Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La christité
La christité
  • Ce blog contient les conférences et sessions animées par Jean-Marie Martin. Prêtre, théologien et philosophe, il connaît en profondeur les œuvres de saint Jean, de saint Paul et des gnostiques chrétiens du IIe siècle qu’il a passé sa vie à méditer.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 1 094 887
Archives
21 septembre 2013

Plus on est deux Plus on est un, 5ème rencontre : époux/épouse, la Trinité revisitée

Cette 5ème et dernière rencontre porte sur le rapport masculin / féminin que J-M Martin rapproche parfois du rapport yin / yang. Après avoir vu le rapport Père / Fils à la rencontre précédente, il aborde ici la relation Christ / Esprit Saint comme une relation époux / épouse. Par ailleurs il a écrit un article sur le thème du masculin / féminin dans la revue Christus : Masculin féminin chez saint Paul (Thèmes d'une symbolique)..

 

La dyade époux / épouse. La Trinité revisitée

 

I - Introduction

 

Aujourd'hui nous nous proposons d'examiner la dyade époux / épouse – ou masculin / féminin… Nous verrons les différences entre les différentes dénominations qui peuvent intervenir à ce sujet.

1. Les trois dimensions du rapport masculin/féminin.

Ceci n'est pas la gestion moralisante d'une façon de vivre le mariage. Ce qui apparaît ici est d'une tout autre dimension :

  • c'est d'abord une dimension plus infime à la mesure où masculo-féminin, chacun l'est, c'est-à-dire que nous sommes dans une bipolarité intérieure ;
  • dans le beaucoup plus grand, c'est une distinction cosmique comme ciel et terre, et on peut employer l'expression ciel et terre pour dire la plus intime ;
  • et enfin c'est aussi ce qui régit le rapport à autrui sous le rapport de la masculinité et de la féminité qui est un rapport très ambigu car il peut désigner par priorité dans certaines cultures la question de la fécondité (ou de l'infécondité), ou ce que nous appelons l'érotique. Ce sont deux choses inégalement réparties comme importance suivant les époques, suivant les temps.

2. Figures de la féminité (les trois Marie) et de la masculinité.

S'il s'agit du féminin lui-même il y a d'autres choses à considérer. Il y a une féminité fondamentale qui peut se distribuer dans la mère (la maternité), l'épouse (les épousailles) et la sœur (la sororité). Ceci est énuméré dans un vieux texte, un évangile apocryphe, qui s'intitule l'Évangile de Philippe : « Jésus avait trois Marie : Marie sa mère, Marie son épouse et Marie sa sœur », le mot Marie étant ici une sorte de prénom qui est archaïque à la mesure où c'était le nom de la sœur de Moïse, Mariam. Vous repérez bien que :

  • “Marie sa mère”, c'est ce que nous appelons la vierge Marie – sans compter que j'aurais pu énumérer la vierge qui est aussi une façon d'être femme ;
  • “ Marie sa femme”, c'est Marie-Madeleine, non pas que Monsieur Jésus ait été l'époux civil de Marie-Madeleine, mais elle est dans la figure des épousailles ;
  • de même que “Marie sa sœur”, c'est Marie de Béthanie, non pas qu'il ait été le frère de Marie de Béthanie, mais Marie de Béthanie est la sœur de Lazare que « Jésus aimait » ; elle est donc dans la figure de la sororité.

De même Thomas, qui signifie le jumeau, est une figure de la masculinité dans l'ordre de la fratrie, ce qui a une grande signification dans le chapitre 20 de saint Jean. Donc bien distinguer des statuts sociaux au sens où nous en parlons, et des grandes figures symboliques.

  • Projet de la séance.

Nous abordons ici quelque chose qui est extrêmement vaste, extrêmement subtil, délicat à aborder et nous n'avons que quelques minutes pour le faire. L'aborder chez saint Jean est une chose ; l'aborder chez saint Paul est encore plus subtil ; et l'aborder chez les gnostiques que nous avons cités à plusieurs reprises au cours de ces séances présente également une certaine complexité. Je vais simplement donner quelques indications.

Nous sommes devant ce vaste problème du deux parce que, à l'intérieur de ces figures, c'est le deux lui-même qui est à penser. Nous arrivons là à un point difficile à dépasser, mais c'est une pensée qui nous indique des chemins au-delà de ce qui est notre usage ordinaire, ce qui présente donc un grand intérêt et une grande difficulté.

La symbolique que nous évoquons, par ailleurs, est une symbolique qui se retrouve dans la plupart des cultures – enfin, des éléments fondamentaux de cette symbolique se retrouvent avec une certaine équivalence dans d'autres cultures : purusha et prakriti en Inde, yin et yang dans la pensée chinoise et d'autres symboliques semblables présentent des affinités.

Nous allons aborder du même coup le thème de la Trinité, car la Trinité est composée finalement de deux dyades :

– la dyade Père / Fils
– et la dyade époux / épouse représentée par Christos / Pneuma[1].

