui est inouïe, qui n'est pas entendue ni perçue dans le champ de mon expérience. Que veut dire altérité dans ce sens-là ? Il s'agit de l'altérité par rapport à ce que je ne sais pas de moi : le dialogue est dialogue d'insu à insu. Répartir entre deux ou un, entre dualité ou non-dualité, c'est ne pas voir que, dans ce qui concerne la relation à Dieu, doivent être mises en question simultanément mon idée de dualité et mon idée de monisme.

Nous sommes persuadés que deux personnes ne sont que deux monades, deux substances, et qu'il s'agit de les rabouter. Or l'unité du Père et du Fils est explicitement prise en paradigme pour dire l'unité de Dieu et de l'humanité (« Soyez un comme mon Père et moi nous sommes un »). Nos concepts alternés d'unité et de dualité ne sont pas suffisants pour entendre cette parole. Elle va nécessairement dans le sens d'une critique de l'unité monolithique, suffisant compact. « Je vais vers le Père. » Nous sommes provoqués justement par cette phrase de l'Évangile à dépasser l'opposition entre monisme et dualisme, ce que ne fait ni la dogmatique classique ni le New Age.

► Comment entendez-vous : « Le royaume de Dieu est parmi vous » ? Quelle est la bonne lecture : « au-dedans de vous », ou « entre vous » ?

J-M M : Il est question de situer l'Évangile soit dans l'intériorité du cœur, soit dans la relation à autrui. Cette distinction n'est pas de l'Évangile. L'homme intérieur, chez Paul, ne désigne pas l'homme qui reflue de ses rapports à autrui pour, mains fixées sur le visage, entrer dans la méditation intérieure. L'homme intérieur, c'est l'homme qui est en paix. Il s'oppose à l'homme extérieur qui est l'homme de la guerre et du conflit. Or, être en paix de soi à soi et être en paix de soi à autrui, c'est la même chose. Il y a en soi-même une altérité qui ébauche le rapport à autrui. Opposition entre paix et meurtre, paix et hostilité.

Plusieurs choses sont en question ici, des concepts, mais aussi des images : on pense à l'intériorité sur le mode de l'emboîtement, alors que ce qui est en question, c'est une symbolique du dedans et du dehors. Dans l'Évangile, on peut lire « Nous sommes en Christ » ou « dans l'Esprit », et aussi « Le Christ habite en vous ». On ne peut penser ces deux choses simultanément dans l'imaginaire de l'emboîtement. En revanche, méditer profondément sur ce que veut dire l'être-dans, en tant qu'il surmonte ces apparentes difficultés, c'est entrer dans la symbolique proprement dite qui dissout largement les alternatives : être en soi, ou être en relation. Le monde biblique offre une perception tout à fait essentielle avec sa conception du « nom » : le Nom c'est mon plus propre, et ce par quoi je suis susceptible d'être appelé. Mon plus propre, c'est d'être ouvert. Ce n'est pas une alternative : ou bien je me confine dans la prière, ou bien je me dissous dans l'action extérieure. L'Évangile ne choisit pas dans cette alternative qui est occidentale. Nos questions insistantes se trouvent décalées par rapport aux alternatives qui structurent l'Évangile.

► Notre manière de lire l'Évangile pose une question spirituelle considérable à notre époque. Comment sortir d'une sorte d'aliénation en ce qui concerne la relecture de l'Évangile ?

J-M M : Sortir de cela, c'est essayer d'entendre l'Évangile comme quelque chose que l'on ne sait pas d'avance, même si nous le lisons depuis deux mille ans. Nous avons osé prendre conscience de la distance qui existe entre ce que nous en avons pris – que je suis loin de négliger – et les capacités et ressources inépuisées que recèle l'Évangile. Plutôt que de faire une synthèse entre le natif de l'Occident et l'Évangile, essayons de façon très sereine d'en percevoir les différences, et attendons d'entendre ce que nous n'avons pas encore entendu de l'Évangile. Si les prétentions à constituer une nouvelle religion me paraissent dérisoires, en revanche des requêtes actuelles me paraissent des parcours provisoires, qui peuvent avoir quelque chose de positif en référence à une nouvelle lecture de l'Évangile.

