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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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12 octobre 2018

Romains 10, 6-17 : Foi et Résurrection

Après avoir lu saint Jean pendant de nombreuses années avec le public de Saint-Bernard-de-Montparnasse, en 1993, Jean-Marie Martin (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?) a décidé de lire l'épître aux Romains et a commencé par Rm 10, 6-17 car ce texte met en évidence des choses fondamentales, et de nombreux mots importants y sont présents. Ce passage commence par dire que « la foi nous met à l'aise devant un certain regard qui rend juste et qui ajuste » et finit en disant que  « la foi vient de l'écoute. » Lorsque J-M Martin commente, il traduit directement le grec car il n'a sous les yeux que le texte grec. La traduction de la Bible Darby a été ajoutée au début. Sur ce passage les traductions diffèrent considérablement !

  • Pour lire, télécharger, imprimer, c'est ici en fichier pdf : Rm_10__6_17.

 

Rm 10, 6-17

Foi et Résurrection

 

Paul écrivant, St Gallen, vers 800J'ai choisi ce texte parce que c'est un des lieux privilégiés dans lequel  l'objet de la foi (ce que dit la foi) c'est essentiellement la résurrection. Mais je dis cela provisoirement car le mot "objet de la foi" est très mauvais.

Ceci n'est pas neuf puisque toute notre lecture de Jean a été elle-même supportée par ce principe. Nous pouvons entendre dire beaucoup de choses au sujet de Jésus, au sujet de l'Évangile, au sujet du christianisme… Mais rien ne s'entend qu'à partir de la résurrection, en particulier le mot de "foi" ne s'entend qu'en référence à la résurrection, et je n'entends rien à la résurrection sinon en référence au mot de foi.

Qu'est-ce que la foi ? La foi, c'est le recueil de la résurrection. Ceci, pour l'instant, c'est un repère. Il est hautement énigmatique, il ne faut pas se le cacher. Que Jésus soit ressuscité, si je l'entends au sens le plus banal du terme, qu'il soit revenu à la vie, comme ça après être mort, comment voulez-vous que ce soit là-dessus que je fonde la totalité de ce qui est à penser et à entendre, et l'essentiel des choses ! Or c'est ce qui est dit ici. Mais sans doute le mot "résurrection" ne signifie pas simplement ce que ce mot évoque spontanément dans notre esprit.

 

Première partie : lecture du texte

 

« 6Mais la justice qui est sur le principe de la foi parle ainsi : Ne dis pas en ton cœur : "Qui montera au ciel ?" -c’est à savoir pour en faire descendre Christ ; 7ou : "Qui descendra dans l’abîme ?" -c’est à savoir pour faire monter Christ d’entre les morts. 8Mais que dit-elle ? "La parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur", c’est-à-dire la parole de la foi, laquelle nous prêchons, à savoir que, 9si tu confesses de ta bouche Jésus comme Seigneur et que tu croies dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, tu seras sauvé.10Car du cœur on croit à justice, et de la bouche on fait confession à salut.

11Car l’Écriture dit : "Quiconque croit en lui ne sera pas confus". 12Car il n’y a pas de différence de Juif et de Grec, car le même Seigneur de tous est riche envers tous ceux qui l’invoquent ; 13"car quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé".

14Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n’ont point cru ? Et comment croiront-ils en celui dont ils n’ont point entendu parler ? Et comment entendront-ils sans quelqu’un qui prêche ? 15Et comment prêcheront-ils, à moins qu’ils ne soient envoyés ? selon qu’il est écrit : "Combien sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, de ceux qui annoncent de bonnes choses". 16Mais tous n’ont pas obéi à l’évangile ; car Ésaïe dit :" Seigneur, qui est-ce qui a cru à ce qu’il a entendu de nous ?". 17Ainsi la foi est de ce qu’on entend, et ce qu’on entend par la parole de Dieu.»

(Traduction Darby) 

 

●  Verset 6a. L'ajustement qui vient de la foi

 « 6Ainsi parle l'ajustement (la justification) qui vient de la foi :... »

J'ai traduit dikaiosunê par "ajustement". En  effet, si nous le traduisons par "justification", nous sommes d'emblée dans un contexte éthique de justice, or le Nouveau Testament est l'annonce d'une parole qui n'est pas une parole éthique. Le mot "ajustement" ne résout pas tout car il risque de nous mettre dans un concept analogique, et en plus l'expression : "être justifié aux yeux de quelqu'un", c'est-à-dire être à l'aise devant les yeux de quelqu'un (ou sous son regard), qui est une expression courante, juridique, indiquerait pour nous plutôt quelque chose d'ordre psychologique. Enfin dire "ajustement" peut nous mettre dans un contexte d'ordre logique ou métaphysique. Alors, ce n'est rien de tout cela chez Paul parce que les mots du Nouveau Testament ne parlent pas à partir de la métaphysique ou de la psychologie.