Vous me direz : ça fait quatre termes ; mais non, ça n'en fait que trois parce que le Fils et l'époux c'est le même, il est Fils par rapport au Père et époux par rapport au Pneuma (à l'Esprit). Nous aurions là affaire avec les formulations néotestamentaires des énumérations ternaires qui s'y trouvent. Le mot de Trinité ne se trouve pas dans l'Écriture mais il y a des énumérations ternaires, entre autres chez Paul.

Ce que nous avons appris de la Trinité au catéchisme est très différent de ce qui se trouve dans l'Écriture. Cela n'implique pas que ce que dit le catéchisme est faux, mais il ne faut pas confondre ces deux choses et injecter des connaissances sommaires dans l'Écriture pour l'entendre. Les dogmes, qui sont très précieux en leur lieu, ne sont pas de bons chemins pour entrer dans la symbolique évangélique. Ceci est légitime puisque la fonction des dogmes, au cours des siècles, n'est pas d'accroître le donné évangélique mais de tenter de le traduire en fonction des interlocuteurs. Le grand interlocuteur de l'Église au cours des siècles fut l'Occident. Du même coup, ce qui est dit dans la dogmatique répond aux questions de l'Occident. Or  l'Occident  est structuré tout autrement que l'Écriture. Donc même s'il répond justement, la bonne réponse à une erreur n'égale pas la vérité originelle dont c'était l'erreur.

 

II - Les épousailles en saint Jean

 

1) Un texte clé : Jn 3, 25-34.

Commençons par les épousailles en saint Jean. Il y a un lieu fondamental qui se trouve entre les noces de Cana (Jn 2) et la Samaritaine (Jn 4), et qui est donc une clef de lecture de l'épisode qui précède et de l'épisode qui va suivre. C'est au chapitre 3.

 a) Versets 25-27. Ciel et terre, haut et bas.

 « 25Fut donc un débat entre des disciples de Jean avec un Judéen à propos de la purification [du baptême]. 26Et ils vinrent près de Jean et lui dirent : “Rabbi, celui qui était avec toi au-delà du Jourdain, celui à qui tu as rendu témoignage, voici que lui baptise et tous viennent vers lui 27Alors Jean répondit et dit : Aucun homme ne peut recevoir sinon ce qui lui est donné du ciel. »

C'est intéressant parce que Jean parle à partir de la terre, il témoigne à partir de la terre, comme la voix venue du ciel témoigne à partir du ciel dans le Baptême – qui est le commencement même des évangiles – car toute vérité se tient entre le témoignage de deux. Le deux ici, c'est “ciel et terre” qui est une façon articulée en dyade de dire la totalité. Nous avons médité père / fils, et nous nous préparons à méditer époux / épouse, mais il y a une dyade cosmique que nous n'allons pas étudier pour elle-même et qui recouvre celle-ci pour une part : c'est le rapport ciel / terre.

Nous ne sommes pas chez saint Paul mais je le dis en passant : tout se passe chez Paul comme si deux versets du premier chapitre de la Genèse se superposaient, et s'égalaient d'une certaine façon : « Dans l'Arkhê Dieu fit ciel et terre » / « mâle et femelle il les fit ». En effet nous avons « Dans l'Arkhê Dieu fit ciel et terre »  (v. 1) et « Faisons l'homme à notre image (…) mâle et femelle il les fit  » (v. 26-27). Or il y a un rapport chez Paul entre Arkhê et image, le mot d'image n'ayant pas le sens dégradé qu'il a dans le post-platonisme, mais c'est au contraire la venue à visibilité de ce qui était caché. Ce n'est pas une représentation dégradée de la réalité, c'est la venue à corps. Donc le verset 27 « mâle et femelle il les fit  », qui précise le verset 26 peut se lire également comme développement du verset 1, les deux se superposent comme je viens de le dire.

Chez Paul – mais c'est vrai chez Jean aussi – le rapport du haut et du bas, et le rapport du masculin et du féminin, d'une certaine façon se superposent et s'égalent. La même chose est vraie dans les grandes traditions auxquelles j'ai fait allusion. Cela présente de nos jours un caractère quasi répulsif à la mesure où la femme est censée être par là inférieure, en dessous. On ne répond pas à la question en disant simplement : Ah, c'était des structures de l'époque, nous n'en sommes plus là. Pas du tout, cela a une signification permanente, sauf que le dessous n'est pas inférieur, ou plus exactement il est inférieur au sens originel du terme, c'est-à-dire qu'il se situe plus bas dans la topologie mais il n'est pas inférieur au sens où ce mot a une signification dépréciative. La Loire à Nevers est plus haute que la Loire à Nantes (c'est la Loire inférieure) – plus bas se dit inférieur en latin – mais ça ne veut pas dire qu'elle inférieure à tous égards, elle est même beaucoup plus ample et beaucoup plus manifestée.

