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La christité
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  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
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15 novembre 2018

Trois textes qui récitent l'entrée du péché dans le monde (Rm 1,18-32 ; Rm 5,12sq ; Rm 7,7-25) sont commentés par J-M Martin

Parler de l'entrée du péché ce n'est pas dire comment ça a commencé. En parler c'est dire ce qui est au principe. Et justement c'est en ce sens que saint Paul parle de l'entrée du péché dans le monde dans les trois textes qui sont commentés ici.

C'est en 2010 que ce commentaire a été fait par J-M Martin (cf. Qui est Jean-Marie Martin ?). Il  animait une session de six jours à Saint-Jean-de-Sixt sur le thème "Maladie, péché, prière et guérison en saint Jean et saint Paul". Il a consacré le quatrième jour à une lecture rapide de ces trois textes. Le passage de l'oral à l'écrit a nécessité quelques modifications. Titres et notes ont été ajoutés pour le blog. En annexe figurent les deux premiers textes dans une traduction courante. J-M Martin lui-même n'avait devant lui que le texte grec et donnait donc sa propre traduction pour l'étude.

Ces trois textes sont plus longuement commentés dans les messages suivants :

 

Trois textes de Paul qui récitent l'entrée du péché dans le monde

Rm 1, 18-32 ; Rm 5, 12 sq ; Rm 7, 7-25

 

 

Saint Paul reprend le thème de l'entrée du péché quatre fois dans l'épître aux Romains dont trois fois dans la figure d'Adam. J'ai pris le mot "entrée du péché" à Paul lui-même en Rm 5 : le péché entre, traverse, règne. C'est un principe qui serait un prince.

Le thème de l'entrée ou de la venue est très important dans les Écritures parce que c'est une des façons de penser l'être, ce que nous appellerions l'être de la chose. "Venir" chez saint Jean est un mot qui dit tout l'être du Christ. Il n'y a pas un Christ constitué à qui il arrive ensuite de venir : c'est venir qui est christique. Et il serait intéressant de voir ce que serait une théologie qui pense Dieu à partir de venir. C'est tenté d'ailleurs ici ou là : Je viens, non pas comme quelqu'un qui vient, mais comme venir. Venir est un verbe plus important que notre verbe être : le verbe "être" permet la dissertation, le verbe "venir" permet l'accueil.

À propos de l'entrée du péché on pense à Adam, et de fait, en Rm 5 il s'agit de lui explicitement, mais en Rm 7 c'est implicitement rapporté à Adam, c'est-à-dire que c'est simplement dans la figure du péché.

 Ne pensez pas qu'en Gn 3 le récit de l'acte d'Adam soit le récit d'une anecdote. Dans l'histoire de la théologie on a posé la question : « si Adam n'avait pas péché, que serait-il advenu de l'homme ? », mais c'est la question la plus idiote qui puisse exister puisque la question ne peut être posée que dans la figure d'Adam. Adam n'est pas un bonhomme qui existe avant qu'on sache ce qu'il va faire. Adam, c'est l'humanité. Donc Gn 3 est une lecture du statut de l'humanité. Nous verrons quelle est sa constante et sa fonction par d'autres textes de Paul.

Ce qui est très intéressant justement c'est qu'en Rm 1, 18-30 il ne s'agit pas d'Adam ("il"), mais de "ils" au pluriel, c'est-à-dire les hommes, et c'est la même chose. Ici nous pouvons lire Adam dans le pronom personnel "ils", et quand nous lirons Adam en Rm 5, nous pourrons lire "ils" alors qu'Adam est au singulier. En Rm 7 c'est "je" car Paul dit « 9Je vécus jadis sans la loi », mais il n'a jamais vécu sans la loi, il est né sous la loi, donc ce "je" c'est Adam avant que la parole « Tu ne mangeras pas » ne soit entendue comme parole de loi, comme étant de l'essence de la loi.

Nous allons lire ces trois textes : Rm 1, 18-32 ; Rm 5, 12 sq ; Rm 7, 7-25.

 

1) Rm 1, 18-32.

Le verset 18 du chapitre 1 commence par parler de la colère de Dieu, et c'est un mot qui cristallise tout !

« 18La colère de Dieu se dévoile du haut du ciel sur toute impiété et tout désajustement des hommes qui détiennent la vérité dans le désajustement

Chez Paul comme chez Jean, les mots qui sont des mots de vices ou des mots de vertu dans notre oreille, sont des mots de qualité d'espace. Il y a l'espace de paix et l'espace de violence. Ce dernier est un espace de meurtre, de colère, un espace de jugement – si on prend le mot "jugement" dans un sens négatif comme en Jn 3.

●   Parler en termes d'espace.

L'espace est le nom de la bonne distance de la qualité relationnelle, c'est quelque chose qui n'est pas attribué à un individu mais à l'intervalle entre les hommes, un intervalle d'espace. C'est tout le décentrement hors de l'égoïté qui constitue notre seule façon de nous comprendre aujourd'hui, c'est tout ce décentrement qui est en question dans ce que je suis en train de dire. L'homme est d'autant plus lui-même qu'il est plus relationnel. Son plus propre c'est son nom propre, mais c'est par ce nom qu'il est lui-même, et c'est par ce nom qu'il peut entrer en relation puisqu'on peut l'appeler. Il est d'être appelé. Il est d'être toujours déjà relationnel. Il n'est pas d'abord une substance close. Or c'est le mot "substance" qui a été utilisé pour désigner l'individu, l'individualité. Ce qui est premier c'est la relation qui constitue l'homme, et l'homme n'est pas un individu qui a ensuite des relations.

On trouverait une analogie de cela dans une phénoménologie rigoureuse. Il s'agit simplement de remarquer que ce à quoi j'essaie de remédier par une phénoménologie, c'est la considération de l'homme comme un individu isolé, autarcique par son égoïté, égoïté qui le fait dénommer sujet donc substant. D'où toute la relation sujet / objet etc.

Je prends l'exemple du jugement pour éclairer la notion de colère, c'est en Jn 3. « 17Dieu n'a pas envoyé son fils dans le monde pour jugerle monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. 18Qui croit en lui n'est pas jugé; qui ne croit pas est déjà jugé… – autrement dit : celui qui entre dans l'espace de non-jugement ne juge pas et n'est pas jugé ; celui qui n'entre pas dans l'espace de jugement est jugé du fait de n'être pas entré dans l'espace de non-jugement. Et "celui qui ne croit pas", c'est celui qui n'a pas entendu la parole qui le fait sortir de l'espace de jugement.

 « 19Et le jugement le voici: la lumière est venue dans le monde et les hommes ont préféré l'obscurité à la lumière » : par la mention de la lumière on voit qu'il s'agit d'espaces : il y a l'espace de la lumière et l'espace de la ténèbre. Quand on parle d'espace, on parle des hommes, et quand on parle des hommes, on en parle en spacifiant l'être homme. Le Dasein, l'être-homme est distance c'est-à-dire proximité toujours déjà – proximité ou éloignement ou déchirure.

De la même façon la colère gestuée du Christ à propos des vendeurs du Temple n'est pas le sentiment d'un individu qui gesticule, elle est la révélation que l'espace qui est maison de Dieu est considéré comme espace de marché, que ceci est une situation de colère, une situation de désajustement, et il mime le désajustement[1].

