La foi, l'espérance et la charité en 1 Thessaloniciens 1, par Jean-Marie Martin
De l'espérance, il est peu question dans l'Évangile, et l'énumération que nous connaissons "foi, espérance et charité" est elle-même extrêmement rare. La première lettre aux Thessaloniciens est l'un des lieux où on la trouve, mais bien sûr les trois mots n'ont pas le sens qu'ils ont à notre oreille, c'est ce que nous fait découvrir Jean-Marie Martin, spécialiste de saint Jean et saint Paul ainsi que des premiers gnostiques chrétiens.
Pendant plusieurs années (jusqu'en 2015-2016) il a animé des cycles de 5 rencontres au Forum 104, un haut lieu de rencontre des traditions spirituelles occidentales et orientales qui se trouve au 104 rue de Vaugirard à Paris. Comme le Forum 104 choisit chaque année un thème, J-M Martin a en général essayé d'en tenir compte. C'est ainsi qu'en 2015-2016 il s'est retrouvé à parler de l'espérance ! La transcription qui est mise ici correspond au début de la 2ème rencontre.
N B : Vous ne trouverez pas beaucoup le mot de "charité" qui est l'un des mots traduisant le mot agapê dans le Nouveau Testament, l'autre étant "amour". En effet J-M Martin préfère ne pas le traduire le mot grec agapé car les mots de "charité" et d' "amour" sont très ambigus chez nous. En particulier quand on parle aujourd'hui de charité, on relie souvent ça au fait de donner une pièce à un SDF, en pensant ce geste comme l'expression d'une pitié ou d'une mauvaise conscience.
La foi, l'espérance et la charité en 1 Thessaloniciens 1
par Jean-Marie Martin
De l'espérance, il est peu question dans l'Évangile. Le verbe "espérer" (elpizeïn) existe mais ce n'est pas un mot fréquent[1]. Vous l'entendez sans doute premièrement à travers l'énumération qui nous est devenue familière mais qui est tardive dans la pensée de l'Église : la foi, l'espérance et la charité. Le mot "espérance" prend donc place dans une structure, une énumération.
Deux choses à ce propos :
– D'une part cette étrange énumération de trois n'est attestée que deux ou trois fois dans l'ensemble du Nouveau Testament (1 Thess 1, 3 ; 1 Cor 13, 13[2]).
– D'autre part, il n'est pas dit que cette énumération soit signifiante parce qu'elle a été promue par quelque chose qui ne structure pas le texte de l'Évangile. En effet elle a été promue par le souci de la grande théologie de définir chaque mot essentiel, seulement la théologie ne l'a pas toujours fait à partir de l'esprit de l'Évangile, elle l'a fait souvent dans l'esprit de l'Occident. En particulier la théologie médiévale de saint Thomas d'Aquin puise beaucoup dans ce qui fait la source des grammaires et de la pensée occidentale, c'est-à-dire dans la logique d'Aristote.
Aujourd'hui nous allons prendre des lectures dans saint Paul et tout d'abord le chapitre premier de la première épître aux Thessaloniciens qui est la première épître écrite par Paul. Nous allons y trouver notre énumération mais dans un autre ordre.
Je traduis d'abord littéralement le texte pour l'étude, avec cette difficulté qu'en grec il y a une phrase de Paul qui est très longue et difficile à traduire en enchaînant les choses les unes aux autres. Les traductions en français, évidemment, coupent en plusieurs phrases en mettant des points [cf. une traduction courante à la fin du message], ce qui est bon pour une oreille française mais qui est parfois au détriment de certains aspects du texte. Nous en avons déjà vu un exemple au premier chapitre de l'épître aux Éphésiens.
- N B : J-M Martin traduit oralement, il n'a devant lui que le Nouveau Testament grec, sa traduction ne prétend donc pas à l'exactitude d'un travail d'exégèse.
1Paul, Silvain et Timothée à l’Église des Thessaloniciens, en Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ, grâce à vous et paix.
2Nous rendons grâce à Dieu toujours au sujet de vous tous, faisant mention de vous dans nos prières incessamment, 3nous remémorant votre œuvre de la foi, et la fatigue de votre agapê, et la patience de l'espérance de notre Seigneur Jésus Christ, devant notre Dieu et Père, 4sachant, frères bien-aimés de Dieu, votre élection, 5que notre Évangile n'est pas demeuré chez vous seulement en parole, mais aussi en puissance et en Esprit Saint, et en fructification abondante, comme vous le savez, tels nous sommes à cause de vous, 6et vous, vous êtes devenus nos imitateurs ainsi que du Seigneur, ayant reçu la Parole dans une tribulation multiple, avec joie et Esprit Saint : 7en sorte que vous êtes devenus un modèle pour tous ceux qui croient en Macédoine et en Achaïe.