Je reviens au texte.«Un homme ne peut recevoir que ce qui lui est donné du ciel. » Dans tout le chapitre 3 qui a été ouvert par la rencontre avec Nicodème (naître d'en haut), le rapport du haut et du bas est fortement marqué. Ensuite on lira : « 31Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tous, ce qui est de la terre est de la terre et parle à partir de la terre» Donc le Baptiste se caractérise ici comme celui qui parle à partir de la terre, mais cela lui est donné d'en haut. La terre n'est pas notre propriété. Elle n'a pas en nous sa suffisance, et parler à partir de la terre est une donation qui vient d'en haut.

b) Versets 28-30. Femme/homme ; la chambre nuptiale.

 « 28Vous mêmes, vous témoignez à propos de moi-même de ce que j'ai dit : "Je ne suis pas le Christos mais j'ai été envoyé au-devant de lui. »

Et voici le verset qui nous intéresse : « 29Celui qui a l'épouse est l'époux, et l'ami de l'époux qui se tient debout et qui l'écoute se réjouit de joie à cause de la voix de l'époux. Et telle est ma joie pleinement accomplie. 30Il faut qu'il croisse et que je diminue. »

Par ailleurs on sait qu'en d'autres lieux, Jean est appelé le fils de la femme et que Jésus est le Fils de l'Homme.

Et la femme a une véritable ambiguïté à la mesure où :

  • elle peut désigner l'état égal et complémentaire de l'homme – nous dirions cela aujourd'hui ;
  • ou au contraire elle peut désigner la situation négative dans laquelle la semence de féminité est recouverte et non encore manifestée.

Chez saint Paul la femme est justement la manifestation de l'homme. Si on lit Paul (Ep 4 et 1Co 11), on apercevra quelque chose qui résonne à notre oreille de cette façon-là : « La femme est la gloire de l'homme » (1 Co 11, 7) c'est-à-dire l'accomplissement manifesté et plénier de ce qu'il en est d'être homme.[2] De même qu'il dit ensuite qu'il n'y a pas de femme sans homme puisqu'elle a été tirée d'Adam, mais il ajoute qu'il n'y a pas non plus d'homme sans femme (allusion à la maternité).

Donc il faut à chaque fois s'avancer avec beaucoup de précaution parce que les structures symboliques sont d'une extrême délicatesse et parce que, d'autre part, notre époque nous fournit une oreille suspicieuse pour tout ce qui a l'air de toucher à l'égalité de la femme par rapport à l'homme. Il ne faut pas que cela nous empêche d'entendre bien les structures de cette Écriture.

Il est dit que l'ami entend “la voix de l'époux”, mais en réalité il entend la voix de la chambre nuptiale[3]. Chez les gnostiques, être fils de la chambre nuptiale, c'est être fils du Plérôme. Le Plérôme – c'est-à-dire toute la réalité pneumatique (spirituelle dans le grand sens du terme) – est dénommé également chambre nuptiale. Et ce qui est né en dehors de la chambre nuptiale, c'est par exemple notre première naissance. Je ne fais que dire quelques choses en passant, je ne développe pas.

c) Versets 31-34.

« 31Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tous, celui qui est de la terre est de la terre et parle à partir de la terre. ». Ceci est très important parce que c'est un principe johannique que l'on entend et l'on parle à partir d'où l'on est. C'est seulement si je suis de ce lieu-là que je peux entendre les paroles de ce lieu-là. Le monde comme tel ne peut pas entendre la Parole. Voilà aussi une structure étrangère à notre façon de parler et de penser.

« Celui qui vient du ciel est au-dessus de tous ; 32de ce qu'il a vu et entendu il témoigne et personne ne reçoit son témoignage. 33Celui qui reçoit son témoignage signe que Dieu est véridique. 34Car celui que Dieu a envoyé parle les paroles de Dieu, car il donne le pneuma sans mesure. »Sans mesure” est une expression étrange : ek métrou. C'est le thème de l'abondance qui est surtout développé chez Paul, à la fois dans ce qu'il dit mais aussi par sa façon de le dire : dans ses énumérations, dans la prolifération, le découlement qui est un autre terme de Paul. L'abondance est significative de l'âge qui vient.

 

2) Avant le texte clé : Les Noces de Cana (Jn 2, 1-11)

Noces de Cana, N D de Lourdes Nancy

 a) Le thème époux-épouse dans les Noces de Cana.

Ce texte de Jn 3 donne des clés de lecture du chapitre qui précède, celui des Noces de Cana. Jésus est un invité et n'est pas l'époux apparemment, mais ce qui est récité dans les Noces de Cana, c'est les épousailles du Christ et de l'humanité convoquée.

Je dis l'humanité convoquée car il faut toujours entendre que l'épouse du Christ n'est jamais une personne singulière, c'est l'humanité dans son ensemble. Ceci est un thème paulinien. C'est un vieux thème biblique.

En effet on sait que dans l'Ancien Testament Dieu est le père de son peuple : le peuple est le "fils de Dieu", donc "fils de Dieu" a un sens collectif. Mais Dieu est également l'époux de son peuple : Israël (le peuple) est l'épouse de Dieu. Vous avez un grand nombre de textes scripturaires de l'Ancien Testament, notamment prophétiques, là-dessus. Ce n'est pas la peine de courir beaucoup les feuilles d'une Bible pour les retrouver, car il y a un petit opuscule gnostique du IIe siècle qui s'intitule Exêgêsis tês psukhês, l'Exégèse de l'âme, qui rassemble tous ces textes et les médite.[4]

b) Être à la fois le Fils et l'épouse de Dieu.

