JEAN 6, 1-15 : La multiplication des pains commentée par J-M Martin
Sur une herbe printanière une foule immense rassemblée autour de Jésus a faim, et à partir de 5 pains et 2 poissons, Jésus va la nourrir après avoir eucharistié. Ce récit bien connu nous réserve des surprises !
Le commentaire qui figure ici est celui que Jean-Marie Martin (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?) a fait au quatrième trimestre 1996 à Saint-Bernard-de-Montparnasse. Dans les trois premières séances, le texte a suscité des commentaires sur un point ou un autre, et lors de la quatrième séance il a été commenté de façon suivie. J-M Martin traduit directement du grec, et la traduction de la TOB figure à la fin.
Ce texte a également fait l'objet d'une session de sept jours à Saint-Jean-de-Sixt transcrite dans le tag JEAN 6. J-M Martin fait allusion à de nombreux autres textes de Jean, la plupart ont fait l'objet d'un commentaire (tags Jn 1-2 ; Jn 3-6 ; Jn 7-12 ; Jn 13-17 ; Jn 18-21)
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JEAN 6, 1-15
La multiplication des pains
Nous avons fait plusieurs essais d'approche globale du texte de Jean 6, 1-15. Dans l'une de ces approches nous avons cherché quelle était la dimension de l'espace du texte. L'annonce de Jésus : « vous verrez des choses plus grandes » (Jn 1, 50), nous a invité à voir le texte à partir de plus grand, c'est ce que nous allons tenter de faire.
Je prends un exemple (qui n'est pas très heureux) : c'est comme si ce texte, nous pouvions le lire en surimpression, à savoir que, en un certain sens, on peut lire l'anecdote qu'il suscite spontanément à première lecture, et en surimpression entendre la grande dimension de l'accomplissement de l'œuvre, et c'est cela d'ailleurs le sens tout à fait premier.
Nous sommes donc invités à lire ce texte dans sa plus grande dimension pour autant que nous le pouvons. Par ailleurs, dans cette lecture d'aujourd'hui je complète des choses qui n'ont pas été abordées dans les approches, et je fais allusion aux choses touchées dans les approches précédentes, afin de tenir cela ensemble dans un certain mouvement.
Nous allons maintenant entrer dans le texte et nous allons y marcher. En effet un texte est un dis-cours, un dis-cursus. Nous allons poser pied après pied. Lorsque c'est un poème, ça marche très bien, ça, de dire "pied après pied". Et ce qui est très intéressant c'est que dans la marche, à chaque fois, le pas soulève quelque chose mais à condition précisément que le pas précédent soit oublié, c'est-à-dire que, chaque fois qu'un mot surgit, il lève quelque chose du texte et le mot précédent devient tacite, se retire, se tait. Il ne se tait pas complètement, c'est-à-dire qu'il prend place dans ce qui fait la qualité d'espace de l'ensemble du texte, si bien que chaque mot que nous entendons contribue à cette qualité, mais chaque mot n'est compris que pour autant qu'il est entendu dans cette pré-perception de l'unité de l'ensemble des choses du texte. C'est une condition de la lecture qui pourrait être dite sans doute beaucoup mieux, c'est très tâtonnant. Autrefois je disais tout bêtement : on lit mais il faut tenir la note, c'est-à-dire quand quelque chose est aperçu, il faut que ça reste d'une certaine façon partie prenante, et ça, nous ne pouvons pas. Mais si j'explique tout à propos de tout, si je mette tout sur un mot sans que s'efface l'autre mot, c'est la cacophonie absolue ! Il y a à la fois un chemin et un espace dans le texte.
Ce texte commence par un chemin : « 1Après cela Jésus partit le long de la mer de Galilée de Tibériade. » Nous avons ici une notation que nous serions tentés de considérer comme circonstance de lieu. Nous avons déjà dit que chez Jean le lieu, pas plus que le temps ou le moment – nous le verrons tout à l'heure – ne sont de simples circonstances, ils sont de l'intention profonde du texte.
Descendre en Galilée et monter à Jérusalem, voilà deux expressions qui structurent peut-être de la meilleure façon qui soit le texte de Jean. Il y a un premier mouvement qui se termine en descendant à Capharnaüm – il est à Cana d'abord, puis de Cana il descend à Capharnaüm en Galilée –, ensuite il se retrouve à Jérusalem – il y a les vendeurs du temple, il y a le dialogue avec Nicodème –, et puis la traversée de la Samarie (« Il fallait qu'il traversa la Samarie »), et il se retrouve à nouveau à Cana en Galilée et il descend à Capharnaüm. Notre chapitre 5 précédent était à Jérusalem, et ce chapitre 6 qui ne paraît pas très bien être à sa place pour d'autres raisons, cependant se justifie précisément parce qu'il est l'arrivée à nouveau au lac de Tibériade, la mer de Galilée, à Capharnaüm. Et puis au chapitre 7 il y a débat : est-ce que Jésus monte ou ne monte pas à Jérusalem ? Vous savez qu'il y monte en secret, il y est pour la fête des Tentes, et puis finalement il y meurt. Le tout dernier chapitre à nouveau nous sommes en Galilée et précisément près du lac de Tibériade qui est nommé de la même manière.
