Homélie sur Isaïe 25,6-9 et Mt 22,1-14. L'invitation ; l'appel et l'élection. Beaucoup d'appelés et peu d'élus
Extraits de la messe du dimanche 12 octobre 2008 à Saint-Jacut, dernier jour de la retraite dirigée par Jean-Marie Martin sur le thème "Enfants de Dieu" : textes de la liturgie et homélie. Avec une interprétation inédite de "beaucoup d'appelés et peu d'élus".
La lecture de la Parole en Gn 1 se trouve plus longuement méditée dans : Le déploiement de la parole en Gn 1. Dire, voir, séparer, appeler ; lumière, ténèbre, jour. Sur le mot Ekklêsia (humanité convoquée) : Différents sens du mot Église (Ekklêsia) chez st Paul et au Concile Vatican II. Qu'est-ce que la "sainte Église catholique" ?.
L'invitation ; l'appel et l'élection
- Lecture du livre d'Isaïe (25,6-9).
Ce jour-là, le Seigneur, Dieu de l'univers, préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. Il enlèvera le voile de deuil qui enveloppait tous les peuples et le linceul qui couvrait toutes les nations. Il détruira la mort pour toujours. Le Seigneur essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l'humiliation de son peuple ; c'est lui qui l'a promis. Et ce jour-là, on dira : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions, et il nous a sauvés ; c'est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! »
- Évangile selon saint Matthieu (22,1-14).
Jésus se remit à parler en paraboles : « Le Royaume des cieux est comparable à un roi qui célébrait les noces de son fils. Il envoya ses serviteurs pour appeler à la noce les invités, mais ceux-ci ne voulaient pas venir. Il envoya encore d'autres serviteurs dire aux invités : “Voilà: mon repas est prêt, mes bœufs et mes bêtes grasses sont égorgés; tout est prêt: venez au repas de noce”. Mais ils n'en tinrent aucun compte et s'en allèrent, l'un à son champ, l'autre à son commerce; les autres empoignèrent les serviteurs, les maltraitèrent et les tuèrent. Le roi se mit en colère, il envoya ses troupes, fit périr les meurtriers et brûla leur ville.
Alors il dit à ses serviteurs : “Le repas de noce est prêt, mais les invités n'en étaient pas dignes. Allez donc aux croisées des chemins: tous ceux que vous rencontrerez, invitez-les au repas de noce”. Les serviteurs allèrent sur les chemins, rassemblèrent tous ceux qu'ils rencontrèrent, les mauvais comme les bons, et la salle de noce fut remplie de convives. Le roi entra pour voir les convives. Il vit un homme qui ne portait pas le vêtement de noce, et lui dit : “Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce?”. L'autre garda le silence. Alors le roi dit aux serviteurs : “Jetez-le, pieds et poings liés, dehors dans les ténèbres; là il y aura des pleurs et des grincements de dents”. Certes, la multitude des hommes est appelée, mais les élus sont peu nombreux ».
Homélie de J-M Martin.
Si cette célébration du dimanche eut été moins longue et que j'eusse du donner une homélie, j'aurais commencé par évoquer ce thème symbolique qui court depuis les prophètes, comme nous avons eu occasion d'en entendre un écho dans la première lecture, le thème symbolique et eschatologique de la fin des temps qui est le festin, le festin de noces. Nous avons rencontré ce thème en saint Jean dans les Noces de Cana, qui ont aussi une signification par rapport à l'accomplissement total, et qui, au thème du festin et au thème des noces, ajoutent le vin du festin.
Si j'avais dû donner une homélie j'aurais ensuite caractérisé particulièrement la reprise de ce thème dans le texte de saint Matthieu que nous venons d'entendre. Si on regarde bien le texte, le terme qui est le plus fréquemment employé c'est le verbe "inviter" : « être invité ». Or ce verbe en grec c'est kaléô un verbe qu'on traduit habituellement par appeler (klêsis c'est l'appel). "Inviter" est très bien choisi à propos d'une invitation à une noce, mais nous tombons dans le thème général de la parole de Dieu comme appelante. La parole de Dieu appelle. Et nous avons essayé de fréquenter la parole de Dieu.
Et cela je l'aurais développé à partir par exemple de la Genèse d'abord où la parole de Dieu est analysée :
– « Dieu dit : "Lumière soit"… Lumière est ».
– « Et Dieu vit que la lumière était belle » : la parole donne de voir
– ensuite la parole discerne entre la ténèbre et la lumière, c'est dire qu'elle prépare les ajustements qui vont constituer un monde dans notre beau sens à nous, un monde harmonieux, un monde bien ajusté. Car il faut discerner et relier : c'est la même chose qui discerne de façon opportune et qui rapporte les choses les unes aux autres.
– Et enfin « Dieu appela la lumière jour, et la ténèbre nuit ». Le mot appeler ici est pris dans les deux sens du terme : il appelle c'est-à-dire qu'il donne le nom, et nous savons que le nom c'est l'identité profonde de la chose dans le monde hébraïque ; et en même temps il appelle au sens de "inviter à venir", en effet le mot hébreu qui dit "appeler" ici c'est le mot qu'on traduit par crier : « il crie ». Alors Dieu convoque, appelle l'humanité.
Et ce mot "appeler" ainsi lu dans la Genèse, je l'aurais relu chez saint Paul. En effet les pères sont nommés klêtoïs hagioïs : "appelés à la consécration", "appelés consacrés" ou "appelés à être consacrés" (1 Cor 1, 2).
Et le mot klêtos (appelé) qui est utilisé ici, c'est ce que vous trouvez dans ekklêsia : l'Ekklêsia c'est la convocation de la totalité de l'humanité, l'Église dans le grand sens du terme, la grande invitation.
Enfin si j'avais dû donner une homélie, je me serai arrêté quelques instant sur le dernier mot qui est assez énigmatique auquel j'ai fait allusion, je crois, en passant, au cours de la semaine : « Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus ». Vous savez que cette expression a fourni dans les siècles classiques, surtout dans les moments où la prédication de la peur a pris une certaine place, des sermons sur le petit nombre des élus. Si j'avais dû faire une homélie j'aurais cité le mot que j'ai lu chez un père de l'Église ou un écrivain chrétien des premiers siècles, qui est une interprétation magnifique de ce texte.
On sait que l'appel et l'élection chez saint Paul sont deux termes qui disent souvent la même chose, mais pour peu qu'on veuille les distinguer comme c'est le cas ici, il faut les entendre comme deux moments de la même parole : l'appel tombe sur tous en tant qu'ils sont divers, dispersés, multiples, déchirés comme dit saint Jean, où ils sont les nombreux ; mais pour autant qu'ils commencent à entendre l'appel ils se réunifient intérieurement et avec autrui, si bien que finalement ils sont en marche vers l'unité et sont déjà peu nombreux. Mais ce sont les mêmes. Ils sont ainsi nommés les nombreux et le petit nombre sous la même parole. C'est une magnifique interprétation. Si j'avais dû faire une homélie je vous aurais donné cela à méditer !