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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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7 février 2014

Péché, mort, meurtre, fratrie en saint Jean. Penser en termes d'archétypes.

Le but premier de ce message est de donner un principe de lecture : certains mots de saint Jean sont à lire en référence à l'Ancien Testament. Le message est constitué d'un extrait de la session qui a eu lieu à Saint-Jean de Sixt en 2002 sur le thème  "La Passion en saint Jean" (lecture de Jn 18-19) avec quelques ajouts. J-M Martin faisait une lecture continue du texte, donc l'entrée en matière est peut-être un peu brusque.

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Péché, mort, meurtre, fratrie…

Penser en termes d'archétypes

 

 

En Jn 19, 10, Jésus dit à Pilate en faisant allusion à Judas : « Celui qui m'a livré à toi a un plus grand péché. » Pourquoi Jean utilise-t-il cette expression : "plus grand péché" ?

Pour entendre ce qu'il dit il faut se référer au fait que le Nouveau testament est une relecture de l'Ancien Testament[1], et en particulier des premiers chapitres de la Genèse.

Caïn égorge Abel, Louvre

On sait que le péché fondamental est traité par Paul surtout dans la figure de Adam pécheur de Gn 3[2]. Jean, lui, ne parle pas d'Adam, il médite la première manifestation de l'homme qui est la fratrie meurtrière, c'est pourquoi il médite la figure de Caïn. Le "plus grand péché" est donc le péché initial. Il le dit explicitement au chapitre 3 de sa première lettre.

 « 11C'est ceci l'annonce que vous avez entendue dès le principe, que nous ayons agapê[ mutuelle, 12non pas comme Caïn qui était du mauvais et qui égorgea son frère[4]» En effet, du fait que Caïn est celui qui donne la première mort qui est un meurtre, il ouvre cette région de la mort et du meurtre dans laquelle nous sommes.

Et Judas, justement, c'est l'ami commensal, "celui qui mange avec" d'après l'Écriture que cite Jésus : « Celui qui mange mon pain, celui-là tourne le talon contre moi. » (Jn 13, 18).  Saint Jean, au fond, lit dans la figure de Judas à la fois l'ami, le commensal, et sans doute aussi fondamentalement le frère à la mesure où il y va dans cette affaire des figures d'Abel et Caïn telles qu'elles sont reprises dans le passage que nous avons lu de la première lettre de Jean, où il est dit que l'ultime du meurtre c'est le fratricide. La première mort est un meurtre et c'est un fratricide.

La mort du Christ est ce qui retourne cette situation des enchainements de mort et de meurtre. La mort du Christ, pour saint Jean, crée, ouvre une nouveauté qui est de n'être plus dans ce perpétuel enchainement d'exclusion qui est en même temps auto-exclusion. Or c'est la reprise du rapport fraternel du plus proche qui dit cela[5].

Penser en termes d'archétypes.

Il s'agit donc de penser ici la mort et la fratrie. Chez Jean on ne pense pas à partir d'une définition de ce que c'est, mais par référence à l'archétype. Penser la mort, c'est se référer à la première mort. On pourrait dire prototypos, mais plus radicalement archétypos, la première mort.

Or la première mort est un meurtre. Et ce n'est pas seulement un meurtre, mais c'est un fratricide. C'est donc un lieu excellent pour penser le sens authentique de la fratrie entre les hommes et du rapport en elle de l'agapê et du meurtre.

Ce qu'il en est de l'homme se pense souvent, surtout en perspective paulinienne, non pas à partir d'une définition de l'homme, mais à partir d'Adam, de la figure archétypique d'Adam, des Adam, puisqu'il y en a deux (et même trois)[6]. Ici, chez Jean, c'est à partir de Caïn.

Les deux aspects indissociables de l'annonce essentielle.

L'intérêt est très grand parce qu'il s'agit d'annoncer la Résurrection et l'agapê d'un même mouvement. Vous pourriez me dire : pas du tout, ce que nous avons entendu dès l'arkhê, c'est “Jésus est ressuscité”. Comment penser d'un même mouvement la Résurrection et l'agapê qui sont, comme on sait, des maîtres mots de l'Évangile, mais qui ne sont pas deux choses différentes ?

C'est pourquoi ailleurs Paul nous dit : « C'est ceci l'Évangile, que le Christ est mort et ressuscité » (d'après 1 Cor 15)[7], et ici : « que nous ayons agapê mutuelle » (1 Jn 3, 11). C'est la même chose, c'est parce que la mort et le meurtre surgissent dans le même, qu'on comprend que la vie (la Résurrection) et l'agapê se manifestent comme le même. La vie par opposition à la mort, l'agapê par opposition au meurtre. Voilà.

Je reviens sur la signification de l'énigme : l'annonce essentielle, c'est « Jésus est ressuscité » ; or ici l'annonce essentielle, c'est l'agapê. Qu'est-ce qui permet que cela soit pensé ensemble ? C'est que, de fait, de la même manière, la mort et le meurtre étaient pensés ensemble puisque la Résurrection, c'est le dépassement de la mort, et l'agapê c'est le dépassement du meurtre.

Il faut donc bien percevoir la puissance de ces quelques mots : « Non pas comme Caïn qui était du mauvais ». Il était du mauvais, car ce qui œuvre ici, c'est la semence de diabolos, la semence du meurtre qui est en Caïn.

Deux Adam.

Or il y a deux Adam[8] c'est-à-dire qu'il y a deux postures constitutives d'humanité :

1) la posture christique (c'est-à-dire la posture adamique de Gn 1) consiste, parce qu'il est image de Dieu (Gn 1, 26), à ne pas vouloir ravir par force l'égalité à Dieu (Ph 2, 6) ;

2) la posture adamique de Gn 3 consiste à tendre la main pour prendre le fruit selon lequel « si vous en mangez, vous serez comme Dieu. » Ce sont deux postures antithétiques, deux modes d'humanité.