Le désajustement ultime est désajustement entre la vie des hommes et la vie christique. C'est pourquoi cette colère du Christ dans le Temple emprunte des éléments de la Passion qui est le lieu ultime de manifestation de désajustement. La flagellation, tout ce bouleversement des choses montre un espace bouleversé, un espace de colère. C'est que finalement il y a colère de Dieu quand on se fait un Dieu colérique. La colère de Dieu n'est pas un attribut de Dieu, n'est pas une émotion de Dieu. La colère est le dévoilement d'une relation à Dieu : le désajustement de Dieu et de l'homme est colère de Dieu.

La grande difficulté pour l'écoute de ces textes c'est que nous avons une anthropologie que nous considérons comme la seule possible. Nous sommes nés avec, nous ne pensons pas qu'on puisse être homme autrement que dans la façon dont nous disons "je", "tu" et "il" nativement. Or, suivant les époques, nativement, on n'a pas dit "je", "tu" et "il" de la même façon, on n'a pas vécu et pensé l'être de l'homme par rapport à l'homme et du même coup l'être de l'homme par rapport à Dieu, de la même façon. Si bien qu'une expression qui, pour notre anthropologie native, est irrecevable, a un sens pleinement audible dans une autre anthropologie.

Je sais que c'est difficile. C'est difficile de voir premièrement le problème et de l'énoncer correctement, et deuxièmement d'apercevoir le principe de solution de ce problème – et même si on en a aperçu le principe, ensuite de l'exploiter et de faire que cela nous ouvre une autre oreille au texte. C'est vraiment un chemin ça.

 

●   Versets 18-22.

« 18La colère de Dieu se dévoile du haut du ciel sur toute impiété et tout désajustement des hommes qui détiennent la vérité dans le désajustement. » J'ai traduit "injustice" par "désajustement" parce que le dikaïos c'est le bien-ajusté. Désajustement (adikia) est un des synonymes du mot péché (hamartia). Il y a encore d'autres mots dans l'Écriture pour dire "péché", mais ce sont les deux principaux.

 « 19Car le connaissable de Dieu est manifesté, car (c'est-à-dire que) Dieu le leur a manifesté ; 20en effet ses invisibles [de Dieu] sont vues étant comprises par l'intelligence, à partir de la constitution du monde, par ses œuvres, et son éternelle puissance, et sa divinité »

Et alors, en quoi consiste le premier péché des hommes, quelle est l'essence du péché ? « Ils n'ont pas eucharistié » comme le dit Paul : «ils (les hommes) sont inexcusables, 21parce que connaissant Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, et n'ont pas eucharistié. » Le premier péché c'est de ne pas eucharistier (ne pas rendre grâce)..

Ceci est le point qui répond à la question : « En quoi consiste la tête (le principe, l'arkhê,  l'initial) du péché dans l'humanité, l'entrée du péché dans l'humanité ? » C'est qu'ils ne sont pas entrés dans l'espace du don.

Eucharistier  et demander sont deux attestations égales que l'on est dans l'espace de ce qui se donne et non pas dans l'espace de ce qui se prend de force. Et la figure d'Adam est déjà là car la posture typique d'Adam c'est de prendre le fruit qui n'est pas donné. Le tout premier point de l'Évangile c'est la révélation de ce que l'essentiel est de l'ordre du don et non pas de l'ordre de la prise, et non pas de l'ordre du droit, et non pas de l'ordre du devoir, et non pas de l'ordre de la loi.

Pour illustrer cela, je prends Jn 10, le chapitre du bon berger. Quel est le bon berger ? C'est celui qui se donne par opposition au violent qui vient prendre et tuer les brebis, les disperse, et par opposition au salarié (au mercenaire comme on traduit habituellement). Le salaire c'est le nom du rapport du droit et du devoir, de ce qui se doit et qui ne peut pas se donner parce que c'est dû. Ça c'est le b-a-ba de l'Évangile : ouverture d'un espace qui n'est pas l'espace du droit et du devoir, qui n'est pas l'espace de la violence. En effet l'espace du droit et du devoir est l'espace d'une violence secrète ; c'est une violence moindre mais ce n'est pas encore l'ouverture de l'Évangile qui est l'ouverture du don, comme le montre les occurrences de « Je donne » dans la bouche de Jésus chez saint Jean.

Benn, Ps 146, 2 louer DieuLe don culmine dans le par-don qui est le par-fait du don, et culmine dans le don de soi-même. « Nul n'a d'agapê plus grande que de se donner soi-même pour ceux qu'il aime. » La révélation initiale ici est la révélation de ce qui s'appelle "don" chez saint Jean, et c'est la même chose qui s'appelle kharis (grâce) chez saint Paul. Le mot "grâce" manifeste à la fois la donation et la donation gratuite ; c'est gracieux dans les deux sens du terme français, à savoir que c'est gracieux c'est-à-dire qu'on ne paye pas, donc gracieux au sens gratuit, et c'est aussi gracieux dans l'autre sens.

L'Évangile est donc l'ouverture d'un espace d'aisance, de grâce, de donation qui n'est pas de l'ordre de la rigidité du droit et du devoir. Ceci c'est le b-a-ba. Ensuite, pour bien l'entendre, ça pose beaucoup de questions, mais si cela n'est pas posé, ce n'est pas la peine d'ouvrir l'Évangile, c'en est l'essence.

Donc «ils (les hommes) sont inexcusables, 21parce que connaissant Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, et n'ont pas eucharistié. » On ne peut les défendre parce que le don leur a été manifesté : ils ont connu Dieu, est-il dit, mais ça veut dire qu'en fait ils l'ont méconnu puisque la véritable connaissance de Dieu c'est de le connaître en tant que donné. Or ils ont été au monde sur un mode de se trouver là et non pas sur un mode de recevoir, de se recevoir, et de se recevoir comme être-au-monde avec le monde.

L'œuvre de Dieu est donatrice et non pas créatrice au sens de fabrication, et les hommes  avaient de quoi reconnaître le propre de Dieu à ses œuvres, non pas parce qu'il est fabricant des œuvres, mais parce qu'il est donateur. La notion de création qui n'est pas à proscrire, est une notion qui doit être subordonnée à la notion de donation. C'est-à-dire que la création doit être pensée à partir de la donation alors que la théologie classique considère Dieu comme fabricant du monde dans lequel ensuite il lui arrive de donner son Fils pour le salut des hommes.

► Qu'est-ce qui atteste que le Christ est venu révéler l'amour de Dieu au monde ?

J-M M : Vous dites « il est venu révéler », mais saint Paul nous dit déjà que la création révèle. Dieu se révèle dans la création, mais l'homme n'a pas reçu la création comme une révélation de Dieu. « Le connaissable de Dieu leur est manifesté car Dieu le leur a manifesté. » La création est révélation de Dieu. Il faut repenser même le mot de "création" à partir de "révélation", à partir de "donation".

Ici Paul se sert de beaucoup de textes vétéro-testamentaires, surtout de la littérature sapientielle qui est écrite au moment où, avant le christianisme, le contact entre le monde juif et le monde hellénistique est esquissé[2]. C'est un moment où la question de l'ampleur du monde est posée au-delà de ce qui se passait à certaines époques antérieures. En effet la question d'Israël dans des époques très antérieures est celle de la constitution d'un peuple, d'un peuple dans son développement, alors que les considérations sur le rapport de cela à la totalité intervient dans le canon vétéro-testamentaire de façon plus tardive. La notion de "totalité" est une notion grecque. Et la question est posée à la façon grecque. C'est la question de la signification de cette totalité, la signification de l'ampleur du monde – mais là encore le mot "monde" ne signifie pas ce qu'il signifie chez nous.