Être à la fois le fils et l'épouse, voilà une situation qui est étrangère à nos représentations. Mais aucune importance ici. Ce qui est le deux fondamental est plus archaïque même que ces deux assez premiers que sont pour nous la paternité (la génération) d'une part, et la conjugalité d'autre part. Ces deux dyades (Père/Fils et époux/épouse) qui sont premières dans notre expérience usuelle, sont elles-mêmes précédées d'une dyade sans doute plus essentielle et commune.

Il y a une indéfinité de modes d'être deux. Nous connaissons surtout la différence entre deux qui sont opposés (qui sont contraires), ou alors deux qui sont complémentaires (qui s'entendent bien, tout ce que vous voudrez). En réalité il y a une infinité de dyades, d'autant plus que la dyade est mère de la multiplicité. Elle est mère de la multiplicité en ce sens qu'elle est mère de la multiplication : ça ne multiplie qu'à partir du deux, le un ne multiplie pas. « Croissez et multipliez » : il faut le deux, il faut le couple.

 

3) Après le texte-clé : la Samaritaine (Jn 4).

a) Le thème époux-épouse dans l'épisode de la Samaritaine.

Ensuite au chapitre 4 le thème de la Samaritaine est un thème sur l'eau, un thème sur le lieu identifiant : être de Samarie ou de Jérusalem ? Non, ni de Samarie, ni de Jérusalem, mais du pneuma qui est une région nouvelle, la région ouverte par le Christ : « Il ne faut adorer ni ici ni là, mais dans le pneuma qui est vérité (dévoilement). »

En outre il y a un thème masculo-féminin qui court tout au long. D'abord parce que les patriarches rencontrent leur fiancée au puits. Ici, une conversation s'engage entre Jésus et cette Samaritaine anonyme. D'autre part, parmi les thématiques qui constituent leurs échanges, il y a la thématique de « Va chercher ton mari ». Qu'est-ce que ça vient faire là ? Mais c'était là dès le début parce que la thématique masculin/féminin, ou époux/épouse plus exactement ici, est en question d'emblée dans le texte. Bien sûr qu'elle n'a pas de mari et ne pourra en avoir que lorsqu'elle aura été capable de se ré-identifier et de reconnaître Jésus comme « le sauveur de son corps », comme dira Paul (Ep 5, 23), « le sauveur du monde » (Jn 4, 42), c'est-à-dire Jésus dans la figure de l'époux.[5] C'est pourquoi la Samaritaine a ici une signification collective.

b) Le féminin chez saint Jean

Du reste, que le féminin soit collectif est une sorte de tradition dans les symboliques, dans les cultures. Chez saint Jean le féminin a deux traits principaux :

– Il est collectif – le mot n'est pas heureux parce qu'il dirait simplement le collectif de l'ordre du social alors que ce qui est question dans ces choses-là, c'est un collectif qui est de l'ordre de l'humanité convoquée dans son ensemble. Il est eschatologique d'une humanité qui serait quelque chose comme l'Ekklêsia – pas l'ekklêsia au sens petit mais la communion des saints (la communion des consacrés), la koïnonia de Jean qui n'est pas régie par le droit qui gère les rapports sociaux des hommes ou des états.

– L'autre trait, également propre à la symbolique féminine chez Jean, est d'être dans la succession, dans les étapes. C'est vrai pour la Samaritaine, et c'est vrai pour Marie-Madeleine. Dans le même chapitre (Jn 20, 1-19), la symbolique masculine est représentée par Jean qui est sans étape : “il vit, il crut”, c'est-à-dire qu'il voit – mais du reste, il ne voit rien, il voit le rien, c'est-à-dire il croit, il sait ce que signifie l'absence. Alors que Marie-Madeleine a des étapes : elle se tourne, se retourne, elle se méprend, elle demande où on l'a posé, elle cherche, etc.  Il y a tout un cheminement, et un cheminement assez semblable, d'ailleurs, structurellement, à celui de la Samaritaine.

Ceci avait pour but de situer des lieux où il importe de détecter ce thème qui, pour n'être pas le plus émergeant, est cependant un des plus essentiels chez saint Jean.

 

III - Christos / Pneuma chez les gnostiques

 

Je reviens aux conséquences par rapport à l'être même de Dieu qui se dévoile ici. L'unité de Dieu n'est pas l'unité inerte que nous sommes souvent tentés de penser. L'unité de Dieu est ce constant rapport respiratoire, de haute respiration, entre le Père, le Fils et le Pneuma (l'Esprit). Père et Fils nous en avons parlé. Nous n'avons pas rencontré le mot de pneuma, au sens où il apparaît dans notre Écriture, dans ce que nous avons déjà lu ici.