Diffusion du pneuma et retour à l'unité des déchirés dans le meurtre.

► Vous avez dit que le pneuma en question dans l'Évangile était le pneuma répandu à la Résurrection. Le fait que le mot pneuma peut être traduit par le mot souffle, peut-il aider à entrer dans cette symbolique de l'espace ?

J-M M : La fonction de diffusion se dit dans le langage de l'eau, dans le langage du sang répandu et dans le langage du souffle (du pneuma) dont la caractéristique est justement d'être la Résurrection répandue.

La diffusion du pneuma permet la re-constitution de l'unité des dieskorpisména (des déchirés), qui sont une séquelle de la fragmentation des dénominations du Nom dans le meurtre. L'Esprit s'étend pour aller les rechercher et les rassembler, c'est-à-dire que le rapport du Monogène (du Fils un) et des tekna (des enfants) est un rapport de réconciliation. C'est pour cela que le Fils, en tant que Monogène, est l'unificateur des déchirés, c'est-à-dire le pardonnant des pécheurs, le pardonnant des pardonnés.

 Et comme nous savons que les tekna sont une déchirure de l'agapê, de la même façon, le Monogène a pour signification le retour à l'unité, cette unité qui est l'agapê, l'espace du pneuma. Comme la respiration, le pneuma va aux extrêmes, expire à l'extrême, mais pour réintroduire tout dans le pneuma qui est l'odeur première, en effet les dispersés sont des odeurs refroidies…

Vous avez là un bref aperçu des lectures des gnostiques dont voici un court extrait : « L'odeur refroidie, vient le souffle de l'agapê qui réchauffe les semences, il les ré-enfonce dans l'odeur première, car ce n'est pas les oreilles, dit-il, qui perçoivent l'odeur, mais c'est le pneuma et l'odeur primitive de Dieu. » (d'après L'évangile de la vérité)[9]. Ce qui rejoint d'autres thématiques connues. Ce sont de grands et magnifiques symboles qui sont pour une large part issus d'une lecture non conceptualisante de notre Écriture.



[2] Voir par exemple : Ph 2, 6-11 : Vide et plénitude, kénose et exaltation . Cela se trouve aussi en Rm 5 et Rm 7 à propos de l'entrée du péché dans le monde. Sur ces textes il y aura prochainement des messages sur le blog.

[3] C'est le mot qu'on traduit en général par "amour". Mais chez Jean ce mot ne désine pas un sentiment, il désigne un événement, le fait que Dieu nous aime. Voir la note suivante.

[4]  « Le meurtre qui correspond à la haine se pense à partir du premier meurtre qui est même un fratricide. Dans le passage (1 Jn 3, 11-12) la posture de Caïn est opposée à l'agapê mutuelle. Mais d'où se pense agapê ? Il faut écouter la suite de ce que dit Jean. « 16En ceci nous avons connu l'agapê de ce que lui a déposé sa psychê pour nous, c'est-à-dire qu'il est mort pour nous ». Je ne pense l'agapê au sens évangélique du terme qu'à partir du moment où je pense l'agapê à partir de la donation christique, c'est-à-dire de la donation que le Christ fait de lui-même pour nous, même si je ne comprends pas ce que ça veut dire tout de suite. » (D'après J-M. Martin, session de Nevers mai 2012).

[5] Ce paragraphe et le précédent sont extraits de la fin du message La question de Satan. Les différentes facettes de la figure de Judas. où J-M Martin où il montre que ce qui se joue dans la figure de Judas «  est quelque chose qui, pour nous, peut être vécu comme une espèce de situation désespérée mais aussi désespérante, et qui est en fait la révélation de la plus grande universalité du salut dans l'évangile de Jean.»

[6] Il y a Adam de Gn 1, Adam de Gn 2 et Adam de Gn 3, les deux derniers étant parfois considérés ensemble. Il peut arriver aussi qu'un passage de Gn 2 soit pris par Paul pour parler de Adam de Gn 1, c'est le cas dans le 5ème chapitre de l'épître aux Ephésiens où Paul médite la phrase de Gn 2, 24.

[8] Voir note précédente.

[9] « Les fils du Père sont son odeur parce qu’ils sont de la grâce de son visage. C’est pourquoi le Père aime son odeur et la manifeste dans tous les espaces. Et si elle (cette odeur) se mêle à la matière, il donne son odeur à la lumière, et dans son silence, il lui laisse assumer toute forme et tout son. Car ce ne sont pas les oreilles qui respirent l’odeur mais l’odeur, c’est au Pneuma qu’appartient de la sentir. Il l’attire à lui et la plonge dans l’odeur du Père. Il la ramène et la reconduit au lieu d’où elle est venue, dans l’odeur première, (elle) qui est devenue froide dans un ouvrage psychique comme dans une eau froide (…) dans une terre qui n’est pas solide et dont pensent ceux qui la voient : « C’est une terre ; elle va bientôt se dissoudre ». Si un souffle l’attire, elle se réchauffe. Les odeurs qui se sont refroidies  proviennent donc de la séparation. C’est pourquoi vint la Pistis, elle détruisit la séparation, et elle apporta le Plérôme chaud de l’agapê afin que le froid ne revienne plus à l’être mais que l’unité (rassemblée) de la pensée parfaite règne. Tel est le Verbe de l’Évangile. » (Ménard p.65-67).Voir Introduction de L'évangile de la vérité. Jésus, les sages et les enfants.Introduction de L'évangile de la vérité. Jésus, les sages et les enfants.

 

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