Paul nous dit que le péché fondamental c'est de se trouver là, de n'avoir rien à recevoir. C'est donc une révélation majeure. Une page comme ça, c'est magnifique !

Le texte donne des précisions sur ce qui se passe. « Ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu ni eucharistié, mais :

  • ils se sont évanouis  dans leurs dialogismesils sont devenus vides (vains),
  • et leur cœur insensé s'est enténébré ;
  • 22prétendant être sages, ils sont devenus fous. »

Autrement dit, l'humanité est entrée dans la falsification caractérisée comme :

– entrée dans du vide par opposition à une plénitude,

– entrée dans la ténèbre à la place d'un espace de lumière – l'espace du don est appelé "espace de lumière" – dans lequel on se rencontre et on se reconnaît, ce n'est pas avoir des lumières sur quelque chose. La lumière chez Jean, chez Paul également aussi, c'est une qualité d'espace.

– entrée dans l'insensé par opposition à la sagesse (sophia). Autrement dit, les hommes entrent en philosophie, mais une philosophie insensée. Et Paul est un pourfendeur de la philosophie, peut-être parce qu'il la connaît bien. Tarse est une ville où il y a de grands ancêtres philosophes, et c'est son lieu de naissance. Quand il critique la philosophie dans 1Cor il précise « mais nous avons une sagesse…» C'est-à-dire que la sagesse de Dieu n'est pas la sagesse des hommes, autre thème majeur chez Paul.

 

●   Versets 23-32. Un triple découlement.

Paul indique ensuite une triple conséquence.

La première conséquence c'est l'idolâtrie, c'est prendre la créature pour le créateur. C'est adorer l'éikôn c'est-à-dire l'image, la statue du Dieu, transformer la vérité de Dieu dans la falsification et la vénération de choses créées plutôt que du créateur : « 23Ils ont inversé la gloire du Dieu incorruptible en similitude de la statue d'un homme corruptible – statue grecque –, d'oiseaux, de quadrupèdes et de reptiles  – allusion à l'idolâtrie égyptienne.–24C'est pourquoi Dieu les a livrés aux convoitises de leur cœur pour l'impureté [qui consiste] à déshonorer leurs corps en eux-mêmes : 25Ils ont inverti la vérité de Dieu dans le mensonge, ils ont vénéré et adoré la créature en place du Créateur, qui est béni pour les siècles. Amen.»

La deuxième conséquence concerne la relation première qui est celle du masculo-féminin : « 26C'est pourquoi Dieu les a livrés aux passions déshonorantes, et leurs femelles ont inverti l'usage naturel en celui qui est contre nature. etc. »

La troisième conséquence concerne tout le reste :« 28Et selon qu'ils n'ont pas eu le souci d'avoir Dieu en vraie connaissance, Dieu les a livrés à l'intellect inéprouvé, à faire ce qui ne convient pas 29emplis de toute désajustement, perversité, cupidité, malfaisance, pleins de jalousie, de meurtre, de dispute, de tromperie, etc. »

Je pense qu'il y a ici quelque chose qui se trouve déjà dans la méditation juive plus contemporaine du Christ, qui est attestée par le talmud. J'ai trouvé dans le traité Bereshit Rabba, le grand commentaire talmudique de la Genèse, l'énumération des trois premières générations, une énumération qui va par amplification et désordre, le désordre qui passe par le temps désordonné du temps de Noé, puis le désordre ultime de la dispersion à la tour de Babel. Les trois générations c'est Hénoch, Noé, la tour de Babel. Je me demande s'il n'y a pas une pensée de ce genre-là entendue déjà par Paul :

– La première génération est celle de l'impiété (de l'idolâtrie),

– Ensuite il y a la génération de Noé dont la corruption est fortement marquée comme désordre sexuel. Dans le récit talmudique les hommes répandent leur sperme sur les rochers, ce qui veut dire que c'est premièrement manquer la grande symbolique originelle masculo-féminine et manquer au fond à la fécondité. Les rochers sont une désignation sans doute pudique de relations sexuelles infructueuses dont l'homosexualité est un exemple. Chez les anciens et à toutes les époques, ce qui est important dans le rapport masculo-féminin, c'est la génération. Aujourd'hui c'est très secondaire, mais premièrement il fallait avoir beaucoup d'enfants parce que beaucoup trop d'entre eux mouraient, et puis il n'y avait pas de sécurité sociale et pas de retraite pour les anciens. C'est peut-être dans l'oisiveté que les perversions se sont produites à certaines époques. Tout ceci est trop vite dit, ce sont de simples indications pour penser.

– Enfin la dernière génération est celle de Babel c'est la génération de la dispersion et donc de l'ouverture à toutes les mauvaises relations d'homme à homme.

On pourrait dire qu'il y a un triple découlement. Le mot "découlement" lui-même est un mot très important chez Paul, parce que chez lui tout découle et même tout coule, même son style : ça coule, ça coule, ça n'a pas de ponctuation, ce sont des phrases interminables, des énumérations en nombres. Le mot même de "débordement" est un mot qui se trouve en sens positif et en sens négatif chez Paul, et le mot "découlement" est employé explicitement dans notre texte.

Ce triple découlement est pensé :

  • dans le rapport à Dieu (idolâtrie),
  • dans le rapport de la relation première qui est la relation du masculo-féminin,
  • dans le meurtre et tout ce qui s'ensuit.

Autrement dit il y a une raison d'être à ce que cite Paul, et il ne s'agit pas de l'idolâtrie comme une simple mauvaise pratique, il ne s'agit pas d'homosexualité etc. Vous ne pouvez pas constituer une pastorale de l'homosexualité à partir de ce passage. Il ne s'agit pas d'homosexuels, il s'agit de l'effacement de la grande symbolique originelle d'homme et femme qui est l'égale du rapport ciel / terre. C'est une symbolique largement utilisée par Paul dans de multiples endroits. Il faut prendre cela dans son lieu.

Vous voyez l'ordre qui n'est pas si idiot qu'il y paraît puisque :

– Il y a d'abord le rapport à Dieu avec la méprise créateur / créé ou donateur / donné.

– Il y a ensuite la relation du premier deux, du deux sous les rapports ciel / terre et homme / femme, rapports qui se recoupent, c'est la rupture de la relation fondamentale. Et c'est de cela que découle tout le reste de la même manière que c'est du premier deux que découle toute la suite des chiffres, puisqu'à partir de deux ça multiplie.

Voilà donc une indication de lecture. Nous avons ici un grand texte. S'il est lu d'une oreille discrète comme nous ne pouvons que spontanément le lire, évidemment il est difficile. Si on traverse cette difficulté, on découvre les choses les plus essentielles de l'Évangile.

 

2) Rm 5, 12 sq.

Dans ce texte il s'agit encore l'entrée du péché. Mais attention, l'entrée ce n'est pas : comment se sont passés les débuts ? L'entrée c'est : qu'est-ce qui est au principe ? Ici l'entrée est prise explicitement dans la figure d'Adam.

 

●    Versets 12-14.