Les titres de Christos et de Pneuma n'apparaissent pas dans le Plérôme.[6] En premier, nous avons l'Abîme / Silence qui est hors du Plérôme. Ensuite, le Plérôme s'ouvre dans le Christ qui est Arkhê et Fils : Fils par rapport à ce qui précède (le Père) ; et Arkhê par rapport à tout ce qui s'ensuit. Le Pneuma n'est pas là d'abord, il est là dans une troisième phase chez les gnostiques. C'est ce que Tertullien appellera le Pneuma Tertius. En effet dans « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit », il est connuméré troisième. Or les discours des anciens ne sont pas des discours dissertants, mais les choses les plus élevées sont à l'intérieur d'un récit.

Donc le Père engendre le Fils, le Fils qui est la plénitude de toutes ces dénominations, et aussi la plénitude des semences de toute l'humanité. Nous n'avons pas commémoré la faiblesse et la dissension qui se produit à l'intérieur du Plérôme. Sophie, le dernier des Éons, veut saisir le Père, ce qui est une œuvre impraticable, et elle tombe dans une espèce de vacuité qui est le contraire du Plérôme (de la plénitude), entraînant l'ensemble des Éons, c'est-à-dire l'ensemble des dénominations, parce qu'elles sont désormais déchirées les unes d'avec les autres, et notamment chacune d'avec son conjoint. Or tout ce qui est entrepris par un seul est déficient ; seul engendre ce qui est appelé par les deux dénominations. Et c'est pourquoi l'Abîme émane un troisième qui est aussi un couple, le couple Christos / Pneuma. Il est là pour rectifier le Plérôme, pour le rétablir, le restituer ; le Pneuma a donc là une fonction finalisante, accomplissante, une fonction qui conduit à la perfection de ce qui, même à l'intérieur de ce Plérôme, a été et est toujours pour nous dans une certaine dispersion. Du simple fait que époux/épouse multiplie, la multiplication des dénominations fait qu'on peut les considérer pour elles-mêmes, et quand Jésus dit “je suis la Vie”, je peux penser Vie singulièrement, dans son petit sens et aussi au sens large comme ce qui est de Dieu.

La fonction du Christos est d'enseigner, et c'est aussi la fonction du pneuma, le pneuma de la vérité. La tâche consiste (dans le langage des gnostiques) à égaliser les dénominations, c'est-à-dire à montrer que si chacune d'entre elle est entendue jusqu'au profond d'elle-même et non pas dans sa différence, elles sont toutes égales et semblables (isos kaï homoïos). Vous avez un principe de lecture des noms, des dénominations du Christ, qui est à attendre du pneuma. C'est-à-dire que les différents noms du Christ, je peux les entendre à partir de leur histoire sémantique, de leur signification, mais si j'entends l'Écriture dans le pneuma, j'entends que chacune de ces dénominations dit la totalité du Christ. Et ça c'est très intéressant, ça montre par exemple que l'évangile de Jean n'est pas un ensemble d'articles qu'il faut ajouter les uns aux autres, mais que, dans chaque lieu, il y a la totalité s'il est perçu dans sa profondeur. Il y a un enjeu dans le mode de lire qui est en question dans cette affaire du démembrement des Éons.

C'est une leçon d'écoute : comment entendre l'Évangile ? Quelle est l'écoute propre à l'Évangile ? Et cela je ne le reçois pas de moi-même, je l'attends du pneuma, du pneuma de la vérité.

 

IV - La Trinité chez saint Paul en Ep 4, 4-6

 

J'ai dit que Christos et Pneuma étaient en couple. Ce qui est plus connu chez Paul c'est le rapport Christos et Ekklêsia comme époux / épouse. Or il est très important de savoir qu'il y a une affinité entre le féminin Ekklêsia et le féminin pneuma. Une des rares énumérations trinitaires qui se trouvent chez Paul marque cela très bien. C'est au chapitre 4 des Éphésiens versets 4-6 :

« Un seul corps et un seul pneuma
                                                      selon que vous avez été appelés
                                                        dans une seule espérance de votre appel ;
   un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ;
   un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, à travers tous et en tous. » :

Le pneuma / le Kurios / et le Dieu Père.

Vous avez une énumération ternaire ici, mais ce qui est intéressant c'est que chacun de ces termes est affecté d'un certain nombre d'autres mots, et ces mots marquent une affinité entre eux.

  • Pneuma et corps ; l'appel.

En effet, avec le pneuma, vous avez : « Un seul corps et un seul pneuma». Ici corps et pneuma signifient la même chose, chez nous c'est le contraire (le corps et l'esprit), mais par exemple en langage stoïcien ce serait tout à fait possible également. Le corps ne désigne pas ce qui est pour nous le corporel par opposition au spirituel. Le corps désigne au contraire une réalité pleinement accomplie : venue à corps à partir de sa semence. Ce n'est pas le rapport âme / corps, c'est le rapport semence / corps. Or, dans le rapport semence / corps, le corps est l'accomplissement plénier de la semence, le mot corps dit l'homme tout entier. Le mot de corps a ce sens-là quand Paul, au chapitre 5, dit que l'Ekklêsia (donc l'humanité convoquée) est l'épouse du Christ[7] ; ici c'est le corps, c'est-à-dire l'accomplissement plénier des semences pneumatiques qui constituent l'homme véritable. Voyez à quel point on peut ne pas lire si on lit selon nos articulations.