C'est que "monter à Jérusalem" ça signifie "aller à la mort" et que "descendre en Galilée" ça signifie la Résurrection répandue et accomplie. Jérusalem c'est la ville qui tue les prophètes, c'est le lieu du grand conflit des Judéens. La Galilée c'est la Galilée des goïm (des nations), ça n'est pas les Judéens stricts, c'est un peu plus mêlé, c'est un peuple méprisé. Et en plus le mot "Tibériade" est le nom honni puisque Tibère est l'occupant.
Ceci demande à être plus réfléchi encore, puisque nous savons par ailleurs que chez Jean il n'y a pas de différence entre la mort et la résurrection du Christ – fondamentalement bien sûr –, et néanmoins l'aspect de la mort se gestue par la montée à Jérusalem, l'aspect de résurrection et de diffusion de la résurrection chez Jean, se déploie dans la descente en Galilée. Je veux dire par là qu'une simple notation qui a l'air d'être fortuite – ça s'est passé là parce que ça s'est passé là – n'est pas du tout énoncée comme telle, mais comme disant la qualité même de ce qui est à lire dans le texte, la qualité de l'espace du texte.
2Le suivait une foule nombreuse parce qu'ils avaient constaté les signes qu'il faisait sur les malades. – l'asthénéia (la maladie, la faiblesse) est un thème qui avait été mis en évidence dans les chapitres précédents et l'attitude de Jésus par rapport à cela – 3Jésus donc monta vers la montagne – nous aurons un rapport montagne / littoral – et là s'assit avec ses disciples.
4Était proche la Pâque la fête des Judéens. – Voici une notation qui pourrait être considérée aussi comme fortuite. Or la spiritualité de la Pâque, nous savons qu'elle va contribuer à la couleur, à la qualité de l'espace dans lequel nous entrons. Nous avons donc une notation de lieu et une notation de temps qui sont autres choses que de simples circonstances. Ce qui est étrange c'est que dans le chapitre 5 précédent, à Jérusalem, nous sommes dans une fête qui probablement est la Pentecôte (la fête des semaines) et ici nous sommes à la Pâque, donc, à moins que ce soit la pâque de l'année suivante, chronologiquement ceci ne colle pas. Celui qui met en place les choses ultimement dans l'évangile de Jean, veut poser après Jérusalem un épisode de Galilée, peu lui importe la chronologie. L'Évangile, nous le savons, est tout sauf une biographie, Dieu merci.
Par ailleurs la Pâque indique quoi ? Elle implique une référence aux pains et aussi à l'agneau pascal, à la chair et aussi au sang dont on oint les montants des portes. Autrement dit, par là, se trouve indiqué des thèmes qui vont être développés au long de ce chapitre. D'abord le thème du pain et ensuite le thème de la chair et du sang. Leur lien n'est pas à faire hâtivement. Nous avons l'indication de ce que tout le chapitre 6 est référencié à cette double thématique.
« 5Levant donc les yeux et considérant qu'une foule nombreuse vient vers lui » Jésus lève les yeux. Bien que sans doute il soit en position de hauteur et que les gens viennent d'en bas, il lève les yeux comme on dit « lever les yeux sur » : il les prend en garde, il y prend garde. Je vois en saint Jean deux autres cas dans lesquels Jésus lève les yeux c'est au chapitre 17 : « Levant les yeux vers le ciel il dit "Père" » et au chapitre 11 avant la résurrection de Lazare où il lève les yeux vers le Père. Ici il lève les yeux sur l'humanité (sur la foule nombreuse) et en effet c'est la même chose. Ce qui est tout à fait essentiel à chaque fois qu'on prononce le nom de Jésus, c'est de percevoir que ce nom ne désigne rien s'il ne désigne pas "l'être au Père" et simultanément "l'être chargé de la totalité de l'humanité". « Il lève les yeux » : c'est-à-dire que Jésus a égard au Père et à la totalité des hommes, simultanément, et d'autant plus pour l'un que pour l'autre.
« Jésus dit à Philippe : "D'où achèterons-nous des pains pour qu'ils mangent ?" 6Il dit ceci pour le tenter car lui savait ce qu'il allait faire. » Ce point est un point qui nous avait fait problème et qui, du même coup, nous avait ouvert des choses tout à fait essentielles dans la lecture de ce texte. D'abord nous avons, dans ce qui est proposé à Philippe, une sorte d'épreuve initiatique, une épreuve d'entrée. En quoi consiste cette épreuve ? Dans la révélation du cœur. Ici c'est Jésus qui sait ce qu'il va faire comme c'est dit dans le texte. Comme nous l'avons lu à la fin du chapitre 2, nous savons aussi qu'il sait ce qu'il y a dans le cœur de l'homme. Jésus dans sa dimension de présence intime, dans sa dimension de Résurrection, révèle la pensée implicite de Philippe : c'est qu'il faudrait acheter du pain pour tous ces gens-là. Et où ?