« 12De même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a traversé sur tous les hommes – ici petite incise difficile à traduire –, par quoi tous péchèrent.  13Car jusqu'à la Loi le péché était dans le monde mais le péché n'était pas compté, puisqu'il n'y avait point de Loi, 14mais la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse même sur ceux qui n'ont pas péché en similitude de la transgression d'Adam qui est type de celui qui devait venir

Nous avons ici une entrée : le péché est entré. Ce qui est entré traverse les générations, et ce qui est entré règne (v. 14). Le péché est d'abord un nom propre du Satan (du diabolos, de l'adversaire) : il fait son entrée, sa traversée, il assume son règne.

Le péché entre, et par le péché la mort. Est-ce que ça veut dire que la mort est la conséquence du péché ? Pas du tout. La mort est l'autre nom du péché qui apparaît d'ailleurs finalement en premier dans l'histoire des hommes, avant le péché même.

En effet la mort a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, donc avant la Loi. Que les individus aient péché ou pas péché, la mort est là pour tous. L'arrivée de la Loi a la signification d'être la révélation du péché. Si bien que la Loi est une parole inerte. Nous verrons qu'elle est une parole "désœuvrée", c'est le mot qui sera utilisé au chapitre 7, car c'est une parole qui révèle mais sans guérir. Le péché régnait mais n'était pas compté comme péché, c'est par la loi qu'il se révèle dans sa dimension de péché, mais la Loi ne guérit pas le péché. On a ici des termes profondément pauliniens.

Le point important pour nous est de ne pas introduire l'idée de conséquence entre péché et mort. Ce sont deux noms, deux faces de la même réalité qui régit l'espace de vie des hommes. C'est une analyse de ce qu'il en est de l'espace de vie des hommes qui sont soumis au règne de la mort, règne qui ne s'appelle pas encore "règne du péché" tant que la loi n'intervient pas pour révéler la qualité de péché de ce règne.

En fait, ce n'est pas de cela que Paul va nous parler. Voyons des indices.

Le texte commence par "De même que…" mais il n'y a pas le "de même…", ainsi que tout est suspendu. Il est possible que vos traducteurs évitent ce vide, mais une traduction qui essaye d'être élégante est la pire des traductions pour travailler. Le "de même", on l'attend, il est dans l'esprit de Paul, et il va se dire autrement. Cette phrase est donc une sorte d'anacoluthe si vous voulez c'est-à-dire une phrase mal fichue dont on peut détecter le sens.

Je voulais vous parler de ce qu'on appelle la personnification du péché, mais on ne va pas en débattre maintenant. C'est le thème suivant : le péché est d'abord un nom propre du diabolos avant d'être une "transgression", autre mot qui est dit à propos d'Adam.

 

On a ici une lecture de la situation de l'humanité :

– Une première chose est dite avec le mot "régner". L'humanité est "asservie à" : elle est asservie à la mort car asservie à devoir mourir, et elle est asservie à des désajustements. C'est une lecture de la situation de l'humanité qui se récite dans la transgression d'Adam.

– La deuxième chose qui est dite, c'est qu'Adam est tupos tou mellontos, donc "type de celui qui devait venir" (v. 14) – tupos c'est la marque –, mais il est la marque inversée de celui qui devait venir. Il y a donc une similitude et une inversion : il y a un "de même que" et une inversion. C'est décrit dans les versets suivants.

 

●    Versets 15 et suivants.

« 15Mais il n'en va pas de la chute comme de la donation ; car, si par la chute d'un seul les nombreux moururent, d'autant plus la grâce de Dieu - qui est le don dans la grâce, celle d'un seul homme, Jésus Christ - a découlé abondamment vers les nombreux. 16Et ce n'est pas comme [de ce qui découle] d'un seul pécheur, le don ; car d'une part le jugement vient d'un seul pour une condamnation, d'autre part le charisme vient de multiples chutes pour la justification. 17Si par la chute d'un seul la mort a régné à travers un seul, d'autant plus ceux qui reçoivent le découlement de la grâce et le don de la justification régneront en vie par le moyen d'un seul Jésus-Christ… »

Il y a une similitude et une différence :

– En quoi consiste la différence ? Elle concerne le "découlement", le mot est employé aux v. 15 et 17 : le découlement du péché fait place au découlement de la grâce.

– La similitude a été annoncée par le "de même que" (v. 12). En quoi consiste-t-elle ? C'est que dans les deux cas il y a un pour tous : un (Adam) d'où le découlement du péché ; un (Christ) d'où le découlement de la grâce. Dans les deux cas il y a "un pour la multitude", et c'est la similitude.

Ce n'est pas la question du péché qui intéresse Paul ici, c'est premièrement la position du Christ comme principe du découlement de la grâce sur l'humanité. Autrement dit la grande question c'est : comment le Christ peut-il faire notre salut, comment est-il "un pour la multitude" ? C'est cette question qui intéresse Paul. Et la situation d'Adam est posée ici comme l'ombre, le tupos, la marque anticipée, l'ombre de l'unité christique ; c'est-à-dire que la solidarité en Christ de toute l'humanité est préfigurée par la complicité en Adam de la totalité de l'humanité.

  • Adam de Gn 2-3 c'est l'humanité dans sa semence première : en lui est contenue la multitude des hommes.
  • le Christ est Adam de Gn 1, donc un Adam antérieur – ce n'est pas dit ici, Paul en parle ailleurs[3] – en lui est contenue et découle la totalité de l'humanité nouvelle.

La perspective essentielle de Paul n'est pas celle qu'on lui prête quand on lit le texte dans l'ordre dans lequel on le lit généralement. La vraie question qui est posée ici n'est même pas la question du péché ou celle de la grâce. La question que Paul pose c'est : comment penser cette chose très étrange et qui est citée de façon tout à fait initiale dans le premier Credo, à savoir que la geste d'un seul soit la geste de tous ? Cette chose est déjà vraie en Adam de Gn 2-3, mais Paul ne peut le savoir que parce qu'à l'inverse il peut le savoir dans le Christ. Là aussi il faut faire une lecture inversée : tout est pensé à partir du Christ, tout est une lecture à partir du Christ. Et cela déploie « il est mort pour nos péchés. » Cette réalité mystérieuse que nous n'expliquons pas bien, qui est au cœur de l'Évangile, c'est cela qui est en question : comment se fait-il qu'un seul vaut pour tous ? C'est cela qui a légitimement empêché les chrétiens de lire simplement comme lisaient les juifs et comme ensuite ont prêché les pélagiens du temps d'Augustin. C'est pour cela qu'Augustin a réagi, Augustin est à lire aussi dans cette histoire.

Adam n'a pas simplement donné le mauvais exemple, il est le révélateur principiel du péché, d'un péché qui découle comme péché.

Je me rappelle que quand j'allais au catéchisme, pour expliquer le péché d'Adam, le curé qui était sympa disait : mettons que le père d'André ait une grande fortune, un château, et puis qu'il fasse de mauvaises affaires. Eh bien, André n'y est pour rien, et pourtant il en subit toutes les conséquences. Il faut bien sûr dépasser cela, à bien des titres. En effet, ce qui est hérité avec Adam ce n'est pas les conséquences du péché, c'est le péché lui-même, et c'est un péché qui n'est pas personnel. Ça, c'est la pointe de la question. Grâce au dogme on n'en est pas resté à la notion d'exemple, Dieu merci, on garde intacte la question de l'humanité dans son unité, unité de déchirure et unité de salut : salut en Christ et déchirure en Adam.