Ce que dit Paul c'est que c'est la foi qui nous ajuste à Dieu. En effet elle nous met à l'aise devant un certain regard qui rend juste et qui ajuste. Cela c'est le thème fondamental de l'épître.

 

●  Versets 7-10. La profession de foi.

Paul cite d'abord Dt 9, 4 puis l'interprète : – Ne dis pas dans ton cœur "Qui montera vers le ciel ?" - Ceci indique la descente du Christ.

Paul ensuite cite Dt 30, 12-13 puis l'interprète – …7Ou : "Qui descendra vers l'abîme ?" - Ceci indique la résurrection d'entre les morts.

Paul continue en citant Dt 30, 14 puis l'interprète 8Mais que dit-il ? La parole – "la parole" ou "la chose" car cela traduit un mot hébraïque qui signifie les deux – est près de toi – ne va pas la chercher dans les hauteurs ni dans l'abîme – dans ta bouche et dans ton cœur. - Telle est la parole de la foi que nous proclamons – le mot proclamation c'est kérygma.

Paul interprète maintenant l'expression "parole de foi".

    9car si tu professes (homologeïn) de ta bouche que Jésus est Seigneur,
     et si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauf (sauvé).
   10Car on croit de cœur pour l'ajustement (la justification),
     on professe de bouche pour le salut. » (Rm 10).

Au verset 9 nous avons deux stiques comme deux vers, et de même au verset 10. À chaque fois les deux vers disent sensiblement la même chose avec un léger décalage. C'est cela la structure d'écriture hébraïque. C'est le monde de la rime, mais une rime de pensée, pas une rime simplement sonore.

Une seule chose est dite en deux termes. Si je regarde verticalement pièce à pièce :

  • professer de bouche /croire de cœur ;
  • Jésus est Seigneur /Dieu l'a ressuscité ;
  • croire de cœur pour l'ajustement / professer de bouche pour le salut.

À chaque fois, les termes s'égalent, ils disent la même chose :

– Professer et croire c'est la même chose.

– La bouche et le cœur c'est le même, à condition que la bouche soit fidèle au cœur.

– « Jésus est Seigneur » ou « Jésus est ressuscité » c'est la même chose, la chose très importante que nous aurons à voir : c'est de la Résurrection, qui est au cœur de tout, que se tire le sens authentique des grands titres de Jésus : il est Seigneur en tant que Ressuscité c'est-à-dire qu'il acquiert la maîtrise sur la mort en traversant la mort par la Résurrection. Voilà ce que veut dire Seigneur : il est Seigneur en ce qu'il maîtrise le monde, le monde régi par la mort.

– Ajustement et salut sont deux mots pour dire la même chose

 

●  Versets 11-17.

11Car l'Écriture dit : "Aucun de ceux qui croient en lui ne sera confondu" (Is 28, 16) 12en effet il n'y a pas de différence entre le Judéen et le Gec – c'est une problématique sur le Judéen (le juif) et le Grec qui est de première importance dans la constitution de la première pensée chrétienne et de la première écriture chrétienne. C'est appuyé sur les deux citations des versets 11 et 13 :« tout homme qui… », donc qu'il soit Judéen ou Grec – il est le même Seigneur de tous, riche envers tous ceux qui l'invoquent 13car "tout homme qui invoquera le nom du Seigneur sera sauvé" (Joël 2, 32).

14Comment donc invoqueront-ils celui en qui ils n'ont pas cru (ou comment l'invoqueraient-ils sans avoir cru en lui) ? Comment donc croiront-ils à celui qu'ils n'ont pas entendu (ou comment croiraient-ils en lui sans l'avoir entendu) ? Comment donc entendront-ils s'il n'y a pas quelqu'un qui proclame ? 15Et comment donc sera-t-il proclamé s'ils ne sont pas envoyés selon qu'il est écrit : "Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui évangélisent des bonnes nouvelles" (Is 52, 7)

16mais tous n'ont pas obéi à la bonne nouvelle (l'évangile). En effet Isaïe dit : "Seigneur, qui a cru à notre écoute (annonce) ?" (Is 53, 1)

17Donc la foi vient de l'écoute (de l'entendre)la foi est d'essence, de provenance acoustique ; bien sûr, pas acoustique au sens restreint que nous pouvons donner à ce mot aujourd'hui – et l'écoute (l'entendre) par la parole du Christ. – Le mot "foi" est lié ici au mot "entendre", et ceci est très important pour ne pas se borner à considérer le mot "foi" au sens courant d'opinion. La foi n'est pas avoir une opinion sur quelque chose. Il s'en faut de beaucoup qu'elle ait ce sens restreint, nous verrons plusieurs raisons qui vont se dégager du texte.