Par rapport à cette révélation du cœur, sans aller plus loin, il faut bien dire que c'est probablement une chose essentielle de la parole évangélique. Je crois qu'elle ne dit rien… sinon, précisément, qu'elle nous invite à dire ce qui est dans notre cœur, et si nous l'entendons, elle permet de le dire de façon non dépitée, c'est-à-dire qu'elle permet de reconnaître même ce qui se refuse à être reconnu, et à le reconnaître de bonne manière. C'est une chose très importante, une des fonctions premières de la parole christique que de révéler le cœur. Elle révèle le cœur qui entend et le cœur qui n'entend pas. Mais attention, elle révèle "en chacun de nous" ce qui entend et ce qui reste sourd. Ce qui entend, entend évidemment la distance entre ce qui est dit et de ce que nous sommes. Et pouvoir reconnaître cette distance, c'est cela la confession dans le bon sens du terme, la confession non affligeante mais authentiquement libérante.
Le contenu de la question de Philippe, c'est ensuite lui qui nous avait retenus, à savoir le verbe "acheter"[1]. Les apôtres dans les premiers chapitres, ce sont essentiellement des hommes qui vont acheter. Ils achètent. Au chapitre 4, pendant que Jésus parle à la Samaritaine, ils sont partis acheter des nourritures. Et ici ils se préoccupent d'acheter. Ceci indique que nous sommes à un plan de pensée qui nous est très familier, que nous appliquons le plus souvent à Dieu lui-même, c'est-à-dire un plan de pensée qui se caractérise comme celui du droit et du devoir. « Il faut que je me mette en règle avec le bon Dieu » : oui… vous pouvez toujours y aller !
La critique de l'argent est très importante chez saint Jean et aussi dans les Synoptiques. Elle a une signification, non pas du tout par rapport à la gestion bancaire, mais par rapport à la détection en nous de quelque chose qui peut s'apprécier comme n'étant pas détenu dans les prises du droit et du devoir. C'est cela la révélation de la donation. C'est tout à fait essentiel. Nous avons parlé de charis (la grâce), du fait que le verbe donner (didomi) est un mot majeur chez saint Jean. Pour l'instant nous en faisons le repérage. Et méditer sur ce que signifie grâce et donation sans se méprendre trop, c'est quelque chose qui nous incombe. Il y aura place pour cela, c'est à faire et ce n'est pas fait. Je pense même qu'une méprise sur ce que veut dire donation est sans doute une des raisons pour lesquelles nous faisons la sourde oreille à ce mot majeur de l'Évangile qu'est le "don".
Le mot don n'est pas prononcé ici, il est préparé, nous allons le trouver quand Jésus prendra les pains et "ayant eucharistié"… L'eucharistie est un mode d'être au monde, c'est même le mode d'être au "monde qui vient", au Royaume. Eucharistier c'est un des noms parmi les premiers noms qui désignent la posture essentielle qui est le mode d'être à ce monde-là. Quand je dis "posture", évidemment vous risquez de ne pas le comprendre. En effet nous pensons en général que nous écoutons d'abord et que nous prenons ensuite des postures car la posture chez nous, dans les prédicats, c'est une qualité et ça ne touche pas la substance de notre être. Mais non, il ne faut pas penser ainsi. C'est le posturé qui est constitutif de notre être. En fait, d'être dans la rapine et l'appréhension forcenée, c'est quelque chose qui nous posture nativement : nous sommes captateurs. Ce qui s'indique ici c'est une posture plus originelle, plus fondamentale et plus neuve, qui est constitutive d'être. Nous sommes très loin ici de la pratique sacramentelle, il y va du mode d'être de l'homme. Ce serait intéressant à développer.
Certains d'entre vous l'ont peut être entendu quand nous lisions le chapitre premier des Romains. De façon très étrange, dans ce chapitre, quand Paul veut réciter l'entrée du péché (c'est-à-dire du meurtre) dans le monde, il n'en parle pas dans la figure d'Adam – on trouve d'autres façons de dire l'entrée du péché dans le monde chez saint Paul – il dit : « Ils n'eucharistièrent pas » c'est-à-dire que leur mode de recevoir et d'être par rapport à ce qui vient n'est pas le mode eucharistique, c'est-à-dire le mode qui reçoit cela comme un don.
Ce qui est très important c'est de bien savoir que, parmi les choses usuelles, il y a des choses que je peux recevoir parce que je les prends, que je peux recevoir parce que je les gagne, et que je peux recevoir parce qu'on me les donne, les mêmes. Ici non. Il est question de cela qui a pour essence d'être donné, c'est-à-dire qui, étant pris, est nécessairement manqué, est perdu. C'est la révélation de ce que l'ultime et l'intime de l'homme résident en cela qui n'est pas prenable, et donc qui n'est pas achetable non plus. Ce qui est dit du pain – car le pain n'est pas achetable ultimement – cela se dit du corps. Il y a un rapport entre le pain et le corps, il y a ici identité entre les deux. Il ne faut pas oublier que notre texte se termine par l'évocation de la figure de Judas qui est précisément celui qui vend le corps et qui, pour cela, est le fils de la perdition. Se méprendre sur ce point de l'homme qui est ainsi simplement montré ou désigné, c'est la perdition.