De nos jours, on insiste beaucoup sur le fait que le péché ne peut être que personnel. Bien évidemment, d'un point de vue judiciaire, c'est tout à fait clair. Mais ce n'est pas de cela que parle notre Écriture. Le mot "péché" a une signification qui ne se réduit pas à la notion de personne. Alors, quel est son sens ?

C'est là qu'il nous faut mettre en question la notion de "personne". Nous avons déjà dit précédemment que l'humanité n'était pas faite de la juxtaposition d'un certain nombre de moi(s), mais que le moi était toujours circulant, : je suis plus 'par moi", et je suis plus "toi", et ceci par rapport à Dieu. C'est peut-être d'ailleurs la chose la plus importante, la plus essentielle.

Nous sommes véritablement à rebours de ce que permet l'intelligence de notre moment de culture. Très curieusement on met sur le compte de l'Évangile l'avènement du "moi", de même qu'on met aussi sur le compte de l'Évangile l'avènement de l'universalité. Mais l'universalité de l'Évangile n'est pas du tout l'universalité des Lumières, et le "moi" de l'Évangile n'est pas du tout le "moi" de l'égoïté occidentale.

La chose intéressante dans l'Évangile c'est là où il fait difficulté car c'est le lieu révélateur des données de l'Évangile qui sont différents des données natives qui nous paraissent évidentes… L'anthropologie de notre culture est confrontée à une véritable anthropologie qui est autre.

La seule chose intéressante dans l'Évangile c'est ce qu'on ne comprend pas. En effet c'est le lieu où risque de se dévoiler quelque chose qu'on n'attendait pas et qui est plus important que ce qui était en débat apparemment. Pour moi ça dure depuis plus de 60 ans et ça va bien.

 

Le texte confirme totalement ce que je viens de dire, à la fois la similitude et la différence.

Au verset 15 il y a le "non pas comme" et une différence sur la similitude présupposée : « 15Il n'en va pas de la chute comme de la donation car, si par la chute d'un seul les multiples moururent, combien plus – la différence est dans le "combien plus" – la grâce de Dieu et sa donation dans la grâce d'un seul homme Jésus-Christ découlera sur la multitude. » La différence c'est que dans un cas il y a découlement de la mort, et dans l'autre cas découlement de la grâce ; mais la différence c'est aussi que le découlement de la grâce est un découlement plus grand puisqu'il s'agit cette fois de la totalité de l'humanité.

La même idée est reprise du verset 16 jusqu'au verset 20, avec à chaque fois des nuances et des précisions de ce qui est similitude et différence. La différence c'est que ce n'est plus découlement de la mort mais découlement de la vie (ou de la donation). Une autre différence c'est que, dans le cas du Christ, c'est sur plus d'individus que dans le cas d'Adam. Etc.

On pourrait relire tous les versets à condition de prendre une traduction proche du texte grec même si elle est plus difficile à notre oreille. Je m'en tiens là pour pouvoir commencer le chapitre 7.

 

3) Rm 7, 7-25.

Voilà un texte rude, difficile, dont on aperçoit qu'il est sans doute très important. Beaucoup de méprises aussi nous attendent dans l'écoute de ce texte.

« 7Que dirons-nous ? La loi est-elle péché ! Non ! »

●   Parenthèse sur les trois sens du mot "loi" chez Paul.

Ici le mot "loi" désigne la Torah. Il faut savoir que le mot hébreu Torah désigne les cinq premiers livres de l'Ancien Testament, mais que plus généralement il désigne la parole de Dieu. Or ce mot en grec a été traduit par le mot loi (nomos). À cause de cela il faut distinguer chez Paul deux sens du mot "loi" en tant que désignatifs :

  • le mot loi peut désigner la Torah dans le grand sens de ce mot, à savoir la parole écrite de Dieu que Paul appelle aussi Graphê (Écriture). [on peut éventuellement écrire Loi[4]]
  • le mot loi peut désigner la législation au sens grec courant, c'est-à-dire l'ensemble norme / infraction / punition ;

Il y a en plus, chez Paul, un troisième sens du mot "loi" qui apparaîtra au long du chemin du texte, un sens fonctionnel, c'est lorsque le mot est pris au sens de "faire la loi sur".

Ces trois sens se réfèrent à trois sphères distinctes : 1/ la Torah appartient à la sphère du pneumatikos (du spirituel) 2/ la législation appartient à la sphère du droit et du devoir ; 3/ la loi au dernier sens appartient à la sphère de la violence (faire la loi dans le quartier).

 ●  Retour au texte.

Dans notre texte Paul fait une critique de la Loi, il a un regard négatif sur la Loi, et il pose la question qu'on lui adresse. Il leur dit : « pour vous, la Loi est péché ? Non. » Ce qui va suivre laisse Paul dans sa propre pensée mais avec le souci de corriger la méprise qui est dans l'oreille de l'interlocuteur. C'est fréquent dans sa façon de parler. En effet la parole de Paul donne lieu à beaucoup de méprises, même de son temps. Il est obligé de réfuter des mauvaises compréhensions de ce qu'il dit. Dans la même épître, par exemple il précise : « non pas comme certains disent en me calomniant que je prétends que… » Paul fait donc une véritable critique de la Loi qui est pour l'interlocuteur quelque chose de peu soutenable, et il leur dit : « qu'est-ce que je veux dire quand je critique la Loi ? »

« Je n'ai connu (je n'ai éprouvé) le péché que par la loi – nous avons déjà vu cela : des transgressions multiples n'accèdent à être pensées comme péchés que lorsque la Loi les révèle comme tels. La Loi est le révélateur du péché mais elle n'accède pas à être ce qui sauve du péché. Être le révélateur du péché n'est pas en soi être le péché. Et Paul prend un exemple.

« Car je n'eusse pas connu la convoitise (le désir mauvais) si la loi n'avait pas dit “Tu ne convoiteras pas”. Il ne s'agit pas ici de la réalité psychologique bien classique suivante : quand quelque chose est défendu, c'est incitatif. Ce n'est pas ça qui est en question. Et néanmoins, la Loi qui nomme le péché et ne donne pas la capacité de l'éviter amène avec elle le péché. La suite du texte est compréhensible si on a en vue la référence sur laquelle s'appuie Paul.

La référence de Paul dans ce passage c'est « Tu ne convoiteras pas. » C'est un des 10 commandements donc ça désigne la Loi. Par "convoitise" il faut bien entendre : « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni sa maison, ni sa servante, ni son âne, ni son bœuf, etc. ». C'est donc un mot qui est de l'ordre de la jalousie, de la volonté de prendre ce qui ne me revient pas. Mais en fait si Paul a choisi le mot de "convoitise" c'est qu'il permet d'entrer dans le langage stoïcien car celui-ci est dans la symbolique du découlement que Paul utilise juste après. En réalité, dans le texte de Rm 5, la véritable référence est « Tu ne mangeras pas de l'arbre. » (Gn 2, 17). Autrement dit, nous sommes implicitement dans une référence adamique. Ce qui atteste cette référence implicite, c'est qu'il va dire : « 9je vivais  jadis sans la Loi », il se met donc dans la position de l'homme qui précède l'arrivée de la Loi. En fait, Paul dans sa biographie n'a jamais été sans la Loi, il a toujours été sous la Loi. Donc le "je" en question ici est le "je" adamique. C'est bien sûr la figure d'Adam qui est en question en tant que Paul l'assume, en tant qu'Adam est la source et le révélateur en Paul de ce que lui-même est. C'est ça une "figure" au sens biblique du terme. C'est la révélation archétypale de ce qu'il en est de moi. Les grandes figures de l'Écriture sont ainsi.