8De chez vous, en effet, la parole du Seigneur a retenti non seulement en Macédoine et en Achaïe ; et en tout lieu la nouvelle de votre foi en Dieu s’est répandue en sorte que nous n’avons pas besoin d’en parler.
9Eux en effet, à notre sujet, rapportent quelle arrivée nous eûmes chez vous, et comment vous vous êtes tournés vers Dieu en abandonnant les idoles pour célébrer le Dieu vivant et vrai 10et pour attendre des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous arrache à la colère qui vient.
Vous avez reconnu le principe qu'on trouve au début de chaque lettre de saint Paul :
- le nom de l'envoyeur
- l'adresse (ceux à qui la lettre est adressée)
- une salutation
à savoir :
- Paul, Silvain et Timothée
- l'Église de Thessalonique
- "en Dieu notre Père et le Seigneur Jésus Christ, grâce à vous et paix"
Et comme dans presque toutes les lettres de Paul, après la salutation et l'envoi, il eucharistie (il rend grâce) :
« 2Nous rendons grâce à Dieu toujours au sujet de vous tous, faisant mention de vous dans nos prières incessamment, 3nous remémorant
- votre œuvre de la foi,
- la fatigue de votre agapê (votre charité),
- la patience de l'espérance de notre Seigneur Jésus Christ devant notre Dieu et Père. »
Nous avons donc la mention de la triade "foi, espérance et charité" ou plus exactement "foi, charité et espérance".
Ce ne sont pas les noms de foi, charité et espérance qui sont premiers, ils sont précédés chacun par un substantif.
1) "Votre œuvre de la foi" : à propos de la foi c'est donc l'œuvre, et c'est curieux car on distingue généralement la foi et les œuvres. Mais en fait, il s'agit de "la mise en œuvre de votre foi", il ne s'agit pas des œuvres comme distinguées de la foi.
2) Plus étonnant : "la fatigue de votre agapê". Le mot kopos (fatigue) est un mot que nous connaissons bien par saint Jean, non pas qu'il soit fréquent chez lui, mais il se trouve au début et à la fin de l'épisode de la Samaritaine. « Jésus, fatigué par le chemin s'assit au bord du puits » et à la fin où il s'agit des semeurs qui se sont fatigués, cela étant mis en rapport avec la joie du moissonneur, ce qui est un thème classique : dans le thème classique de la semaille et de la moisson, la semaille est comme la fatigue et la moisson est comme la joie. De fait, c'est un thème qu'on trouve fréquemment dans l'Ancien Testament, lui qui a rapport avec la victoire et la récolte. Dans notre texte on ne s'attend pas trop à cette mention de la fatigue à propos de l'agapê puisque, quand on aime on ne se fatigue pas… Mais non, l'agapê est aussi la mise en œuvre d'un travail.
3) Enfin il y a la patience de l'espérance. Le terme hupomonê (patience) est un mot qui est toujours accolé à l'espérance. En effet, comme nous le verrons dans un autre texte[3], on espère ce qu'on attend : espérer c'est attendre.
Il m'est arrivé souvent de dire, parce que c'est facile à retenir :
- la foi c'est entendre,
- l'espérance c'est attendre,
- et l'agapê c'est s'entendre mutuellement.
Dans entendre, attendre, s'entendre il y a la racine ten qui est latine, avec une correspondance en grec.
Première remarque sur "foi, espérance et charité".
Vous avez donc ici la foi, la charité et l'espérance, des vertus réputées mais qui ne sont pas présentés comme telles ici.
Remarquez que, chez nous, la foi, l'espérance la charité ne sont pas toujours considérées à partir de la notion de vertu. L'espérance, pour parler d'elle, c'est l'acte d'attendre et donc aussi la possibilité de poser l'acte qui est habitus au sens de "l'aptitude à", et habitude si l'on veut. Seulement, dans la langue française, nous disions aussi : « Dans cette fille, il y a des espérances », cela voulait dire que qu'elle n'avait sans doute pas de dot mais qu'elle avait "des espérances", c'est-à-dire qu'elle pouvait compter sur un héritage. Dans ce cas on ne compte pas sur la vertu d'espérance, on ne compte pas sur un acte, mais on compte sur les choses espérées.