Par ailleurs il faut bien savoir qu'il n'y a que le Christ qui eucharistie. Aucun de nous dans sa singularité n'est constitué par la posture eucharistiante. C'est pourquoi le Christ n'est pas un modèle, le Christ est celui qui opère l'œuvre en nous, pour nous. Il est ce qui révèle en nous cela qui reste à jamais endormi sans ce réveil-là, il est ce qui excite cet aspect de christité. Je ne confesse pas que j'eucharistie, je confesse que le Christ est eucharistie. Quelque eucharistie que nous fassions, elle entre de façon très parcellaire dans une eucharistie plus originelle et qui va de bien plus profond et qui va de plus haut, et qui est l'eucharistie christique. La même chose pour la prière. On pourrait dire de l'eucharistie ce que dit Paul à propos de la prière : « Nous ne savons pas prier, mais c'est le Pneuma qui en nous, gémit par des paroles inarticulées » (Rm 8, 26). Le Pneuma, c'est-à-dire l'Esprit de la Résurrection (la dimension christique) est le véritable priant en chacun de nous.
Quand nous disons quelque chose du Christ, nous ne cessons pas d'être dans le recueil de ce qu'il en est de lui tout en disant quelque chose de nous. En effet ce il n'est pas un il sur le mode du il usuel : c'est d'autant moins moi que c'est plus lui et vice versa. Les pronoms personnels (je, tu, il) quand il s'agit du rapport à Dieu ou du rapport christique, ont sérieusement besoin d'être révisés parce que nous les pensons spontanément sur le mode de nos rapports de personne à personne qui sont nativement des rapports meurtriers, comme le rapport Abel et Caïn qui, n'est-ce pas, est l'archétype de la fratrie, l'archétype de l'être ensemble tel que nativement. C'est pourquoi les figures d'Abel et Caïn sont constamment reprises chez Jean – fondamentalement dans le chapitre 3 de la lettre de Jean de façon tout à fait explicite – pour l'intelligence du meurtre christique. Pourquoi du sang, pour tout ça dans le sacrifice ? Parce que le sacrifice gère le meurtre. Là, j'anticipe, c'est quelque chose sur quoi nous aurons à méditer.
Tout ceci c'était à propos du mot "eucharistie".
Ensuite, dans la même direction, dans la même dimension, on trouvera au verset 11 le verbe "distribuer" qui a pour racine le verbe donner : il distribua (diedoken). Donner, voilà le mot qui fait opposition à acheter. Et distribuer c'est une donation disséminante qui a à voir avec le thème que nous allons apercevoir qui est le thème de la fragmentation pour la constitution de l'unité. Ça c'est un thème fondamental dans la symbolique non pas de la chair et du sang, mais du pain comme "corps", comme ce qui fait corps – il ne faut pas confondre le corps et la chair. Là il y a toute une région symbolique qui est simplement indiquée et que nous aurons à méditer.
« 7Philippe lui répondit : "Deux cent deniers de pain ne suffiraient pas pour eux afin que chacun en reçoive un petit morceau". » Ça c'est la réponse que nous sommes toujours tentés de considérer comme naïve et qui toujours ponctue une première affirmation majeure du Christ. On voit ça à propos de Nicodème. Nous ne nous arrêtons pas, bien qu'il y ait des choses à dire aussi.
« 8Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre dit : 9"Il y a là un petit garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons. Mais qu'est-ce là pour tant de gens ?" » Les pains ici, sont traités en fonction de multiples figures de l'Ancien Testament. Nous aurons des références à la manne plus loin dans le chapitre, il y a la référence au miracle de prophètes par rapport au pain (Elisée)[2], il y aura référence au banquet de la Sagesse qui donne à manger (Siracide 24 et autres), etc. Ces références sont des testimonia (témoignages) qui sont plus ou moins implicites. Celui de la manne va être développé de façon majeure dans le texte, les autres jouent ici, et il y a une sorte de référence à l'Écriture, précisément dans la mention du chiffre cinq. Cinq, pour Jean, en référence au Pentateuque, est une détermination de l'Écriture.
La référence de l'Écriture est toujours double :
– il y a d'une part la reconnaissance de ce que, dans l'Écriture, sont toutes les semences…. ce serait très intéressant à méditer cela : comment une Écriture est semence et qu'est-ce qu'il en est de lire par rapport à la semence ; quel est l'intérêt d'une semence, d'une écriture… d'être une garde, un lieu où déjà la chose est sur mode gardé, non développé, et la lecture, d'une certaine façon, désécrit, c'est-à-dire fait passer à un autre ordre, la croissance même de cela. C'est quelque chose qui serait très intéressant à voir dans le rapport semence / fruit dont nous parlions. Par rapport à ce que je veux dire ici, c'était très précisément que le tout de l'Évangile est dans ce qu'on appelle l'Écriture, c'est-à-dire l'Ancien Testament, car tout est "selon l'Écriture" – "selon"… cela ne veut pas dire qu'à partir de nos lectures spontanées de l'Ancien Testament je peux en déduire l'Évangile, cela veut dire que, étant au site même de l'Évangile, je recueille de l'Écriture les choses qui y restent cryptées. C'est très important.