Ce sera manifesté par plusieurs autres caractéristiques, en particulier au verset 11 : « 11le péché prenant élan (consistance) par le précepte m'a trompé » et nous avons à l'oreille que "trompé" est le mot d'Êve : « le serpent m'a trompée », et le serpent c'est le péché. Il y a ici deux reprises de ce thème, la seconde précise un peu la première, et elles ont besoin d'être lues ensemble pour qu'on voie bien de quoi il s'agit. Voici maintenant la première.

« 8Prenant élan par le précepte, le péché met en œuvre la plénitude de la convoitise – ce qui est séminalement convoitise se met pleinement en œuvre et et s'accomplit par le biais du précepte – car sans la loi, le péché est mort. » Le péché, ou du moins le Satan (le serpent) est sans doute le rien le plus efficace qui soit au monde, c'est-à-dire qu'il n'a pas de consistance en lui-même, il ne peut avoir d'énergie qu'en l'empruntant, en la suçant. De par lui-même le péché est une chose morte. Le Satan est une réalité morte, un rien infiniment actif, mais d'une activité empruntée à la Parole, et emprunter cette activité désœuvre la parole donnante. En effet la parole « tu ne mangeras pas » n'est pas à entendre dans une tonalité de loi quand elle est prononcée par Dieu, c'est une parole donnante. Pourquoi est-ce que Adam ne l'entend pas et qu'alors elle ne peut pas faire son œuvre ? Parce que le serpent la réinterprète comme parole de loi, c'est-à-dire comme une parole inactive, inefficace, non donnante. En effet il y a dans la Genèse une première fois « tu ne mangeras pas », parole dite par Dieu, mais ensuite elle est reprise par le serpent qui s'adresse à Adam. C'est presque la même parole, sauf que sans doute il n'y a pas la même tonalité : ce qu'il fallait entendre comme une parole donnante devient une parole de loi, et en plus une parole de loi dont la conséquence est de type punitif. Dans la bouche du serpent elle est pensée comme proprement une législation, et une législation destinée à ce que Dieu se garde à lui-même son avantage : Dieu veut se garder cela pour lui, c'est pourquoi il vous l'interdit. Le serpent en fait donc une parole de jaloux.

Et justement en Philippiens 2, 6-11 Paul traite la geste d'Adam. Il décrit la geste christique à l'inverse de la geste adamique : « lui qui est en forme (en image) de Dieu ne s'est pas crispé pour détenir l'égalité à Dieu », c'est-à-dire que le Christ ne s'est pas réservé l'égalité à Dieu précisément parce qu'il est image de Dieu. Il a fait le geste contraire du geste d'Adam.

Nous avons vu d'autres fois que la caractéristique première du diabolos est d'être falsificateur de la parole. Par exemple au chapitre 8 de l'évangile de Jean, Jésus s'adresse à ses interlocuteurs en leur disant gentiment : « vous vous targuez d'être enfants d'Abraham mais vous êtes enfants du diabolos », et il précise que cela consiste en ce que le diabolos est premièrement "menteur" comme on traduit habituellement mais en fait c'est "falsificateur", deuxièmement homicide et troisièmement adultère. Ce sont les trois caractéristiques fondamentales du diabolos et ceci dans un ordre très précis, car :

– ce qui est premier c'est la parole il y a donc d'abord la falsification de la parole ;

– ce qui vient ensuite c'est l'homme qui est le porteur de la parole. en effet, depuis l'Antiquité dans la définition de l'homme, il y a un rapport constant entre la parole et l'homme, et peut-être pas au sens où nous le croyons. Que la parole précède l'homme ça se retrouve dans les noms divins : il est Logos (Parole) avant d'être Anthropos (Homme). Douc la deuxième caractéristique du diabolos c'est homicide.

– et enfin la chose qui nous est absolument claire désormais, c'est que l'homme n'est pas un individu mais que l'homme est d'être deux, d'où l'importance de l'adultère à ce niveau. Mais encore une fois, il ne s'agit pas de lire ici des listes de péchés, et de penser à l'adultère bourgeois du XIXe siècle, et pas seulement d'ailleurs à celui-là. Il faut se situer au niveau où Jean et Paul parlent.

Revenons à notre texte. Le péché par nature est inerte, le diabolos est un rien, et donc ce qui était en quelque sorte tapi, mort ou endormi de par nature, se réveille, se révèle, se met à vivre. C'est le mot qui est employé ici : « le péché, de mort qu'il était se mit à vivre. » Le péché est une chose de soi morte, et sa prodigieuse activité dans le monde provient d'une usurpation d'énergie qui démobilise l'authentique parole de Dieu parce qu'elle suce sa capacité d'œuvrer. Et quand elle devient parole de loi, la parole de Dieu est désœuvrée car la loi ne sauve pas.

« 9Moi jadis je vécus sans la loi – nous sommes donc dans la situation adamique d'avant le précepte – survenant le précepte, le péché se met à vivre 10et moi je suis mort – cela signifie : "j'entre dans la condition mortelle" puisque cette vie peut être appelée "mort" par comparaison avec la vie au sens évangélique du terme – et ainsi le précepte qui est pour la vie – avant qu'elle devienne précepte la parole de Dieu était une parole pour la vie – devient [en tant que précepte] pour ma mort.

11Car le péché prenant élan… – dans tout ce texte nous sommes très près du langage stoïcien, mais il ne s'agit pas des stoïciens latins qui sont moralistes, il s'agit de la grande physique stoïcienne de l'Antiquité. La réalité séminale (sperma) est très importante chez eux : le sperma doit entrer dans un processus où il prend élan, et l'élan va vers son accomplissement en corps. Il s'agit donc de la structure semence / corps. Vous avez entendu qu'à la fin du texte il est question du "corps", des "membres" qui pèchent, mais c'est tout à fait autre chose que ce que vous pensez spontanément. Les membres sont des éléments d'activité qui précèdent l'accomplissement du corps plénier. C'est conforme fondamentalement à la structure qui va de semence à fruit (ou de semence à corps). C'est un usage fréquent du mot de "corps" qui ne dit pas la même chose que le mot de "chair", mot qu'on va rencontrer tout à l'heure, laquelle chair ne dit pas non plus ce que vous pensez spontanément[5] ! Vous avez ici une espèce de lecture non explicite de la geste d'Adam qui est d'une profondeur incroyable. Il faut reconnaître que c'est une expression de type mythique, mais le mythe dit le vrai plus sûrement que l'anecdote, plus fortement que l'anecdote. Il s'agit du mythe au sens profond du terme. Pour nous ce qui est mythique est dévalué, ça veut dire que ce n'est pas vrai. Mais en fait le mythe est plus vrai que l'anecdote, il dit le vrai de l'humanité. C'est une lecture de l'humanité qui ne peut se faire sans passer par la figure.