Vous avez ici le pneuma pour dire la même chose. Il y a une affinité entre le pneuma et le corps, c'est-à-dire l'accomplissement de la totalité des appelés. L'Église est le corps du Christ-tête : c'est le rapport corps / tête. C'est donc un rapport haut / bas mais pas un rapport intelligible / sensible. C'est pourquoi est employé le mot klêsis « vous avez été appelés (eklêthêté) dans une seule espérance de votre klêsis (vocation, appel) » (Ep 4, 4b) : c'est le même mot que Ekklêsia. Le grand sens du mot Ekklêsia, c'est la convocation de la totalité des semences du Pneuma qui sont dans l'humanité. Chez Paul Ekklêsia ne désigne pas d'abord une communauté sociologiquement repérable qui a des règles et des institutions, qui a vécu à telle époque, etc. Le mot Ekklêsia dit la convocation par Dieu, c'est-à-dire la réunion par Dieu, de la totalité des semences du Pneuma qui sont répandues en elle (dispersées, déchirées, en elle).

Ce qui arrive comme trouble à l'intérieur du Plérôme, se traduit également à l'intérieur de l'humanité. La multiplication qui est signe de déploiement, devient progressivement signe de démembrement. C'est un point très important. Le pluriel est un déploiement de l'unité. Il peut être un déploiement harmonieux, comme une fleur est un déploiement du bouton, tant qu'elle reste retenue dans l'unité de sa tige; mais quand elle fane, elle se démembre. Or  ce monde-ci est un monde dans lequel l'humanité est démembrée : chacun est déchiré à l'intérieur de soi-même, déchiré dans son rapport à autrui et déchiré dans sa totalité. C'est ce que Jean appelle ce monde-ci.

  • Christos : Seigneur (Kurios), foi, baptême.

En revanche le Christos a à voir essentiellement avec la foi parce que la foi, c'est la proclamation que Jésus est Seigneur (Kurios), et avec le baptême parce que le baptême n'est rien d'autre que la foi manifestée. Toute foi est essentiellement baptismale : avant le baptême, elle est catéchuménale ; au moment du baptême, elle est baptismale ; après le baptême aussi. En effet le baptême n'est pas simplement le rite d'un moment, il laisse une marque que les théologiens appellent “caractère” au sens technique du terme : on a été baptisé, mais on le reste, on est baptisé.

Et la foi n'est rien d'autre qu'un baptême, en ce sens que croire en Jésus, c'est croire en sa mort et en sa Résurrection, c'est-à-dire qu'il nous soit donné à nous-même d'être “plongé dans la mort”, comme dit Paul, pour être relevé, re-suscité dans le Pneuma. Le mot baptême ne se pense pas à partir de l'idée de sacrement. C'est le contraire : l'idée de sacrement devrait normalement partir de là. Ce n'est pas notre idée de sacrement qui nous fait comprendre le mot de baptême tel qu'il est prononcé ici.

  • Dieu et Père.

Enfin dernière mention : “le Dieu et Père”.     

Ce passage est assez intéressant parce que c'est une des rares énumérations ternaires du Nouveau Testament avec « Allez baptiser les nations au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». Mais la Trinité comme un mystère à part n'est pas envisagée dans le Nouveau Testament comme elle l'est dans les traités de théologie. Et puis, d'autre part, les traités de la Trinité sont élaborés à partir des concepts occidentaux et non pas à partir de la symbolique néotestamentaire. Les concepts qui sont ceux de nature[8] et de personne sont les concepts distributeurs de la première réflexion chrétienne en Occident : la Trinité, c'est une seule nature et trois personnes ; le Christ, c'est deux natures et une seule personne. C'est le b-a-ba du catéchisme qui est issu de la réflexion théologique proprement occidentale, qui est juste et pertinente pour autant qu'on demeure dans un questionnement occidental. Dieu merci, le concile de Nicée a défini la consubstantialité du Père et du Fils. Heureusement que nous avons cela pour nous inviter à lire en profondeur nos textes. Seulement ce n'est pas le discours, c'est la réponse à une déviance qui s'était faite jour pour dire que le Fils était une grande première créature et non pas la même chose que le Créateur. Et si on s'en tenait à cela, on manquait le plus fondamental de l'Écriture qui n'a en fait jamais été médité dans ce sens-là, ce sens qui fait le thème de nos recherches : l'identité du deux et de l'un, ou l'identité du trois et de l'un. D'autant plus deux que un : ce n'est pas “un bien que deux”.

 

QUESTIONS.

1. La femme chez Paul.

► Comment comprendre que la femme est l'accomplissement de l'homme comme le dit saint Paul ?