– Et ceci s'accompagne en général d'une critique majeure de la lecture qui est faite dans le milieu juif contemporain car, même chez saint Paul pour qui tout est "selon les Écritures", néanmoins tout est contre la loi. Dans la première remarque il s'agit du livre comme semence, avant lecture, et ici il s'agit du même livre mais considéré comme lu et interprété par les juifs contemporains. De toute façon il n'y a pas de livre sans "être au livre", et être-au-livre à la judaïque (au sens où les judaïoï sont considérés ici) "ça ne nourrit pas le monde", dit saint Jean.
Et Justement, il y a le petit garçon qui a "les cinq pains", n'est-ce pas, mais c'est l'œuvre du Christ de faire croître à partir de là, d'accomplir l'œuvre en tenant en vie et en menant à accomplissement l'humanité, en lui fournissant sa nourriture essentielle, son pain substantiel.
Je passe rapidement sur "les deux poissons" car la symbolique du poisson est très complexe dans le premier christianisme. Ils sont nommés ici en particulier parce qu'il y a toujours un souci d'équilibrage : la chair et le sang, le ciel et la terre… : il y a la nourriture d'éléments terrestres et la nourriture d'éléments liquides. Mais ça n'épuise pas : une explication n'épuise jamais un symbole, c'est un élément partiel de réponse. Et le deux est un très bon chiffre quand on présente le liquide, un chiffre pair, etc.
Je vous signale que le mot "pain" figure 5 fois dans le texte, et le mot "poisson" 2 fois.
« 10Jésus dit : "Faites asseoir les hommes". Il y avait herbe nombreuse (pollus) en ce lieu. – il peut être intéressant de savoir que c'est bien pour s'asseoir, l'herbe, mais ça peut être aussi la trace d'une autre thématique qui souvent a à voir avec le récit de la multiplication des pains, et qui par ailleurs n'est pas développée chez saint Jean. En effet le thème du nourrir a à voir avec le thème du pasteur qui fait paître, du gras pâturage. Et dans des parallèles dans les Synoptiques, il y a l'apitoiement de Jésus devant cette foule qui est "comme des brebis sans pasteur". Donc nous avons une espèce de possibilité de symbolique dont il reste simplement une petite trace ici, dans la mention de l'herbe abondante (« beaucoup d'herbe ») et de la foule nombreuse.
« Les hommes s'assirent à un nombre comme cinq mille. » Il en va des chiffres tout naturellement, comme des notations de temps et de lieu, c'est-à-dire qu'ils désignent non des quantités mais des qualités. Nous avons vu que 5 (les cinq pains) désignait la loi, les 5000 bénéficient ici de l'idée de multiplication par le 1000 c'est-à-dire, c'est l'extension de la révélation des possibles par le 5. Nous verrons un autre mode d'extension qui va se dessiner par la suite de façon à indiquer l'eschatologie dans le langage même où il se dit.
« 11Jésus prit donc les pains, et ayant eucharistié les distribua à ceux qui étaient couchés (aux convives) et de même qu'à partir des poissons autant qu'ils voulaient. » J'ai déjà dit (cf. commentaire du v. 6) de façon anticipée que la mention de "ayant eucharistié" est un élément majeur du texte. J'en ai parlé à propos de l'eucharistie et de "distribuer". Je vous signale que, à part dans le deuxième récit de Marc, les Synoptiques disent eulogêsas (ou eulogêsen) qui est un verbe proche de "bénir" – bénir pour dire : un peu comme on dirait le bénédicité. C'est une structure bien connue en monde juif qui est désignée par eulogia. Mais saint Jean – et Marc dans le deuxième récit au chapitre 8 – dit eucharistêsas, et, au moment où il écrit, ce mot a pris un sens par rapport à ce que nous appelons l'Eucharistie, donc c'est à dessein qu'il l'emploie.
Autre différence : dans les Synoptiques, ce sont les disciples qui distribuent le pain à la foule, et ici c’est Jésus lui-même.
Ce qui nous alerte souvent dans ce récit, c'est le côté fortiche – nourrir une foule en multipliant des pains… mais ça n'étonne personne dans le texte ! C'est donc que la question de la réalité effective de ce qui nous apparaît comme un "miracle" n'est pas la bonne entrée dans le texte. Vous pourriez dire : c'est une anecdote, le texte parle d'une multiplication des pains qui a eu lieu jadis. Moi je dis : "Non". Ce n'est pas de cela qu'il parle, même si ça met en œuvre des éléments de cela.
De quel pain parle saint Jean ? Pas seulement du pain mangé par cette foule, mais du pain substantiel, du pain de la parole de Dieu qui donne la vie, du pain de la totalité de l'histoire du monde. C'est la grande dimension du texte. Nous sommes partis de cinq pains et c'est très important puisque que ça désigne en particulier le Pentateuque. Les cinq pains c'est donc la lecture juive des Écritures à l'époque de Jésus. C'est-à-dire que le nouveau pain – donc la parole de Dieu qui donne la vie – est la nourriture de tous les hommes.