Ce que les gens cherchent, s'ils savaient que c'est déjà dans l'Évangile ! Il a du goût, il est capable de combler. Ce qui m'intéresse, c'est le retour, plus que le détour. Il y a une ignorance énorme. C'est ce qui me préoccupe. C'est pourquoi on va chercher ailleurs.

Découvrir la nouveauté de l'Évangile ne va pas sans un grand travail sur la prise en compte de ce qui nous éloigne d'elle : une critique attentive et pertinente des structures de l'esprit qui nous imposent une certaine lecture. Être au lieu où se discerne le rapport, éventuellement conflictuel, entre le cœur de l'Occident et le cœur de l'Évangile. La découverte de la nouveauté ne va pas sans ce travail qui nomme ce qu'il y a d'usé dans la lecture.

► C'est quand vous faites découvrir une autre lecture que vous donnez la possibilité d'un détachement de l'ancienne.

J-M M : C'est très important. La dénonciation du vieux qui vient par simple désaffection, négation ou dépit, n'ouvre à rien de neuf. En revanche, quand quelque chose de neuf survient, cela suffit à dénoncer la vieillerie comme telle. Ce n'est pas le double sens de la négation. Cela définit le symbole : le symbole, c'est quand le plus haut ou l'insu se donne à reconnaître dans du su ou du plus bas. C'est le mouvement inverse de la signification. Le signe, c'est, au sens occidental, la chose connue qui conduit à quelque chose d'inconnu : c'est un mouvement montant. Par exemple, l'effet fait connaître la cause : il n'y a pas de fumée sans feu. C'est un signe au sens médiéval du terme, au sens utilisé dans la sacramentaire. Tandis qu'un symbole, c'est lorsque la chose secrète et non connue se donne à connaître en venant dans ce qui était censé connu, mais en lui redonnant un sens neuf. Si le signe marchait de bas en haut, le symbole va toujours de haut en bas. Le symbole, c'est l'unité secrète qui donne à voir et en même temps fait venir.

► Un exemple ?

J-M M : Il y en a mille. Un symbole de l'Écriture risque d'être lu par nous comme un signe. Par exemple, le symbolisme entre entendre et manger. Ce n'est pas l'idée du manger qui me conduit à entendre. C'est en revanche d'entendre qui se donne à reconnaître dans l'acte de manger. Voyez le chapitre 6 de saint Jean : une identité qui se déploie. Au fond, c'est cela le symbole : c'est l'intériorité qui s'accomplit et se déploie. Ce n'est pas le raboutement par le biais de la causalité ou de la signification de deux choses préalablement disjointes.

Quand le Nouvel Âge cherche le primat du spirituel, il a peut-être l'intuition que nous sommes dans un monde de signes où nous allons du connu à l'inconnu, et qu'il faudrait renverser un peu des attitudes très profondes pour se mettre dans une attitude de disponibilité et d'accueil.

Oui, l'idée du simple renversement nous laisserait cependant prisonniers du premier mouvement. Un symbole du symbole, c'est le travail poétique. Ce travail est apparemment un travail. En fait, il n'en est pas un. Le poème se donne. Et néanmoins, il faut un prodigieux labeur pour écarter tout ce qui n'est pas, car le mode sur lequel il vient ne me dit pas d'abord ce qu'il est, mais me fait savoir ce qu'il n'est pas. Il y a tout un travail de désencombrement, d'exclusion, de négation pour que la chose puisse venir d'elle-même. C'est un analogue de ce qu'est la véritable écoute de l'Évangile.

Propos recueillis par Régine du Charlat et Claude Flipo.

Article paru dans Christus n° 153, Janvier 1992, p. 51-60.

 

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