 

Deuxième partie : réflexions à partir du texte

 

●  L'anthropologie de Paul, sa façon de désigner l'homme.

Nous avons vu que d'après les versets 9-10 un certain nombre de mots disent le même. Prenons la bouche et le cœur. Ceci va nous ouvrir une première réflexion sur l'anthropologie paulinienne, c'est-à-dire sur ses modes de désigner l'homme.

Dans la langue hébraïque il y a un très grand nombre d'expressions doubles comme par exemple les reins et le cœur, la chair et l'os (« voici l'os de mes os, la chair de ma chair » Gn 2,23), la chair et le sang. Il y a d'autres désignations doubles qui sont un peu différentes comme l'esprit et la chair. Il faut que nous les regardions attentivement parce qu'ils ne disent en aucune façon ce que nous entendons à partir de notre discours usuel.

Regardons ce qu'il en est du cœur et de la bouche :

  • Le cœur ne se pense pas comme le cœur sentimental, cordial. Il ne se pense pas non plus comme le cœur anatomique, cardiaque. En hébreu lev (le cœur) c'est la façon de dire le centre de l'être,
  • et la bouche c'est la façon de dire la manifestation extérieure et l'accomplissement de ce centre. Je conçois de cœur, je proclame de cœur.

Il y a donc le dedans et le dehors ; le centre et l'accomplissement du centre. Voilà un mode symbolique. Ce sont bien deux choses, le centre et l'extérieur, mais justement c'est la condition même pour que ce soit un. Autrement dit, ce qui est visé, c'est que la bouche proclame ce qui est au cœur. Ce n'est pas la mauvaise distance du mensonge, ça situe l'unité non pas dans une uniformité première mais déjà dans un accord constitutif. C'est en ce sens-là que c'est le même.

 

C'est donc l'image d'un homme qui est esquissée dans tout ce passage. Il y est question

    – du cœur, de la bouche comme nous venons de le voir,

    – mais aussi de l'oreille puisqu'il s'agit d'écouter, d'entendre (v. 16-17)

et c'est une chose tout à fait essentielle que ce complexe symbolique cardio-auriculo-buccal.

    – et il est question aussi des pieds (v. 15). Le pied c'est la façon de dire comment on marche, comment on se porte, comment on se comporte. Les juifs post-chrétiens distinguent le Aggadah qui recueille les récits des enseignements, et puis la halakhah qui est le mode de comportement. La halakhah c'est ce qu'on appellerait la morale mais de façon erronée, bien qu'il y ait sans doute déjà une influence occidentale dans cette distinction-là, car ils ne sont pas indemnes non plus de cette influence dominante. Nous n'en sommes pas à la distinction du théorique et du pratique, de la doctrine et de la morale… parce que, je vais vous le dire tout de suite : il n'y a pas de morale dans l'Évangile. C'est une chose que nous aurons à voir, et cela pose problème aujourd'hui.

Nous n'avons pas touché à la structure syntaxique pour l'instant. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est de voir qu'on ne peut pas entendre ces textes sans une référence à une symbolique de l'homme qui se dit en langage corporel, mais où les mots comme cœur, bouche tout l'homme : ce ne sont pas des parties composantes, mais c'est la totalité de l'homme. Nous verrons à plus forte raison que "esprit" et "chair" ne sont surtout pas des parties composantes mais des parties opposées, conflictuelles… et encore bien d'autres choses à ce sujet[1].

Donc une première chose déjà : savoir entendre dans un texte sa chair et son sang.

 

●  Le rapport de Paul à l'Ancien Testament.

Une autre chose flagrante dans ce texte, c'est la continuelle référence à ce qu'on appelle l'Ancien Testament, et de façon étrange. On n'a pas le temps de voir cela en détail, mais regardez le contexte du Deutéronome et la façon dont Paul interprète les cieux, l'abîme, la montée, la résurrection, la parole, le thème de la proximité.

Ces références posent la question de savoir quel est le rapport de la nouveauté christique à ce que nous appelons l'Ancien Testament.

Et c'est un lieu tout à fait critique chez Paul parce qu'en un sens, Paul est le dénonciateur de la Loi : la Loi ne sauve pas, la Loi est instrument de mort… et cependant toute l'écriture de Paul est une écriture référenciée à la Torah.