« 12Quand ils furent rassasiés, il dit à ses disciples : "Rassemblez les fragments qui restent (klasmata eperisseusan) en sorte que rien ne se perde". » Tous les mots ici sont pleins. Sunagagete (rassemblez) est un mot qui est employé à propos d'un autre rapport de l'unité et des fragments à plusieurs reprises chez saint Jean et en particulier à la fin du chapitre 11 lorsqu'il dit que « Le Christ devait mourir, non seulement pour tout le monde, mais pour que ta tekna tou theou ta dieskorpismena sunagagê eis en (soient rassemblés pour être un les enfants de Dieu dispersés). » La dispersion (skorpizein) par rapport à l'unité est un thème essentiel. Et c'est un thème qui se rejoue à de multiples niveaux dans la symbolique eucharistique :, dans la Didachè, c'est-à-dire le tout premier christianisme parle des « grains dispersés qui se rassemblent pour faire un pain » ; il y a aussi le rapport du pain qui est un solide (du corps qui est un solide) et du fluide qui est le sang (ou le souffle, l'eau) comme le dira saint Jean : le rapport du solide et du fluide, c'est-à-dire du divisé et du rassemblé en compact.
Les dispersés en Jean 11 ce sont les hommes, ici les dispersés ce sont les fragments de pain, mais c'est la même chose. Nous sommes convoqués à une relecture critique de ce qu'il en est d'être pluriel, et même de ce que veut dire « les nombreux ». C'est le thème qui ouvre d'une certaine façon l'évangile de Jean puisque, comme tout évangile, la parole qui l'ouvre, c'est : « Tu es mon fils bien-aimé ». Or chez saint Jean il n'y a pas « Tu es mon Fils » car le « Tu es mon Fils » est divisé en "le Monogène" et "ta tekna" : c'est-à-dire "le fils un" – c'est un des noms d'Isaac qui est le fils un et le fils bien-aimé, deux notations traditionnelles d'Isaac parce qu'il a toute la semence de la promesse en lui – et ta tekna (les enfants) qui est un pluriel de réconciliation. Par contre, en Jean 11, on a aussi un pluriel, mais c'est le pluriel du meurtre, le pluriel de la dispersion, c'est les dieskorpismena. Autrement dit, pour les hommes, il y a deux façons d'être : les dieskorpismena c'est-à-dire les meurtriers, ou ta tekna, c'est-à-dire les réconciliés. Il n'y a pas un pluriel qui serait comme ça "parce qu'il y en a plusieurs", non, le pluriel est toujours, surtout dans le domaine de la fratrie, porteur de meurtre.
C'est pourquoi chez saint Jean, si la voix du ciel dit « Tu es mon Fils », la voix de la terre qui est le Baptiste dit : « Voici l'agneau de Dieu qui lève le péché », qui lève le meurtre. Autrement dit, être enfant de Dieu ou être pardonné c'est synonyme. Il y a d'autres notations de Jean qui vont dans cette direction-là – j'indique simplement ici un thème qui est constant – : au chapitre 10 ce pluriel c'est le troupeau dispersé - diaskorpizeïn - ça se trouve à propos du bon Pasteur, mais au chapitre 15 c'est aussi les klasmata (les sarments) par rapport au cep unique. Ici au chapitre 6, c'est les klemata (les fragments) : les morceaux qui restent et qu'il faut rassembler. Là il y a un thème johannique fondamental, qui n'est pas simplement johannique parce qu'il a ses équivalents pauliniens évidemment, et puis il se trouve d'une certaine façon essentiellement dans l'ensemble du Nouveau Testament.
Les klasmata eperisseusan (les fragments surabondants) : surabonder n'est pas un mot johannique, par contre c'est un mot fondamentalement paulinien. Periseueïn signifie aussi "découler". Chez Paul c'est tout qui coule, abonde, sur-découle.
« De peur qu'aucun ne se perde » : cette expression est une expression que nous rencontrons souvent chez saint Jean. « Tu m'as donné ceux-ci (les hommes, l'humanité) et je n'en ai perdu aucun. » Les fragments c'est l'humanité. Vous savez ici, l'élément ou l'aliment, au fond, c'est la même chose. Ce n'est qu'un jeu de mots parce que ce n'est pas la même racine, mais les pains fragmentés… D'ailleurs la fractio panis est un des noms de l'eucharistie : il y a une demi-douzaine de façon de dire l'eucharistie dans les premiers siècles, et dedans il y a la fractio panis (« Ils se rassemblaient pour rompre le pain » Ac 2, 46), c'est même un nom pour désigner la Cène.
« Qu'aucun ne se perde » c'est là qu'on peut relire le chapitre 17. Le verbe "donner" est 17 fois au chapitre 17. Les sujets, les compléments d'objet directs changent – le Père donne au Fils, le Fils donne au Père…–, ça n'a aucune importance, c'est le verbe donner qui est premier, qui est l'indice de cette circulation : que ce soit les hommes qui soient donnés au Christ ou les paroles de la vie qui lui sont donnés, et qu'il donne aux hommes, tout cela est dans la circulation de la donation. Il faut lire très attentivement le texte très embarrassé du chapitre 17 – très embarrassé car il est dans un très mauvais grec, il plaque des tournures d'expression sémitique dans le discours grec – mais ça donne de toutes parts, tout donne tout : « Je les ai gardés [les hommes que tu m'as donnés] en ton nom que tu m'as donné et j'ai veillé [sur eux] et aucun d'eux n'a péri sinon le fils de la perdition en sorte que soit accomplie l'Écriture. » (Jn 17, 12). Le fils de la perdition c'est la manifestation essentielle de la perdition, puisque le fils est la manifestation de ce qui est en secret dans la semence. Autrement dit « je n'ai rien perdu sinon la perdition », de même que la Résurrection est considérée comme la mise à mort de la mort, saint Paul le dit de façon explicite.