J-M M : Il faut bien voir que la femme n'est pas toute seule accomplissement, mais l'homme se trouve accompli dans la manifestation de lui qui est la femme. Comment dire cela ? Je pense que l'autre formulation qui est explicitement chez Paul, à savoir que « La femme est la gloire de l'homme », présenterait presque plus d'intelligibilité. Mais les deux reviennent au même. Bien que nous soyons entre guillemets féministes – la plupart des gens aujourd'hui – une phrase comme celle-là paraît presque de trop.

Cette phrase se trouve en 1 Cor  11, le chapitre qui traite du voile. Le voile, dans le Nouveau Testament, c'est le voile pour la prière. Le voile pour la prière n'est pas fait pour cacher la féminité, mais il en est le dévoilement : le voile est le dévoilement. Et dans la prière, l'homme ne dévoile pas sa gloire qui est la femme. De même, il est honteux pour un homme d'avoir des cheveux longs tandis que c'est une gloire pour la femme (1 Co 11, 14-15). Ça paraît très étrange.

Ce qui est intéressant dans le contexte, c'est une sorte d'argumentation selon la nature, (kata  phusïn,) ou selon l'usage (kata khrêsïn) : « La nature n'enseigne-t-elle pas » (v. 14) ; « est-il convenable que… ? » (v.13). Nous, nous opposons la nature et l'usage, par exemple quand nous posons la question de savoir si la féminité est une chose naturelle ou une chose culturelle (la culture relève de l'usage). Or kata phusïn et kata khrêsïn  sont ici deux façons de dire la même chose, parce que le concept strict de nature au sens philosophique du terme ne fonctionne pas chez Paul. Le mot phusis s'y trouve (v 14) – c'est une des rares fois où il se trouve dans le Nouveau Testament – et il ne signifie pas ce que signifie phusis chez les philosophes.

2. La femme et les semences femelles dans le Plérôme des gnostiques.

► Tu parlais du côté féminin de chacun, quel est-il ?

J-M M : Là, il y a une ambiguïté. Sous le terme de faiblesse ou de chair, ou de "fils de la femme seule" et non "fils de la chambre nuptiale", sous le terme des "enfants de la femme", la signification peut être que la femme représente l'espace inférieur dans lequel nous sommes, ou bien la modalité cachée de la semence.

► Oui, il y a les deux choses. Tu parlais des semences femelles rejetées hors du Plérôme.

J-M M : Il y a des semences proprement femelles – pour parler ce langage-là – qui sont les productions de la sarx (de la chair) ou de la psukhê. Les semences positives sont les semences pneumatiques (spirituelles), les semences du monde nouveau, or ces semences-là peuvent être de façon non-manifestée au titre de simples étincelles, ou au contraire embraser la totalité de la vie dans la manifestation plénière d'elles-mêmes.

3. Le mot "monde" chez Jean. La triple venue du Christ (Jn 1, 9-14).

► Qu'en est-il du monde chez saint Jean ?

J-M M : Le mot monde en notre sens actuel n'existe pas chez Jean. Le "monde" est l'équivalent johannique de la femme seule, de la féminité non couplée au pneumatique : le monde chez Jean désigne toujours ce qui n'est pas d'ordre pneumatique, ce qui est régi par la mort et le meurtre.

Une exception : quand Jésus dit « Je suis venu sauver le monde » (Jn 12, 47), puisque le non-pneumatique comme tel n'est pas susceptible d'être sauvé, il veut dire à ce moment-là “sauver les siens qui sont dans le monde”, les siens c'est-à-dire les hommes, les semences pneumatiques qui sont dans le monde.

Le monde chez Jean est toujours un espace qui, comme tel, ne peut pas recevoir en vérité le pneuma. “Venir vers le monde” veut dire venir à la mort, on trouve cette expression en Jn 1, 9. Mais dans les versets 9-14 du Prologue il est question d'une triple venue :

  • Il est venu vers le monde qui ne l'a pas reçu, donc il est venu vers la mort ;
  • il est venu vers les siens qui ne l'ont pas connu, mais “pas connu d'abord”, donc il est venu à la méprise ;
  • et enfin il vient vers les siens lorsqu'il est reconnu en plénitude et reçu : « à ceux qui l'ont reçu il a donné de devenir enfants de Dieu », c'est-à-dire que, de semences qu'ils étaient, ils deviennent enfants de Dieu.

La "faiblesse" en un sens s'oppose au pneuma et en un sens est le pneuma.

Je reviens sur ce que j'ai dit à propos de la faiblesse. En effet elle a un double sens :

  • le sens de ce qui s'oppose au pneuma,
  • le sens de ce en quoi le pneuma est provisoirement recouvert, et le pneuma est provisoirement appelé faiblesse dans ce cas-là, à cause de ce qui le recouvre et non pas à cause de son essence

Il y a homme dans l'homme.

► Et quel est le rapport de cette faiblesse avec le côté féminin de l'être ?