Il faut faire bien attention à ces usages qui se retrouvent parfois dans d'autres langues. Il faut laisser à la langue qu'on aborde la capacité de se déployer selon son propre mouvement. Donc connumérer les trois comme vertus n'est pas forcément évident.
Deuxième remarque.
Voyez que l'ordre des trois dans notre texte n'est ni l'ordre retenu par la théologie ni l'ordre qui se trouve en 1 Cor 13, 13, un texte de Paul que nous allons examiner où la foi et l'espérance sont ensemble, et où l'agapê est en troisième position alors qu'ici elle est en deuxième position.
Vous savez que cette énumération se trouve au total deux ou trois fois, alors que le terme de "foi" est à toutes les pages de l'Évangile, le terme "agapê" également, c'est-à-dire qu'il y a un ensemble foi / agapê qui est le cœur de l'Évangile, puisque la foi c'est garder la parole et que ce que dit la parole n'est rien d'autre qu'aimer. Nous retrouvons la phrase de Jean : « Si vous m'aimez, vous garderez ma parole… » (Jn 14, 15-16). On pourrait se demander pourquoi l'espérance a moindre fréquente, moindre usage, dans nos Écritures. Par ailleurs, je l'ai dit, ce terme d'espérance est toujours lié au terme de "patience".
Dernière remarque.
Remarquez que pour une fois Paul n'a rien à redire ses correspondants, cette lettre est toute de félicitations alors que par exemple dans les Galates ce n'est pas le cas : « Ô Galates insensés… »
En particulier les Thessaloniciens sont loués « d'avoir reçu la parole dans l'affliction avec joie et Esprit Saint » et il faut voir qu'ici "joie" et "Esprit Saint" c'est la même chose. Voyez cet usage du mot "Esprit Saint" qui prend une grande liberté par rapport à notre usage où nous le situons dans la Trinité Père / Fils / Esprit Saint. Ici Esprit Saint s'accole avec le sentiment (la vertu) de joie.
ANNEXE
Traduction de la TOB:
1Paul, Silvain et Timothée à l’Église des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus Christ. À vous grâce et paix.
2Nous rendons continuellement grâce à Dieu pour vous tous quand nous faisons mention de vous dans nos prières ; sans cesse, 3nous gardons le souvenir de votre foi active, de votre amour qui se met en peine, et de votre persévérante espérance, qui nous viennent de notre Seigneur Jésus Christ, devant Dieu notre Père, 4sachant bien, frères aimés de Dieu, qu’il vous a choisis. 5En effet, notre annonce de l’Évangile chez vous n’a pas été seulement discours, mais puissance, action de l’Esprit Saint, et merveilleux accomplissement. Et c’est bien ainsi, vous le savez, que cela nous est arrivé chez vous, en votre faveur. 6Et vous, vous nous avez imités, nous et le Seigneur, accueillant la Parole en pleine détresse, avec la joie de l’Esprit Saint : 7ainsi, vous êtes devenus un modèle pour tous les croyants de Macédoine et d’Achaïe.
8De chez vous, en effet, la parole du Seigneur a retenti non seulement en Macédoine et en Achaïe, mais la nouvelle de votre foi en Dieu s’est si bien répandue partout que nous n’avons pas besoin d’en parler. 9Car chacun raconte, en parlant de nous, quel accueil vous nous avez fait, et comment vous vous êtes tournés vers Dieu en vous détournant des idoles, pour servir le Dieu vivant et véritable 10et pour attendre des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus, qui nous arrache à la colère qui vient.
[1] Le mot elpis (espérance) est utilisé dans la traduction grecque des Septantes pour traduire l'hébreu batah qui désigne la confiance, la sécurité. Même chose pour le verbe elpizeïn qui signifie "espérer" ou "mettre sa confiance". Par exemple : « Heureux l'homme qui espère en YHWH… » (Psaume 40, 4)
[2] La traduction de ce verset est très délicate : « Maintenant donc, ces trois-là demeurent, la foi (pistis), l’espérance (helpis) et l’agapê (amour, charité) mais plus grande que les trois est l’agapê. » Cf. Contradictions en 1 Cor 13, 4-13 ? Foi, espérance et charité (agapê) : entendre, attendre, s'entendre .
[3] « L’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? » (Rm. 8, 24).