« 13Ils rassemblèrent donc et emplirent douze corbeilles des fragments des cinq pains d'orge qui restaient après qu'ils eussent mangé. » Emplir (gémizeïn) est le même mot qui est employé dans les Noces de Cana. Il y a un rapport très étroit entre les Noces de Cana (le vin) et ici le pain – il y a des échos de toutes les parties de l'évangile de Jean, il faut savoir les entendre – c'est le même verbe dans "emplir les jarres", et c'est la même chose parce que les six jarres étaient les jarres juives de l'eau pour l'ablution des juifs, et quand elles sont à plénitude d'elles-mêmes – c'est-à-dire quand l'Écriture est à plénitude d'elle-même – ce n'est plus de l'eau, c'est le vin, il n'y a plus qu'à puiser.
12 paniers, 12 corbeilles ou 12 couffins… Ici c'est le moment où s'exprime absolument l'eschatologie parce que nous sommes au moment du cercle qui se divise en douze – les 12 tribus, les 12 apôtres – c'est quatre fois trois, c'est la totalité accomplie. Et ça, ça reste par rapport à ce qu'ont déjà mangé les 5000, et c'est finalement de ces couffins que nous mangeons, c'est-à-dire de ce qui subsiste de l'œuvre que le Christ accomplie dans cette page. C'est un de ces pains que nous mangeons quand nous entendons la parole – car manger c'est d'abord entendre la parole – et sans doute aussi de ces pains-là quand nous communions eucharistiquement au pain. C'est de cela que parle le texte : ce qui subsiste, ce qui reste de la geste du Christ ici, c'est très précisément toute la nourriture de parole et de pain eucharistique qui vaut pour tout le monde jusqu'à l'accomplissement eschatologique.
Ça ne nous est pas familier, mais c'est très familier aux Anciens. Par exemple dans les contes ça apparaît. Joseph est charpentier, il se procure du bois dans un bois qui descend de l'arbre du paradis terrestre, ensuite il le garde et c'est de ce bois-là qu'on fait la croix du Christ. Nous lisons ça comme des légendes, c'est un mode qui nous est totalement étranger mais un mode de dire une mêmeté, une unité, et pour moi ce n'est pas du tout insignifiant. Vous me pardonnez de dire ça parce que ça peut chagriner inutilement un auditeur. On a l'impression tout à coup qu'on est dans un texte qui en aucune façon ne peut être… Ceci n'est pas un article de France Soir – je veux dire la façon dont c'est écrit –, ce n'est pas du tout la même chose !
14Les hommes, voyant le signe qu'il avait fait dirent : "Celui-ci est véritablement le prophète, celui qui vient vers le monde." Le mot de signe (sêmeion) est prononcé pour la première fois, il aura un bel avenir dans la suite du texte. Ce mot de signe donne lieu à plusieurs traitements chez saint Jean. Il y a les cas comme à Cana (Jn 2, 11) où le signe est positif, mais dans d'autres endroits Jean critique le concept de signe, ce qui est le cas juste après l'épisode maritime de la traversée, au moment où commence le discours sur le pain de la vie. Ces gens, qui viennent de voir la multiplication des pains, le recherchent et Jésus leur dit : « Vous me suivez parce que vous êtes rassasiés » (v. 26), c'est qu'en fait ils n'ont pas vue cela comme un signe dans la foi. Autrement dit, le signe n'est pas ce qui conduit à la foi, le signe n'est pas ce qui la cause, mais il y a "signe" quand quelque chose est vu dans la foi. Ainsi, le signe n'est jamais à prendre comme une sorte de preuve.
Les gens identifient Jésus comme prophète, mais d'après le verset suivant, Jésus sait qu'ils l'identifient aussi comme roi-messie, mais pas de la façon dont lui est roi.
15Jésus donc, sachant qu'ils allaient venir et le saisir pour le faire roi, se retira de nouveau vers la montagne, lui seul (monos). – au début de l'épisode de la multiplication des pains Jésus monte sur la montagne avec ses disciples (v.3), et maintenant il est "seul" sans ses disciples. Jésus se retire à la montagne et, d'après le verset 16, les disciples descendent vers la mer. Il y a un rapport mer / montagne comme un rapport de monter / descendre qui sera très important pour la structure de ce texte. On peut anticiper un peu en disant que Jésus monte vers le Père. Du reste, il monte à la montagne et c'est un lieu où il prie ; même si ce n'est pas précisé ici, ça a été dit auparavant. Le fait qu'il se retire de la foule et des disciples va ouvrir une absence et, à partir du verset 17, cette absence de Jésus va être décrite à travers la ténèbre et les eaux turbulentes, la peur dans l'épisode qui concerne les disciples ; cette absence va ouvrir une recherche (v. 24), mot important qui vient dans l'épisode de la foule.