Il y va ici de la difficile mise en place d'un rapport entre la nouveauté chrétienne et ce qui la précède. Le tout de l'Évangile est "selon l'Écriture" – et l'Écriture cela désigne l'Ancien Testament –, et cependant la nouveauté chrétienne est la dénonciation de l'Ancien Testament lu comme loi, pas seulement au sens rituel mais dans tous les sens du terme..

 

Par ailleurs vous remarquez que nous avons là, entassé, tout un vocabulaire qui nous est familier : la foi, la confession (la profession) de foi, l'invocation, la proclamation, l'Évangile, l'apostolat, l'envoi… D'où sortent ces mots ? Pour la plupart ils ont une pré-histoire dans ce que nous appelons l'Ancien Testament mais ils sont ressaisis à neuf à partir de ce que Paul dit.

Le mot "évangile" lui-même, où a-t-il été pris ? Comme le montre Paul au v. 15, c'est dans Isaïe. Il ne faut pas oublier que les textes de Paul sont largement antérieurs à la rédaction des évangiles, il n'est donc pas question des évangiles au moment où il écrit sa lettre, mais il est question de l'Évangile au singulier qui est l'annonce singulière que nous avons dite. Et les évangiles ne disent pas autre chose que cette annonce singulière.

Quand nous lisions Jean les années précédentes nous n'avons pas lu des anecdotes successives ou la simple convivialité de Jésus historique avec les apôtres. Les évangiles ne sont pas le récit d'une vie. Mais alors que sont-ils ? C'est la proclamation de l'Évangile à travers des mémoires, à tel point que ces mémoires n'ont de sens que relues. Les évangélistes attestent qu'ils ne comprirent pas alors ce qu'ils disaient ou ce qu'ils faisaient[2]. Alors qu'est-ce qu'ils récitent ? Ce n'est pas de réciter leur méprise qui les intéresse, c'est de réciter le sens de ce qu'ils sont capables maintenant de lire à propos de ce qu'ils ont manqué. Ils sont désormais capables de lire la dimension christique qui se manifeste dans la résurrection.

 

   Conseils de lecture d'un texte du Nouveau Testament.

J'ai dit deux choses à propos d'un texte du Nouveau Testament :

– La première chose c'est que tout s'entend à partir de la résurrection du Christ.

– La deuxième chose c'est que tout se dit "selon l'Écriture", donc dans le discours pré-écrit, Mais nous avons simultanément l'affirmation que tout est dans l'Écriture et en même temps la dénonciation de la lecture de l'Écriture faite par ceux que saint Jean appelle oï Iudaïoï (les Judéens, les juifs).

Quand vous ouvrez un texte d'évangile, ne vous précipitez pas tout de suite pour en tirer quelque chose rapidement comme cela vient. Il ne faut jamais ouvrir un évangile sans le tenir à distance, sans prendre le temps de s'en approcher en disant : je veux l'entendre à partir d'où il parle. Quand je sais bien qu'il n'ait pas de page d'évangile qui ne parle pas à partir de la résurrection du Christ lui-même s'il a l'air de parler de tout autre chose. C'est la source, c'est ce à partir de quoi il parle. Il est donc opportun de se poser la question : à quel endroit du texte émerge au plus clair un mot qui dit la résurrection puisque tout ce texte va être subordonné à ce mot : voilà la première précaution.

Et la deuxième précaution c'est : de quelle Écriture parle-t-il ? C'est-à-dire quels sont ses références dans l'Ancien Testament ? Dans notre texte de Rm 10 les références sont accumulées en nombre, il n'y a pas de ligne sans référence claire, on en trouve partout. Et dans toute page de Jean, dans toute page de Luc… il y a référence aussi à l'Écriture.

Ce que je vous indique ici ce n'est pas une méthode mais c'est un chemin, c'est ce qui invite à un comportement, à une posture qui a rapport à l'Écriture : s'interdire, à terme de l'entendre, mais peut-être laisser un peu jouer les choses pour voir ce que cela fait. Donc vouloir entendre à partir de ces deux principes.

Où est-ce que je prends ces principes ? C'est dans un autre texte de Paul que je cite simplement parce qu'il fait pendant à celui-ci et qui est le cœur de notre credo : « 1Je vous fais connaître, frères, l'Évangile dont je vous ai évangélisé et que vous avez reçu, dans lequel vous vous tenez […] à savoir que Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures, 4qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures » (1Cor 15)[3]. Donc mort / résurrection, et tout cela "selon les Écritures". Dans ce petit passage vous avez la foi tout entière et cela suffit à certains égards.

 

   En guise de conclusion.