J-M M : Voilà une chose très importante : pour entendre l'Évangile, il faut cesser d'avoir un concept de sujet autonome, autosuffisant, totalement un, même ontologiquement un, alors qu'il y a un homme dans l'homme. L'homme spirituel est en exil dans l'homme mondain au sens de ce que je viens de dire. C'est tout autre chose que la distinction de l'âme et du corps.

Tous les mots de Jean sont des mots du corps, aussi bien les allures, les postures, les sensations. Entendre, voir, toucher, goûter, respirer... Les cinq sens se trouvent chez saint Jean ; trois sont énumérés régulièrement ensemble dans le même ordre parce qu'il y a une signification à cela. « Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, que nos mains ont tâté au sujet de l'affaire de la vie (au sujet de la résurrection) » (1 Jn 1). Cette sensorialité-là désigne quelque chose d'ajusté à la Résurrection, donc ça ne désigne pas les sens grossiers qui sont les sens usuels de notre être : l'homme intérieur n'est pas manifesté comme une âme, il est manifesté comme une humanité douée de sa propre sensorialité spirituelle. Disant cela, je n'ai pas répondu à ta question, j'ai fait un détour pour faire exploser notre idée d'un sujet autonome et autosuffisant.

Et parmi les premières données fondamentales de la constitution d'un individu, il y a cette bi-polarité : bipolarité du haut et du bas bien sûr, qui est la même que la bipolarité du masculin et du féminin. En effet la déchirure dans laquelle nous sommes, c'est que ces deux pôles ne sont pas en accord. De même le divorce fondamental, c'est le divorce ciel-terre. Ciel et terre ne se parlaient plus au temps de Jésus, et voici que le ciel s'ouvre et parle à la terre : « Tu es mon fils bien-aimé », c'est l'ouverture de l'Évangile. Désormais masculin et féminin se parlent, donc c'est la constitution d'un espace nouveau, qui est un espace dans lequel pôle masculin et pôle féminin ne sont plus déchirés.

Or cette chose-là qui vaut à l'intérieur de chacun, vaut également pour le rapport d'un à une autre, et singulièrement de ma masculinité à la féminité de mon interlocutrice par exemple. Je ne peux avoir de relation heureuse et bonne avec une femme que pour autant que, à l'intérieur de moi-même, ma masculinité et ma féminité sont dans un bon accord. Donc à la fois cette bipolarité est du plus intime, elle est de la proximité des relations, et enfin elle est l'égale de ciel-terre c'est-à-dire qu'elle a également une dimension cosmique, elle traverse toutes les dimensions.



[1] Pneuma est neutre en grec mais est pris comme un nom féminin car il traduit le mot hébreu rouah qui est féminin. Il a été longuement question du pneuma à la troisième rencontre "Chair et pneuma (Jn 3, 6)".

[5] Voir La rencontre avec la Samaritaine, Jn 4, 3-42, texte de base.  et une lecture gnostique où la symbolique de l'époux est très importante : Lecture gnostique de la Samaritaine (Jn 4, 4-24) suivie des fragments d'Héracléon cités par Origène. Le gnostique Héracléon (un disciple de Valentin) a fait un commentaire  de l'évangile de Jean. Lorsqu'il commente le verset « Va chercher ton mari » il se réfère à cette idée que les spirituels dans ce monde sont un élément brisé de couple et que l'élément mâle se trouve conservé dans le lieu de la plénitude, dans le plérôme, et que c'est cet élément complémentaire accomplissant de l'homme qui est visé ici. Cet élément mâle est appelé parfois logos, (logoï au pluriel), chacun a son logos, c'est-à-dire la parole parlante ; c'est aussi son nom qui n'est pas encore prononcé ; c'est aussi son angélos que l'on traduit par son ange, l'envoyé ; c'est pour cela qu'Héracléon dit que le Logos vient plein de logoï, qu'il est l'ange du conseil, l'ange de la délibération, étant la plénitude de ce qui est l'élément accomplissant de chacun. Ici nous faisons un gros effort de traduction par rapport au langage technique, mais il importe de faire cet effort parce que très facilement on réduit cela à être des imageries inconsistantes. La notion de sizigie, c'est-à-dire de couple, est ici impliquée et il y a des choses extrêmement fortes dans le couple,Évidemment cela donne un tout autre sens au verset : il s'agit de faire prendre conscience à la Samaritaine qu'elle n'a pas sa part accomplissant, son homme. (Extrait du cours de Christologie donné par Jean-Marie Martin à la l'Institut Catholique en 1974-1975)

 [6] Consulter L'arbre généalogique de la Gnose chrétienne qui se trouve à la fin de la quatrième rencontre.

[8] Le concept de nature est un concept proprement occidental qui n'existe pas dans le Nouveau Testament. C'est un vieux concept grec qui, dans son origine, est très beau – physis c'est l'éclosion.  Seulement il a donné lieu dans nos discours à toute une descendance extrêmement multiple et diverse. Et le mot est toujours dépendant du mot qui est mis à côté, c'est-à-dire nature et personne, nature et surnature, nature et art, etc.

 

Commentaires