 « 11Car le péché prenant élan par le précepte m'a trompé et moi je mourus 12de sorte que la loi est sacrée, le précepte est sacré, juste (bien ajusté) et bon. » Paul revient à son souci majeur initial de réfutation, c'est-à-dire que ce que dit la Torah (la Loi) n'est pas lu en tant que précepte mais en tant que parole de Dieu. La Torah est sacrée, mais quand elle est lue en tant que législation elle est au contraire complice du meurtre, et elle est donc dénoncée par Paul.

La grande question du rapport entre judaïsme et christianisme est complexe. Elle a son principe de solution : tout est dans l'Ancien Testament et la venue du Christ n'ajoute rien ; simplement le Christ l'accomplit, mais en tant qu'il l'accomplit ce n'est pas une législation. L'Ancien Testament lu en tant que législation est dénoncé totalement. Il y a là des choses très intéressantes dont les conséquences sont grandes. Le Christ est l'accomplissement et le révélateur de ce qui est contenu dans la Torah, et précisément c'est sa dénonciation comme loi et c'est ce qui permet la véritable universalité de l'Évangile. En effet, ce qui se passe dans ce que nous appelons l'Ancien Testament est simultanément la révélation de Dieu et la constitution d'un peuple. Or il n'y a pas de peuple qui puisse se constituer sans législation. Que l'Écriture ne soit pas ultimement une loi est la condition pour qu'elle soit universelle. Il n'y a pas de peuple, pas de culture qui puisse se constituer sans législation, sans terre, sans ville sainte, sans langue, à savoir toutes ces choses qui, dans la constitution des cultures, sont des choses essentielles c'est-à-dire sacrées. Or l'Évangile n'a pas de terre, le Fils de l'homme n'a même pas de pierre où poser sa tête, il n'y a pas de ville sacrée, il n'y a pas de langue sacrée. L'architecture n'est pas sacrée, elle n'est pas faite sur le modèle qui est montré à Salomon, modèle sur lequel il a fallu construire le Temple. Même la plus belle des églises romanes n'a pas été construite sur un modèle révélé. Les structures constitutives d'Israël et de l'Évangile ne sont pas de même configuration. L'Évangile est de soi infiniment dépouillé. Et c'est précisément parce qu'il n'est pas une culture qu'il peut rencontrer toutes les cultures.

 « 13Ce qui est bon s'est-il fait pour moi mort ? Pas du tout ! Mais c'est le péché [qui est devenu pour moi mort], afin qu'il parut [comme] péché, qui, par le moyen du bon en instrumentalisant ce qui est bon, par le moyen de la loi a mis en œuvre en moi la mort, en sorte que par le précepte (par la Loi) le péché  devienne hyperboliquement pécheur – en sorte qu'il engendre le péché.

«  14Car nous savons que la loi est [d'essence] spirituelle, mais moi je suis charnel – nous avons ici l'opposition du pneuma (de l'esprit) et de la chair qui ne sont jamais deux parties composantes d'un individu mais toujours deux principes opposés, deux comportements opposés par exemple. Quand Paul dit « je suis charnel », il ne dit pas une partie composante de son être, il ne dit pas tout son être non plus, c'est-à-dire que ce "je" n'est pas tout ce qui s'appelle "je". En effet c'est le rapport du "je" avec des aspects de lui-même qui nous permet de comprendre ce qu'il en est de l'homme. "Chair" signifie ici l'aspect faible de l'homme dont asthénéia (faiblesse) est l'équivalent. Cette même faiblesse consiste dans une sujétion à la mort et au meurtre, en un esclavage. – J'ai été acheté par le péché qui me possède, qui fait la loi sur moi (au sens de la violence). On voit bien que le péché n'est pas un acte d'infraction mais qu'il est celui qui dormait, qui s'est réveillé, qui a usurpé une capacité active – 15car ce que j'œuvre, je ne le reconnais pas – c'est-à-dire que je n'acquiesce pas à cela que j'œuvre – ce que je veux je ne le pratique pas, mais ce que je hais c'est ce que je fais. » Les verbes "œuvrer", "pratiquer" et "faire" sont pris pour synonymes, la différence est donc entre le vouloir et le faire.

Il y a en effet une différence entre le vouloir et le faire, et Paul lui-même précise en Philippiens 2 que « Dieu donne et le vouloir et le faire. » Il y a donc une double donation : le vouloir c'est la semence de christité répandue sur l'humanité, mais il faut en outre que Dieu donne le faire car mon vouloir ne me conduit pas de lui-même à faire. Il faut que Dieu donne aussi le faire : il donne que je me lève, c'est ce que nous avons vu à propos du paralytique : « Lève-toi et marche. ». La parole de Dieu donne que je me lève, que je fasse.

Nous avons vu aussi cette distinction dans un autre texte de Paul : « il lui donne le corps selon qu'il l'a voulu » (1Cor 15, 38) : la donation première c'est "l'avoir voulu" puisque semence et volonté c'est la même chose ; et l'autre donation c'est le venir à corps qui est l'accomplissement de la semence[6]. Je suis doublement en acte de recevoir.

Il y a maintenant une petite phrase dont il faut comprendre l'intérêt : « 16si je ne veux pas ce que je fais, [du fait de ne pas le vouloir] je témoigne que la loi est bonne. – Ce que je fais je le déteste, et le détestant, je confirme que ce qui est bon c'est la Loi, donc je confirme la Loi. Ceci est donc très subtil !

17Mais maintenant, ce n'est pas moi qui œuvre cela – je reviens sur moi qui suis pécheur – mais le péché qui habite en moi – dans ce verset le "moi" est n'est pas le "moi charnel" de Paul car œuvrer le don relève du pneumatique, donc cela concerne un autre "je" paulinien.

Nous lisons ici « le péché habite en en moi ». Nous avions lu que le péché entrait, qu'il traversait, qu'il régnait. Maintenant "il habite", et cela confirme notre interprétation du péché. Ce qui est nommé ici n'est pas un acte d'un individu.

18Car je sais que le bon n'habite pas en moi c'est-à-dire dans ma chair – "ma chair" est une façon de dire "moi", et, à la façon dont je dis "moi" maintenant, le bon n'y habite pas – : car vouloir est à ma portée– le vouloir m'est donné, c'est même le vouloir qui me donne à moi-même – mais mettre en œuvre le bien, non. 19Car le bien que je veux, je ne fais pas ; et le mal que je ne veux pas, je le pratique. 20Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est pas moi (mon moi pneumatique) qui met en œuvre, mais le péché qui habite en moi. – "Moi" n'est jamais la désignation d'un sujet clos une bonne fois pour toutes. C'est le point difficile. Nous vivons, nous, sur un usage des pronoms personnels qui nous rend la vie impossible, intenable. Notre égotisme – je ne dis pas "égoïsme" car il s'agit d'une égoïté –, notre façon d'être à "je" met sur nos épaules de l'insupportable, de l'importable !