Nous avons donc un rapport des multiples (foule et disciples) et du retiré en soi. Les multiples qui sont les dispersés – ce mot n'est pas prononcé ici – viennent pour le saisir (harpazeïn). Mais, comme il n'est pas prenable – il y a le cas différent où c'est lui-même qui se donne –, il ne peut que se retirer.
Le mot saisir (harpazeïn) désigne une saisie appropriante, c'est un mot aussi important que dieskorpizeïn (disperser au sens de déchirer). Dans l'épisode de la barque on a le mot "prendre" : « ils voulurent le prendre dans la barque » (v.21). Ici c'est élabon, un terme plus simple qui dit le recueil : ils ont eu la volonté bonne de le recueillir dans la barque, de le recevoir. C'est pourquoi aussitôt la barque touche terre, tout est accompli.
COMPLEMENT :
question posée ensuite par un auditeur à propos du verset 30 « Ils lui disent : "Quel signe fais-tu pour que nous voyions et croyions en toi ? Qu'œuvres-tu ? »
► Il y a quelque chose qui frappe parce que ça paraît incompréhensible : ils lui demandent un signe et ils viennent d'en voir un !
J-M M : Précisément ils n'ont pas vu de signe dans le bon sens du terme, d'ailleurs Jésus explicitement le leur dit. C'est nous aussi sans doute qui lisons en cinémascope ce qu'ils ont vu ! Ce qui se passe ici fondamentalement, c'est la révélation de la donation féconde, c'est-à-dire que donner multiplie les choses à donner. C'était cela qui était à percevoir, mais ils n'ont rien aperçu, ils ont mangé, ils étaient même contents de manger. La façon même dont ces pains sont arrivés là ne les préoccupe pas : Jésus est le nourricier pour eux. Or Jésus n'est pas le nourricier.
Ils l'ont vu comme nourricier et non pas comme celui que le Père envoie pour nourrir le monde, pour que le monde ait la vie. C'est étrange en effet : ils viennent de voir ce que nous considérons comme un miracle fastueux, et ils se permettent de demander un signe. C'est très intéressant d'ailleurs à la mesure où cela peut rétrospectivement nous aider à lire ce que signifie le récit qui n'est justement pas le récit du miraculeux sensationnel que nous pensons, puisqu'ils n'ont pas vu ce qui était à voir. Nous encore moins !
Traduction de la TOB
1Après cela Jésus passa sur l'autre rive de la mer de Galilée, dite encore de Tibériade. 2Une grande foule le suivait parce que les gens avaient vu les signes qu'il opérait sur les malades. 3C'est pourquoi Jésus gravit la montagne et s'y assit avec ses disciples. 4C'était peu avant la Pâque qui est la fête des Juifs. 5Or, ayant levé les yeux, Jésus vit une grande foule qui venait à lui. Il dit à Philippe: «Où achèterons-nous des pains pour qu'ils aient de quoi manger»? 6En parlant ainsi il le mettait à l'épreuve; il savait, quant à lui, ce qu'il allait faire. 7Philippe lui répondit: «200 deniers de pain ne suffiraient pas pour que chacun reçoive un petit morceau». 8Un de ses disciples, André, le frère de Simon-Pierre lui dit: 9«Il y a là un garçon qui possède 5 pains d'orge et 2 petits poissons; mais qu'est-ce que cela pour tant de gens»? 10Jésus dit: «Faites-les asseoir». Il y avait beaucoup d'herbe à cet endroit. Ils s'assirent donc; ils étaient environ 5.000 hommes. 11Alors Jésus prit les pains, il rendit grâce et les distribua aux convives. Il fit de même avec les poissons: il leur en donna autant qu'ils en désiraient. 12Lorsqu'ils furent rassasiés, Jésus dit à ses disciples: «Rassemblez les morceaux qui restent de sorte que rien ne soit perdu». 13Ils les rassemblèrent et ils remplirent 12 paniers avec les morceaux des 5 pains d'orge qui étaient restés à ceux qui avaient mangé. 14A la vue du signe qu'il venait d'opérer, les gens dirent: «Celui-ci est vraiment le Prophète, celui qui doit venir dans le monde». 15Mais Jésus, sachant qu'on allait venir l'enlever pour le faire roi, se retira à nouveau, seul, dans la montagne.
[1] En Nombres 11, 13 on a une parole du même type adressée par Moïse à Dieu lors de l'Exode, mais sans le verbe "acheter ", au début il n'y a pas de verbe ni en hébreu ni en grec, et à la fin figure le verbe "donner" : « D'où à moi de la viande à donner à tout ce peuple ? » (Traduction littérale)
[2] Seul saint Jean parle de "pains d'orge", cela fait référence à Elisée : « Un homme arriva de Baal Schalischa. Il apporta du pain des prémices à l'homme de Dieu, vingt pains d'orge et des épis nouveaux dans son sac. Élisée dit: “Donne à ces gens, et qu'ils mangent.” Son serviteur répondit: “Comment pourrais-je en donner à cent personnes?” Mais Élisée dit: “Donne à ces gens, et qu'ils mangent; car ainsi parle YHWH: “On mangera, et on en aura de reste.” » (2Rois 4, 42-44)