J'ai choisi ce texte en particulier parce qu'il met en évidence non pas ce qui est le propre de Paul dans son écriture, non pas ce qui est le thème ou la thèse de l'épître aux Romains – encore que nous y avons fait une petite allusion au début – mais ce qui est le plus fondamental, le plus commun à tous les évangiles, une sorte de présupposé. C'est d'ailleurs un texte qui a été repéré comme porteur de cela.

On a à peine effleuré le texte. Il faudrait longuement réfléchir sur la proximité. « Près de toi est la parole (ou la chose). » Nous nous imaginons souvent que nous ne pensons pas assez loin, mais en fait c'est toujours plus près. Notre mouvement de prise n'est pas ajusté. Cette proximité constitutive de notre être christique est tout autre chose, mais nous n'avons pas commencé à dire ce qu'est cette autre chose.

Par exemple ce qu'il en est de l'essentiel de la résurrection n'est jamais saisi, et cependant nous sommes toujours dans une relation de proximité avec cela. "Près de toi" : cette proximité se vit au travers de cette relation qui se dénomme "écoute" – c'est la dénomination fondamentale – et cela signifie que l'essentiel ne se prend pas, ne se com-prend pas.

En effet si l'essentiel est de confesser que Jésus est Seigneur et qu'il est ressuscité d'entre les morts, qu'est-ce que cela change, qu'est-ce que cela fait ? C'est dit dans le texte : la chose de cette annonce, c'est que par là nous soyons ajustés et saufs. Que veut dire "ajustement" et que veut dire "salut" ? Qu'est-ce qui nous arrache de la menace… mais est-ce que le sauf se pense à partir de la menace ? Que veut dire "salut" après tout ?

Eh bien, chez saint Paul, il n'est jamais question du Christ sans qu'il soit question des hommes, sans qu'il soit question de nous et de notre être-ensemble. Je ne sais pas si vous vous rappelez que c'est un point commun à Paul et à Jean, mais dans des langages différents.

Dans la plus grande récapitulation, saint Jean nommait toujours deux choses :

– d'abord premièrement que le Christ va vers son Père – ce qui est une façon de dire la résurrection,

– et deuxièmement que le Père lui a donné en cela la totalité de l'humanité entre les mains, c'est-à-dire qu'il n'est jamais question de lui-même comme d'un personnage singulier, mais toujours comme de la christité des hommes, à savoir comme le rassemblement de la christité de l'humanité elle-même. C'est de cela qu'il s'agit et cela ouvre beaucoup de questions anthropologiques sur le rapport du singulier et du pluriel qui sont assez différentes des modes sur lesquels nous nous comportons par rapport aux choses.

C'est ce que Paul traite dans le rapport de la masculinité et de la féminité[4]. Le Christ n'est pas ressuscité mâle, pas femelle non plus. Le Christ est la masculinité de l'humanité. Ce thème paulinien d'homme et de femme donne lieu à bien des méprises quand il n'est pas entendu en son site. Or son lieu est la méditation de « Faisons l'homme à notre image et selon notre ressemblance ; mâle et femelle il les fit » ce que saint Paul entend de la façon suivante :

– « Faisons l'homme à notre image » cela signifie "faisons le Christ ressuscité"[5]. En effet c'est le Christ ressuscité qui est l'image. L'image n'est pas un double, c'est une manière de dire la présence, présence accomplie comme le fils est la présentation de la semence, le fils est l'accomplissement de la semence ;

– « mâle et femelle il les fit » : le Christ dans sa dimension de résurrection incluant la totalité de l'humanité.

Tous les thèmes pauliniens sont, même dans le détail, supportés par cette relecture de la phrase « Faisons l'homme à notre image » qui n'est en aucune façon une cogitation sur la façon de fabriquer l'homme. Dans la Genèse il est question de tout sauf de ce que nous appelons la création. Il y est question de l'essentiel, et nous verrons souvent Paul en acte de lire l'Écriture, mais ce qui fait la force de cette lecture c'est qu'il lit l'Écriture à partir d'où elle parle. Cela, certaines lectures juives le font aussi, et là je ne parle pas des juifs dont parle saint Jean ou saint Paul. Mais par exemple la kabbale lit l'Écriture à partir de choses – j'allais dire – christiques – ce n'est pas que je veuille annexer la kabbale – et cela dans un autre langage.

 



[2] Par exemple : « Ses disciples ne comprirent pas d'abord cela, mais lorsque Jésus eut été glorifié, ils se souvinrent que cela avait été écrit à son sujet, et que [c'était] cela même qu'on avait fait pour lui. » (Jn 12, 16)

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