21Car je rencontre la loi (ce qui me régit) pour moi qui veut faire le bien, en sorte que c'est le mal qui m'est loisible. 22Car je consonne à la loi de Dieu selon l'homme intérieur, c'est-à-dire que ce "je"-là est le "je" de mon intériorité. Et nous trouvons ici des formules qui sont très intéressantes, l'opposition de l'homme intérieur et de l'homme extérieur, de l'homme ancien (du vieil homme) et de l'homme nouveau. Vous trouvez ça surtout dans l'épître aux Éphésiens mais aussi dans la deuxième épître aux Corinthiens. C'est un thème paulinien important qui recoupe le vocabulaire des deux "je" qu'on a dans notre chapitre. Il y a homme et homme : homme intérieur et homme extérieur. L'homme intérieur n'est pas à entendre comme l'homme qui se replie sur soi ou dans les profondeurs de son intériorité psychique, l'homme extérieur étant alors l'homme qui a des rapports avec autrui. Pas du tout. "Homme intérieur" désigne une façon pacifique d'être à soi-même et à autrui ; "homme extérieur" désigne une façon mortifère d'être à soi-même et à autrui. Je dis cela trop rapidement mais cela donne des repères. C'est la même distinction entre nouveau et ancien : l'homme ancien désigne notre natif, notre première naissance, première dans l'apparence, il correspond à l'homme extérieur ; et comme l'homme intérieur désigne la nouveauté christique, il correspond à l'homme nouveau, l'accomplissement du second Adam au sens paulinien du terme, c'est-à-dire du Christ.

À propos du rapport de l'ancien et du nouveau, il y a une différence de traitement dans le vocabulaire de Jean et dans celui de Paul. Chacun a sa légitimité en son lieu. Chez Paul ancien désigne ce qui doit être rejeté alors que chez Jean ancien peut signifier le plus archaïque, le plus essentiel et le plus originaire qui se manifeste à la fin.

23Mais je constate dans mes membres c'est-à-dire dans mes facultés opératives qui constituent à constituer mot d'accomplissement, mon corps – une autre loile mot "loi" ici désigne "ce qui fait la loi" : c'est la loi de la violence, ce n'est pas la loi de Moïse qui combat la loi de mon noûs – le mot noûs est un mot de la philosophie grecque qui désigne l'intellect, mais ici il désigne la même chose que l'homme intérieur ; c'est quelque chose d'assez proche de ce que dans le monde hébraïque on désigne par le cœur qui est l'intériorité de l'être, le centre de l'êtreet [c'est cette autre loi] qui me tient en servitude sous la loi du péché qui est dans mes membres. la "loi du péché", ce n'est pas une autre loi mais c'est "ce qui fait la loi en moi", c'est la violence qui m'est faite.

Une chose importante c'est que cette méditation sur "je" ne dois pas se comprendre comme l'indication d'une schizophrénie - c'est-à-dire d'une déchirure - du "je" psychologique. Il n'y a pas deux "je" psychologiques, il y a un "je psychologique" et un "je pneumatique" et aucun des deux n'est à penser dans la région du psychisme.

24Malheureux homme que moi-même ! Qui me tirera de ce corps de mort ? Paul ne désire pas mourir, mais le "corps de mort" est la venue à corps de la semence négative (la semence de l'ivraie si vous voulez).

Paul vient poser une question et, ou bien il n'y a pas de réponse, ou bien la suite est une réponse. Le verset 25 peut être lu de deux façons différentes :

25[Ce qui m'en retirera c'est la] grâce de Dieu par Jésus Christ notre Seigneur, ou bien Grâce soit rendue à Dieu par le Christ Jésus notre Seigneur.

Ainsi donc, moi-même, dans mon noûs (mon homme intérieur) je suis asservi à la loi de Dieu (je suis sous le règne de Dieu, dans l'espace de Dieu), et dans la chair [je suis asservi] à la loi du péché (je suis sous le règne du péché).

 

ANNEXE (d'après la traduction Louis Segond)

Rm 1, 18-32.

18La colère de Dieu se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent injustement la vérité captive, 19car ce qu’on peut connaître de Dieu est manifeste pour eux, Dieu le leur ayant fait connaître. 20En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, 21puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces (ils n'ont point eucharistié) ; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. 22Se vantant d’être sages, ils sont devenus fous.

23Et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible en images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, et des reptiles. 24C’est pourquoi Dieu les a livrés à l’impureté, selon les convoitises de leurs cœurs ; en sorte qu’ils déshonorent eux-mêmes leurs propres corps ; 25eux qui ont changé la vérité de Dieu en mensonge, et qui ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur, qui est béni éternellement. Amen ! 26C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions infâmes : car leurs femmes ont changé l’usage naturel en celui qui est contre nature ; 27et de même les hommes, abandonnant l’usage naturel de la femme, se sont enflammés dans leurs désirs les uns pour les autres, commettant homme avec homme des choses infâmes, et recevant en eux-mêmes le salaire que méritait leur égarement. 28Comme ils ne se sont pas souciés de connaître Dieu, Dieu les a livrés à leur sens réprouvé, pour commettre des choses indignes, 29Étant remplis de toute espèce d’injustice, de méchanceté, de cupidité, de malice ; pleins d’envie, de meurtre, de querelle, de ruse, de malignité ; 30rapporteurs, médisants, impies, arrogants, hautains, fanfarons, ingénieux au mal, rebelles à leurs parents, dépourvus d’intelligence, 31de loyauté, d’affection naturelle, de miséricorde. 32Et, bien qu’ils connaissent le jugement de Dieu, déclarant dignes de mort ceux qui commettent de telles choses, non seulement ils les font, mais ils approuvent ceux qui les font.

 

Rm 5, 12 sq

12C’est pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché,… 13car jusqu’à la loi le péché était dans le monde. Or le péché n’est pas imputé quand il n’y a point de loi. 14Cependant la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam, lequel est la figure de celui qui devait venir. 15Mais il n’en est pas du don gratuit comme de l’offense ; car, si par l’offense d’un seul il en est beaucoup qui sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don de la grâce venant d’un seul homme, Jésus-Christ, ont-ils été abondamment répandus sur beaucoup. 16Et il n’en est pas du don comme de ce qui est arrivé par un seul qui a péché ; car c’est après une seule offense que le jugement est devenu condamnation, tandis que le don gratuit devient justification après plusieurs offenses. 17Si par l’offense d’un seul la mort a régné par lui seul, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice règneront-ils dans la vie par Jésus-Christ lui seul. 18Ainsi donc, comme par une seule offense la condamnation a atteint tous les hommes, de même par un seul acte de justice la justification qui donne la vie s’étend à tous les hommes. 19Car, comme par la désobéissance d’un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul beaucoup seront rendus justes. 20Or, la loi est intervenue pour que l’offense abondât, mais là où le péché a abondé, la grâce a surabondé, 21afin que, comme le péché a régné par la mort, ainsi la grâce régnât par la justice pour la vie éternelle, par Jésus-Christ notre Seigneur.



[2] « Ce texte récite l'entrée du péché en langage sapientiel. Je vous invite, par exemple, à lire les chapitres 13 à 15 du livre de la Sagesse (qui date du 1er siècle avant JC). Vous y retrouverez un grand nombre de similitudes, avec notamment l'explication de l'idolâtrie et l'explication des mauvaises mœurs. On constate que saint Paul relève de la littérature sapientielle, non pas du tout qu'il s'agisse d'une autre entrée du péché que celle qui est traitée à travers la figure adamique en Rm 5, mais parce que ce texte s'adresse plus particulièrement aux nations, et que la littérature sapientielle représente le lieu, dans la littérature vétéro-testamentaire, où le contact entre Israël et les nations s'exprime le plus fortement. » (J-M Martin)

[4] Pour aider, à plusieurs endroits le mot "loi" en ce sens sera noté "Loi" avec une majuscule, mais il faut savoir que dans le texte grec il n'y a pas de majuscule.

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