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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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1 janvier 2020

"Fragments d'intacte", poème de J-M Martin écrit en 1996

Pour commencer l'année 2020 d'une façon un peu différente des habituels messages, voici un poème…

Fragments d'intacte, le titre du poème est un oxymore, La particularité de l'oxymore, c'est d'assembler deux mots qui sont incompatibles, ou qui sont des contraires. Ici cela.concerne le rapport de la multiplicité et de l'unité. C'est un thème cher à Jean-Marie Martin[1].Mais le titre n'est pas développé dans le poème. Comme il l'a dit une fois :

  • « l'intacte, là, c'est la Sologne - mais la Sologne, peu importe -, c'est la Sologne. Elle est traitée selon les quatre saisons ou les quatre éléments – c'est la même chose –, et elle est telle, finalement, que cet écartèlement des quatre, ou cet écartement, simplement, laisse intacte la Sologne –. C'est une chose que j'ai pensée sous beaucoup d'autres formes, à savoir que l'été, par exemple, loin d'être enfui quand c'est l'hiver, est enfoui dans l'hiver.
    Ça pourrait faire penser au rapport du rêve et de l'éveil dans l'expérience suivante : vous faites un rêve dans lequel vous tuez, et au réveil vous constatez que la personne est vivante ; c'est-à-dire que la voir morte relève d'un manque de voir[2]. Tout ce qui est fragmentaire relève d'un manque de voir, de voir l'unité qui reste secrète sous l'apparente diversité, et même sous l'apparente déchirure.»

3è strophe : "C'est la terre que l'on besogne, inceste déjà pardonné"... C'est quelque chose dont J-M Martin a parlé à plusieurs reprises : le pardon précède la création :

  • « Tout se passe comme si déchirer la terre pour l'agriculture - la terre qui, de toute façon, pour les Anciens n'est en aucune façon un matériau mais quelque chose comme la mère -, tout se passe comme si déflorer la mère (déflorer la terre) par la cueillette des fleurs et des fruits, tout se passe comme si écraser la grappe pour le vin, tout se passe comme si égorger l'animal pour la nourriture, tout se passe comme si tuer l'ennemi pour la sécurité (pour la sauvegarde), était, dans une symbolique profonde, ressentie comme une violence ou une rapine qui ne peut être justifiée que parce qu'avant d'être rapine c'était d'une autre manière toujours déjà un don, ou plus exactement un pardon. Il y a le nécessaire déchirement, la nécessaire mise à mort de la nature, tout cela qui montre qu'on ne vit guère sans mettre à mort autrui, sans prendre sa place, sans le limiter, et cependant tout se passe comme si cela devait toujours déjà être précédé de ce qui, absolvant, le laisse être. Il y va d'être au monde et d'être au monde de façon conciliée. L'existence doit être déjà conciliée, réconciliée, pour être.»

 

 

    Fragments d'intacte

 

en SologneTerre, mémoire des bruyères
dont la fête éclate si fort,
et qui gardes les os des morts
peut-être pour des fins dernières.

C'est la terre en nous qui perçoit
divine celle que nous fûmes,
et donc l'humain toujours s'inhume
dans la connaissance de soi.

Et la terre que l'on besogne
inceste déjà pardonné,
offre en plus à l'œil étonné
les champs violets de Sologne.

En nous sommeillent les étangs
regardant à ras de paupières
le cours d'immobiles rivières
en éternité de plain temps.

Parfois les eaux grandes baigneuses
émergent le temps d'un tableau
laissant l'autre partie de l'eau
assise aux cavités ombreuses.

D'où viennent les rimes qu'il faut
célébrer dans le poème
les eaux pénétrées d'elles-mêmes
et plus inverties que Sapho ?

Tout cela dans l'air aussi tendre
que la plume par quoi s'écrit
le vol d'un oiseau dans son cri
et le lointain propre à s'étendre.

Alors le souffle qui se prend
aux roselières fricatives
émeut en nous la voix plaintive
et litanique d'un plain-chant.

Ô que nous soyons respirés
imbus des senteurs génuines
et que nous prêtions la narine
au creux d'aisselle des fourrés.

Méditer comme les genêts
balayés à traits d'encre noire
gardent en grain l'heure de gloire
où le soleil s'abandonnait.

Le héros, glyphe sur le sable,
d'une patte habite l'étang,
vertical et seul advertant
aux brises indéfinissables.

Mais dans quel nid gîtent les feux
semés dans l'âtre et dans la brique,
mais où donc la pupille unique
de l'oiseau plus que fabuleux ?

 


[1] Les fragments d'intact, je les ai trouvés déjà dans le démembrement du Nom, c'est-à-dire dans les généalogies des dénominations (cf le Plérôme des dénominations dans le tag gnose valentinienne). C'est-à-dire que les auteurs qui parlent de cela distinguent ces dénominations en tant que des noms démembrés, c'est-à-dire en tant que partiels d'une part, en quoi elles sont véritablement fragments. Et puis, il envisage ce qu'il appelle l'égalisation des notions, l'égalisation des éons, c'est-à-dire lorsque chacune est pensée non plus à partir de son départ, mais dans sa plénitude, elles s'égalisent toutes, c'est-à-dire que toutes ces dénominations disent l'indicible unique. C'est un très beau thème développé chez les valentiniens surtout, qui est tout à fait dans la ligne et de saint Paul et saint Jean. On pourrait le montrer de façon précise. » (Extraits de la soirée à St Bernard sur le thème du Monogène, 5 janvier 2005).

[2] « Ce que Jean dit tout au long des textes de la Passion c'est l'impossibilité de tuer celui qui est la vie. En d'autres termes la vie donnée (mais le verbe "donner" reste à voir) n'est pas la vie mise en échec. Voilà ce qui intéresse Jean. Ne vous trompez pas. Les abîmes de ce don, pour inconnus qu'ils nous soient, ne le cèdent en rien à notre expérience de la souffrance dans toute sa vérité. Nous voulons dire qu'une mort pour la vie n'est certainement pas moins douloureuse qu'une mort pour la mort ; il n'est pas question de cela. [J-M Martin dit alors un autre de ses poèmes :]

Quand le couteau du jour finira d'excorier
ma grande nuit sereine à ses coups dérisoires,
et qu'intacte il verra la nuit se relever
pour reprendre sa course, il lui faudra bien croire
qu'il ne tuait qu'en rêve. Et quand tous nos discours
auront usé leur ongle à la peau du silence,
tous nos vains graffitis paraîtront à leur tour
illisibles aux murs où jouait notre enfance. »         
(Extrait du cours de J-M Martin à l'Institut Catholique de Paris en 1974-75).

Cette idée se trouve dans L'évangile de la vérité, cf. Les dons du St Esprit ; Un/multiples ; Fragments d'intact ; Parabole des apparitions nocturnes (Év. de vérité)

 

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